Les militant-e-s font du ski
La saison hivernale est théoriquement propice à la pratique des sports d’hiver, et en premier lieu à celle du ski, empêchée aujourd’hui par la crise sanitaire et plus largement menacée à court ou moyen terme par la crise climatique. Cette pratique sportive n’est sans doute pas spontanément associée à l’histoire du mouvement ouvrier. Pourtant, les notices biographiques du dictionnaire Maitron permettent de souligner que nombre de militant-e-s se sont efforcé-e-s de promouvoir la démocratisation de ce loisir ou plus largement un tourisme de montagne accessible au plus grand nombre.
Dès l’époque du Front populaire, ce fut par exemple l’un des chevaux de bataille de Jean Vernet, cinéaste, militant communiste des Alpes-Maritimes, qui consacra de nombreux articles à ces questions dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Cri des travailleurs, entre 1936 et 1939. Dans la région de Cannes et de Nice, la proximité du « champ de neige » de La Colmiane, permettait par exemple d’envisager un ski populaire, comme l’affirmait encore le journal en février 1939.
La période du Front populaire apparaît de fait particulièrement favorable à cette dynamique comme l’illustre également le cas de René Reitter, journaliste socialiste de Colmar. En tant que président de l’Union touristique des Amis de la Nature, ce dernier conduisit la construction d’un refuge dans les Vosges, au sein de la station de ski du Schnepfenried, refuge inauguré en avril 1937 par Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs du gouvernement Léon Blum. Cette même année, d’autres auberges de jeunesse ou refuges sont inaugurées par Lagrange à Chamonix, aux Houches, etc.
Après la Seconde guerre mondiale, l’une des initiatives marquantes est la création en 1948 du Groupe universitaire de montagne et de ski (GUMS), dont l’histoire a pu être reconstituée dans un article très complet, sous la plume de Michel Pinault, par ailleurs auteur de nombreuses notices de scientifiques dans le Maitron, comme celle d’Evariste Galois. À l’origine du GUMS, on trouve notamment de jeunes communistes, membres de l’UJRF, en majorité étudiants ou liés au monde universitaire. Lors de la fondation, l’ingénieur Jacques Labeyrie fut désigné président, « parce qu’il était le plus vieux ». Parmi ces jeunes militants, comme Yvette Lucas, alors étudiante, on compte beaucoup d’enfants de cadres communistes et résistants, soutenus par leurs parents ou aînés, comme David Schatzman, président de la section de Paris et fils d’Évry Schatzman ou Étienne Picard, futur président du GUMS et fils de René Picard, lui-même adepte de l’alpinisme. Parmi les anciens, figurait également Jean Vernet.
On le voit, un certain nombre de militant-e-s sont donc très directement et très concrètement engagé-e-s dans l’organisation de la pratique du ski ou pour la rendre accessible, notamment en direction des plus jeunes. Sur ce terrain, les instituteurs se distinguent tout particulièrement. Gustave Goizet, instituteur de Charente, fut animateur lors de colonies de vacances à la montagne. Louis Cluchague, instituteur communiste des Basses-Pyrénées, grand sportif, organisa des sorties hebdomadaires de ski dans l’école dont il était le directeur. Jean Petiot, instituteur mutualiste de Haute-Loire, fut président du ski-club Vellane durant plus d’un quart de siècle, de 1950 à 1976.
Après 1945, la démocratisation des sports d’hiver est particulièrement soutenue par le développement des comités d’entreprises ou des activités sociales dans les services publics. Le cheminot Roger Poux, syndicaliste CGT, assura de 1953 à 1965 le secrétariat de la section de ski du comité central des activités sociales de la SNCF (voir l’article de Christiane Bedon sur le CCE de la SNCF), qui assurait notamment l’accompagnement des jeunes pour des séjours de ski au Lioran (Cantal). Également cheminot, militant socialiste et syndicaliste Force ouvrière, Jean Marcheix fut directeur de la station de sports d’hiver de Saint-Lary (Hautes-Pyrénées) dans les années 1960, en tant que responsable de la Fédération Léo Lagrange.
Également militant FO, cette fois aux PTT, René Kéravis participait aux œuvres sociales en enseignant le ski aux enfants des agents des Postes. Dans l’itinéraire de ce militant libertaire isérois, cet engagement renvoyait sans doute à sa participation au mouvement des Auberges de jeunesse, notamment comme fondateur du Mouvement Indépendant des Auberges de Jeunesse (MIAJ).
Les activités sociales, notamment dans le secteur des industries électriques et gazières, contribuère également à la création ou au développement des infrastructures. Armand Diou, ouvrier EDF, secrétaire de l’Union départementale CGT du Puy-de-Dôme et président de la CMCAS de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), fut ainsi l’un des principaux initiateurs de la première « maison familiale » gérée par la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) dans la station de Super-Besse (Puy-de-Dôme). La CCAS organise également des compétitions qui mettent en avant l’engagement des militants gaziers-électriciens, à l’exemple de de la coupe de ski organisée à partir de 1951, qui prend le nom d’Henri Fillet-Coche, mort lors de combats pour la libération de Bourgoin-Jallieu (Isère).
Il convient bien sûr de souligner également le rôle des édiles dans le développement des installations, surtout à partir des années 1960. Joseph Rous, militant du Parti socialiste SFIO, résistant (Libération-sud, MUR, réseau Brutus) passé ensuite dans les rangs gaullistes, fut ainsi à l’origine de la construction de la station de Puyvalador-Rieutort (Pyrénées-Orientales), commune dont il fut maire de 1969 à 1983. Le socialiste isérois Paul Mistral, maire de La Morte (Isère), conseiller général de Valbonnais (1945-1978) et sénateur (1955-1981), tenta également l’aventure en soutenant le développement de la station de l’Alpe-du-Grand-Serre, près de sa commune. Non sans difficultés, comme d’autres stations de « moyenne montagne », menacées par les aléas puis par le recul de l’enneigement. André Mercier, technicien EDF et ancien dirigeant de la fédération CFDT Gaz-Électricité fut quant à lui maire socialiste de Hauteluce (Savoie) de 1977 à 1995. En tant qu’élu, il présida durant plusieurs années (1977-1983 et 1989-1995) le Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) chargé de l’administration et du développement de la station de ski des Saisies qui accueillit plusieurs épreuves lors des Jeux olympiques d’hiver d’Albertville, en 1992.
Enfin, plus étonnant, on trouve dans le Maitron l’un des directeurs généraux de la société d’équipement de montagne Salomon, Michel Barthod, ancien ouvrier chez Peugeot à Sochaux et militant du PSU. Au rang des liens improbables, citons également Daniel Mothé, connu pour son engagement au sein du groupe Socialisme ou barbarie et pour ses travaux de sociologue, qui signa aussi, sous son vrai nom de Jacques Gautrat, un Dictionnaire du ski, paru au Seuil, en 1969.
Ces quelques exemples n’épuisent pas le sujet de l’action des militant-e-s et des organisations du mouvement ouvrier et social en faveur d’une démocratisation des sports d’hiver et des loisirs de montagne. La thématique fut également largement portée par la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), non seulement par la promotion du ski mais aussi de l’escalade, comme l’évoque notamment l’ouvrage de Nicolas Ksiss-Martov, Terrains de jeux, terrains de luttes.