JÉRÔME Jean (JEAN-JÉRÔME) [FEINTUCH Michel dit] Autres pseudonymes : MAREK Jean-Jules, LEBLANC-DUBOIS

Par René Lemarquis, Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 12 mars 1906 à Solotwina, petite ville d’Ukraine occidentale sous domination de la monarchie austro-hongroise, mort le 30 avril 1990 en Suisse ; militant communiste français de stature internationale ; responsable de la MOI, résistant, financier du PCF.

Le père de Michel Feintuch était un petit commerçant pauvre, marchand forain en tissus dans une région peuplée de communautés souvent opposées : Ukrainiens, Polonais, Juifs, Allemands. La famille compta neuf enfants dont quatre morts en bas âge et quatre tués par les nazis dont deux Résistants. Voir Pierre Feintuch. Le père quitta Solotvina alors que Michel avait six ans pour s’installer à Stanislavov et tint une petite épicerie avec sa femme (qui mourut en 1924). Plus tard, il deviendra voyageur de commerce. Pendant la guerre, la famille se rendit en Hongrie fin 1915 et le père, blessé en 1916 fut exempté puis infirmier. En 1918, ils étaient de retour à Stanislavov. Dans son enfance, jusqu’à l’âge de douze ans, Michel Feintuch fit ses études dans des écoles religieuses juives dont deux ans dans un séminaire pour devenir rabbin. Son père était sioniste et lui-même était alors aux Jeunes socialistes sionistes (Hashomer) qu’il quitta à quatorze ans. Il sympathisa ensuite un certain temps avec le Bund et adhéra aux Jeunesses communistes après deux années passées dans une école commerciale où il apprit la comptabilité.

De l’âge de seize ans à l’âge de vingt ans, il fut employé de commerce puis voyageur de commerce. Il participa à la création du syndicat des employés de commerce à la direction duquel il milita comme trésorier et fut membre quelques mois du mois du conseil départemental des syndicats (« mixtes réformistes et communistes »). Il se lia à un syndicaliste communiste clandestin et c’est alors qu’il entra dans la Jeunesse communiste, sans doute en 1924. Selon ses autobiographies, la date de son adhésion varie : fin 1924, début 1925 dans celle de 1934 ; fin 1923 ou début 1924 dans celles de 1936 et 1937. En 1925, il adhérait au Parti communiste polonais à Stanislavov. Il fut arrêté le 1er mai 1926 et relâché rapidement. Puis, le syndicat interdit, le comité régional du parti suspendu, ayant perdu son emploi il quitta la Pologne avec l’accord du parti : il avait conservé des relations avec Alexandre, dirigeant du PCP. envoyé dans la région (ainsi, ajoute-t-il qu’avec les représentants du CC du KPZY). Il partit donc le 15 février 1926 de la Pologne pour la Belgique. N’ayant pas fait son service militaire, il avait perdu ses droits de citoyen.

Michel Feintuch trouva du travail dans la sidérurgie (tôlerie) dans la région de Liège. Il milita dans la MOI et fut responsable, dans le syndicat des métaux lié au parti ouvrier belge, du travail parmi les Polonais. Il y créa par ailleurs des groupes d’opposition à la direction réformiste. Il créa deux cellules communistes dans les deux usines (en particulier aux laminoirs Espérance-Londoz) où il fut employé et entra au bureau fédéral du Parti communiste de Belgique où il fut chargé de la trésorerie et délégué au 3e congrès du parti. Il participa activement, s’appuyant sur le groupe polonais, à la lutte contre les trotskystes influents en 1928 dans la fédération liégeoise. Il y connut Lahaut, dirigeant belge, cité comme garant dans ses autobiographies. Tout en travaillant à l’usine il reprit des études pendant un an et demi à l’École des Hautes études commerciales et consulaires mais il ne peut continuer car c’était « trop dur » d’assurer les deux tâches. En août 1929, il fut expulsé de Belgique et vint en France.

