FABRE Henri. Pseudonyme : DAYEN Henri

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 14 juillet 1876 à Ayen (Corrèze) [d’où son pseudonyme], mort le 25 novembre 1969 à Brive (Corrèze) ; journaliste socialiste, fondateur et directeur de journaux.

Henri Fabre quitta sa région à l’âge de treize ans pour venir à Paris où il exerça divers métiers : garçon de laboratoire, employé de bureau dans un hôtel, employé de commerce dans plusieurs maisons. À l’âge de quinze ans, il envoya des articles à L’Union des employés, journal syndical, ce qui lui valut d’être mis à l’index par le patronat. Il quitta Paris et fit son tour de France. À Lyon, il créa un hebdomadaire, La Jeunesse nouvelle (n° 1, 5 décembre 1896), au moment où Sébastien Faure* fondait à Paris Le Libertaire, journal auquel Henri Fabre envoya des articles.

De retour à Paris, Henri Fabre remplaça Mme Henry Oriol à l’administration de la Librairie du Progrès. Celle-ci entreprit la refonte du Dictionnaire Maurice Le Châtre, et Fabre y apporta sa collaboration.

Autour de 1900, il fut proche de Fernand Després, Sébastien Faure, André Girard, Gaston Havard, dit Jean Marestan, et Eugène Merle. Un temps, il vécut avec Victor Méric, Jean Marestan et d’autres proches dans un hôtel que leur avait donné Marie de Saint-Rémy, admiratrice de Sébastien Faure, spirite et guérisseuse anarchiste, qui avait fondé plusieurs journaux éphémères, dont Le Christ anarchiste (Toulon, 12 numéros de juin 1895 à janvier 1897), sous-titré « Revue universelliste. Organe scientifique, politique, philosophique, occultiste, justicier ».

Henri Fabre fut impliqué dans la rédaction du Dictionnaire La Chatre jusqu’à la seconde édition, commercialisée après 1910, et il logeait sur place, louant à la famille Oriol, pour la modique somme de 110 francs par an, un local lui servant de bureau et sans doute de logement puisque c’est à cette adresse qu’est accordé, à M. et Mme Fabre, un droit visite à Eugène Merle emprisonné, en 1908. Il évoqua cette période lors d’un hommage à Victor Méric : « Entre temps, je dirigeais la Librairie du Progrès où nous éditions le dictionnaire encyclopédique Maurice La Châtre. J’avais comme collaborateur Victor Méric, Almereyda, André Girard qui m’avait même précédé dans la maison comme rédacteur. C’est une encyclopédie anarchiste. Les mots Autorité, Armée, l’école du crime, y est-il dit, Anarchie, Communisme, tous les mots enfin se prêtant à interprétation et à développements libertaires y sont particulièrement soignés. »

Durant cette période, Fabre fut à l’initiative du lancement, en 1906, de La Guerre sociale, de Gustave Hervé, alors emprisonné avec d’autres pour avoir signé l’ « Affiche rouge » appelant à l’insurrection en cas d’ordre de mobilisation : « Je songeais à leur donner un moyen d’expression, dès leur libération. J’entretins de ce projet Victor Méric, puis les condamnés qui, naturellement, avaient eu la même idée. Le titre : La Guerre Sociale avait été trouvé à la Santé. » En 1908, il créa un hebdomadaire, Les Hommes du jour, dans la tradition des journaux d’André Gill*, La Lune, L’Éclipse, chaque numéro présentant la biographie d’un personnage rédigée non sans humour par Victor Méric*, sous la signature « Flax », tandis qu’une truculente caricature de Delannoy donnait les traits du personnage. Les Hommes du jour ont paru sous cette forme jusqu’après 1918. La publication continua jusqu’en 1939 avec des collaborateurs divers, la caricature étant remplacée par un cliché photographique. Henri Fabre compléta la série des Hommes du jour par les Portraits d’hier, consacrés à des célébrités des lettres, des arts, de la politique ayant vécu au XIXe siècle.Le comité de rédaction comptait parmi ses membres Miguel Almeyreda, François Crucy, Aristide Delannoy Paul-Louis Garnier, Gustave Hervé, Francis Jourdain, René de Marmande, Victor Méric, Georges Pioch, Maurice Robin, Paul Signac, Léon Werth, notamment.

