Par Gilles Morin
Né le 4 septembre 1930 à Bourges (Cher), mort le 25 août 1987 à Gourdon (Lot) ; journaliste et permanent politique ; militant socialiste et franc-maçon, secrétaire général des Jeunesses socialistes (1958-1961), membre du comité directeur de la SFIO (1963-1969) puis du Parti socialiste (1971-1987), responsable de la Fédération Léo-Lagrange ; élu du Cher, maire de La Groutte (1982-1987), député européen (1981-1987) ; conseiller de l’Ordre du Grand Orient de France.
Fils d’Henri Fajardie (1908-1975), linotypiste, et de Marcelle née Bareiller, Roger Fajardie était issu d’une famille ouvrière et militante. Son père, socialiste fut secrétaire de l’Union locale CGT de Bourges, chartiste (mais non-collaborationniste) et résistant. À la Libération, il fut écarté de ses responsabilités syndicales par les communistes.
Roger Fajardie débuta ses études au lycée de Bourges, puis, après son baccalauréat (philosophie), entama une licence d’histoire à Clermont-Ferrand, tout en étant maître d’internat au collège de Saint-Amand-Montrond. Il obtint des certificats d’études littéraires générales classiques en 1951, mais très vite, il s’investit totalement dans la vie militante.
À quinze ans et demi, en 1946, Roger Fajardie avait adhéré aux Jeunesses socialistes (JS). Membre de la majorité des JS qui critiquait la direction nationale de la SFIO et fut exclue en juin 1947, il demeura, lui, au parti. Il fut désigné secrétaire de la fédération JS du Cher le 6 mars 1949, et conservait encore cette responsabilité en février 1952. Dans le même temps, il devint rédacteur au Populaire dimanche, où il anima la « Chronique des jeunesses » à partir de 1948. Au sein des JS, Roger Fajardie entra au comité national en 1951, puis devint secrétaire national adjoint en avril 1957. Roger Fajardie succéda à Pierre Mauroy, dont il resta toujours un compagnon très proche, au poste de secrétaire national d’avril 1958 jusqu’en 1961 où il atteignit la limite d’âge fixée pour appartenir à cette organisation. À ce poste, il eut à gérer de plein fouet les crises suscitées dans le parti et dans les JS par la position de la SFIO sur la guerre d’Algérie, par le retour au pouvoir du général de Gaulle et enfin par la création du PSA. Cette nouvelle scission et ces crises se traduisant par des départs non négligeables de membres des JS et par d’importantes difficultés de recrutement, l’image du parti étant gravement atteinte dans la jeunesse.
Roger Fajardie était devenu permanent national de la SFIO en novembre 1956. Il exerça cette fonction durant plus de dix années. Après un bref retrait, il redevint permanent pour le Parti socialiste en 1971. Comme responsable des JS, ou comme délégué du Cher, il participait régulièrement aux réunions nationales de la SFIO. On le trouve ainsi siégeant à la commission chargée d’étudier les problèmes d’Outre-mer au conseil national de mai 1958 et à celui de janvier 1959, ou encore comme membre de la commission socialisme-Laïcité-Éducation des Journées nationales d’études des 7 au 10 mai 1959.
En 1954, alors qu’il avait vingt-quatre ans, mais était déjà un militant confirmé, Roger Fajardie fut initié à Bourges, dans la loge maçonnique Travail et Fraternité (Grand Orient de France), puis en 1963, par obligation de résidence, entra dans une loge parisienne, L’Effort. Il y rencontra Roger Leray*. Croyant, il se passionnait pour la pensée spiritualiste.
Roger Fajardie entra au comité directeur de la SFIO en 1963, en même temps que Pierre Mauroy, à un moment où Guy Mollet ouvrait les instances dirigeantes à des jeunes. Il y resta jusqu’à la fin de la SFIO, puis siégea dans les instances nationales du nouveau Parti socialiste jusqu’à son décès. Les jeunes, peu nombreux, se trouvèrent propulsés dans les structures mises en place pour regrouper la gauche non communiste. Il fut désigné pour siéger au comité exécutif de la FGDS lors de la formation de celle-ci le 6 décembre 1965. N’abandonnant jamais son ancrage local, Roger Fajardiel était par ailleurs président de la fédération départementale du Cher de la FGDS. Il n’eut cependant que des mandats locaux : conseiller municipal (1965-1977), puis maire (1982-1987) de son petit village d’origine, La Groutte. Il avait été candidat en 1961 dans le canton de Saint-Amand-Montrond et en 1967 pour les élections législatives.
