Par Bernard Thièry et Jean-Paul Salles
Né le 4 novembre 1953 à Casablanca (Maroc) ; militant des cercles Rouge en septembre 1968 qui deviendront la LC en avril 1969 ; permanent de la LC, de la LCR ; membre du CC de 1974 à 2009, du BP de 1978 à 1980 puis de 1982 à 2008 ; membre du CN du NPA de 2009 à 2010 puis de 2011 à 2015 ; étudiant, ouvrier, conseiller principal à l’ANPE puis à Pôle Emploi ; titulaire d’une licence d’histoire-géographie et d’un DEA de science politique ; adhérent à la CFDT-ANPE puis au SNU-ANPE devenu SNU-Pôle emploi de 1992 à 2020.
François Sabado est né à Casablanca (Maroc), de Marie Bou, fonctionnaire au ministère de l’industrie, et Manuel Sabado, comptable. La famille de François Sabado est laïque, d’origine catholique. En 1936, son père participa à la guerre d’Espagne avec les Brigades internationales, comme de nombreux jeunes du Maroc qui prenaient alors position en défense de la république. Il fut fait prisonnier par les franquistes sur le front de l’Èbre en 1938, puis contraint d’accomplir son service militaire obligatoire à Melilla au Maroc espagnol. Il ne revint à Casablanca qu’en 1943. La politisation de François Sabado plongeait ses racines dans cette histoire familiale et ses traditions antifranquistes. Dès son enfance, Franco représentait, le diable.
François Sabado est arrivé la première fois en 1962, en France, où son père avait du mal à s’acclimater. Trois mois après, ils retournèrent au Maroc puis, en 1966, revinrent définitivement en France. Il vécut dans différents arrondissements de Paris avant de s’installer au Pré-Saint-Gervais. Il fut scolarisé au Lycée Voltaire, à Paris XIe arr., en septembre 1966. À 14 ans, il vécut les événements de mai 1968. Élu délégué de classe de troisième, il participa aux assemblées générales, à l’occupation du lycée, à certaines manifestations, et il suivit les activités du comité d’action lycéen (CAL) de son lycée. Il prit contact avec la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR). Créée en 1966, elle était issue de la gauche de l’Union des étudiants communistes (UEC), notamment animée par Alain Krivine, (136 624) qui au début des années 60 échappait au contrôle du PC et qui, pour cette raison, en fut exclue. La JCR fut dissoute en juin 1968 ainsi que le Parti communiste internationaliste (PCI) créé en 1944 qui était la section française de la Quatrième internationale fondée en 1938 par Trotsky (49890). Mai 68 fut la clé d’intégration du jeune François Sabado dans la société française. Comme pour des milliers de jeunes de l’époque, Mai 68 bouleversa sa vision du monde. À la rentrée de septembre 1968, François Sabado participa au « cercle Rouge », cercle de diffuseurs et sympathisants du journal Rouge qui, en dépit de la dissolution, poursuivait les activités de ce courant marxiste révolutionnaire organisé. En novembre 1968, animateur du « cercle Rouge » Voltaire, Romain Goupil, futur cinéaste, lui proposa d’intégrer l’organisation ; il entra au sein de ce que leur jargon désignait comme les « cercles pile » ‒ il s’agissait des cellules de la future organisation-, à la différence des « cercles rouges » qui étaient les structures sympathisantes. Il avait alors quinze ans et adopta le pseudonyme d’Ollivier.
L’année scolaire 1968-69 fut la première année de son apprentissage politique : contestation des cours, animation de grèves, occupation quasi mensuelle du lycée, affrontements avec les fascistes, organisation de manifestations, etc. François Sabado se retrouva naturellement militant de la Ligue communiste (LC) quand, en avril 1969, elle fut fondée. Il participa à la campagne d’Alain Krivine, alors appelé du contingent à Verdun (Meuse), aux élections présidentielles de juin 1969. Il l’anima au lycée, si bien que plusieurs dizaines de lycéens de Voltaire le rejoignirent dans des comités de soutien à cette candidature.