D’abord illégal, il travailla comme terrassier sur divers chantiers parisiens avant d’être engagé dans une coopérative du bâtiment. Atteint par la tuberculose, il fit un séjour de quatre mois dans un sanatorium. Puis il fut embauché à la Société industrielle du téléphone (SIT) comme cableur-monteur. Il y resta jusqu’au 6 novembre 1931 et y créa une cellule. Il travailla à la création d’installations téléphoniques pour l’exposition coloniale de 1931 puis à la fabrication de stations automatiques dans son entreprise qui employait 1 500 travailleurs dans le XVe arr. Il adhérait à une section CGTU et devint membre de la CE de la Fédération des métaux et de celle de la 20e union régionale. Mais il s’occupait essentiellement de la main-d’œuvre immigrée polonaise tant auprès de la CGTU qu’auprès du CC du PC Il était membre de la sous-section polonaise régionale de la MOI, où sa compagne appelée Genia (dans l’autobiographie de 1934), une étudiante, fille d’un industriel de Pologne, avait aussi un poste responsable. En 1936, il donne comme nom de sa compagne celui de Pola Fabelinska, fille de commerçants polonais. Il prit, en 1930, la direction de ladite sous-section régionale et l’année suivante, vit son entrée dans la sous-section centrale. On le trouve aux côtés d’Arrachard, au meeting du 1er août 1931 à la bourse du travail. En rapport avec les envoyés du Profintern il fut arrêté à la veille du 6e congrès de la CGTU, où il était délégué, le 4 novembre 1931 à la sortie de la bourse et expulsé le 6 vers la Belgique. Grâce à un inspecteur, il put passer la frontière sans encombre et reprit contact à Bruxelles avec l’organisation qui lui demanda de retourner en France.

Revenu dans la région parisienne avec de faux papiers, Michel Feintuch fut envoyé à la fin de l’année 1931 comme instructeur dans les groupes polonais, chez les mineurs en particulier, pendant trois mois. Il y connut Martha Desrumeaux, écrivit dans L’Enchaîné. Ensuite, jusque juin 1933, il fut fonctionnaire permanent du parti (rémunération de 1000 F en 1932 à 1800 F par mois en 1937). Il échappa à la police lors d’une réunion de la CE de la CGTU et eut l’occasion de parcourir plusieurs régions : Alsace Lorraine, Gard, Isère. En juin 1933, après sa rencontre avec Eugen Fried*, délégué de l’IC en France, il devint rédacteur puis instructeur (« référent ») au bureau européen de l’ISR à la Correspondance syndicale internationale jusqu’à la liquidation de ce bureau. Il retourna ensuite à la sous-section polonaise comme secrétaire en juin 1936. Pendant ces années il n’était pas affilié à une cellule mais travaillait auprès du représentant de l’ISR, Radens (alias René) présenté comme un dirigeant du Parti communiste polonais. Sous la direction de celui-ci, il s’introduisit en 1933 dans le groupe oppositionnel clandestin « Que faire ? » (qu’il qualifiait de « trotskyste » en 1937) pour en identifier les membres. Il donnait les informations ainsi recueillies à Radens qui les transmettait à Pianitsky. Grâce à ses données, il fut possible de « démasquer » Constant ou Muller ou Gilbert : il s’agissait de Georges Kagan* qu’il affirmait avoir connu comme membre clandestin du BP du PC belge, un camarade de la sous-section centrale polonaise (Stolarski ?) et un ancien camarade de sa cellule de la SIT Jean Dupui. Il écrivait par ailleurs dans la presse communiste polonaise, dans Les Cahiers du bolchevisme en 1932 ainsi qu’une brochure sur l’insurrection des Asturies en 1934. Il parlait couramment (mais écrivait difficilement) le polonais, le français, l’allemand et il comprenait le russe, l’ukrainien ainsi qu’un peu d’anglais et d’espagnol. Cette dernière langue n’apparaît que dans l’autobiographie de 1937 car depuis 1936, il travaillait « au service du parti » pour l’aide à l’Espagne.

En 1936, dès l’agression contre la République espagnole, Michel Feintuch, au nom de la commission nationale d’aide, sous le contrôle de Cerreti et avec l’aide de la commission des cadres (Maurice Tréand*, Arthur Dallidet), s’occupa de procurer armes et vivres, implantant quelques usines de guerre en Espagne et aida à l’équipement des Brigades internationales. Sous le pseudonyme de Leblanc, il prit, en 1937, la direction de la commission internationale de ravitaillement auprès du Comité international de coordination dont le secrétaire était Madeleine Braun*. C’est ainsi qu’il eut à fournir à l’Espagne républicaine bateaux, wagons de vivres et de matériel. Après la défaite, il apporta une aide variée aux Espagnols regroupés avec leurs familles dans les camps.

On ignore son activité lors de l’enquête menée, en 1938, à Paris par l’Internationale communiste sur les activités des communistes polonais, enquête qui aboutit en août à la dissolution du Parti communiste polonais.