Roger Fajardie poursuivit dans les années 1960 sa carrière en organisant les partisans de Pierre Mauroy, en tant que cofondateur puis animateur de la Fédération Léo-Lagrange et du Centres d’études et de promotion (CEDEP) qu’il contribua à implanter de 1966 à 1971.
Les prises de positions de Roger Fajardie étaient conformes à celles du futur maire de Lille. Ainsi, en décembre 1965, il cosigna la « lettre aux militants » parue dans la Documentation socialiste qui rejetait la responsabilité de Guy Mollet dans l’échec de la candidature Defferre. Le mois suivant, Pierre Mauroy devenait secrétaire général adjoint, après le départ de Georges Brutelle. Roger Fajardie appartenait à sa garde rapprochée, avec Robert Pontillon*, spécialiste des questions internationales, et Thierry Pfister*, journaliste. Mais, une série de chocs (Mai 1968, défaite de la gauche aux élections législatives, annonce du départ à venir de Guy Mollet de la direction nationale, échec du référendum de 1969 et démission du général de Gaulle), bouleversèrent la donne interne. Pierre Mauroy et ses amis se rapprochèrent de Gaston Defferre dont ils soutinrent la candidature aux élections présidentielles. Mais, après l’échec de la candidature du maire de Marseille, qui rendait caduque une alliance au centre, les amis de Pierre Mauroy affirmèrent leur attachement à l’union de la gauche et Roger Fajardie cosigna le texte intitulé « appel pour le renouveau et l’unité socialiste » pour le congrès d’Issy-les-Moulineaux. Guy Mollet appuya alors Alain Savary qui accéda à la direction du « Nouveau parti socialiste ». La guerre de succession ouverte s’était développée largement par-delà la SFIO. Dans ce cadre, au sein de la maçonnerie, à l’occasion du renouvellement du grand maître à l’été 1969, Roger Fajardie, avec Gérard Jaquet* et Alexandre Chevalier*, aurait joué un rôle pour la promotion de la candidature de Jacques Mitterand* contre les amis de Guy Mollet et de Fred Zeller*. Guy Mollet démissionna de la franc-maçonnerie, outré de ce qu’il présentait dans une lettre rendue publique comme « l’utilisation par quelques-uns de l’idéal de la solidarité pour la satisfaction d’ambitions plus ou moins justifiées, l’esprit d’intrigue qui les anime et les conduit à jouer de la solidarité maçonnique dans le Parti socialiste, et je le crains de la solidarité socialiste dans la maçonnerie (…) ». Autre signe de rupture, Roger Fajardie, secrétaire général adjoint de l’OURS à sa fondation en juin 1969, le quitta avec les amis de Pierre Mauroy après le congrès d’Issy-les-Moulineaux.
Au congrès d’Épinay en juin 1971, Roger Fajardie participa au côté de Pierre Mauroy* et Gérard Jaquet* aux réunions fractionnelles qui permirent à François Mitterrand* de l’emporter, avec l’appui des « droitiers », amis d’André Chandernagor et « Bouches-du-Nord » (le Nord et les Bouches-du-Rhône), et de la « gauche » avec le CERES. Dans le Parti socialiste désormais dirigé par le député de la Nièvre, Roger Fajardie siégea au comité directeur (tendance Defferre-Mauroy*), fut secrétaire pour le PS du bureau de l’Union de la gauche socialiste et démocrate, coalition électorale du PS et des radicaux de gauche en novembre 1972. Il fut encore délégué du PS aux affaires religieuses et publia en octobre 1972 dans L’Unité une réflexion sur l’entrée des prêtres dans l’enseignement public qui suscita de vives réactions.
