Par André Balent
Né le 2 février 1902 à Borobia (province de Soria, Espagne) ; tailleur de pierres puis chauffeur en Espagne dans les années 1920-1930, manœuvre (1943-1944) à Castelnau-Durban (Ariège) ; militant de Confédération nationale du Travail (CNT) à Manresa (province de Barcelone, Catalogne) ; volontaire de la colonne confédérale Tierra y Liberdad ; capitaine de l’Armée populaire de la République espagnole après la militarisation de la milice en juin 1937 ; réfugié en Ariège dès 1941 après la Retirada, domicilié à Sentein puis à Castelnau-Durban
Ricardo Roy Escribano était le fils de Basilio Roy Galochino, originaire de Borobia et de Ramona Escribano Modrego également native du même village. Borobia est un village du nord-est de la province de Soria en Vieille Castille, dont le territoire municipal est limitrophe de l’Aragon (province de Saragosse). La population de cette localité très rurale stagna pendant toute la première moitié du XXe siècle. Certains habitants émigrèrent vers des régions industrielles. Ce fut le cas de la famille Roy qui s’établit en Catalogne centrale, où le développement industriel (mines de potasse, sel et lignite, industries textile et métallurgique) avait été considérable depuis le XIXe siècle. En 1937, ainsi que l’indique son acte de mariage rédigé en catalan à Manresa, ses parents habitaient à Utebo, localité située à proximité de Saragosse. Ils se trouvaient donc dans la partie de l’Aragon contrôlée par les franquistes. Nous ignorons si Ricardo Roy habitait en Catalogne avant le début de la guerre civile — c’est très probable — ou s’il y vint après le déclenchement de celle-ci. En Espagne, il exerçait la profession de tailleur de pierres.
Il intégra vraisemblablement les rangs de la colonne confédérale Tierra y Liberdad formée en août 1936 en Catalogne centrale, dans les régions industrielles du Berguedà et du Bages. Manresa, lieu de résidence de Ricardo Roy (mais l’était-il déjà en 1936 ?) et principale ville du Bages fournit deux « centuries » à la colonne au moment de sa formation. À a différence des colonnes de Barcelone et de sa région qui combattirent en Aragon dès l’été 1936, Tierra y Liberdad fut envoyée par train à Madrid le 7 septembre 1936. Elle prit part à des combats autour de la capitale espagnole menacée par l’offensive des troupes franquistes. (Sur Tierra y Liberdad, voir aussi Ester Borràs Josep, important militant libertaire de Berga). Toutefois, en février 1937, quand la colonne se trouvait dans la région de Teruel (Aragon), Ricardo Roy ne figurait pas dans ses effectifs. Dans un questionnaire dactylographié (sans doute émanant de l’Armée populaire de la République espagnole, non daté mais rédigé sans doute au plus tard en mars 1938 puisque les derniers combats qu’il évoque se situaient dans le secteur de Saragosse), il donne des indications sur ses antécédents, professionnels, politiques, syndicaux et militaires. S’il fut tailleur de pierres, il affirma qu’il exerça également la profession de chauffeur (d’automobiles ?), et occupa divers autres métiers. Il adhéra à la CNT en 1917 (il avait quinze ans, lors de la grève générale en Catalogne et en Espagne en août 1917) et fut membre de son syndicat du Bâtiment (Construcción. Il indiqua aussi qu’il était devenu sous-lieutenant (alferes) de l’armée espagnole au Maroc, sans doute dans le cadre de son service militaire puis de la guerre du Rif (?). Lors du déclenchement du coup d’État du 18 juillet 1936, il se mit à la disposition du gouvernement de la République, car il affirma ses convictions antifascistes et fit état de son grade de lieutenant acquis précédemment dans l’armée espagnole. Il signala qu’il avait intégré l’armée républicaine le 9 septembre 1936 : il s’agissait, de toute évidence, de la colonne confédérale Tierra y Liberdad puisque, à cette date, la militarisation des milices n’avait pas encore eu lieu. Son expérience militaire antérieure explique pourquoi il fut élevé au grade de capitaine de la 153e brigade mixte (BM) de l’Armée populaire. En juin 1937, la colonne Tierra y Liberdad fut « militarisée » et devint alors la 153e BM de l’Armée populaire. Francisco Roy fut alors promu capitaine. En septembre, il figurait en effet comme capitaine de la compagnie de mitrailleuses du 1er bataillon de cette BM. Donc, à partir de l’été 1937, il participa à la guerre comme combattant de cette unité. Dans le questionnaire, il donna une liste des lieux des combats auxquels il participa, jusqu’au mois de mars 1938 au plus tard : Madrid, Vargas — Las Vargas, province de Grenade (?) — , Tolède, Sotillo de la Adrada (province d’Avila), Talavera del Tajo d’près Roy, de fait Talavera de la Reina (province de Tolède),Teruel, Gea de Albarracín et Albarracín (province de Teruel), Brihuega et Cifuentes (province de Guadalajara), Carrascal de Igriés (province de Huesca), divers fronts du secteur de Saragosse. Il déclara qu’il fut blessé une fois en action de combat.