La Ligue, au début des années 70 était hégémonique dans le mouvement lycéen. Il était animé, entre autres, par Michel Field, par ailleurs responsable de ce secteur dans la Ligue. Il avait été plébiscité par les médias après avoir apostrophé le ministre de l’Éducation nationale Joseph Fontanet sur un plateau de télévision le 3 avril 1973, en ces termes irrévérencieux : « Vous êtes un rigolo monsieur le ministre… ».
En 1971, François Sabado avait rejoint le mouvement de solidarité avec Gilles Guiot et les premières coordinations lycéennes, comme délégué du lycée Voltaire. Gilles Guiot, élève « apolitique » de classe prépa du lycée Chaptal, avait été arbitrairement arrêté lors de la manifestation organisée le 9 février 1971 par le Secours rouge en soutien à la grève ouvrière de l’usine de Batignolles à Nantes (Loire-Atlantique). Sa condamnation, en flagrant délit à six mois de prison dont trois mois fermes, déclencha un vaste mouvement de protestation.
Dans la foulée, François Sabado intégra le secrétariat lycéen de la LC, animé par Daniel Rubinstein, dit Ballenda. En mai 1971, il assista au deuxième congrès de la LC à Rouen en tant que délégué. Juste avant les 15 et 16 mai 1971, il participa, avec une importante mobilisation du secteur lycéen de la Ligue, à l’organisation de la célébration du centenaire de la commune. Moment émouvant, il participa dans un des amphis de la Sorbonne, le 15 mai en vue de la manifestation du lendemain, à une répétition de la chorale de la Ligue animée par Pascale et Henri Weber (182 575) ; cette chorale comptait plusieurs centaines de militants.
Il entra en faculté à Jussieu en septembre 1971, tout en continuant à suivre le secteur lycéen et le Front des cercles rouges lycéens de la LC. Il participa aussi à la direction parisienne de la Ligue. Il prit part, au printemps 1973, au mouvement contre la loi Debré et la réforme du Deug, devint délégué aux coordinations étudiantes avec Olivier Martin (dit Olive) pour la faculté de Paris 7 lettres-histoire. La loi Debré entendait supprimer les sursis militaires pour les étudiants. Dès le mois de février, se mettaient en place des comités pour la mobilisation lycéenne qui prirent une ampleur inégalée. Près de 70 % des lycées furent en grève. Cette grève générale des lycéens toucha aussi les étudiants et les élèves du technique. Après ce mouvement, François Sabado quitta le secrétariat lycéen pour le secrétariat étudiant de la Ligue.
En 1974, il obtint une licence d’histoire-géographie et devint permanent du secteur étudiant de la Ligue. La LC avait été dissoute six jours après la manifestation qu’elle organisa le 21 juin 1973 contre le meeting d’Ordre Nouveau à la salle de la Mutualité à Paris, au cours duquel eurent lieu de violents affrontements. Son activité se poursuivit dans le cadre du Front communiste révolutionnaire (FCR) créé en avril 1974 puis de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) créée en décembre de la même année. Sous le choc de la répression contre le peuple chilien après le coup d’État de Pinochet, le 11 septembre 1973, François Sabado s’investit dans les comités de solidarité avec le peuple chilien. Des centaines de comités de solidarité surgirent dans le pays. La Ligue Communiste, avec d’autres organisations politiques comme le PSU ou Révolution !, était une des forces les plus actives dans cette solidarité. Edgardo Enriquez, un des dirigeants du MIR chilien fut invité au congrès de la LCR. Dans cette campagne de solidarité, François Sabado côtoya des responsables du PSU et de la CFDT comme, Marc Heurgon (75180), Gus Massiah, Marie-Noëlle Thibault. François Sabado fut membre de l’équipe d’animation que la Ligue mit sur pied pour son intervention dans le mouvement de solidarité, avec Jean-Pierre Beauvais, Gérard Filoche (233 874) et Jean Malifaut. Il participa à la conférence internationale de solidarité avec le Chili, qui se tint à Francfort (RFA).