De 1971 à 1974, Roger Fajardie siégea au conseil de l’Ordre du Grand Orient de France et fut grand secrétaire adjoint aux affaires intérieures du GOF de 1972 à 1973. En 1978, il devint secrétaire général du Cercle Paul-Ramadier, fraternelle qui organisait les socialistes maçons des différentes obédiences du GOF. Ce Cercle avait fait campagne pour qu’il devienne Grand maître en 1973, mais il avait renoncé, trop pris par ses occupations politiques. Il fonda successivement les loges Boischaut fraternel (Saint-Amand, 1981) et Effort 83 (Paris, 1983).
Au Parti socialiste, Roger Fajardie s’affirma par sa connaissance intime des fédérations et plus encore de la carte électorale française. Nommé délégué général du PS, chargé des problèmes d’organisation du parti après le congrès de Grenoble (1973), il fut chargé des arbitrages électoraux au sein du PS et négocia avec les communistes les accords pour les élections cantonales de 1976 et pour les municipales de 1977. Secrétaire général adjoint chargé des Élections-contentieux en février 1975, il fut confirmé à Nantes en 1977. Selon de nombreux témoins, dont Thierry Pfister, Roger Fajardie s’émancipa progressivement de Pierre Mauroy*, sans s’en détacher totalement, pour se rapprocher de François Mitterrand en termes de relations personnelles. Pourtant, il fut écarté en 1979 du secrétariat au congrès de Metz où le courant Mauroy*, allié avec celui de Michel Rocard*, s’opposa à François Mitterrand, mais demeura au bureau exécutif du PS. La semaine suivante, Roger Fajardie fut présenté en 26e position sur la liste socialiste pour les élections européennes de 1979, les socialistes obtenant 20 sièges.
Parallèlement, Roger Fajardie fut l’un des fondateurs de la société coopérative Urba, chargée d’alimenter les caisses du parti socialiste, mais aussi de contrôler centralement les financements occultes pour éviter les débordements locaux. Il s’agissait – alors que le financement public n’existait pas –, de faire face à de lourdes dépenses liées aux scrutins électoraux successifs des années soixante-dix et aux nouvelles exigences d’une communication politique renouvelée qui succédait à la vieille propagande traditionnelle et d’un appareil politique moderne qui succédait au trop modeste appareil de la SFIO.
Directeur adjoint de la campagne de François Mitterrand* à partir de février 1981, après la victoire de la gauche, Roger Fajardie resta un homme de l’appareil et l’ami de Pierre Mauroy devenu Premier ministre. Il n’accéda pas aux fonctions ministérielles comme de nombreux camarades mais garda son rôle de conseiller officieux. Des députés étant devenus ministres, il entra au Parlement européen en 1981, et fut confirmé par l’élection du 24 juillet 1984. Vice-président de la commission Jeunesse et culture, il présida la délégation interparlementaire le Parlement européen et la Knesset d’Israël. Chargé par le Premier ministre d’une mission sur la francophonie en 1983, Roger Fajardie se vit encore confier la vice-présidence du Comité consultatif de la Langue française en février 1984. Il revint au secrétariat national du PS à Valence (1981), puis à Grenoble (1985), et retrouva la responsabilité du secrétariat aux élections. Il appartint enfin au Comité directeur de l’Association des maires de France.
On sait peu de choses de la vie privée de Roger Fajardie. Célibataire, très attaché à sa mère qu’il visitait régulièrement, emmenant des amis, et même le président de la République, partager un repas qu’elle avait préparé, il laissa planer un mystère sur une éventuelle homosexualité qui contribuait à sa réputation et à sa légende d’homme de l’ombre pas comme les autres. Il décéda à cinquante-sept ans d’un malaise cardiaque, dans un train lors d’une tournée dans le Midi.
Le 31 août 1987, se retrouvèrent à La Groutte (Cher), le président de la République François Mitterrand*, les principaux responsables du Parti socialiste, dont plusieurs anciens ou futurs premiers ministres, Pierre Mauroy*, Pierre Bérégovoy, Michel Rocard*, Lionel Jospin, mais aussi Jean-Pierre Chevènement, Charles Hernu* et Michel Delebarre et le grand maître du Grand-Orient de France, Roger Leray*. Ils étaient venus assister aux obsèques de Roger Fajardie, député européen en exercice. Une cérémonie religieuse se tint à l’église de Saint-Amand- Montrond après l’hommage républicain de La Groutte. Roger Leray était présent.
