Par Emeric Tellier
Né le 6 mars 1925 à Paris (Xe arr.), mort le 15 novembre 2014 à Stains (Seine-Saint-Denis) ; maroquinier, puis directeur du personnel de la polyclinique des métallurgistes Pierre-Rouquès, dite « des Bluets » (1954-1967) et enfin directeur administratif du centre médical municipal de santé de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) (1967-1985) ; résistant au sein des Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) ; adhérent à la CGT ; adhérent au Parti communiste français (1944-années 1980).
Benjamin Steinberg a vu le jour au domicile de ses parents, au 24 rue Pradier à Paris (19e arr.), non loin du parc des Buttes-Chaumont. Son père, Marcus Steinberg, dirigeait un atelier de maroquinerie en gros situé au numéro 27 de la même rue. Sa mère, Céline Steinberg, née Goldmann, s’occupait de l’administration de l’atelier où travaillaient également plusieurs salariés, dont un styliste, un contremaître, un coupeur et un mécanicien. Marcus Steinberg était arrivé enfant à Paris, après que ses propres parents aient fui les pogroms antisémites à Varsovie (Pologne). Lui et son épouse militaient au sein de la Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme (LICA, ancêtre de l’actuelle Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme).
À l’âge de six ans, il a quitté Paris pour Pont-Sainte-Maxence, dans l’Oise. Sa faible constitution et son manque d’appétit justifiaient cet envoi à la campagne entre 1931 et 1936. Il a été accueilli dans une pension dirigée par une institutrice, où il a notamment appris le piano. Cette période heureuse, égayée de nombreuses sorties en forêt, a été entrecoupée des vacances passées avec sa sœur, Berthe, qui le rejoignait, ainsi que des réunions de famille annuelles.
En 1936, il était de retour à Paris, pour entrer au collège Condorcet situé non loin de la gare Saint-Lazare. Il n’est pas parvenu à s’y adapter, à se faire des amis. Il s’est souvenu, à l’occasion d’un entretien, de l’ambiance des récréations, où s’affrontaient communistes, doriotistes et partisans du Parti social français (PSF) du colonel de La Roque. L’année suivante, il est orienté sur le collège Charles-Péguy, avenue Simon-Bolivar, non loin du domicile de ses parents. Il y a obtenu son certificat d’études primaires, avec mention très bien, en 1939. En parallèle, il suivait des cours de religion juive, sans ferveur particulière. Dans sa famille, on fêtait Roch Hachana et Yom Kippour, ainsi que sa Bar-mitzvah, célébrée à la Grande Synagogue de Paris, rue de la Victoire à Paris (9e arr.). M. Rubinstein, le styliste associé de son père, était proche de la famille. Partisan de la Révolution russe, il a emmené le jeune Benjamin Steinberg assister à la projection du film Tchapaïev de Sergueï et Gueorgui Vassiliev.
En septembre 1939, ses parents ont loué une maison à Saint-Rémy-sur-Avre (Eure-et-Loir) pour héberger les enfants de la famille loin de Paris, où l’on redoutait les bombardements allemands. Benjamin se rendait, en vélo, au cours complémentaire à Nonancourt (Eure) où il ne put finalement pas se présenter aux épreuves du brevet élémentaire, les examens ayant été suspendus au moment de l’offensive allemande. Ses parents le rejoignirent et ce fut l’exode vers le sud de la France. À la signature de l’Armistice, le 22 juin 1940, ils se trouvaient dans la commune du Blanc, dans l’Indre. Ils ont poursuivi leur route et sont parvenus clandestinement en septembre à Sauvagnon, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ils décidèrent finalement de rentrer à Paris, par train, durant le mois d’octobre.