Lors du congrès de fondation de la LCR en 1974, François Sabado fut élu au comité central (CC) comme l’un des responsables étudiants. Edwy Plenel était responsable lycéen, et Antoine Artous (10 291) dirigeait l’ensemble du travail jeune pour le bureau politique (BP). En 1976, François Sabado anima, avec notamment Julien Dray et Laurent Zappi , la « fraction LCR » dans les coordinations étudiantes contre la loi Saunier-Séïté. Ils organisaient plus d’un millier d’étudiants. De ce mouvement, ils tirèrent deux principales leçons. Celui de la nécessité d’un tournant syndical unitaire qui se concrétisa par l’adhésion et la construction en cette année 1976, avec ses camarades étudiants, du Mouvement d’action syndicale (MAS), syndicat fondé par des étudiants proches de la CFDT. Lorsqu’au congrès du MAS de 1977, la LCR en renversa la majorité et que Julien Dray en devint le secrétaire général, la CFDT retira son soutien au MAS. Ce dernier, en 1980, contribua avec l’UNEF-US à la réunification du syndicalisme étudiant en participant à la fondation de l’UNEF-ID. Le second enseignement fut la nécessité de lancer un processus pour la construction d’une organisation de jeunesse indépendante de la Ligue, ce qui fut fait deux ans plus tard, en 1978.
De 1974 à 1978, à la fin de la dictature franquiste et au début de la transition « démocratique » en l’État espagnol François Sabado participa à la commission Espagne de la LCR, sous la responsabilité de Robert March, dit Paco Rops. Durant ces trois années, il fit plusieurs voyages et séjours en Espagne pour aider les camarades de l’État espagnol à construire leur organisation de jeunesse. Il aida à l’organisation du congrès de la LCR-ETA VI à Montpellier, en Août 1976.
En août 1975, il anima durant une semaine une session de formation pour les nouveaux adhérents de la Ligue communiste internationaliste (LCI), section portugaise de la Quatrième internationale, à l’université de médecine de Lisbonne. Il participa au congrès de la LCI.
Après avoir été invité dès 1977 à participer au BP de la Ligue, il fut élu en 1978 pour diriger le travail jeune et lancer la nouvelle organisation de jeunesse en France, les JCR. En 1979, il fut représentant de la LCR au congrès du Socialist Workers Party (SWP) des USA, au cours duquel la direction de IVe Internationale et celle du SWP décidèrent d’envoyer, en solidarité avec le processus révolutionnaire, une délégation au Nicaragua, dont François Sabado fit partie. Le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), en juillet 1979, vingt ans après la révolution cubaine, avait renversé la dictature de Somoza. Fin juillet 1979, durant plusieurs jours, avec ses camarades, il se retrouva à Managua et à Masaya en pleine révolution. C’est là qu’il fit connaissance des dirigeants sandinistes de l’époque. Enthousiasmés par la révolution sandiniste, lui et ses camarades engagèrent dès leur retour en septembre 1979 une grande campagne de solidarité. Des dizaines de comités de solidarité surgirent lors de cette campagne. Après la révolution cubaine des années 60, l’identification aux révolutions en cours fut l’une des marques de la Ligue et des positions politiques de François Sabado. Ce soutien provoqua la rupture des liens de la Ligue avec l’OCI « lambertiste » (qui devint MPPT puis PT), avec laquelle se menaient des discussions pour une éventuelle fusion. En septembre 1979, François Sabado participa au onzième congrès mondial de la IVe Internationale, qui confirma son soutien à la révolution sandiniste. Également, ce congrès adopta une nouvelle politique de construction du parti, inspirée de celle du SWP des USA ; ce fut le « tournant vers l’industrie ». Cette politique consistait à faire embaucher dans les entreprises, une majorité de membres des sections de la IVe Internationale. À ce congrès mondial, François Sabado fut élu membre suppléant au Comité exécutif international (CEI). Dans la vision militante internationaliste qui était la sienne, la construction de la Ligue ne pouvait être dissociée de celle de la IVe Internationale. C’est là qu’il fit plus ample connaissance avec Charles-André Udry et avec Charles Michaloux. Avec ce dernier, il travailla étroitement au cours des années quatre-vingt.
