MANDEL Georges [Louis ROTHSCHILD dit]

Par Dominique Tantin

Né le 5 juin 1885 à Chatou (Seine-et-Oise, Yvelines), abattu le 7 juillet 1944 en forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne)  ; journaliste et homme d’État républicain et patriote, chef de cabinet de Georges Clemenceau (1917-1919), député de Gironde (1919-1924 ; 1928-1940), maire de Soulac-sur-Mer (1919-1940) ; ministre des PTT (1934-1936), des Colonies (1938-1940) et de l’Intérieur (18 mai-16 juin 1940) ; “le premier résistant” (Léon Blum).

Georges Mandel en 1932
Georges Mandel en 1932

De Rothschild à Mandel
Louis Rothschild naquit à Chatou où ses parents, domiciliés à Paris, passaient des vacances. Il était le fils d’Edmond, négociant, né le 16 août 1843 dans le VIIe arr. de Paris dans une famille originaire de Bavière, et d’Henriette (dit Hermine) Mandel, née le 6 juin 1855 à Marmoutier (Bas-Rhin). Ses parents s’étaient mariés en 1881. Il optera pour le patronyme maternel plus discret, et pour le prénom Georges afin d’éviter la confusion avec son oncle maternel Louis Mandel. Il fit des études à l’école privée Springer, rue de la Tour-d’Auvergne, puis au lycée Condorcet et obtint son baccalauréat en 1903. Déjà passionné de politique, il se tourna d’abord vers la carrière de journaliste. Dès 1902, encore lycéen, il publia occasionnellement des articles dans «  Le Siècle  », un journal républicain. Il y manifestait des convictions anticléricales et soutenait la politique de défense républicaine au lendemain de l’Affaire Dreyfus.


L’éminence grise de Clemenceau
En novembre 1903, il entra comme rédacteur à l’ «  Aurore  », quotidien dont on sait que Clemenceau était le directeur politique. Il s’y affirma comme un journaliste progressiste et anticolonialiste. Clemenceau remarqua ce travailleur infatigable doté d’une mémoire prodigieuse et d’un caractère affirmé. De son côté, Mandel devint un clémenciste inconditionnel et fidèle jusqu’au retrait de la vie politique de Clemenceau. En mars 1906, lorsque ce dernier devint ministre de l’Intérieur dans le gouvernement présidé par le radical Sarrien et laissa le journal entre les mains d’Urbain Gohier, Mandel quitta l’Aurore et devint, avec l’aide d’Albert Bayet et de l’historien Alphonse Aulard, chef-adjoint du cabinet d’Albert Sarraut, sous-secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur. En octobre 1906, il conserva ce poste lorsque Clemenceau succéda à Sarrien à la tête du gouvernement tout en gardant l’Intérieur. En 1907, après la démission de Sarraut, il fut rattaché directement au cabinet de Clemenceau jusqu’à la chute de son gouvernement en 1909. Chargé des relations avec la presse et le Parlement, il acquit rapidement une excellente connaissance des milieux parlementaires et se fit remarquer par la qualité de ses comptes rendus des débats.
En 1910, après un échec électoral à Levallois-Perret, Clemenceau le désigna pour le représenter à la présidence du conseil d’administration du Journal du Var, un quotidien qu’il avait fondé pour promouvoir ses idées face à la presse socialiste. Cette année marqua le début d’une étroite collaboration entre les deux hommes, Clemenceau appréciant les capacités et l’efficacité de Mandel.
En avril 1914, Mandel subit un nouvel échec électoral à Castellane (Basses-Alpes). Reconnu inapte et réformé, il ne fut pas mobilisé. Il poursuivit sa collaboration avec Clemenceau à la rédaction de L’homme enchaîné, ex L’Homme libre. Le 17 novembre 1917, lorsque Clemenceau fut appelé au gouvernement afin de surmonter une crise profonde, militaire, politique et sociale, il devint le chef de cabinet du Tigre et le resta jusqu’en janvier 1920. Il fut l’un des acteurs de la politique annoncée par le nouveau président du Conseil aux députés : “Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale.”, et confirmée le 8 mars 1918 au lendemain du traité de Brest-Litovsk entre la Russie soviétique et les Empires Centraux : “ Ma formule est la même partout. Politique intérieure ? Je fais la guerre. Politique étrangère ? Je fais la guerre. Je fais toujours la guerre !”. Mandel eut en charge le front intérieur face aux défaitistes et aux pacifistes. “Il possédait, à cette fin, le contrôle des trois leviers de la politique interne : le Parlement qui la sanctionne, les ministères qui l’expriment et les préfets qui l’exécutent.” (Bertrand Favreau, op. cit. p. 106). Il sut se montrer efficace et inflexible. Dans l’ombre du Tigre, son rôle fut primordial pour conduire la France à la victoire.
Après le traité de Versailles et les élections législatives de novembre 1919, la carrière politique du “Père la Victoire” se termina avec son échec à l’élection présidentielle. Héritier de Clemenceau, Georges Mandel manifesta jusqu’à sa fin tragique un attachement viscéral au régime républicain et à l’autorité de l’Etat ainsi qu’un patriotisme intransigeant, transcendant les égoïsmes de classe.


