GAUTIER Henri, Antoine

Par Marcel Boivin, Claude Pennetier

Né le 14 septembre 1897 à Graville-Sainte-Honorine (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort en déportation en janvier 1945 à Monowitz ; chaudronnier ; militant communiste et syndicaliste CGTU du Havre (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) puis de région parisienne ; trésorier de la Fédération CGT des Métaux.

Henri Gautier, dans Le Prolétaire Normand du 12 octobre 1928

Henri Gautier naquit dans une famille de huit enfants, de tradition libertaire (lors d’une perquisition chez son père, on retrouva un manuscrit interdit : « manière d’éviter la grossesse » ; il avait écrit sur la page de garde : « cet ouvrage étant frappé par la loi française, je me fais un devoir de le copier pour que mes enfants puissent y puiser le secret de la non-reproduction, ou tout au moins de la reproduction consciente »). Son père, Charles Ernest Gautier (18 ??-1927), évolua vers le socialisme et fut conseiller municipal de Graville en 1908 puis « social chauvin pendant la guerre » et enfin sympathisant communiste. Sa mère, Ismérie née Lannes, « ne s’occupait pas de politique ».
Henri Gautier, titulaire du certificat d’études primaires et ayant suivi pendant un an les cours d’une école pratique d’industrie, débuta très tôt dans la vie professionnelle et militante. Après son apprentissage, il exerça la profession d’ouvrier chaudronnier dans diverses entreprises métallurgiques du Havre. Il se syndiqua à la CGT en 1913. Il évoqua dans son autobiographie de 1933, ses « nombreuses lectures anarcho-syndicalistes d’avant-guerre » et le fait qu’il « s’efforce encore de [s’]en corriger. J’y suis d’ailleurs parvenu en partie ». Il fut mobilisé en 1917 mais ne semble pas être allé au front.
Membre du CSR et du syndicat des Métaux du Havre, Henri Gautier soutint les minoritaires qui prirent la direction de l’organisation en janvier 1920. « Après la guerre et surtout depuis la grève de 1920, boycotté, j’ai travaillé où j’ai pu, dans la métallurgie, sur le port, dans le bâtiment etc. étant le plus souvent sans travail parce-que militant connu au Havre, j’ai travaillé quelques mois à mon compte comme chaudronnier-fumiste ». Il suivit des cours d’esperanto et d’anglais. Il s’initia plus tard à l’espagnol en prison.
Inscrit aux Jeunesses communistes du Havre à partir de février 1921 (jusqu’en 1924) et au Parti communiste à partir de avril 1921, il fut arrêté le 8 mai pour injures et cris séditieux, lors du défilé militaire des fêtes Jeanne d’Arc. Il anima la sous-section communiste de Graville avant d’être élu secrétaire des Jeunesses communistes au début de 1922, en remplacement de Gaston Legoy, qui parlait de lui en ces termes : « il sut se montrer un véritable dirigeant ouvrier, probe, honnête, intelligent et courageux ». La même année, il se rendit célèbre parmi la population ouvrière du Havre, en dirigeant aux côtés de Maurice Gautier et d’Henri Quesnel, la grande grève des métallos. Lors de la manifestation tragique du 26 août, il racontait avoir vu deux de ses camarades tomber à ses côtés au moment des coups de feu ; il avait alors traîné l’un d’eux, pour le mettre à l’abri derrière le mur de soubassement des grilles du cercle Franklin, Maison des syndicats du Havre. Reconnu par la police, il se réfugia le soir même chez son frère où il fut arrêté le 31 août. Condamné à quatre mois de prison pour sa participation à la manifestation du 26 août, il en sortit pour reprendre sa place au sein du syndicat des Métaux et mener en compagnie de son frère André, une violente campagne contre le bureau de tendance anarcho-syndicaliste, dirigé par Quesnel puis Victor Le Guillermic.
Décrivant ses prises de position au moment et après le 4e congrès de l’IC, il écrit : « Je dois cependant indiquer qu’au moment où les problèmes des ciseaux se posaient en URSS, je fus fortement troublé par les arguments trotskistes, mais j’ai ensuite compris le but poursuivi par cette tendance. »
Il fut secrétaire de l’ARAC au Havre de 1924 à 1925. Le 13 janvier 1924, il présenta une liste communiste à l’élection du bureau, contre les partisans du secrétaire sortant Victor Le Guillermic. Ces derniers, mis en minorité, André Gautier fut élu secrétaire, Henri Gautier se réservant le poste de délégué au conseil de l’Union locale, afin de conquérir, là aussi, la majorité aux dépens du bureau anarcho-syndicaliste dirigé par Jean Le Gall. La minorité communiste se renforça et obligea même Le Gall à démissionner ; mais Henri Gautier, malade (il fut hospitalisé le 31 mars 1925, pour un ulcère à l’estomac), ne put exploiter la situation ; malgré sa candidature, Léon Lucheux, le candidat de la tendance Le Gall, fut élu le 7 juin au poste de secrétaire de l’ULU. Henri Gautier fut permanent syndical à partir de 1925 avec un salaire mensuel de 650 F. Sa compagne d’alors, de 1923 à 1931, Odette Brière était une femme communiste très active. Élu secrétaire du syndicat des Métaux le 26 juin 1925, à l’unanimité, il déploya une activité peu commune, organisant des cellules dans les différentes usines métallurgiques.