En juin 1980, le congrès de la LCR décida d’un tournant vers l’industrie (la « prolétarisation ») qui engagea pendant quatre à cinq ans plusieurs centaines de ses membres à s’implanter dans les entreprises. C’est dans ce cadre que François Sabado « s’embaucha » ainsi que d’autres membres du BP tels que Rémi Sabathier (dit Lahire), Philippe Pignarre (dit Markos), Alain Bobbio (dit Lourson). La pénibilité du travail à l’usine obligea François Sabado à sortir du BP, tout en restant membre du CC et de la commission nationale ouvrière (CNO). Durant deux ans, il travailla, en CDD et en intérim, comme OS à Renault-Flins, et comme magasinier à Dassault-Argenteuil. Il fut aussi employé dans plusieurs petites entreprises de la région parisienne, à Vincennes, Boulogne et Argenteuil. À Renault-Flins et à Dassault-Argenteuil ‒ cibles stratégiques de la Ligue ‒, ses contrats précaires ne furent pas prolongés en CDI. À Dassault, entreprise liée à l’armement, une enquête de la sécurité militaire bloqua son embauche définitive. À Renault, c’est probablement une enquête des services de sécurité de l’entreprise, notamment auprès de sa concierge, qui empêcha son embauche définitive. Durant ce début des années 80, il milita activement avec les équipes CFDT des usines où il travaillait, sans y être formellement adhérent puisque précaire. Bien que n’y ayant pas été embauché, François Sabado avait participé à la construction d’une cellule de la LCR à l’usine de Renault-Flins et à l’usine Talbot de Poissy, ce qui avait permis d’intervenir dans ces usines pendant les nombreuses luttes radicales de 1982-1983 avec souvent des blocages de chaînes. François Sabado avait animé une école de formation marxiste pour cinq ouvriers et techniciens de Talbot-Poissy dont certains deviendront des responsables de la CFDT de cette usine. Il resta membre de la cellule Renault-Flins de la Ligue pendant plus de dix ans. Constatant l’impossibilité de se faire embaucher de façon définitive, le bureau politique (BP) proposa au CC qui l’accepta, le retour de François Sabado comme permanent pour l’animation de la CNO et comme de membre du BP.
Après ce passage à l’usine, pendant trois mois, il participa à Amsterdam (Pays-Bas) à l’école de cadres de l’Internationale, dirigée par Pierre Rousset ; il y fut l’élève attentif de ses professeurs notamment d’Ernest Mandel (89 557), Charles- André Udry, Daniel Bensaïd (16280), Adolfo Gilly, Livio Maitan et François Vercamen.
De 1982 à 1992, il assuma ses responsabilités de permanent, au BP et au secrétariat de celui-ci. Il fut notamment en charge de l’impulsion et de l’organisation des initiatives et des campagnes pour la construction de la LCR, en priorité dans les entreprises ; il fut aussi en charge des campagnes électorales comme celle autour de la candidature de Pierre Juquin (136 472) en 1988 aux élections présidentielles. Sa candidature était soutenue par les « Rénovateurs » du PC, par la LCR, ainsi que par la Fédération de la gauche autogestionnaire (FGA), le PSU, le Parti pour une alternative communiste (PAC). Pierre Juquin avait été un dirigeant historique du PC, membre du CC et du BP, puis chef de file des « rénovateurs » qualifiés de « liquidateurs » par la direction Marchais (74 007).
Pendant et après cette campagne, s’ouvrit un débat d’orientation sur la construction du Parti. François Sabado participa au courant dit SOL selon les initiales des pseudonymes de ses fondateurs (Ségur – Daniel Bensaïd –, Ollivier – François Sabado –, Lantier – Jean Gersin –) ; il défendait une ligne unitaire avec les comités Juquin et une construction de la LCR comme organisation indépendante.