Ses parents se sont séparés. Benjamin Steinberg et sa sœur se sont installés avec leur mère au première étage d’une boutique de maroquinerie sise 26 rue de la Boétie dans le huitième arrondissement. Il n’a pas repris ses études, mais est resté à l’atelier pour apprendre le métier de maroquinier, pendant six à sept mois. À partir de septembre 1941, il s’est caché à Pau (Pyrénées-Atlantiques), où il a suivi des cours de secrétariat à l’école Pigier, tout en pratiquant beaucoup de sports, notamment l’athlétisme. Il fut notamment champion du Béarn du 800 mètres. Il a trouvé ensuite un emploi administratif dans une fabrique de bérets basques dans une petite ville non loin de Pau. En novembre 1942, il est rejoint par sa mère et sa sœur. Avec l’arrivée des troupes allemandes, dans le cadre de l’opération Anton qui a supprimé la zone libre française, décision a été prise de se rendre à Grenoble (Isère), en zone italienne. Arrivés en janvier 1943, ils sont hébergés dans une pension de famille, rue de l’Abbé Grégoire. Benjamin Steinberg trouve un emploi administratif chez Farçat, une entreprise de transport installée non loin de la gare. C’est le début de son engagement dans la Résistance.
En septembre 1943, l’armistice conclu par le président du Conseil, Pietro Badoglio, avec les puissances alliées a pour conséquence l’invasion par l’armée allemande de la zone française occupée jusqu’alors par l’Italie. L’atmosphère était désormais différente à Grenoble. Les contrôles policiers se sont multipliés et il est arrêté par la Gestapo à l’occasion d’une rafle, place Grenette. Bien que ses papiers aient été conservés dans un premier temps par la Gestapo, un agent français en civil a réussi à les lui rendre et il s’est enfui. Il est muté à Gap (Hautes-Alpes), dans l’une des succursales de Farçat.
À plusieurs reprises, il a transporté du courrier pour le réseau de résistance qui existait au sein de l’entreprise. Cette dernière est perquisitionnée par la Gestapo. Il a réussi une nouvelle fois à s’échapper. Après cet épisode, Benjamin, sa sœur et sa mère se sont cachés dans les montagnes environnantes, avant de quitter l’Isère pour La Louvet, en Ardèche, en janvier 1944. Il a pris contact avec les Francs-Tireurs et Partisans (FTP) pour rejoindre le maquis. Après plusieurs mois d’attente, il a rejoint Antraigues-sur-Volane et a intégré une unité FTP basée à Lamastre. Il a participé aux combats pour la libération de Saint-Étienne (Loire), d’Oullins, des Sept Chemins et de Lyon (Rhône), entre la fin du mois d’août et le début du mois de septembre 1944. Après quelques jours de cantonnement au fort de la Vitriolerie, il est revenu à Lamastre où il a décidé de signer un engagement dans la nouvelle armée française. En attendant son affectation, il s’est rendu à Paris, fin septembre - début octobre 1944, pour retrouver sa famille et adhérer au Parti communiste (PCF). Puis il a rejoint en octobre Albertville, en Savoie, pour intégrer le 11e bataillon de chasseurs alpins, du Détachement de l’Armée des Alpes. Basé à Bramans (Savoie), il a participé aux combats contre l’armée allemande comme infirmier de ligne. Tout au long de l’hiver, il a participé à des opérations d’éclaireurs en haute montagne, entre 2 000 et 3 500 mètres d’altitude. À l’occasion de l’une d’elles, lui et ses compagnons ont manqué de mourir car ils ont été pris en chasse par une patrouille d’éclaireurs allemands dans une tempête de neige, alors qu’ils convoyaient un blessé. En avril 1945, l’ordre est donné de s’emparer du plateau du Mont-Cenis ainsi que du Mont-Froid, où les forces allemandes sont retranchées dans des fortifications. Il s’est porté volontaire pour faire partie d’un groupe d’une cinquantaine d’hommes, en tant qu’infirmier-major, avec un médecin-auxiliaire. Durant cette dernière bataille, il est tombé d’épuisement, mais assura tout de même avec succès la prise en charge des blessés et leur rapatriement dans la vallée sous les tirs des soldats allemands. Transporté en ambulance à Aix-les-Bains (Savoie), il a passé quelque temps dans une maison de soins et de convalescence. Pour ces faits, il est décoré de la Croix de Guerre.