Candidat du BOP aux municipales, membre du comité antifasciste du Havre (créé en décembre 1925), secrétaire de l’ARAC depuis 1924 et secrétaire du rayon havrais, son audience était telle qu’il allait modifier sa tactique de lutte contre les anarcho-syndicalistes et prendre le risque d’une nouvelle scission. Il mit en effet sur pied une Union locale unitaire, dont il fut élu secrétaire le 20 avril 1926, rejetant la tendance anarchiste majoritaire dans l’autonomie.
Chef incontesté du PC et de la CGTU au Havre de 1926 à 1929, candidat aux élections législatives, il développa la propagande communiste, en particulier au sein des organisations autonomes, lors des mouvements de grève ou des manifestations ; au cours de l’une d’elles, il fut arrêté et condamné le 22 février 1927 à vingt jours de prison.
Henri Gautier fut délégué au congrès de Bordeaux du 19 au 24 septembre 1927 et l’organisme confédéral lui demanda l’année suivante de quitter le Havre afin d’assister en permanence aux réunions du bureau de la 19e UR. Il devait en fait contrôler l’action du secrétaire Victor Caruel qui n’était plus considéré comme un « homme sûr », en raison de son amitié pour Victor Engler et de sa gestion parfois fantaisiste.
En janvier 1929, il quitta donc Le Havre, confiant à Henri Deschamps la responsabilité de l’Union locale et du rayon. Membre de la commission exécutive depuis 1924, il fut élu secrétaire régional de la 19e Union le 1er décembre 1929, Caruel devenant secrétaire administratif. Les deux hommes relancèrent la campagne en faveur du PC et des unitaires à l’occasion des élections municipales et organisèrent des manifestations contre la loi sur les Assurances sociales.
En octobre 1930, cependant, un grave conflit éclata ; la section départementale du SRI accusa Caruel d’avoir commis des « malversations » alors qu’il en était le secrétaire. H. Gautier fit voter son exclusion par la commission exécutive de l’Union régionale, initiative très mal accueillie au bureau confédéral (qui proposa d’ailleurs à Caruel de prendre la direction de la région rennaise). Le secrétaire du Livre faisant preuve de beaucoup de maladresse, il fut finalement « éliminé ». Henri Gautier fut membre du secrétariat régional communiste à Rouen de 1928 à 1931.
Henri Gautier dut peu après cesser toute activité et Jean Rivière lui succéda à la fin de l’année 1930. Malade, après avoir travaillé deux mois dans une entreprise de Rouen, il partit se faire soigner en URSS où il arriva le 28 octobre 1931. Il écrit : « Pendant six mois, je suis resté dans les sanas, à Moscou et au Caucase et pendant cinq autres mois j’ai travaillé comme référent à l’ISR (section latino européenne) ».
À son retour en janvier 1932, on évoqua ses liens éventuels avec le groupe Barbé-Celor, mais il s’en défendit, tout en faisant une critique de la direction régionale de 1929 à 1931 et en assumant ses responsabilités. Il fut élu membre de la commission exécutive de la CGTU. Il s’installa à Belleville début 1932 et devint un des animateurs de la Fédération des Métaux de la région parisienne, aux côtés d’Ambroise Croizat, de Raymond Sémat, d’Alfred Costes et de Jean-Pierre Timbaud. Il était également membre du bureau confédéral comme responsable de l’Agit. prop. avec un salaire de 1500 F.
Pendant la campagne électorale de 1932, lors d’une réunion à Saint-Nazaire, il se fit voler plusieurs dossiers, probablement par la police ; les documents saisis provoquèrent son arrestation au sortir d’une réunion syndicale, le 28 mai 1932, et il fut emprisonné à Fresnes sous l’inculpation « d’espionnage ». Il signa plusieurs articles sur les problèmes syndicaux dans les Cahiers du Bolchevisme en 1933 et 1934.
Henri Gautier vint à Paris en 1933, logea rue de Flandre (XIXe arr.), et se lia avec Marcelle Labesse, fille de Constant Labesse, ouvrière tailleur, né le 11 mai 1904 à Candas (Somme), morte le 12 décembre 1973 à Paris, militante du Syndicat de l’habillement, avec qui il eut en 1935 une fille, Michèle. Il militait à la cellule Panhard du XIIIe arr. Le rôle de Gautier fut particulièrement important dans les contacts unitaires qui préparèrent la réunification syndicale et au congrès d’unité de Toulouse en mars 1936.
Élu par la suite trésorier de la Fédération des Métaux et secrétaire-trésorier des syndicats des métaux de la région parisienne dans une période d’afflux des adhésions, il acheta un immeuble, 94 rue d’Angoulême qui devint « La Maison des métallos » et, à la demande de Benoît Frachon, les châteaux de Baillet en Seine-et-Oise et de Vouzeron dans le Cher. Si l’idée était de Frachon, Gautier fut le réalisateur. Il fut l’administrateur des œuvres sociales des métallurgistes : Maison des métallurgistes, Centre de formation professionnelle, château de Baillet (le parc Baillet porte aujourd’hui son nom), château de Vouzeron, polyclinique des métallurgistes (les Bleuets) et l’aéroclub de Persan-Beaumont.