François Sabado fut responsable du « suivi » des grèves, en dialogue avec les militants de la Ligue qui les animaient ; il collabora à l’élaboration des tracts et journaux diffusés, à l’organisation de la solidarité durant les grèves telles que celles de la SNCF, des personnels soignants de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), de la SNECMA, de Peugeot-Montbéliard, de Renault-Cléon. Il eut aussi à construire la commission région parisienne de la Ligue. Il fut chargé de l’aide à ses camarades jeunes durant les grèves lycéennes et étudiantes de 1986 contre le projet de loi Devaquet. C’est à l’issue de la manifestation du 5 décembre contre cette loi que Malik Oussekine décéda après avoir été roué de coups par trois policiers « voltigeurs » ; devant l’indignation générale, le projet fut retiré.
François Sabado participa régulièrement aux activités de l’Internationale et, dans ce cadre, effectua plusieurs voyages au Chili, durant la dictature de Pinochet installée par le coup d’État du 11 septembre 1973. Ces voyages, de 1982 à 1985, avaient pour but de renouer les liens avec les trotskystes chiliens. François Sabado s’impliqua aussi fortement dans la préparation et la tenue des congrès de la Ligue qui combinaient la discussion politique, toujours vive, le débat de tendances souvent tendu et la recherche de l’unité.
De 1989 à 1992, il reprit des études universitaires à Paris VIII pour obtenir un Diplôme d’études approfondies (DEA) de Science politique. Il lui permettra d’assurer, durant une douzaine d’années, une charge de cours portant sur « Les problèmes sociaux du travail » et « L’évaluation des politiques publiques » au département AES de cette université.
Après seize ans de travail en tant que permanent et à l’approche de ses quarante ans, il fut confronté à un dilemme. Il considéra qu’être permanent à vie, même en étant le plus « honnête », le plus « éthique » des permanents, conduisait ces derniers à dépendre de l’organisation politique, et plus précisément de son appareil. Et il considéra que cette dépendance ne pouvait que peser sur ses prises de position, ses comportements. Or, il ne voulait pas dépendre de l’appareil, même d’un petit appareil comme celui de la LCR. L’autre option était, selon lui, de préparer une reconversion professionnelle. C’est le choix qu’il fit le conduisant à passer le concours de conseiller ANPE. Cette reconversion professionnelle était compatible avec ses responsabilités à la direction de la Ligue, sans toutefois qu’il puisse continuer à en être permanent.
Reçu au concours de conseiller principal à l’ANPE, il rejoignit son poste le 2 janvier 1992, à l’agence de Stains (Seine-Saint-Denis) puis, dans le même département, à celle de Pantin. Il y travailla durant vingt-huit ans, jusqu’au 1er janvier 2020. Dans le début de ces années 90, l’activité politique fut moins favorable à son courant de pensée. Tout en étant membre du BP, il eut une moindre activité, due à son activité professionnelle et à la naissance de ses enfants.
Le mouvement social de novembre-décembre 1995 contre le plan Juppé portant sur les retraites et la Sécurité sociale fut le plus massif depuis celui de 1968. Il allait changer la donne. La Ligue connut alors un regain d’activité si bien que François Sabado se réengagea dans un militantisme plus actif. Dès 1997, tout en travaillant à l’ANPE à temps partiel, il reprit du service au secrétariat du BP et dans l’animation du travail « entreprises ». Aux élections régionales de 1998, l’extrême gauche fut dispersée. La LCR ne put présenter qu’un nombre restreint de listes ; elle fit un très faible score (0,27%), loin derrière LO (3,62%), mais en obtenant de bons résultats en Midi-Pyrénées, et deux élus Éliane Assanelli et Lucien Sanchez, avec un score de 5,52% supérieur à celui de LO (4,64%). Après ces élections régionales, François Sabado défendit, avec Alain Krivine et contre une partie importante de la direction, la nécessité d’un accord LO-LCR aux élections européennes de juin 1999. Après maints débats, la Ligue présenta une liste commune emmenée par Arlette Laguiller. Cet accord, et le résultat électoral de la liste qui dépassait les 5 %, permettaient l’élection de deux députés européens de la LCR qui furent Alain Krivine et Roselyne Vaccheta. Ce fut l’occasion des premières rencontres de François Sabado avec Olivier Besancenot, qui fut l’assistant d’Alain Krivine au Parlement européen jusqu’en 2001.