Le 8 mai 1945, il était sur les Champs-Élysées à Paris, bénéficiant d’une permission. Il a retrouvé ensuite son unité qui est partie s’installer à Bregenz, sur les bords du lac Constance, en Autriche. Il y dirigeait l’infirmerie jusqu’à sa démobilisation en février 1946. Puis il a refusé de poursuivre son engagement et de partir combattre en Indochine. Il a retrouvé ses parents à Paris qui avaient relancé l’activité de leur entreprise. Celle-ci se trouvait désormais square Trudaine, dans le neuvième arrondissement, après avoir été déménagée durant la guerre par le syndic judiciaire chargé de diriger cette « entreprise juive », selon le statut des Juifs de 1940. Il a remplacé sa mère, sur son insistance, à la gestion administrative.
Il militait activement au Parti communiste, dans la section parisienne du 9e arrondissement – Rochechouart, dont il était membre du secrétariat. En 1951, il a épousé Suzanne Knopf*, qu’il avait rencontrée aux Combattants de la paix et de la liberté du 9e arrondissement de Paris, dont il a assuré la présidence. En juin 1953, une fille, Annie, a vu le jour.
Un an plus tard, le père de Benjamin Steinberg décède et l’entreprise est liquidée. Sur les conseils de Liliane Levy-Osbert, résistante et déportée à Auschwitz-Birkenau (Pologne), avec laquelle il a noué une relation d’amitié au sein de la section locale du Parti communiste, il a postulé, avec succès à l’automne 1954, au poste d’attaché de direction, avant d’être promu directeur du personnel, de la polyclinique des métallurgistes Pierre-Rouquès*, installée depuis son acquisition en février 1937 par l’Union des syndicats CGT des travailleurs de la métallurgie de la région parisienne, au 9 rue des Bluets, dans le onzième arrondissement de Paris. Il a travaillé aux côtés de Fernand Lamaze*, gynécologue-obstétricien ayant introduit l’accouchement sans douleur en France et de Bernard Muldworf*, médecin psychiatre et psychanalyste ou encore auprès d’Albert Carn*, directeur de la polyclinique.
En 1967, de vives tensions l’ont opposé au président de l’Union fraternelle des métallurgistes (UFM) et à Charles Guillemin, successeur d’Albert Carn à la polyclinique, dans un contexte d’importantes restrictions budgétaires et d’infections néo-natales dans le service de maternité. Il est finalement contraint de changer de travail.
Le 1er novembre 1967, il a intégré la fonction publique territoriale en tant que directeur administratif du centre municipal médico-social de Gennevilliers. Jusqu’à son départ en retraite en juin 1985, il a animé le pôle administratif et a piloté la gestion du centre. En parallèle, il a assumé plusieurs années durant le mandat de secrétaire national du Comité de liaison et de défense des centres de santé à but non lucratif.
Aux débuts des années 1980, il a quitté le Parti communiste français (PCF). Il est resté en contact avec Henri Malberg, Gilbert Wasserman ou encore Henri Fiszbin, dont il a soutenu la candidature indépendante aux élections municipales à Paris en 1983. Il a été un fidèle lecteur de la revue M et du journal Rencontres communistes hebdo.
Il a eu de nombreux engagements associatifs, au Secours populaire français (SPF), à la Maison de la Solidarité de Gennevilliers dont il a été l’un des administrateurs du début des années 2000 jusqu’à son décès. Il a également été administrateur de l’association des parents et amis du conservatoire national de musique de Gennevilliers. Il a enfin été un militant pacifiste, membre particulièrement investi du Conseil national du Mouvement de la Paix et de l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance (ANACR), à laquelle il avait adhéré dès 1958.
À partir de septembre 1985 et durant treize années, il a pratiqué la flûte traversière au conservatoire national de musique de Gennevilliers, tout en continuant, depuis 1958, ses courses d’escalade en haute montagne.
Par Emeric Tellier
SOURCES : Arch. UFM-CGT. — Arch. familiales. — Hommage de Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers, novembre 2014. — Les Gens de l’oubli, n° 38, 2015. — Tempo. Bulletin trimestriel de l’association des parents et amis du conservatoire de musique de Gennevilliers, n° 55 et 56, 2014. — Entretien réalisée par sa fille, Annie Steinberg (2012). — Entretien avec sa fille, Annie Steinberg (2019-2020).