L’événement, abondamment commenté dans la presse politique sur le moment, ouvre un chapitre du livre Les Francs-maçons des années Mitterrand, littérature classique visant à montrer l’influence supposée majeure de ces hommes de l’ombre qui tireraient les ficelles de l’État. Cette présence massive, dans un petit village du Centre de la France, d’hommes de pouvoir issus de la gauche, fussent-ils d’origine chrétienne comme François Mitterrand, constitue une preuve supplémentaire pour les tenants de cette thèse. Surtout qu’ils étaient venus participer à une cérémonie religieuse, qui donnait un parfum de reniement philosophique, aliment supplémentaire pouvant nourrir le discours sur la « duplicité » de cette société discrète. La presse et la rumeur, ainsi que Guy Mollet lui-même, ont prêté aussi un rôle déterminant à Roger Fajardie dans l’accession de François Mitterrand* à la tête du Parti socialiste en 1971, sur le même thème du maître d’œuvre de la conjuration, fondée sur une alliance supposée quasiment contre-nature au congrès d’Épinay entre socialistes de gauche et de droite. Ce qui complique l’analyse, c’est que Roger Fajardie lui-même, non sans humour, se plaisait à endosser l’habit du père Joseph. Thierry Pfister le décrit ainsi : « Il avoue son rêve avec modestie : le poste d’ambassadeur au Vatican. Il est vrai que ce Berrichon, grand amateur d’art roman et de plats en sauce, meut sa centaine de kilos avec des allures de prélat et une mine de raminagrobis ». La presse évoquait aussi « l’embonpoint de moine rabelaisien », d’un « homme du contact » qui avait « une prédilection pour les missions discrètes, celles qui consistaient à établir des passerelles entre des gens qui se connaissent mal ou peu ».
N’ayant jamais choisi entre politique et maçonnerie, Roger Fajardie, l’homme d’appareil dont le bureau était un capharnaüm inouï, rond, aimant écouter plus que parler, homme de dialogue, a certainement été un militant politique qui a un compté et surtout un homme clé des réseaux de Pierre Mauroy. Mais il n’occupa jamais de fonctions de premier plan, notamment après 1981, alors que tant de ses amis se partageaient des postes éminents au sommet de l’État. Permanent politique de toujours, comptait-il plus que des élus ou des chefs de courants ? C’est douteux. Si son influence maçonnique n’est guère contestable, quel fut son poids à l’extérieur alors que la maçonnerie n’est pas une force cohérente et disciplinée ? Pour s’en tenir aux épisodes controversés des années 1969-1971, d’autres maçons d’influence, contre Fajardie et Jaquet notamment, appuyèrent sans discontinuer Guy Mollet et Alain Savary*, parmi lesquels Fred Zeller et Jacques Enock, dont les liens avec les milieux trotskistes étaient connus et que certains accusèrent d’avoir contribué à faire huer François Mitterrand lors du centenaire de la Commune. À la limite, on peut même se demander si, à l’inverse, Roger Fajardie n’utilisa pas ses réseaux socialistes dans les luttes d’influence internes à la maçonnerie. Cette histoire reste à écrire, en évitant les thèses simplistes.
Ses amis et compagnons firent paraître après sa mort une petite brochure, illustrée de nombreuses photographies, dont l’envoi fut fait par François Mitterrand et la préface par Pierre Mauroy*. Chaleureuse, mais convenue, elle insistait sur sa grande culture, sa passion pour Alain Fournier et son admiration pour Camus, son amour pour les églises romanes, les bâtisseurs de cathédrales, son humanisme et son goût de la Fraternité.
Par Gilles Morin
SOURCES : Brochure Roger Fajardie, sd. — Arch. Nat., F/1cII/704. — PPo66.336. — Archives de l’OURS, fonds SFIO et dossier Fajardie. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1967. — Bulletin intérieur de la SFIO, n° 41, 109, 111, 114. — Humanisme, n° 177, décembre 1987. — Thierry Pfister, Les Socialistes, Albin Michel, 1975. — G. Ayache, M. Fantoni, Les Barons du PS, Intervalle-Fayolle, 1977. — État civil de Bourges.