Pour la présidentielle de 2002, le premier réflexe de la Ligue fut de soutenir une candidature commune LO-LCR, représentée par Arlette Laguiller. Devant le refus de LO, se posa alors la nécessité d’une candidature de la LCR. Alain Krivine refusa de se présenter si bien que François Sabado proposa la candidature d’Olivier Besancenot, 27 ans, facteur. D’autres membres du BP, comme Alain Krivine et Léonce Aguirre, soutinrent sa proposition, sans que, dans un premier temps, elle ne recueille l’avis majoritaire de la direction. Celle-ci préférait une candidature représentant mieux la direction la Ligue de l’époque, celle d’un ou d’une quarantenaire issu.e de l’expérience syndicale. À l’inverse, François Sabado défendait la nécessité d’une rupture qu’incarnait alors Olivier Besancenot, jeune, employé, en phase avec les nouvelles générations du monde du travail ainsi qu’avec l’alter-mondialisme puisqu’il avait participé au premier Forum social mondial à Porto Alegre (Brésil) de janvier 2001 et à la manifestation de Florence (Italie) en novembre 2002 dans le cadre du premier Forum social européen. Olivier Besancenot n’accepta de se présenter qu’après bien des discussions. Après des débuts difficiles, la campagne décolla sous l’effet de ses premières interventions télévisées. François Sabado travailla en étroite collaboration avec lui pendant des années, principalement pour le suivi des meetings, des conférences, de la communication médiatique et des voyages internationaux. Des préparatifs de cette première campagne présidentielle de 2002 au lancement du NPA en 2009 en passant par la deuxième campagne présidentielle de 2007, naquit une grande complicité politique entre eux deux. Olivier Besancenot impressionnait François Sabado par son sens politique aigu. Par lui, la Ligue dialoguait, pour la première fois, avec des millions de salariés et de jeunes et dépassait le cercle des seuls militants.
Des élections des députés européens de 1999 aux premiers mois du NPA en 2010, François Sabado développa une importante activité internationaliste. Durant toute cette période, il intégra le bureau du Secrétariat Unifié (qui devint ultérieurement le bureau du Secrétariat international) de la Quatrième Internationale. Il œuvra à la préparation et à la participation aux forums sociaux de Porto Alegre de 2001, de Florence de 2002, de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en 2003 et de Caracas (Venezuela) en 2006. Il contribua à l’organisation de plusieurs conférences anticapitalistes européennes à Paris, Strasbourg, Lisbonne (Portugal), Copenhague (Danemark) avec à l’époque, Refondation communiste d’Italie, Syriza de Grèce, le bloc de gauche du Portugal, l’Alliance rouge et verte danoise, les sections de la IVe internationale et la Ligue. Il assura le suivi du travail de la IVe internationale en Amérique latine au moyen notamment d’un voyage en Argentine en pleine situation révolutionnaire en janvier 2002. La désastreuse crise financière, économique et sociale avait provoqué notamment fin 2001, des manifestations et grèves très massives et une répression féroce. François Sabado s’investit surtout au cours d’une dizaine de voyages et de séjours, dans le suivi de la situation au Brésil, avec la crise du Parti des Travailleurs (PT), la naissance en 2004 du Parti du socialisme et de la liberté (PSOL), les débats internes au trotskysme brésilien. Il participa aussi aux travaux du secrétariat de la IVe Internationale.