Un conservateur moderniste et visionnaire
Mandel profita de la vague Bleu Horizon pour s’implanter en Gironde. Il fut élu député de ce département le 16 novembre 1919 au sein du Bloc National ; après une interruption entre 1924 et 1928, il retrouva son mandat et le garda jusqu’en 1940 sous l’étiquette Indépendant. Il fut élu maire de Soulac-sur-Mer le 1er décembre 1919 puis président du Conseil Général de Gironde le 5 janvier 1920 ; il dut abandonner cette fonction en septembre 1921, mais il resta maire de Soulac-sur-Mer jusqu’en 1940.
Au cours des années 1930, il occupa à deux reprises des fonctions ministérielles.
D’abord, en dépit de l’instabilité ministérielle, il assura une relative continuité à la tête du ministère des Postes, Télégraphe et Téléphone du 8 novembre 1934 au 4 juin 1936 dans les gouvernements de droite dirigés successivement par Pierre – Étienne Flandin, Fernand Bouisson, Pierre Laval et Albert Sarraut. Soucieux d’efficacité et de modernisation du service public, il dirigea son ministère avec une autorité implacable. Il réorganisa son administration, n’hésitant pas à révoquer des fonctionnaires et réprimer les grèves. La satisfaction des usagers passait avant tout. Il créa un service des réclamations, diminua les tarifs, accéléra l’équipement téléphonique et initia les liaisons postales aériennes intérieures. Il impulsa le développement de la radiodiffusion et l’expérimentation de la télévision ; le vendredi 26 avril 1935, quelques privilégiés purent capter la première émission officielle de la télévision française dont la présentatrice n’était autre que la comédienne Béatrice Bretty, nom de scène de Béatrix Anne-Marie Bolchesi (1893-1982), sociétaire de la Comédie Française, qui devenait la même année la compagne de Georges Mandel. Il était déjà père d’une fille prénommée Claude (1930-2003).
Écarté du pouvoir durant le Front Populaire, (il s’abstint sur les réformes sociales, mais vota pour la nationalisation des industries d’armement), il retrouva un poste ministériel dans les gouvernements Daladier puis Reynaud, en succédant à Marius Moutet au ministère des Colonies du 10 avril 1938 au 18 mai 1940. Il s’agissait de préparer les colonies à la guerre par des travaux d’infrastructures et le renforcement des troupes coloniales. Et à rebours du lobby colonial, il prit des dispositions pour accroître les droits des peuples colonisés après avoir soutenu le projet Blum-Violette en Algérie. En 1931, il avait pris position en faveur du droit de vote des femmes.


«  Le premier résistant  » (Léon Blum)
Convaincu, dès les années 1920, de la volonté de revanche de l’Allemagne, Mandel fut d’abord, face au nazisme, un lanceur d’alerte. Lecteur de Mein Kampf dès 1934, il ne cessa de s’opposer à la politique d’apaisement et dénonça les reculs successifs des démocraties face aux coups de force d’Hitler. Au lendemain de l’entrée des troupes allemandes en Rhénanie, alors qu’Albert Sarraut se contentait de proclamer que “Nous ne sommes pas disposés à laisser placer Strasbourg sous le feu des canons allemands”, Mandel déclara :”L’avenir dira qui a eu raison, de ceux qui préfèrent des actes ou de ceux qui croient que les paroles sont des actes.” Antimunichois dans le gouvernement qui abandonna son alliée tchécoslovaque, il resta en place avec Paul Raynaud, Champetiers de Ribes et Jean Zay, les autres “ministres-résistants”, pour tenter d’en infléchir la politique, suivant la recommandation de Churchill :”Surtout ne partez pas ; si vous partez, que va être le conseil ?”. Au gendre de Churchill, il dit :”Votre Chamberlain, il est faible. Mais notre Bonnet, il est lâche.” Il stigmatisa la “joie indécente” qui suivit les accords de Munich. Il acquit une réputation de belliciste dans une France où le pacifisme était puissant à gauche comme à droite, et ses origines juives en firent une cible de choix pour l’extrême-droite, voire au-delà. Le 29 septembre, l’Action française paraphrasait ainsi un couplet de L’Internationale :
S’ils s’obstinent, ces cannibales,
À vouloir faire de nous des héros,
Il faut que nos premières balles
Soient pour Mandel, Blum et Reynaud.