En septembre 1939, Michel Feintuch voulut s’engager dans l’armée française mais fut renvoyé à la commission de recrutement pour l’armée polonaise en France où il fut ajourné pour six mois et embauché comme requis civil à la Société industrielle du téléphone où il avait travaillé en 1930. Lors de l’entrée en France de la Wehrmacht, il ne fut pas évacué. Chômeur, il resta, avec sa femme et un enfant de cinq mois et déménagea dans le XIVe arr. Il relança alors Louis Montel*, un ancien de l’action clandestine pour l’Espagne et du parti, et rétablit la liaison avec Charles Tillon* et Jacques Duclos* par l’intermédiaire d’Arthur Dallidet. Dès l’occupation de Paris, il prit contact avec " Le Gros " (Maurice Tréand*) qui le chargea, au nom de la direction du parti, d’organiser un dispositif illégal pour l’édition de matériel imprimé et ronéotypé. Pour cette activité, il mit sur pied un appareil composé d’une dizaine de collaborateurs répartis en groupes compartimentés qui réalisa la parution de l’Humanité illégale. Il réussit ces opérations avec l’aide de son frère Pierre, gravement blessé en Espagne, qui n’avait pas été accepté par l’armée française en 1939. C’est Arthur Dallidet qui informa Michel Feintuch que le " Gros " avait été mis " au vert " au printemps 1941, et éloigné de Paris, après des désaccords dans le fonctionnement de l’appareil clandestin.

Cet appareil d’édition ainsi mis en activité, il en passa la direction à Noël, ancien directeur de la revue Regard puis, dès le printemps 1941, il entreprit la constitution d’un comité d’initiative pour la création d’un Front national. Le premier groupe comprenait Francis Jourdain, René Maublanc, Louis Wallon auxquels s’associèrent bientôt le docteur Raymond Leibovici, le Père Philippe, Françoise Leclerc... C’est en avril 1942 que Pierre Villon les rejoignit. Avec l’aide de Marcel Prenant, Michel Feintuch rencontra François Faure ("Raymond"), adjoint du colonel Rémy, représentant militaire du général de Gaulle en France occupée à qui il remit une proposition d’adhésion du PC à la France libre. Après réponse positive du général, une liaison permanente fut établie et cette collaboration aboutit à la remise d’une somme importante aux combattants FTPF et à leurs familles, à un parachutage et à une livraison par mer de matériel de guerre et au départ, début 1943, de Fernand Grenier pour Londres.

Michel Feintuch prit aussi l’initiative de la création, avec l’aide du docteur Leibovici et de Hector Descomps d’un service sanitaire disposant d’une ambulance. Mais survint l’arrestation de Feintuch-Jean-Jérôme, d’une façon accidentelle, le 14 avril 1943. Après trois mois de détention préventive, sous l’inculpation d’activité communiste, le juge d’instruction chargé du dossier le renvoya à la police pour être interné à Drancy comme juif, afin d’être déporté. Bénéficiant de la complaisance du commissaire Pons chargé de son transfert à Drancy, Jean-Jérôme fut alors renvoyé à la prison de la Santé comme détenu de droit commun. Grâce à son avocat, Jacqueline Rochette, qui soudoya le greffier, son dossier fut systématiquement replacé au bas de la pile chaque fois qu’il arrivait au sommet ; il ne fut finalement condamné qu’à dix-huit mois de prison. Avec l’aide de son nouvel avocat, Maître Sarraute, un recours en appel fut introduit et, à plusieurs reprises, sa parution ajournée. Finalement, après la tentative de révolte des droits communs le 14 juillet 1944 à la prison de la Santé, il fut transféré à la Caserne des Tourelles et sur intervention de la Résistance, libéré le 18 août. Il rejoignit alors le comité militaire national des FTPF dirigé par Charles Tillon.