Au cours d’une permission, il se maria à Manresa le 11 octobre 1937 avec Palmira Tomàs i Pérez, après la naissance, le 1er octobre, de leur première fille Prosperitat. Sa profession, consignée dans son acte de mariage, était celle de « militaire ». Les mariés habitaient 8 carrer Nou (rue Neuve) à Manresa.
Ricardo Roy avait, auparavant, participé aux durs combats de Belchite (Aragon) pendant l’été 1937. Il demeura en Aragon avec la 153e BM jusqu’en janvier 1938 avant d’être transféré en Catalogne.
Après la victoire franquiste sur le front de l’Aragon en mars-avril 1938, la Catalogne, où se trouvait la 153e BM, fut isolée du reste du territoire contrôlé par la République. Pendant l’été 1938, la 153e BM combattit sur le front du Sègre, puis, un moment, sur celui de l’Èbre où eut lieu une grande bataille entre juillet et novembre 1938. Nous ignorons où, lors de la Retirada (février 1939), Ricardo Roy entra en France.
Si Ricardo Roy Escribano dut séjourner dans un des camps mis en place par les autorités françaises pour « héberger » de façon très précaire les réfugiés, nous savons que, à la fin de 1940, il en était sorti et résidait à Sentein (Ariège), un village pyrénéen de la vallée de Biros, en Couserans. Il y était employé par la Société d’entreprises électriques et de travaux publics.
Il sut que sa femme, sa fille et sa belle-mère se trouvaient au camp de Bram (Aude) et entreprit donc des démarches afin qu’elles puissent le rejoindre à Sentein. Elles aboutirent car le maire de Sentein donna « un avis très favorable » à ce regroupement familial dans la commune. Le 24 novembre 1940, toutes trois avaient été transférées au camp d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), mais elles furent autorisées à quitter ce camp le 16 décembre 1940 pour Sentein.
À une date indéterminée, la famille Roy quitta Sentein pour Castelnau-Durban, village situé sur l’axe de communications routier et ferroviaire entre Foix et Saint-Girons. Au pied du massif de l’Arize, Castelnau-Durban comme les villages voisins avait développé une activité économique nécessitant de la main d’œuvre, mines, carrières, industries de transformation. Par ailleurs, du fait de la guerre et de l’économie qu’elle généra, les activités forestières, présentes en temps de paix connurent un nouvel essor : fabrication du charbon de bois, combustible pour les gazogènes des moteurs d’automobiles. À Castelnau-Durban, une importante main d’œuvre étrangère avec les familles s’était établie dans le village. Fin 1943, début 1944, alors que la population communale recensée état de 907 en 1936 et de 704 en 1946, il y avait dans ce village 130 étrangers (Espagnols, Italiens, Allemands, Portugais, Belges, Turcs) ; 60 % d’entre eux, cependant, étaient des Espagnols. La famille Roy apparait sur l’état des étrangers de Castelnau-Durban dressé le 10 décembre 1943. Elle groupait les quatre personnes déjà signalées. Elle s’était installée dans la maison Estrade au hameau de la Casace, à environ deux kilomètres au sud du village. Seul, Ricardo Roy exerçait une activité professionnelle. Alors que l’on trouve parmi les étrangers beaucoup de mineurs, il est qualifié de « manœuvre » ce qui suppose qu’il a pu travailler aussi bien dans des activités forestières que dans une carrière.