Le 18 mai 1940, alors que la situation militaire devenait tragique après la percée allemande dans les Ardennes, Paul Reynaud remania son gouvernement dans l’espoir d’en renforcer l’autorité et la combativité. La nomination de Mandel au ministère de l’Intérieur pour réprimer les menées défaitistes était certes judicieux, de même que l’entrée du général de brigade à titre temporaire Charles de Gaulle le 5 juin au poste de sous-secrétaire d’Etat à la Guerre. On n’en dira pas autant de la nomination du Maréchal Pétain au poste de ministre d’Etat et vice-président du Conseil et du choix du général Weygand pour succéder à Gamelin à la tête des armées. Du premier, Mandel avait dit à la fin de la Grande Guerre :”Pétain put devenir glorieux parce qu’on ne lui a pas laissé le choix entre la victoire et le renoncement.” A deux reprises, les 22 mai et 3 juin, Pétain invita Mandel à déjeuner au Café de Paris. De ces rencontres, Mandel conclura :”Rien à faire, Pétain est gâteux. Il n’a pas l’air de comprendre”. Désormais, Pétain, à ses yeux, n’était plus qu’une “ganache vénérée”, une “vieille fripouille ramollie”, et un “mégalomane sénile”. Par ailleurs, il connaissait l’antisémitisme de Weygand, antidreyfusard signataire de la souscription Henry et les sentiments antirépublicains de l’adhérent de L’Action française. Leur défaitisme ne tarda pas à se manifester par des pressions croissantes pour qu’un armistice fût signé d’urgence, nonobstant l’engagement pris en mars auprès de notre allié anglais de s’interdire une paix séparée.
Aussitôt arrivé place Beauvau, Mandel prit des mesures pour juguler la panique et la fuite des fonctionnaires et des élus, procéda à des révocations pour abandon de poste, veilla au maintien de l’ordre dans la capitale, et fit – une nouvelle fois – la chasse aux défaitistes, s’attirant les foudres de l’Humanité clandestine :”Aujourd’hui […] c’est le désastre ! Mais les criminels, les banqueroutiers qui en sont responsables s’accrochent au pouvoir. Ils placent Mandel, l’homme à tout faire de Clemenceau, à l’Intérieur sans doute pour traquer encore plus les communistes qui, il y a huit mois, prévoyant le désastre demandaient qu’on étudie les possibilités de paix.” Mais plus que les communistes fourvoyés dans la fidélité au pacte germano-soviétique (Mandel pensait encore possible une grande alliance avec l’URSS et les Etats-Unis contre l’Axe, et il fit libérer Ilya Ehrenburg), ceux que Mandel traqua et fit arrêter furent les hommes de la cinquième colonne pro-nazie, les directeurs de Je suis partout Charles Lesca et Alain Laubreaux, ainsi que Robert Fabre-Luce, Thierry de Ludre et Clément de Gobineau. De Ludre fut abattu par un garde mobile au cours de l’exode, et lorsque Je suis partout reparut, les fascistes français réclamèrent en représailles la tête du “Juif Mandel”.
La “ligne Weygand” ayant été percée les 5 et 6 juin, le gouvernement dut évacuer Paris et Mandel quitta la capitale dans la nuit du 10 au 11 juin. Le 10 juin, l’Italie entra en guerre aux côtés des Allemands.
Ce fut d’abord l’errance dans les châteaux de la Loire. Le 12 juin, lors du conseil des ministres tenu au château de Cangé, Weygand prôna l’armistice immédiat. D’ores et déjà le gouvernement était divisé, Weygand soutenu par Pétain et combattu par Reynaud et Mandel qui envisageaient un réduit breton et au-delà la poursuite de la guerre à partir de l’Afrique du Nord aux côtés de la Grande-Bretagne. Le lendemain, Mandel eut une entrevue avec Churchill venu participer au conseil suprême franco-britannique à la préfecture de Tours. Autant Churchill jugea Reynaud “déprimé”, autant il trouva le ministre de l’Intérieur déterminé à se battre, ce que confirma Spears, son représentant personnel : «  Je quittai Mandel plus impressionné par lui que jamais  ! Son détachement, son objectivité au milieu du chaos étaient vraiment étonnants  ! Enfin un Français qui voit clair  !  »
Churchill reparti, un nouveau conseil des ministres se tint à Cangé. Pétain prit le relai de Weygand en exigeant que l’armistice soit demandé au plus vite. Weygand prétendit qu’un gouvernement communiste dirigé par Thorez s’était installé à l’Elysée. Mandel téléphona au préfet de police Langeron qui démentit la nouvelle, puis lança à Weygand :”On vérifie ses informations avant d’en saisir le gouvernement.” Dans la soirée, Mandel confia à l’ambassadeur britannique sir Ronald Campbell :”S’il y avait eu un vote au Conseil, la majorité aurait été en faveur d’un armistice.”
Conscient que le défaitisme était en passe de l’emporter, De Gaulle voulait donner sa démission. Mandel lui demanda de rester et lui déclara :”De toute façon, nous ne sommes qu’au début de la guerre mondiale. Vous aurez de grands devoirs à accomplir, Général ! Mais avec l’avantage d’être, au milieu de nous tous, un homme intact. Ne pensez qu’à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses.” Dans L’Appel, De Gaulle ajoute :” C’est à cela qu’a peut-être tenu, physiquement parlant, ce que j’ai pu faire par la suite.”
Le 14 juin, tandis que les Allemands faisaient leur entrée dans Paris, le gouvernement se replia à Bordeaux, dans une cité envahie par les réfugiés et dans une ambiance crépusculaire. Le bureau de Mandel à la préfecture devint, selon Léon Blum, “le centre vivant de la volonté de résistance” au défaitisme, un quartier général où il réunissait, outre le Président Conseil du Front populaire, Édouard Herriot et Jules Jeanneney, les présidents des assemblées, Marx Dormoy, Louis Marin, César Campinchi, Rio, Raoul Dautry, Rollin et Georges Monnet afin de les exhorter à empêcher avec lui la signature d’un armistice.
Face à lui, Pétain et une partie du gouvernement, Weygand, mais aussi – surtout - Pierre Laval, défaitiste de toujours, arrivé de Clermont-Ferrand, qui vint s’installer à l’Hôtel de Ville où son ami Adrien Marquet mit un bureau à sa disposition. Le 14 juin 1940, Pierre Laval avait déclaré au sénateur Jacques Bardoux : “Il faut laisser à Paul Reynaud la honte de demander la capitulation. Mais il ne faut point le laisser négocier. Je vais proposer au maréchal Pétain de me confier cette tâche.”
Le 15 juin, à 15h15, Reynaud reçut Weygand. Reynaud rejetant l’idée d’armistice, prôna la cessation des hostilités en métropole, soit par une capitulation militaire à l’instar de Léopold III de Belgique, soit par un cessez-le-feu unilatéral comme au Pays-Bas, et le repli du gouvernement en Algérie - alors départements français - pour y poursuivre la guerre aux côtés de la Grande-Bretagne avec comme atouts la maîtrise des mers et les deux plus grands empires coloniaux, les deux pays bénéficiant d’un soutien matériel des Etats-Unis. Pour Weygand, il était hors de question que l’armée se déshonorât en capitulant. Le désaccord était total entre le chef du gouvernement et le chef des armées.
Le conseil des ministres se réunit à la préfecture une heure plus tard. Weygand et Darlan, amiral de la Flotte, assistèrent au début du conseil. Si les Italiens piétinaient dans les Alpes, l’avancée de la Wehrmacht se poursuivait inexorablement. Mandel s’opposa vigoureusement à la demande d’armistice et demanda que “chacun se prononce nettement.” L’hypothèse d’une capitulation ou d’un cessez-le-feu rencontrait l’opposition de Pétain et Weygand soutenus par une partie du Conseil.
Camille Chautemps, vice-président du Conseil, avança alors l’idée de demander aux Allemands leurs conditions d’armistice en argumentant que si elles étaient inacceptables, comme c’était à prévoir, le débat sur la poursuite de la guerre serait tranché. Il obtint le soutien des deux tiers des ministres, partisans de l’armistice et indécis. Mandel vit le piège. Une fois la demande expédiée, il serait impossible d’échapper à l’engrenage conduisant à la défaite. Reynaud, tenté de démissionner, se ravisa. Il attendait encore la réponse de Roosevelt à son appel à une intervention rapide dans la guerre et celle de l’Angleterre à l’éventualité d’un armistice séparé. Dans la soirée, Mandel exhorta l’ambassadeur Campbell et le général Spears à ne pas délier la France de son engagement à ne pas conclure de paix séparée. Cela pouvait dissuader des indécis de se rallier à l’armistice.
Le 16 juin fut la journée décisive. La réponse de Roosevelt fut – comme l’on pouvait s’y attendre - négative. Quant aux Anglais, après avoir indiqué que la France pouvait demander les conditions d’armistice sous réserve de mettre la flotte à l’abri dans des ports anglais, ils tentèrent de sauvegarder l’alliance en proposant une union franco-britannique avec un cabinet de guerre unifié et la fusion des parlements. Cette proposition extraordinaire fut communiquée à Reynaud par téléphone par le général de Gaulle alors à Londres, et confirmée aussitôt de vive voix par Churchill. Un nouveau conseil des ministres se réunit alors à 17h. La proposition anglaise suscita les sarcasmes et l’indignation des partisans de l’armistice. Ces derniers prétendirent y voir la volonté de faire de la France un dominion britannique ; Pétain, persuadé - comme Weygand - que l’Angleterre isolée serait rapidement vaincue, déclara que “c’était une fusion avec un cadavre” (l’historien Jean-Baptiste Duroselle écrit :”on se demande qui était le cadavre !”). Négligeant cette opportunité, le conseil débattit une fois de plus de l’armistice. Chautemps réitéra sa proposition. Le débat fut confus. Selon un pointage ultérieur, il y aurait eu une majorité en faveur de la résistance, mais il n’y eu pas de vote. Toutefois, Reynaud, comme le président de la République Albert Lebrun, furent convaincus que la majorité était en faveur de la proposition Chautemps. Reynaud, en désaccord avec Chautemps, offrit sa démission et ajouta :”Pour faire cette politique, adressez-vous au maréchal Pétain.” Ce qui fit aussitôt, à 23h, Lebrun, malgré l’avis défavorable des présidents des Assemblées. Pétain était prêt et sortit de sa poche la liste de ses ministres, tous évidemment partisans de l’armistice. Weygand était nommé à la Défense nationale, Pomaret à l’intérieur. Laval, mécontent de se voir préférer Beaudouin aux Affaires étrangères, refusa d’entrer dans ce premier cabinet Pétain. Ce n’était que partie remise, puisqu’il devint ministre d’Etat le 23 juin.
Le 17 juin, Pétain annonça à la radio qu’il demandait l’armistice et appela les soldats à “cesser le combat.” Le même jour De Gaulle quitta Bordeaux pour Londres dans un avion anglais avec Campbell et Spears, muni de 100 000 francs des fonds secrets qui lui furent remis sur ordre de Reynaud. Le 18, il lança son appel à la Résistance sur les ondes de la BBC.
On sait que le 22 juin, l’armistice fut signé avec l’Allemagne, puis le 24 avec l’Italie, les hostilités cessant le 25 juin à 0h35. Le 29 juin, Pétain et son gouvernement quittaient Bordeaux pour Vichy. Le 10 juillet, l’Assemblée nationale votait les pleins pouvoirs à Pétain qui établit l’Etat français par les actes constitutionnels du 11. La République était morte et le nouveau pouvoir n’eut de cesse de mettre Mandel hors d’état de nuire.