Resté fidèle aux orientations du PC après sa dissolution, il fut mobilisé au Havre en février 1940 puis il organisa les premiers Comités populaires de la métallurgie (voir le livre de Roger Bourderon). Arrêté, lors de la grande rafle du 5 octobre 1940, interné à Aincourt (novembre-décembre 1940), à la prison de Poissy, puis à Châteaubriant le 8 mai 1941, il s’évada le 25 novembre 1941 ; il avait auparavant travaillé à l’évasion, le 19 juin 1941 de Léon Mauvais, Eugène Hénaff, Henri Raynaud et Fernand Grenier. C’est lui qui fit l’appel aux morts après la fusillade de Châteaubriant.
Henri Gautier participa à la Résistance et la vie clandestine de la CGT comme responsable de la Fédération illégale de la métallurgie. Chargé par Benoît Frachon d’aider Raymond Sémat à entrer en liaison avec Louis Saillant et Léon Jouhaux, dans la perspective d’une réunification de la CGT, il réussit la première étape de sa mission en ramenant de la zone non-occupée l’accord de Jouhaux. Mais il fut repris à Paris le 13 octobre 1942, dans le cadre de l’affaire Varagnat-Kieffer-Briquet (voir Henri Varagnat).
En 1942, il vivait au 37 rue de la Rochefoucauld à Paris (IXe arr.). Il fut identifié par la police le 13 octobre 1942 alors qu’il était avec Jean Briquet rue du Landy à Saint-Ouen (Seine, Seine-Saint-Denis). Les deux militants furent interpellés.
Fouillé, Henri Gautier portait sur lui une carte d’identité au nom de “Duval”, une carte de rationnement au même nom, un projet de tract manuscrit, des papiers sur lesquels figuraient des rendez-vous, un feuillet manuscrit concernait l’activité du Parti communiste dans les usines, sur le verso d’un ticket de métro figurait des indications sur l’activité du parti communiste.
Son domicile a été perquisitionné en sa présence, les policiers saisissaient : sept cent vingt-cinq francs, une enveloppe jaune contenant des projets de tracts manuscrits, une enveloppe blanche portant l’inscription « Gauth… » et contenant une lettre se rapportant à l’activité communiste ; quatre feuilles de papier dactylographiées concernant des émissions de T.S.F. ; un plan des usines Renault ; deux projets de tracts manuscrits ; une lettre manuscrite se rapportant aux régions ; une lettre signée Joseph relative à l’activité clandestine du Parti communiste ; deux tracts Le Métallo et quatre brochures de doctrine communiste ; une carte de lecteur au nom de Duval ; une carte d’identité française en blanc portant la photographie de Gautier ; un trousseau de trois clefs ; une feuille de papier manuscrite signée “Levert” et placée dans une enveloppe blanche adressée à “Duval”.
Henri Gautier figurait dans les archives centrales de la police pour avoir été condamné plusieurs fois par le Tribunal Correctionnel du Havre pour des actes qualifiés de « révolutionnaires ». Il était soupçonné d’avoir « suivi des cours de propagande en Russie lors d’un voyage ». De la classe 1917, recrutement du Havre il avait été mobilisé en février 1940 au 129ème Régiment d’infanterie au Havre, il fut réformé dès le 8 mars.
Interrogé sur son parcours après son évasion du 25 novembre 1941 il répondit qu’il alla à Nantes puis à Paris. Pour des raisons de santé, il fut dans l’incapacité de reprendre immédiatement de l’activité militante. Jean Briquet entra en contact avec lui, il eut pour mission de nouer de rencontrer le responsable de les usines de Saint-Ouen, Saint-Denis, Pierrefitte, Les Lilas, Aubervilliers, Pantin et dans trois arrondissements de Paris XVIIIe, XIXe et XXe arrondissement.
Il a été également en contact avec le responsable du secteur 3 qui était chargé des groupes d’usines du secteur 3 : Montrouge, Chatillon, Saint-Cloud, Suresnes, Issy-les-Moulineaux, Sèvres, Meudon et les XIVe et XVe arrondissement. Début octobre 1942, il rencontra le responsable du secteur II qui était chargé des localités de Saint-Ouen à Suresnes et le XVIIe arrondissement. Il affirma aux policiers qu’il s’apprêtait à entrer en liaison avec le responsable du secteur IV. Il affirma aux policiers que jamais il fut armé et qu’il se déplaçait sans garde du corps.
Il aurait été frappé à plusieurs reprises lors de son interrogatoire.
Il fut emprisonné à Fresnes où il aurait été torturé par les Allemands, le 10 novembre. On l’envoya à Compiègne le 5 mars 1943 et il fut déporté à Mauthausen les 16-18 avril 1943. Dirigeant du triangle communiste clandestin du camp de Gusen II (matricules 26227 et 48280), il en partit le 12 décembre 1944, fut dirigé sur Auschwitz, et précisément Jawischovitz courant décembre 1944 puis, début 1945, à Monowitz. On ne connaît pas précisément les circonstances et la date de sa mort. Il était en 1944 père d’un enfant de neuf ans et demi.
Henri Gautier fut fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume et médaillé de la Résistance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23684, notice GAUTIER Henri, Antoine par Marcel Boivin, Claude Pennetier, version mise en ligne le 20 novembre 2008, dernière modification le 7 mars 2022.