Après la guerre, Jean-Jérôme fut une des responsables des finances du Parti communiste et notamment le patron des sociétés commerciales qui travaillaient avec les pays d’Europe de l’Est. Il fit preuve dans ces activités d’une discrétion, d’une efficacité dans les affaires et dans le règlement des questions politiques qui lui valurent la confiance durable de la direction du PCF, particulièrement de Jacques Duclos qui était en relation régulière avec lui.
Ses responsabilités financières nationales et internationales durables sont avérées mais encore mal documentées. Son contrôle de la société SORICE (Société de réalisations industrielles et de commerce pour l’Europe) qui travaillait en France et avec l’ensemble des pays de l’Est s’imposant comme un intermédiaire obligé pour beaucoup de société française, est connu par des témoignages oraux mais les archives manquent. De même pour le BÉRIM (Bureau d’études et des recherche pour l’industrie moderne) créé en 1948 qui est une filiale de la SORICE. Vladimir Boukovsky cite des documents soviétiques qui permettent de penser des les "amis français" furent les premiers de partis occidentaux à mettre en place un système de financement passant par la gestion d’entreprises internationales. Il cite la firme ouest allemande Magra Gmbx : "La firme Magna GmbX appartient au PC français [...] elle a acquis auprès de la société soviétique Stankoimport des roulements à bille revendus en Allemagne". Un autre document de 1980 recommande : "compte tenu des considérations exposées par le c. J. Jérôme" de faire élaborer par le ministère du commerce extérieur et par le Gosplan de "mesures tendant à développer les relations économiques et commerciales avec les firmes françaises amies " telles que COMEX et Interagra. Cette politique financière était menée en liaison avec Gaston Plissonnier* qui apparait comme interlocuteur dans les archives.
Au titre de collaborateur du comité central et de financier, Jean Jérôme pris diverses initiatives dans le domaine culturel : expositions, reconstitution du CDLP (Centre de diffusion du Livre et de la Presse), création de la commission d’éditions avec constitution des Éditions sociales en remplacement des ESI, éditions " Hier et Aujourd’hui ", Bibliothèque française fondée par Louis Aragon, etc., sans omettre l’établissement de relations avec les Éditions en langues étrangères de Moscou et la création d’un réseau de librairies comme celles de la Renaissance, la reconstitution de la Maison d’édition de disques qui fit revivre le " Chant du Monde " d’avant-guerre, de même que la Société cinématographique " Ciné-France " rue Saint-Georges, qui sonorisa et monta des films de propagande du Parti.

À partir de 1954, Jean-Jérôme s’occupa de créer, dans le XIIIe arr. une bibliothèque marxiste gérée dans un premier temps par l’Institut Maurice-Thorez et que dirigea Georges Cogniot, bibliothèque installée aujourd’hui 21 rue Barrault.
Jean-Jérôme appartint en outre à la commission nationale des Vétérans du PCF, au conseil national de l’ANACR ; il était titulaire de la Médaille de la Résistance, de la Croix de guerre et chevalier de la Légion d’honneur. Malgré cette reconnaissance publique renforcée par la publication de ses mémoires en 1983 et 1986 et son passage dans des émissions de radio et de télévision, il resta un homme discret sinon secret.
Jean-Jérôme mourut en avril 1990 pendant des vacances en Suisse. Il fut enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23842, notice JÉRÔME Jean (JEAN-JÉRÔME) [FEINTUCH Michel dit] Autres pseudonymes : MAREK Jean-Jules, LEBLANC-DUBOIS par René Lemarquis, Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 8 décembre 2008, dernière modification le 24 février 2022.

Par René Lemarquis, Jean Maitron, Claude Pennetier

ŒUVRE : La Part des hommes. Souvenirs d’un témoin, Acropole, 1983, 289 p. — Les Clandestins 1940-1944, Acropole, 1986, 290 p.

SOURCES : Fonds Jean Jérôme, Arch. dép de Seine-Saint-Denis (370 J), inventaire en ligne. — A. Rayski, Les illusions perdues, Balland, 1985. — A. Grojnowski, Le dernier Grand soir, Le Seuil, 1980. — Rayski, Peschanski, Courtois, Le sang de l’étranger, Fayard, 1989. — Karel Bartosek, Les aveux des archives. Prague-Paris-Prague, 1948-1968, Seuil, 1996. — Philippe Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste, t. 4, Fayard, 1984. — Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Histoire politique des services secrets français de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, La Découverte, 2012. - Autobiographie d’une dizaine de pages rédigée à l’intention de Jean Maitron. — Entretien avec Jean Maitron et Claude Pennetier. — RGASPI, Moscou, archives du Komintern, dossier personnel, 495 270 1242 : trois autobiographies des 21 janvier 1934 (signée Michel Feintuch), 2 juillet 1936 (signée Jean) et 7 août 1937 (signée Leblanc). — Vladimir Boukovsky, Jugement de Moscou, un dissident dans les archives du Kremlin, Robert Laffont, 1995. — Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, La Découverte, 2009, notamment les chapitres rédigés par Frédéric Charpier. — Pauline Gallinari, Les communistes et le cinéma. France, de la Libération aux années 60, Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection « Histoire », 2015.

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