Paria et captif, en France puis en Allemagne
Le 17 juin, Mandel n’avait pas perdu tout espoir de faire basculer le destin en faveur de la résistance. Mais le soir même, il fut arrêté par des gendarmes avec le général Bührer alors qu’ils déjeunaient au restaurant. L’ordre d’arrestation était ainsi motivé : “menée contraire à l’ordre public.” (sic). Ces arrestations eurent lieu à l’instigation de Raphaël Alibert, nouveau sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, antisémite d’extrême-droite qui avait saisi le prétexte d’une lettre de dénonciation émanant d’un journaliste de Je suis partout, Georges Roux, accusant Mandel de réunir des armes pour s’attaquer au nouveau gouvernement et empêcher l’armistice. Le général Lafont consigna les deux mis en cause dans les bureaux de la gendarmerie et non au fort du Hâ comme prévu. Aussitôt connues, ces arrestations provoquèrent de vives réactions des présidents des assemblées et du président de la République, lequel convoqua Alibert, et de Pomaret, successeur de Mandel à l’Intérieur qui annonça sa démission si Mandel n’était pas libéré.
Vers 18h, à la demande de Pomaret et Frossard, Mandel et son compagnon d’infortune furent conduits dans le bureau de Pétain. Celui-ci évoqua un malentendu. Mandel exigea qu’il lui exprime des excuses par écrit. Pétain s’exécuta. Mandel refusa une première mouture et dicta au maréchal les termes de la seconde :
“Monsieur le Ministre,
Sur dénonciation faite au BCR aux termes de laquelle un dépôt d’armes aurait été constitué en vue d’une opération dirigée contre le gouvernement à l’instigation de MM Mandel et du général Bührer, j’ai fait procéder à l’arrestation de ces Messieurs.
J’ai acquis la conviction que cette dénonciation ne reposait sur aucun fondement et avait le caractère d’une manœuvre ou d’une provocation au désordre.
Je m’en excuse et souhaite vivement que cette malheureuse affaire n’ait pas de suite.”
Philippe Pétain.