Par Marcel Boivin, Claude Pennetier

Henri Gautier, dans Le Prolétaire Normand du 12 octobre 1928
Cliché CGT du Havre.
Livre édité par les Éditions de l’Atelier et la fédération CGT de la métallurgie sur Henri Gautier en 2018
Henri Gautier vers 1930

SOURCES : RGASPI, Moscou, 495 270 770, autobiographie, Paris, 20 septembre 1933 ; questionnaire d’arrivée à Moscou, 28 octobre 1931. — Arch. PPo. 330, BS2 carton 18 (notes de Daniel Grason). — Arch. Dép. Seine-Inférieure, 4 MP 2604, 10 MP 1409 et 1410. Arch. de l’UD-CGT divers. — Témoignages de Gaston Legoy, Roger Le Marec, Louis Eudier. — Mairie du Havre, 5 février 1986. — Renseignements communiqués par sa fille, Michèle Gautier. — John Barzman, Dockers, métallos, ménagères, mouvements sociaux et cultures militantes au Havre 1912-1923, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 1997. — Discours de Roger Linet, le 11 avril 1995, devant la stèle élevée en souvenir d’Henri Gautier au parc de Baillet. — Renseignements communiqués par Michèle Gautier. — CGT du Havre, IHS de Seine-Maritime, Les Visages des martyrs, op. cit.

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