Le 8 juillet 1944 naquit sa seconde fille prénommée Isabelle. Sa signature se trouve au bas de l’acte de naissance de sa fille. Le 15 juillet 1944 une fête était organisée au domicile familial de la Casace pour célébrer la naissance d’Isabelle. Sa femme, ses deux filles, sa belle-mère et des amis de la famille étaient présents. Ricardo Roy, s’étant sans doute attardé au travail, n’était pas encore rentré lorsque fut perpétré le massacre au cours duquel périrent quatre membres de la famille. À moins qu’ayant eu vent de la descente de maquisards de la Crouzette dans certaines maisons et se sachant menacé, il ait préféré ne pas rentrer chez lui, ne se doutant pas que l’on s’en prendrait à sa famille et à ses amis ? Marie-Christine Dargein a écrit (op. cit, 1989, p. 75) que Ricardo Roy « avait plusieurs fois reçu l’ordre de rejoindre l’UNE mais chaque fois il refusa et fut condamné à mort ». Il était, en effet, membre du groupe des adhérents de la CNT en Couserans. En début de soirée des communistes espagnols armés demandèrent à entrer dans la maison. Ils furent invités à participer aux réjouissances. Ils purent certes constater l’absence de Ricardo Roy qu’ils venaient « liquider » car considéré comme un « traitre » pour son refus d’intégrer les organisations de résistance de la mouvance communiste (UNE : Unión nacional española ; AGE : Agrupación de guerrilleros españoles), bien représentée, à proximité de Castelnau-Durban par le maquis de la Crouzette. Pourquoi décidèrent-ils d’exercer leur vengeance sur la famille et les amis de Ricardo Roy ? Vers 22 heures et demie, après avoir éteint brusquement la lumière, ils tirèrent à l’aveuglette dans la pièce des rafales d’armes automatiques. Ils mirent ensuite le feu à la maison. Ils massacrèrent donc des innocents, en particulier les petites filles, tuant au passage des adultes dont on sait qu’ils étaient, au moins pour certains d’entre eux de la mouvance libertaire. Les hommes de l’AGE, du moins en Couserans, mais aussi dans d’autres endroits, exigeaient des républicains non communistes (socialistes, anarchistes, nationalistes catalans de L’ERC : Gauche républicaine catalane, syndicalistes anarchistes de la CNT ou socialistes de l’UGT) qu’ils intègrent leurs rangs. En cas de refus, ils étaient considérés comme des traitres. Claude Delpla, historien de la Seconde Guerre mondiale en Ariège, a expliqué (op. cit., 2006, p. 163) que si les libertaires « refusent de se battre [avec l’AGE] et continuent de dévaliser les paysans, le maquis "noir" [anarchiste] sera détruit comme un groupe ennemi » pour préciser qu’un « réfractaire » — peut-être parle-t-il de Ricardo Roy qui finalement ne fut pas tué parce qu’absent de son domicile ? — a été exécuté par des membres de ce maquis le 15 juillet 1944. Notons au passage que l’existence d’un « maquis noir » — qui de toute évidence n’a jamais eu de réalité en Couserans et ailleurs en Ariège — n’est pas mentionnée dans son ouvrage posthume (op. cit., 2019). Ce même jour, aux mêmes heures, des maquisards (de l’AGE et des FTPF) de la Crouzette (Voir Esplas-de-Sérou (Ariège), col de la Crouzette (1244 m) et col de Rille (938 m) ; Castelnau-Durban (Ariège), Rivèrenert (Ariège), 19 juin-21 juillet 1944) allèrent dans d’autres maisons de Castelnau-Durban (et de villages voisins) se saisir de ceux qu’ils considéraient comme collaborationnistes ou traitres afin de les juger par un « tribunal du peuple » créé par le maquis et de les condamner à mort. Le 15 juillet, les guérilléros croyaient trouver Roy et pouvoir se saisir de lui. Finalement, constatant son absence, ils se vengèrent ainsi qu’on l’a expliqué plus haut, commettant un crime qui risquait d’entacher la bonne réputation du maquis. Lourtadon put se réfugier chez des voisins. Une voisine qui connaissait bien la famille Roy et d’autres participants à la soirée livra un témoignage tardif à Ángel Carballeira (op. cit., 2020). Une main courante des gendarmes de Saint-Girons (18 juillet 1944) fait état de l’incendie de la Casace et de la mort de cinq personnes. Le 9 septembre 1954, un jugement du tribunal civil de première instance de Foix, se fondant sur une enquête de police et de gendarmerie, reconnut que sept personnes avaient trouvé la mort dans l’incendie de la maison Estrade et qu’il avait été allumé par autre groupe d’Espagnols. Ces deux documents, toutefois, ne font pas allusion au mitraillage qui tua préalablement les victimes avant que les tueurs ne mettent le feu à la maison. Beaucoup de libertaires, et parmi eux, sans doute Ricardo Roy, participaient, dans leur majorité à la Résistance dans le cadre de mouvements ou de réseaux français ou ou alliés. Dans le Couserans, au printemps et à l’été de 1944, intégrèrent le maquis « Bidon 5 » de l’Armée secrète, basé dans la partie pyrénéenne du Comminges (Haute-Garonne) et dans ses marges du Couserans dans la commune de Cazavet où fut constituée une unité « espagnole » de ce maquis composée pour l’essentiel de militants espagnols anarcho-syndicalistes. Refusant de se rallier à l’UNE, Royo était-il sur le point d’intégrer ce maquis ?