Cette lettre, Mandel la conservera sur lui jusqu’à son dernier jour.
L’armistice n’était pas encore signé, et Mandel restait décidé à agir pour que la France poursuivît la lutte. Alors que les Allemands approchaient de Bordeaux, il fallait envisager de gagner soit l’Angleterre, soit l’Afrique du Nord. Mais les missions diligentées par Churchill pour le conduire à Londres échouèrent. Outre le fait que Mandel ne voulait pas abandonner Claude et Béatrice Bretty, il pensait encore que la solution pouvait être française en transférant les autorités en Afrique du Nord, ce qui semblait recueillir l’assentiment d’une partie de l’exécutif. Incertain de la réponse allemande à la demande d’armistice, Pétain s’était rallié à la proposition de Jules Jeanneney, président du Sénat : le président de la République, les présidents des assemblées et une partie du gouvernement partiraient en Afrique du Nord, lui-même restant en métropole avec les ministres de la Guerre, de la Marine et de l’Air et deux ministres civils.
Il fut alors question de transférer les partants à Perpignan en vue d’un embarquement à Port-Vendres. Pour les parlementaires, une autre solution se présenta. Le 20 juin en milieu de journée, un avis signé de l’amiral de la Flotte fut affiché dans les locaux dévolus aux députés et sénateurs et ainsi libellé :
“Le gouvernement, d’accord avec les présidents des Chambres, a décidé hier 19 juin que les parlementaires embarqueraient sur le Massilia aujourd’hui 20. La rivière ayant été minée à Pauillac, le Massilia n’a pas pu remonter à Bordeaux comme prévu et est resté au Verdon. C’est donc au Verdon que doivent se rendre les parlementaires, par des voitures que le gouvernement devra leur procurer […].
F. Darlan

