Ayant pris la relève du cabinet KISHI, IKEDA Hayato lança une politique de « progression économique à taux élevé » dont le pilier était le renforcement de la « rationalisation » et l’objectif le « doublement du revenu national ».
Dans cette nouvelle conjoncture, le Parti communiste, réuni en son VIIIe Congrès en 1961, se livra à une analyse de la situation japonaise, affirmant que ce pays, qui était pourtant une puissance capitaliste à fort développement économique, était totalement inféodé à l’impérialisme américain ; le P.C.J. élabora en conséquence de nouvelles thèses démontrant la nécessité de mettre au point une « voie japonaise vers le socialisme » pour mettre fin, par une révolution démocratique, à l’hégémonie du capital monopolistique japonais et de l’impérialisme américain, en constituant un front démocratique du peuple, anti-impérialiste et anti-monopolistique, afin de coordonner les luttes de la population pour l’indépendance, la démocratie, la paix, la neutralité et l’élévation du niveau de vie.
De son côté, la classe dominante nippo-américaine, forte de l’expérience des luttes contre le Traité de Sécurité, cherchait à faire éclater le Parti socialiste et le Parti communiste qui avaient été les catalyseurs du mouvement de front unifié. La politique suivie pour faire basculer le mouvement ouvrier vers la droite fut très nuancée, penchant tantôt vers la conciliation, tantôt vers la division, pour être finalement couronnée d’un certain succès. Avec les innovations technologiques et les progrès de l’automation, l’exploitation accrue de la classe ouvrière, camouflée sous le nom de « rationalisation », se poursuivit, mais dans les grandes entreprises des « industries de pointe », comme la métallurgie, les constructions navales, les industries automobile, électrique, chimique et pétrochimique, les profits qui connurent une progression spectaculaire furent partiellement répartis parmi une certaine fraction des travailleurs : du fait de cette augmentation relative de leurs salaires, ceux-ci constituèrent une sorte d’« aristocratie du travail » et se trouvèrent complètement assujettis à leur entreprise, car ils étaient entretenus dans une illusion de « stabilité » et d’« augmentation de leur niveau de vie ». C’est ainsi que la classe patronale, entraînant avec elle les cadres syndicalistes de droite, réussit en partie à assurer sur cette base son contrôle des syndicats au moyen de la nouvelle « bureaucratie ouvrière », adhérant aux principes du pro-américanisme, de l’anticommunisme et de l’harmonisation des rapports entre le capital et le travail.
Au mois d’août 1964, la tension en Extrême-Orient redoubla brusquement, avec le durcissement de la guerre du Viet-Nam. Le Japon, avec Okinawa, fut mis à contribution en tant que base avancée pour les opérations militaires et paramilitaires ; et le capitalisme monopolistique japonais ainsi renforcé put favoriser avec plus d’assurance encore la résurrection de l’impérialisme et du militarisme. Avec l’aide des classes dominantes nippo-américaines, des organisations ouvrières de tendance pro-américaine se développèrent ; ainsi la Fédération générale pan-japonaise du travail ou Dōmei (Zen nihon rōdō sōdōmei) fondée en 1964, ou encore l’Association japonaise de la Fédération internationale de la métallurgie (I.M.F. — J.C, ou Kokusai kinzoku rōren nihon kyōgikai). Les dirigeants de droite des syndicats ouvriers, qui cherchaient à orienter vers la droite un front ouvrier réorganisé, étaient en faveur de la reconstitution de l’Association patriotique industrielle (Sangyō hōkoku kai) de la période de guerre. Mais leurs tentatives se heurtèrent à une résistance énergique. En effet, un courant unitaire, qui dénonçait l’opportunisme consistant à éviter tant les conflits avec l’impérialisme américain que le sectarisme anticommuniste faisant obstacle aux luttes communes des forces démocratiques, se développait et se renforçait. Le 21 octobre 1966 fut organisé au Japon, pour la première fois dans le monde, une grève de protestation contre la guerre du Viet-Nam ; cette manifestation de solidarité devait se reproduire, depuis lors, chaque année à la même date, sous le nom d’Action unifiée du 21 octobre.