Après un temps « union sacrée », Henri Fabre, demeuré au fond de lui-même pacifiste et libertaire, refusa la guerre et créa en 1916 Le Journal du Peuple, un quotidien qui s’ouvrit sur un article de Séverine* : « Prière à l’Innommée » (la Paix). Le Journal du Peuple servit de tribune au mouvement socialiste minoritaire et eut de nombreux démêlés avec la censure. Y collaborèrent L.-O. Frossard*, Maurice Delépine, Charles Rappoport*, B. Mayéras*, G. Pioch*, Boris Souvarine*. Après la guerre, Fabre accueillit des textes d’Henri Jeanson et offrit à Han Ryner une tribune hebdomadaire dans laquelle il prenait fait et cause pour les réfractaires, les insoumis et les prisonniers politiques.

Le journal parut jusqu’en 1922. En 1918, peut-être en vue de faire en pays limousin une carrière politique, Henri Fabre créa à Brive un hebdomadaire, La Corrèze républicaine et socialiste, qui toucha une assez large clientèle et dont il assura la direction jusqu’en 1966, donnant chaque semaine un article plein de bon sens, écrit avec aisance et non sans talent.

Sa participation au mouvement socialiste minoritaire devait amener Henri Fabre à soutenir la Révolution russe, même celle de novembre 1917, et bien que son tempérement libertaire ne l’attirât point vers un parti politique à discipline rigoureuse, il adhéra au Parti communiste. Il devait y faire un court séjour après avoir été délégué de la Seine au congrès de Strasbourg, puis avoir participé au congrès de Tours. Il fut exclu en 1922 « par ordre de Moscou » après le IVe congrès de l’Internationale communiste, ce dont il tirait presque vanité. Il écrivit dans Le Monde du 25 septembre 1952 :
« Le Journal du Peuple était l’organe quasi officiel du comité de la troisième : Raymond Lefèvre*, Vaillant-Couturier*, Victor Méric*, Brizon*, Verfeuil*, Souvarine*, Rappoport*, Henry Torrès* – sénateur de la Seine aujourd’hui – et d’autres encore. Ses colonnes étaient largement ouvertes à tous ces collaborateurs qui, depuis, furent exclus à leur tour – à part Charles Rappoport*, qui s’était retiré de lui-même. Ce n’est qu’à Tours que je vis clair dans le jeu bolcheviste. Les vingt et une conditions, l’entrée en scène d’une militante allemande, Clara Zetkin, je crois, le télégramme de Zinoviev (le fameux coup de pistolet), déterminèrent ma conviction. J’étais donc prêt à me retirer et à suivre Marcel Sembat*, Pierre Renaudel*, etc., dont les conjurés désiraient se débarrasser. Sur la pression de Souvarine, Rappoport, Henry Torrès, je restai avec la majorité, étant bien entendu que je gardais ma complète liberté d’expression. J’abusais d’autant mieux de cette liberté que Le Journal du Peuple et moi-même furent traduits devant la commission des conflits de la Seine. Celle-ci refusa de nous exclure étant donné les services rendus. Mais à Moscou, Trotsky et Souvarine veillaient. Le présidium fut, par leurs soins, saisi de notre cas. Ce ne fut pas long : l’exclusion sans phrase fut ordonnée. »

La chronologie du conflit peut être suivie au travers des différents documents de l’Internationale communiste. Les 15 et 19 décembre 1921, l’exécutif de l’Internationale exprimait au comité directeur son désaccord avec certains articles du Journal du Peuple. Le 18 mars 1922, le comité exécutif de l’IC décidait d’exclure Henri Fabre en application de l’article 9 des statuts. En France, le comité directeur avait, le 13 avril 1922, demandé cette exclusion, mais la majorité de la commission des conflits avait alors protesté et démissionné. Aussi la commission avait-elle été dissoute. Pour le comité exécutif de l’IC, cette exclusion était effective en date du 9 mai. Toutefois rien n’était réglé en juin 1922, comme le prouve un rapport d’Humbert Droz : à la réunion du CD, le 23 juin, une majorité avait rejeté la proposition du CE de l’IC. Il fallut attendre le congrès de Paris (octobre 1922) pour que l’exclusion fût votée.