Le Massilia appareilla à 13h le 21 juin avec à bord 27 parlementaires désireux de poursuivre la lutte. A Mandel s’étaient joints, entre autres, Edouard Daladier, Jean Zay, Yvon Delbos, André Le Troquer, César Campinchi, Pierre Viénot et Pierre Mendès France. Le paquebot accosta à Casablanca le 24 juin à 7h45. Entre temps, la situation avait radicalement changé.
Dès le 20 juin, dans la journée, une délégation était partie de Bordeaux à la rencontre des Allemands et le départ du président de la République et des présidents des chambres avait été annulé à la suite d’un conseil de cabinet réuni à l’initiative de Weygand tandis qu’Alibert produisait un faux pour empêcher les départs : un ordre avec le cachet de Pétain l’interdisait sous le prétexte fallacieux que les Allemands n’avaient pu franchir la Loire. Les parlementaires qui se dirigeaient vers le Verdon ne furent pas informés de ce contrordre et Mandel avait embarqué le soir même à 20h. Ce voyage allait s’avérer un piège. Au cours de la traversée, les parlementaires furent abasourdis en prenant connaissance de la signature de l’armistice transmise par la radio du bord, puis apprirent consternés l’entrée de Laval et de Marquet au gouvernement, le premier en tant que vice-président du Conseil et le second comme ministre d’État. Les défaitistes l’avaient emporté. Le capitaine refusa de dérouter le navire vers l’Angleterre comme le demandait Campinchi. Il ne restait qu’un espoir en arrivant au Maroc, convaincre le commandant en chef des forces d’Afrique du Nord, le général Noguès, de poursuivre la guerre. Mais on sait que sollicité par De Gaulle, Noguès refusa de le suivre dans la voie de la Résistance.
Pétain et Laval exploitèrent la situation pour discréditer puis neutraliser les adversaires de l’armistice. Dès le 24 juin, Jean Prouvost, haut-commissaire à la propagande de Pétain, stigmatisa à la radio les passagers du Massilia :”En fuyant les responsabilités qu’ils ont assumées vis-à-vis de la Nation, ils se sont retranchés de la communauté française.” Mandel était désormais à la merci de ceux qu’il avait combattus avec énergie.
Consignés à bord dans un premier temps, les parlementaires du Massilia furent autorisés à débarqués mais restèrent sous surveillance policière. Mandel fut empêché de rencontrer Duff Cooper, ministre britannique de l’Information et Lord Gort, ancien commandant du corps expéditionnaire en France, les émissaires dépêchés par Churchill pour tenter de l’exfiltrer vers Gibraltar. Vichy ne manquera pas – une fois consommée la rupture avec l’Angleterre à la suite de Mers-El-Kébir et du soutien de Londres au Général de Gaulle – d’imputer à Mandel la responsabilité de cette tentative. Gardé à vue, placé en résidence forcée, Mandel put se rendre à Alger le 1er juillet. Mais il lui fut interdit de se rendre en France pour participer à la réunion de l’Assemblée nationale à Vichy, laquelle, on l’a vu, allait voter les pleins pouvoirs à Pétain. Le 9 juillet, au Palais du Bardo, rue Michelet, devant ses compagnons du Massilia il prononça un réquisitoire contre la politique de Pétain et Laval : “En faisant l’armistice, le gouvernement français a retardé la victoire des démocraties et prolongé par conséquent l’occupation de la France et la souffrance des Français des régions envahies. Quant aux régions non occupées, elles seront presque aussi malheureuses. Les commissions allemandes ne seront pas inactives. Les Allemands ont besoin de vivres, de métaux. Il faut être naïf pour croire que nos envahisseurs n’exigeront pas du gouvernement du Maréchal tout ce dont ils auront besoin. Et le Maréchal, qui a l’allure et la tête noble, mais qui n’a pas de caractère, cédera tout avec dignité.” Il ajouta : “Nos navires de guerre doivent rejoindre les ports français de la métropole [art. 8 de la convention d’armistice]. On les désarmera et ils seront alors à la merci d’un bombardement aérien allemand, à moins que Hitler ne préfère s’en emparer.” Et il conclut : “Il fallait continuer la guerre en Afrique pour l’honneur de la France. Il fallait aussi la continuer par humanité, pour réduire la durée de la guerre mondiale, la souffrance des prisonniers et des populations.”
Le 15 juillet 1940, le général Weygand, ministre de la guerre du régime de Vichy, télégraphia : “Inculpez Mandel immédiatement” après avoir ordonné quelques jours auparavant d’ouvrir une information contre X pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. Le dossier fut confié à la justice militaire en la personne du colonel Henri Loireau et la procédure se déroula dans le protectorat marocain. Las, Loireau, magistrat intègre, rendit le 7 septembre une ordonnance de non-lieu. Derechef, Mandel fut transféré de Meknès à Oran, et embarqué dans un avion pour la France où les autorités de Vichy avaient en projet un grand procès des responsables de la défaite, procès qui serait celui de la République. En fait, Mandel ne sera jamais jugé par la Cour de Riom.
Parmi les autres passagers du Massilia, Pierre Mendès France fut arrêté le 31 août 1940, emprisonné à Clermont-Ferrand, déchu de ses mandats en tant que Juif, inculpé pour désertion, et condamné en mai 1941 à six ans d’emprisonnement. On sait qu’il parvint à s’enfuir et rejoindre les combattants de la France Libre. Le 4 octobre 1940, Jean Zay fut condamné à la déportation à vie et à la dégradation militaire. Il sera assassiné par des miliciens le 20 juin 1944. On sait par ailleurs que que le socialiste Marx Dormoy, ancien ministre de l’Intérieur du Front populaire, fut assassiné par l’extrême-droite à Montélimar le 26 juillet 1941.
“Interné administratif”, Mandel resta dans les geôles de Vichy jusqu’en novembre 1942, successivement à Chazeron (Puy-de-Dôme), Pellevoisin (Indre), Aubenas et Vals-les-Bains (Ardèche) et enfin, à partir de novembre 1941, au fort du Portalet (Pyrénées-Atlantiques) en compagnie de Paul Reynaud. Claude et Béatrice Bretty le suivaient dans son itinérance, louant des chambres dans des hôtels. Faute de pouvoir incriminer le patriotisme de Mandel, la cour de Riom fut chargée de diligenter une information pour des faits de corruption, mais l’examen approfondi de ses comptes et de son patrimoine se solda par un échec total, et il ne fut jamais inculpé.
En application de la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs, Mandel dut, à l’instar des autres parlementaires, déclarer sa religion juive. En conséquence de quoi, le 11 février 1941, il adressa le courrier suivant à Pétain :
“ Monsieur le Maréchal,
Je viens de recevoir une lettre du président de la Chambre qui me demande de vous faire savoir si je tombe sous le coup de l’article 2 de la loi du 3 octobre 1940.
Je m’empresse de vous répondre affirmativement (mots soulignés dans la lettre). D’ailleurs, pour mériter plus sûrement certaines attaques, j’ai tenu à proclamer mon ascendance juive quand, en novembre 1920, j’ai fait mes débuts à la tribune de la Chambre, en défendant la reprise des relations avec le Vatican.
Ajouterai-je (pour que vous soyez bien édifié sur le caractère des mesures que vous avez édictées par cette loi du 3 octobre) que, malgré ses origines religieuses qui me valent d’être exclu du Parlement, mon père a fait la campagne de 1870 dans le 17e bataillon de marche, il a participé à la bataille de Buzenval ; et que pour ma part, j’ai été pendant plus d’un quart de siècle le collaborateur de Clemenceau – et un collaborateur qui s’honore d’être resté invariablement fidèle à sa politique.
C’est d’ailleurs notamment pour cela, vous le savez mieux que personne, que j’ai été hostile à l’armistice, et que, sans autre motif, je suis maintenant inculpé et interné.
Veuillez agréer....”

Les Allemands et les collaborationnistes vouaient une haine particulière à Mandel ainsi qu’à Paul Reynaud. En juillet 1940, Le Pilori réclamait la mort du "Juif sanguinaire Mandel". Le 27 août 1940, Abetz fit piller son domicile parisien, au 67, avenue Victor Hugo (XVIe arr.), domicile dans lequel, en avril 1941, le RNP de Déat fixa son siège. L’ambassadeur du Reich déclara :”Reynaud et Mandel sont deux hommes que j’étranglerais de mes propres mains.” Il proposa à Ribbentrop d’exiger de Vichy leur extradition afin de les fusiller à la place de “gardes territoriaux” condamnés à mort pour avoir combattu en 1940 des aviateurs et parachutistes allemands derrière les lignes, gardes que les Allemands considéraient comme des francs-tireurs. Darlan appuya cette idée. Ribbentrop l’écarta mais exigea qu’ils fussent condamnés à la détention à perpétuité, ce que l’amiral accepta le 8 août 1941.
Du Portalet, Mandel parvint, par l’intermédiaire de Philippe Roques, à faire parvenir un message daté du 20 août 1942 au général de Gaulle. Il y exprimait son adhésion au combat mené par le chef de la France Libre et la reconnaissance de son autorité : "Notre malheureux pays a été livré, depuis le 17 juin 1940, à des gouvernements qui se sont constitués, à des degrés divers, les serviteurs de l’ennemi. Il faudra, tout en remettant la France dans la guerre, commencer par effacer d’un trait de plume l’ensemble des mesures politiques qu’ils ont prises et restaurer la République. […] J’accepte par avance votre arbitrage. Ce qui importe par-dessus tout, c’est que vous soyez le chef, le chef incontesté de ce gouvernement [provisoire de Libération], et que vous ayez votre complète liberté d’action.”
Les préparatifs d’une évasion de Reynaud et Mandel furent interrompu par l’invasion de la zone dite libre par les Allemands le 11 novembre 1942 à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord. A 9h du matin, les SS arrivèrent au Portalet. Le 20 novembre, le colonel SS Knochen, chef de la Sipo-SD en France, supervisa le transfert de Mandel et Reynaud à Bordeaux puis à Tours ; de là, un train les achemina au camp de concentration d’Oranienburg au nord de Berlin. Mandel y fut maintenu au secret pendant six mois. Mais il parvint à communiquer avec Reynaud avant le transfert de ce dernier en avril 1943. En mai 1943, Mandel fut à son tour transféré à Buchenwald où il fut détenu dans une villa en bois entourée d’une palissade, à l’écart du camp. Il y retrouva Léon Blum, et pendant quelques temps Reynaud avant que ce dernier ne rejoigne Daladier, Gamelin et Jouhaux dans la forteresse d’Itter en Autriche. Tandis que Blum obtint de faire venir Jeanne Reichenbach et de l’y épouser, Mandel renonça à demander que Béatrice Bretty fût autorisée à quitter Pau pour le rejoindre, sa fille Claude, alors âgée de 14 ans, ayant besoin de sa présence.