La politique de « progression économique à taux élevé » eut pour résultat de porter le Japon au deuxième rang des nations capitalistes pour ce qui est du produit national brut (P.N.B.) ; une des conséquences en fut la réorganisation de la structure industrielle du pays, axée sur les industries lourde et chimique, dominées par des entreprises gigantesques de type monopolistique ; la composition socio-professionnelle de la nation subit parallèlement de profonds bouleversements.
C’est ainsi qu’en 1971, sur une population totale de 100 000 000 d’habitants, dont la moitié, soit 50 000 000, est en âge de travailler, on n’a recensé que 4 % environ de la population active soit 1 900 000 personnes appartenant à la classe capitaliste ; les corps armés au service du capitalisme monopolistique constitués par les forces d’autodéfense et la police comptent respectivement 230 000 et 170 000 personnes, soit un total de 400 000, ce qui représente 0,8 % du corps social actif. Pour ce qui est de la population laborieuse, les paysans sont au nombre de 9 850 000 et les pêcheurs 320 000, ce qui donne un total de 10 240 000 travailleurs pour le secteur primaire, soit 20 % de l’ensemble. Les employés des petites entreprises industrielles et commerciales et autres travailleurs représentent, avec des effectifs de 7 600 000 individus, 15,4 % de la population active. Enfin, c’est la classe ouvrière avec ses 30 000 000 de membres qui constitue, de loin, l’élément principal du monde du travail japonais, c’est-à-dire 60 %- La tendance à la diminution des effectifs des couches paysannes et à la croissance de la classe ouvrière connaît depuis les années 60 une forte accélération.
Cette « progression économique à taux élevé », et son corollaire inévitable que constitue la concentration de la population dans les villes, a entraîné une aggravation des problèmes urbains comme la pollution, les accidents de la route, la hausse des prix et la question du logement. Le premier thème en particulier, celui de la pollution, a maintenant pris les proportions d’un très grave problème social. Une campagne de lutte des habitants contre la pollution s’est déployée dans toutes les régions du Japon et, en union avec la classe ouvrière qui dénonce les accidents du travail et les maladies professionnelles, elle a débouché actuellement sur un vaste mouvement de la population pour la défense de son cadre de vie et de son existence. D’autre part, dans une perspective de résistance au pouvoir exercé par le gouvernement central, porte-parole du grand capital, s’est organisé un mouvement pour la démocratisation des collectivités locales autonomes, directement concernées par les conditions de travail et de vie des habitants ; dans des centres politiques, économiques et culturels comme Tōkyō, Osaka et Kyōto, ont été élus, grâce au soutien conjoint du Parti socialiste et du Parti communiste, des préfets ou des maires progressistes ; c’est ainsi que près d’un tiers de la population totale du Japon, soit 30 000 000 d’habitants, ont confié leur vie quotidienne à des collectivités locales autonomes de caractère progressiste.
Quant au mouvement syndical ouvrier, les effectifs totaux des syndicats étaient en 1971 de 11 800 000 adhérents, soit un taux d’affiliation de 35 %. A l’échelon national, il y a quatre centrales syndicales (« centres nationaux ») : le Conseil général des syndicats ouvriers du Japon ou Sōhyō (Nihon rōdōkumiai sōhyōgikai, 4 200 000 adhérents, soutien au Parti socialiste japonais) ; la Fédération générale pan-japonaise du travail ou Dōmei (Zen nihon rōdō sōdōmei, 2 170 000 adhérents, soutien au Parti démocrate-socialiste) ; l’Union nationale des syndicats d’industrie ou Shinsambetsu (Zenkoku sangyōbetsu rōdōkumiai rengō, fondée en décembre 1949, 76 000 adhérents, proche du Parti communiste japonais) ; le Congrès national de liaison des syndicats ouvriers neutres ou Chūritsu rōren (Zenkoku chūritsu rōdōkumiai renraku kaigi, formé en septembre 1956, 1 350 000 adhérents). Les membres des syndicats non affiliés à l’une quelconque de ces centrales représentent le tiers des travailleurs syndiqués.