En avril 1928, Henri Fabre fut candidat « socialiste indépendant » aux élections législatives dans la circonscription de Brive-Sud ; il se désista pour le candidat radical arrivé en tête au premier tour. En 1929, il fut candidat aux élections municipales à Paris. Jusqu’en 1940, il resta fidèle à la tactique traditionnelle d’union des gauches qu’il avait pratiquée autrefois. Il poursuivit cette politique après la Libération.

Une amitié de longue date avec Pierre Laval lui permit, moyennant certaines précautions, de publier à Brive, où il s’était réfugié en 1940 et qu’il ne quittera plus, La Corrèze républicaine et socialiste sous le régime de Vichy. Il subit néanmoins quelquefois les rigueurs de la censure – selon H. Coston, il eut des heurts avec Vichy à propos de la Légion des combattants dont il désapprouvait la création – et fut même arrêté et relâché. Il prit également position contre l’assassinat par des miliciens de Maurice Sarraut, directeur de la Dépêche de Toulouse, républicain radical qui avait accepté la collaboration mais s’était opposé à la création de la Milice.
À la Libération, La Corrèze républicaine et socialiste fut interdite pour des raisons patriotiques, ce qui réjouissait ses rivaux. Lorsque son journal reparut, Henri Fabre voulut se venger.

En 1953, il fut poursuivi pour « apologie de crimes de guerre » alors qu’il dénonçait les excès commis pendant la Libération. Il était allé jusqu’à écrire : « Les actes des Francs-Tireurs autorisent l’ennemi à avoir recours à des représailles. » Il fut condamné de nouveau à 20 000 F d’amende pour « apologie » des affaires de Tulle et d’Oradour. Certains confrères le firent condamner à 20 000 F d’amende pour diffamation le 17 juillet 1953 et le jugement en appel fut rendu avec une rare promptitude, le 11 mars suivant. La cour de cassation confirma encore plus rapidement, le 4 mai de la même année.

En 1964, âgé de quatre-vingt-huit ans, il fut encore poursuivi pour « outrages au président de la République ». Le tribunal abandonna toutefois les poursuites.

Dans les dernières années de sa vie, Henri Fabre, doyen des journalistes français, n’avait plus la responsabilité du journal, mais donnait encore un bloc-notes hebdomadaire à La Corrèze républicaine, dirigée par Roland Dumas. Il laissa dans la presse française le souvenir d’un journaliste habile, au style simple, sans apprêt, et d’un fondateur et directeur de journaux avisé.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23857, notice FABRE Henri. Pseudonyme : DAYEN Henri par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 8 décembre 2008, dernière modification le 29 juin 2021.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

SOURCES : Arch. Nat., F7/12992, F7/13264. — Arch. J. Maitron. — Arch. Dép. Seine-Saint-Denis, ex-IMTh., bobines n° 29 et 37. — « Henri Fabre », numéro des Hommes du Jour publié en avril 1928. — Série d’articles d’H. Fabre dans La Corrèze républicaine, 1960. — Liberté, 1er janvier 1970 (article d’A. Croix). — Le Congrès de Tours, édition critique, op. cit. — Henry Coston, Dictionnaire de la politique française, t. 1, Paris, 1967. — Nathalie-Noëlle Rimlinger (avec la collab. de François Gaudin), Henri Fabre et le combat anarchiste des Hommes du Jour (1908-1919), Paris, Les Editions du Champtin, 2012, 136 p. — Collectif, Victor Méric, sa vie, son œuvre, par ses amis, Paris, éditions de la « Patrie humaine », 1934. — Notes de J. Girault, A. Perrier et François Gaudin.

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