L’assassinat de Georges Mandel par des miliciens en forêt de Fontainebleau ( 7 juillet 1944)
Cet assassinat intervint dans l’été 1944, alors que l’occupant intensifiait la répression de la Résistance et les représailles sur les civils, avec la participation de Vichy devenu un Etat milicien au sein duquel les ultras de la collaboration avaient fait leur entrée, Déat au Travail, Henriot à la propagande, Darnand – chef de la milice – en charge du maintien de l’ordre, puis nommé secrétaire d’Etat à l’Intérieur le 14 juin. A Paris, les collaborationnistes ne cessaient d’exiger les mesures les plus radicales, des représailles impitoyables, se méfiant - non sans raisons – d’éventuelles manœuvres de Laval pour parvenir à une entente politique de dernière minute avec des parlementaires et les Américains. D’où - en coordination avec les SS – une politique de la terre brûlée.
On sait que dès le 20 juin, des miliciens assassinèrent Jean Zay. L’exécution de Philippe Henriot par un commando de résistants à Paris le 28 juin, et, à Alger, l’exécution de combattants pro-allemands en Tunisie ainsi que la condamnation à mort du colonel Magnien, un des chefs de la Légion tricolore, conduisirent, en représailles, à l’assassinat de Mandel.
Dès le 15 mai, Abetz avait proposé de livrer Blum, Reynaud et Mandel au gouvernement de Vichy et de les faire fusiller par des Français en représailles à l’exécution de combattants de Tunisie. Le 30 mai, Hitler donna son aval à l’opération. Si Blum et Reynaud échappèrent à l’exécution, Mandel fut victime d’une opération combinée des SS et de miliciens, à l’insu semble-t-il de Darnand, de Laval et de Pétain, ces deux derniers portant cependant la responsabilité du sort réservé à Mandel de 1940 à 1942.
Selon le témoignage de Fernand de Brinon à la Libération, “La livraison de Mandel était une décision d’Himmler, transmise par Oberg [chef de la police allemande en France]. Une mesure prise en représailles de l’assassinat de Philippe Henriot.”
Le 4 juillet, un avion déposa Mandel à Reims et il fut conduit à Paris en voiture. Il fut d’abord détenu dans des locaux de la Sipo-SD, un hôtel particulier sis 3 bis square du Bois-de-Boulogne, sous la garde de Julius Schmidt, adjoint de Knochen. Ce dernier en informa Max Knipping, représentant de Darnand en zone nord. Le 6 juillet, ils se concertèrent sur la marche à suivre.
Le 7 juillet en début d’après-midi, Mandel fut transféré par Knochen et la Sipo-SD à la prison de la Santé dont le directeur avait été prévenu par André Baillet, directeur de l’administration pénitentiaire. Mandel protesta contre l’irrégularité de sa détention et refusa de se soumettre aux formalités d’écrou. A 17h, Baillet informait le directeur que Mandel allait être transféré au château des Brosses près de Vichy, un centre d’internement de la Milice.
En fin d’après-midi, trois voitures venant du siège de la Milice, 44 rue Le Peletier, se présentèrent à la Santé. La première était conduite par Jean Mansuy, au casier judiciaire chargé, responsable d’une brigade de sécurité de la Milice ; avec lui, Pierre Boéro, militant du PSF, milicien depuis mars 1944, chef des services de sécurité à Paris, Georges Néroni, Niçois connu de Darnand, et enfin Pierre Lambert, mécanicien et chauffeur de la Milice. Dans le second véhicule, Paul Fréchoux, chef du service de sécurité pour la zone Nord, le SS Schmidt, et deux autres miliciens, Vernon et Temple. Dans la troisième, Max Knipping et son chauffeur.
A 17h, Max Knipping signa la levée d’écrou, puis repartit vers le siège de la Milice. Mandel prit place dans la Citroën traction avant conduite par Mansuy qui prit la direction de la Porte d’Italie suivie par la voiture de Fréchoux et Schmidt.
Dans la forêt de Fontainebleau, au carrefour de l’Obélisque, les véhicules prirent la direction de Nemours. Mansuy prit de l’avance sur Fréchoux et s’arrêta dans un chemin sous prétexte d’une panne. Les passagers descendirent de voiture. Mandel fit quelques pas, puis fut fauché dans le dos par une rafale de mitraillette tirée par Mansuy. Ce dernier l’acheva par deux balles tirées à bout portant, à la tête et au cou. Il était environ 19h. Fréchoux et Schmidt rejoignirent Mansuy. Fréchoux ordonna de transporter le corps de Mandel à la morgue de l’hôpital civil de Versailles. On retrouva sur lui la lettre de Pétain et un papier tâché de sang, avec écrit  : «  Vichy, terreur blanche, bibliothèque rose, marché noir.  »
L’assassinat fut maquillé en attentat, Mansuy tirant une rafale sur la voiture ayant transporté Mandel. Le docteur Paul fut chargé de l’autopsie et reconnu Mandel. Il fit prévenir des proches qui reconnurent le corps. Mandel fut inhumé le 13 juillet au cimetière des Gonards à Versailles, en présence de huit assistants. Claude Mandel et Béatrice Bretty, en résidence à l’Hôtel de France à Pau, ne purent être prévenues.
Le 8 au matin, Laval, qui croyait encore Mandel en Allemagne, fut informé de sa mort par un appel de Darnand. Pour lui, l’assassinat ne fit aucun doute. Il contacta de Brinon à Paris, lequel était alors en compagnie de Knipping. Les explications de ce dernier furent confuses. Brinon dit à Laval que “les milieux SS de Paris sont très satisfaits de la mort de Mandel. […] Ils n’ont qu’un regret, c’est qu’il n’ait pas été régulièrement exécuté par le gouvernement français.” On découvrit à la Libération un téléscript de Knipping adressé à Francis Bout de l’An, secrétaire adjoint de la Milice le 8 juillet, qui confirme que ce ne fut pas Darnand qui donna l’ordre de l’assassinat, mais qu’il fut une initiative des ultras parisiens : “Mon opinion est que tout en étant loyaux au gouvernement, il faut que nous représentions l’élément révolutionnaire qui le pousse à faire ce qu’il n’a pas fait par tempérament et qui depuis trois ans nous conduit dans l’impasse où nous nous trouvons. Ne pas agir dans l’affaire d’hier aurait eu pour conséquence de nous faire perdre entièrement la confiance des SS.”
Après la Libération, et conformément à ses volontés, Georges Mandel fut inhumé au cimetière de Montmartre avec ses parents. Il repose aujourd’hui avec sa fille au cimetière de Passy.
Mansuy disparut lors des combats de la Libération dans des circonstances troubles. Il aurait tenté d’infiltrer les FFI, aurait été reconnu et abattu. Fréchoux se réfugia en Amérique Latine. Jugés par la cour de justice de la Seine, si Boéro et Néroni furent acquittés du meurtre de Mandel, ils n’en furent pas moins reconnus coupables d’intelligence avec l’ennemi, condamnés à mort et fusillés le 28 novembre au Fort de Montrouge ; Lambert fut condamné à la peine de 20 ans de travaux forcés. Enfin, Knipping fut condamné à mort le 5 février 1947 pour ses responsabilités dans la Milice et fusillé à Montrouge le 18 juin suivant.