Quand Royo revint chez lui, il découvrit le crime qui avait anéanti sa famille. Il partit immédiatement et se rendit à pied à 40 kilomètres de Castelnau-Durban, à Lavelanet chez un ami anarchiste, José Arisó (1910-1998) à qui il raconta les faits (témoignage d’Arisó, op. cit., Perpignan, 1984, p. 101-102). Ricardo Roy, traumatisé, dut quitter l’Ariège car plus aucun témoin et/ou ami n’a plus entendu parler de lui dans cet espace géographique. On peut envisager l’hypothèse que la CNT exliiée en France, sachant qu’il était menacé, ait pu l’"exfiltrer" vers l’Amérique latine.
Par André Balent
SOURCES : Arch. dép. Ariège, 107 W 91, requête et jugement du tribunal civil de première instance de Foix, 2 et 9 septembre 1954. — Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 109 W 325, dossiers d’internés au camp d’Argelès-sur-Mer, dossier de Rosario Pérez Rodríguez (échanges de courriers entre les préfets de l’Ariège, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, le sous-préfet de Saint-Girons, le commissaire divisionnaire d’Argelès-sur-Mer, le maire de Sentein, novembre-décembre 1940). — CDMH Aragón, C (liasse) 00033, dossier 0027, communiqué par Josep Cara, historien catalan, par l’intermédiaire d’Ángel Carballeira, 25 juin 2021. — Archives du Centre d’estudis Josep Ester Borràs de Berga (Catalogne), questionnaire biographique sommaire dactylographié, sans doute d’origine militaire et non daté auquel Ricardo Roy a répondu manuscritement. Communiqué (25 mai 2022) par Àngel Carballeira. — Esteve Ballester, Martine Boury, Marcel Gélis, Marcel Langand, Henri Melich, Edward Sarboni, Carolina Benito, Amapola Gracia, Dominique Grein, 1944. Les dossiers noirs d’une certaine résistance. Trajectoires du fascisme rouge, Perpignan, Cercle d’études sociales, 1984, 239 p. [Témoignages de José Arisó (surtout), de Francisco Subirats et Umberto Marzocchi, p. 101-105, p. 170, p. 182]. — Ángel Carballeira, « La tuerie de Lacazace en juillet 1944 », Les Cahiers du CTDEE, Centre toulousain de documentation sur l’exil espagnol, 14, décembre 2020, p. 25-39. — Claude Delpla, « Les origines des guérilleros espagnols dans les Pyrénées (1940-1943) », in Jean Ortiz (dir.), Rouges. Maquis de France et d’Espagne. Les guérilleros, Actes du colloque des 20 et 21 octobre, université de Pau et des pays de l’Adour, Biarritz, Atlantica, 2006, p. 153-209 [p. 163]. — Marie-Christine Dargein, La Résistance en Ariège, histoire et mémoire, maîtrise dactylographiée, (dir. Pierre Laborie), Toulouse, Université de Toulouse – Le Mirail, 1989, 134 p. [p. 75]. — Claude Delpla, La libération de l’Ariège, Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2019, 514 p. [p. 134].