Après la chute du Mur de Berlin, le surgissement du mouvement altermondialiste, également en France l’ampleur des grèves de 1995, s’ouvrait une nouvelle période : « Nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti », résuma Daniel Bensaïd ! C’est avec cette boussole que le secrétariat international de l’époque, dans lequel François Sabado jouait un rôle important, proposa une orientation de construction de « partis anti-capitalistes larges », qui s’appuyaient sur les expériences française, brésilienne, italienne, portugaise, danoise. Ce fut aussi le moment de la tenue de conférences anticapitalistes en Europe et en Amérique latine.
Dans cette décennie de 1999 à 2009, il contribua à l’élaboration de l’ orientation de l’organisation, et au débat politique qui prit une nouvelle dimension sous l’influence que connut la Ligue avec Olivier Besancenot. Il participa à plusieurs débats avec les forces de gauche, dont notamment un débat central à la fête de l’ Humanité en 2007 avec Henri Weber pour le PS, Olivier Dartigolles pour le PCF et Noël Mamère pour les Verts. Durant toutes ces années, il participa, tous les étés à l’université de la LCR, en animant des débats sur le Venezuela, le Brésil, sur l’évolution de la gauche radicale en Europe et sur l’Histoire de la Ligue.
Lors de la deuxième campagne présidentielle d’Olivier Besancenot, en février 2007, au cours d’une discussion informelle avec Samuel Joshua, il envisagea de débattre de l’idée d’un nouveau parti anticapitaliste. Cette possibilité était conditionnée par une campagne électorale qui serait un succès, par l’obtention des cinq-cents signatures d’élus nécessaires pour pouvoir présenter Olivier Besancenot, et par la réalisation d’un score électoral honorable. Les résultats de la campagne présidentielle de 2007 confirmèrent le succès de 2002. Le 21 avril 2002, au premier tour, la LCR avait obtenu 4,25% de suffrages exprimés, puis obtint 4,08% en 2007 avec près de 300 000 voix supplémentaires, soit près d’un million et demi de suffrages. Son électorat était beaucoup plus jeune que celui des autres candidats et les ouvriers et employés y étaient très bien représentés. Le PS éliminé au premier tour, la gauche « de gouvernement » en sortit très affaiblie. Aux élections municipales de 2008, la LCR fit encore des scores significatifs. Cette conjoncture conduisit la direction de la Ligue à proposer la construction d’un nouveau parti. Il s’agissait « de ne pas laisser retomber la vague », disait alors Olivier Besancenot. Les militants de la LCR s’emparèrent de cette idée. Plusieurs centaines de comités locaux furent créés qui préparèrent la création du nouveau parti. Au terme d’un processus de plusieurs mois, émergea le NPA. Lors de sa création du 6 au 8 février 2009, le NPA atteignait 9200 adhérents, soit presque trois fois plus que les effectifs de la Ligue. La direction du NPA ne comprenait qu’une minorité des dirigeants de la LCR et beaucoup plus de jeunes. La LCR s’était auto-dissoute à la veille du congrès de fondation du NPA. François Sabado avait participé à la construction et à la direction de la Ligue de 1968 à 2009 durant une quarantaine d’années, comme membre du CC de 1974 à 2009, membre du BP de 1978 à 1980 puis de 1982 à 2008. Lorsque s’ouvrit une nouvelle phase de la construction du parti, il mit son expérience au service de cette aventure ; il participa au Comité national du NPA et travailla à sa commission internationale, jusqu’en 2010. Il continua à intervenir dans les débats de la gauche radicale, fut invité, en 2011, à la Société Louise Michel pour présenter une communication sur l’expérience de Podemos. Il intervint aussi lors d’un colloque sur la révolution russe, en 2017. Dans les universités d’été du NPA en 2018 et 2019, il participa à un débat sur l’évolution de la situation internationale et sur celle du mouvement ouvrier, avec Edwy Plenel et Olivier Besancenot.
