PARIS Robert, Louis, Georges

Par Philippe Bourrinet

Né le 8 janvier 1937 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 24 septembre 2020 à Arras (Pas-de-Calais) ; enseignant-chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, éditeur en français des œuvres d’Antonio Gramsci.

D’origine italienne par sa mère (née Georgette Mazzini), Robert Paris s’intéressa très tôt aux mouvements révolutionnaires et intellectuels des pays latins (Italie et Amérique latine). Il développa sa vie durant un solide travail de chercheur au croisement de l’histoire des mouvements sociaux et révolutionnaires et de la philosophie politique. Sous la direction du philosophe Georges Canguilhem (1904 -1995), professeur à la Sorbonne, il soutint un mémoire de maîtrise sur le philosophe et historien napolitain Giambattista Vico (1668-1744).

Publiée chez Maspero en 1962 à l’âge de 25 ans, son histoire du fascisme en Italie (jusqu’en 1922) attira immédiatement l’attention d’intellectuels de sensibilité marxiste se plaçant en dehors de la sphère du PCF. Cet ouvrage fut suivi d’un court ouvrage de synthèse, paru en 1968, sur les origines du fascisme. Robert Paris participa activement aux événements de Mai 68. Il fut l’un des animateurs de l’université d’été à Jussieu, où des amphithéâtres furent réquisitionnés pour donner des « cours militants » aux étudiants les plus mobilisés.

Son travail sur l’Italie antifasciste, vite reconnu en Italie (mais aussi en Espagne), permit à Robert Paris de publier en italien, en 1975, une longue étude, chez Einaudi à Turin, qui fit date sur « L’Italie hors de l’Italie » (Italia fuori d’Italia nella Storia d’Italia), Einaudi.

À côté de ce travail spécifique sur le fascisme et l’antifascisme, Robert Paris contribua à faire connaître la pensée politique de José Carlos Mariátegui (1894-1930). Sa thèse de 3e cycle (1969-1970) est consacrée au penseur marxiste et indigéniste péruvien. Celui-ci exilé deux années en Europe (France, Allemagne, Autriche et Italie), était présent en Italie en 1920 lors du mouvement d’occupation des usines de Turin. Il participa en janvier 1921 au Congrès de Livourne du Parti socialiste italien, dont la scission est l’acte de naissance du Parti communiste d’Italie. Rien ne permet d’établir que Mariátegui ait noué des liens avec Gramsci, qui resta particulièrement silencieux lors de ce congrès. Mariategui rapporta d’Italie non le « gramscisme » mais une épouse italienne : Anna Chiappe.

Robert Paris consacra de 1974 à 1992 une partie considérable de son travail de chercheur au militant politique et théoricien idéaliste (influencé par Benedetto Croce) Antonio Gramsci. Il traduisit les articles et textes politiques du dirigeant sarde courant de 1915 à 1926, sans cacher les faiblesses de ce dernier. Il « réhabilita » au passage, tant dans ses introductions que dans ses notes, la personnalité charismatique d’Amadeo Bordiga luttant énergiquement contre la dégénérescence du Komintern, y compris contre Gramsci. Les Cahiers de prison (Quaderni dal carcere) du dirigeant communiste emprisonné, rédigés entre 1929 et 1935, furent traduits pour la première fois en français, sous son exigeante direction scientifique, et publiés intégralement en 5 volumes dans la « Bibliothèque de philosophie » de Gallimard. Cet immense travail de traduction et d’édition permit de mieux saisir, dans la sphère francophone, les origines intellectuelles du « gramscisme ».

Au cours des années 1990 et au-delà, Robert Paris ne put mener à bien la réalisation du un Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier d’Amérique latine, une tâche immense qui dépassait ses propres forces et que sa minutie extrême retardait.
Robert Paris enseigna à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris jusqu’à sa retraite. Celle-ci fut fortement assombrie par la disparition de son épouse et de graves problèmes de santé (un AVC) qui le laissèrent handicapé, isolé et dépendant dans un « établissement d’hébergement » médicalisé à Arras.
Robert Paris, aussi modeste que discret, n’a jamais cherché à faire carrière. Il était porté par de fortes convictions internationalistes, qui transcendaient son propre champ de recherche académique. Dans des échanges confiants noués avec des chercheurs dont il appréciait le travail non-académique, il aimait souligner que, quotidiennement, il lisait, relisait, et interrogeait de façon critique les textes du Komintern, ceux de « la bonne période » révolutionnaire, de 1919 à 1926.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article238454, notice PARIS Robert, Louis, Georges par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 16 février 2021, dernière modification le 30 juin 2022.

Par Philippe Bourrinet

ŒUVRE : Histoire du fascisme en Italie, coll. « Cahiers libres » n° 37-38, François Maspero, Paris, 1962. — « José Carlos Mariategui et le modèle du ‘communisme’ inca », in Annales, vol. 5, n° 1, sept.-oct., 1966, p. 1065-1072. — Les origines du fascisme, Paris, « Questions d’histoire », Flammarion, Paris, 1968, 140 pages [Traduction espagnole : Los orígenes del fascismo, Ediciones Península, Barcelone, 1969]. — José-Carlos Mariátegui. Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne [« 7 ensayos de interpretación de la realidad peruana »]. Traduit par Roland Mignot. Préface de Robert Paris (éd.), Paris, François Maspero, 1968 [direction éditoriale de la version italienne : Sette saggi sulla realtà peruviana e altri saggi politici, Einaudi, Turin, 1972]. — La formation idéologique de José Carlos Mariátegui, Paris, École pratique des hautes études, 1969 (thèse de 3e cycle, 2 vol.) [Traduction espagnole : Pasado y Presente, Mexico, 1981, 226 pages]. — « La Terza Internazionale e l’America Latina », Movimento Operaio e Socialista, octobre-décembre 1969, XV-4, p. 311-334. — « L’Italia fuori d’Italia », in Ruggiero Romano et Corrado Vivanti, Storia d’Italia, vol. IV, “Dall’ Unità a oggi”, Einaudi, Turin, 1975, p. 509-619. — Direction éditoriale de Gramsci en français : Écrits politiques, tome I à III, coll. « Bibliothèque de philosophie), Gallimard, Paris, 1974, 1975, 1980. — Cahiers de prison, tome I (1996), II (1983), III (1978), IV (1990) et V (1992), Gallimard, Paris. — "Les dictionnaires d’Amérique latine : entre mouvement ouvrier et classes subalterne"s, in Matériaux pour l’histoire de notre temps n° 34, 1994, p. 36-38, en ligne. — « Biografias e ‘Perfil’ do Movimento Operario – Algumas reflexões em torno de um dicionario », Revista brasileira de historia, numéro spécial « Biografia, biografias », vol. 17, n° 33, 1997, p. 9 à 31. — . Robert Paris était aussi un bon connaisseur de l’anarchisme italien, notamment de Bakounine et Malatesta, et des mouvements anarchistes en Amérique latine. (voir le catalogue du CIRA).

SOURCE : Antonio Bechelloni, « Un ricordo di Robert Paris (1937-2020) », Laboratoire italien, 25 | 2020, mis en ligne le 15 décembre 2020.

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