Pour mémoire
Une stèle commémorative fut érigée en forêt de Fontainebleau à l’endroit de l’assassinat de Georges Mandel. Elle est située en bordure de la D607, à 2 km de l’Obélisque, à l’embranchement de la route de Recloses. Elle porte l’inscription : “ En ce lieu Georges Mandel est mort assassiné par les ennemis de la France le 7 juillet 1944 - Lorsqu’il fut tombé sanglant dans la poussière les mains de la Victoire ont fermé ses paupières (Tristan l’Hermite)”. Œuvre de Charles Nicot, cette stèle a été inaugurée le 8 juillet 1946 en présence de Michel Clemenceau, Paul Reynaud et Léon Blum.
Une plaque à sa mémoire a été apposée sur le mur du cimetière de Passy longé par l’avenue qui porte son nom depuis 1945.
Il obtint la mention Mort pour la France, et le titre d’Interné résistant lui fut attribué par décret en date du 20 février 1961.
Le nom de Mandel fut choisi par la promotion des commissaires de Police en 2006.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article238428, notice MANDEL Georges [Louis ROTHSCHILD dit] par Dominique Tantin , version mise en ligne le 16 février 2021, dernière modification le 25 février 2021.

Par Dominique Tantin

Georges Mandel en 1932
Georges Mandel en 1932
Stèle commémorative inaugurée en 1946 en forêt de Fontainebleau, sur les lieux de l'assassinat de Georges Mandel.
Stèle commémorative inaugurée en 1946 en forêt de Fontainebleau, sur les lieux de l’assassinat de Georges Mandel.
Plaque commémorative avenue Georges Mandel (Paris, XVIe arr.), sur le mur du cimetière de Passy.
Plaque commémorative avenue Georges Mandel (Paris, XVIe arr.), sur le mur du cimetière de Passy.

SOURCES  :
Bertrand Favreau, Georges Mandel ou la passion de la République, 1885-1944, Paris, Fayard, 1996. — Jacques Delperrié de Bayac, Histoire de la Milice, 1918-1945, Paris, Fayard, 1969. — Jean-Baptiste Duroselle, Politique étrangère de la France, L’abîme, 1939-1944, Paris, Seuil, Points Histoire, 1986. — Dictionnaire historique de la Résistance, François Marcot (dir.), 21 juin 1940, le départ du Massilia, pp. 593-594. — Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, L’Appel, 1940-1942, Paris, Plon, Presses Pocket, p. 76. — Service historique de la Défense, Caen, AC 21 P 666560 (consulté) ; Vincennes GR 16 P 521496 (nc). — Acte de naissance (Arch. dép. des Yvelines en ligne). — Musée de la Résistance en ligne (stèle en forêt de Fontainebleau). .

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