Il participa à la direction de campagne de Philippe Poutou aux présidentielles de 2012 et à celles 2017. Il soutint sa présentation comme candidat du NPA. Face à la crise du NPA, qui intervint quelques années après sa construction, Olivier Besancenot et d’autres de leurs camarades insistèrent pour que François Sabado réintègre la direction du NPA, ce qu’il fit de 2011 à 2015.
En 1984, il avait rencontré Catherine Sire dans des réseaux militants et il se mit en couple avec elle. Parents de deux enfants, Elsa née en 1987, puis Ugo, en 1991, ils quittèrent Paris pour s’installer au Pré-Saint-Gervais. Sa compagne, éditrice, s’engagea dans un groupe politique local, À Gauche autrement, et fut élue au conseil municipal de cette ville de 2001 à 2020. Elsa, après un master de sciences politiques, mention journalisme, obtenu au Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) de Strasbourg, devint journaliste pigiste. Ugo exerça comme avocat en droit social au Barreau de Paris. Ils ont tous deux une forte sensibilité aux problèmes sociaux.
Par Bernard Thièry et Jean-Paul Salles
ŒUVRE : Daniel Bensaïd et François Ollivier, Nicaragua, une révolution en marche, éditions la Brèche, novembre 1979. — Olivier Besancenot en collaboration avec François Sabado, La révolution en 100 mots, éditions Flammarion, fin 2002. — Préface de François Sabado, Manuel pour rompre avec le capitalisme : la maladie infantile du communisme, le gauchisme, éditions Démopolis, 2011. — Recueil de textes sous la direction de François Sabado, Daniel Bensaïd, l’intempestif, , éditions La Découverte, août 2012. — François Ollivier, Trotsky vivant, Sans Lénine, avant Octobre, Rouge hors-série. — François Ollivier et A. Taillandier, 50 ans après, La crise et ses effets sociaux, exposé stage de cadres de 1987 éditions la Brèche. — François Sabado, Révolution et démocratie, Sur la dictature du prolétariat, Les cahiers de critique communiste, 2003.
Nombreux articles dans différentes publications dont : "Stratégie révolutionnaire : quelques éléments clés", Critique communiste, 2006. — François Sabado, "Le NPA, une expérience inédite de construction d’un parti anticapitaliste", Critique communiste, no. 180, Janvier 2009. — François Sabado, "Une alternative anti capitaliste en Europe", Contretemps, Mai 2009. — François Sabado, L’Europe dans la tourmente", Contretemps, 2010. — François Sabado, "Les gauches dans la crise", Contretemps, 2013. — François Sabado, "La fin d’une époque", Contretemps, 2015. — Charles Michaloux et François Sabado, "Notre révolution russe", Contretemps, juillet 2017. — François Sabado, "Vers l’éclatement de l’Union européenne", Contretemps, Janvier 2019.
SOURCES : Documents fournis par François Sabado. — Jean-Paul Salles, La ligue communiste révolutionnaire 1968-1981 Instrument du Grand soir ou lieu d’apprentissage ?, Presses universitaires de Rennes, décembre 2005. — Hélène Adam et François Coustal, C’était la Ligue, Syllepse, novembre 2018. — François Coustal, L’incroyable histoire du Nouveau parti anticapitaliste, Demopolis, 2009. — Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006. — Daniel Bensaïd, Les Trotskysmes, PUF, février 2002. — Daniel Bensaïd, Interview le 17 avril 2009, Inprecor n°569-570, janvier-février 2001. — Contre temps, N°37 Mai 68 - Syllepse, mai 2018. — D. Bensaïd « Marx débordait son temps et anticipait sur le nôtre » Site Alencontre, janvier 2007. — « Camarades, il était une fois les communistes français-1944-2004, film de Yves Jeuland, Compagnie des Phares et Balises, Mai 68 : une histoire sans fin, film de Chris Den Hond, production de la Formation Léon Lesoil. — Jean Birbaum, Leur jeunesse et la nôtre, Stock, 2005. — Sylvia Zappi, « Sabado, l’ombre de Besancenot », in Le Monde, 12 avril 2007.