BUET Jean, Louis, Maurice

Par François Daniellou avec Jean-Paul Richez

Né le 7 octobre 1929 à Caen (Calvados), mort le 23 juillet 2012 à Caen ; ajusteur-tourneur, agent conditions de travail puis ergonome à la Saviem (1974-1987) ; syndicaliste de la métallurgie CFTC puis CFDT, permanent syndical FGM de la région Basse-Normandie (1961-1974), membre du bureau fédéral de la FGM (1962-1974).

Jean Buet en 2006.

Né dans une famille normande de cinq enfants, d’un père chauffeur de bus et d’une mère femme au foyer, il entra après le certificat d’études, en 1942, dans un centre d’apprentissage pendant quatre ans et obtint, en 1946, un CAP d’ajusteur et un CAP de tourneur. Il fut recruté la même année dans une entreprise de réparation navale à Caen, où il travailla jusqu’en 1960.
En 1943, il adhéra à Caen au mouvement scout chrétien alors entré dans la clandestinité. Il y prit des responsabilités qui le conduisirent à rencontrer en 1950 Alain Wisner, à l’époque interne en médecine spécialisé en otorhinolaryngologie, qui jouera un rôle important dans son itinéraire.
Jean Buet découvrit l’action syndicale en 1952, à l’occasion d’une grève longue à la Société métallurgique de Normandie (SMN), située à proximité de l’entreprise de réparation navale dans laquelle il travaillait. Jean Buet prit l’initiative d’organiser une collecte pour venir en aide aux ouvriers de cette entreprise. Convaincu par un militant CFTC de la SMN rencontré pendant cette mobilisation, il se syndiqua à la CFTC. Trois ans plus tard, aux côtés de Claude Cagnard*, secrétaire général de l’Union régionale CFTC, il contribua à l’animation de la grève déclenchée dans quatre des six usines Ferodo du Calvados, spécialisées dans la fabrication de garnitures de frein et d’embrayage à base d’amiante et implantées à proximité de Condé-sur-Noireau (Calvados). La mobilisation de 1 300 travailleurs, qui dura trois semaines, débuta en mars 1956 à la suite d’une mise à pied illimitée, pour déplacement non autorisé, d’un délégué assurant une mission d’affichage. Cette sanction faisait suite à une première mise à pied de trois jours contre un autre délégué CFTC qui, lui, avait refusé de balayer les poussières d’amiante sur son poste de travail. Les ouvriers ne reprirent le travail qu’après avoir obtenu la réintégration du représentant syndical qui venait d’afficher sa candidature aux élections professionnelles. Étonné par les difficultés respiratoires des manifestants, Jean Buet découvrit à cette occasion les troubles pulmonaires des ouvriers occasionnés par l’exposition aux poussières d’amiante, alors que la maladie professionnelle asbestose était reconnue depuis 1945 – comme la silicose, sous le terme de « fibrose », au tableau 25 des maladies professionnelles –, puis de façon spécifique en 1950, au tableau 30. Ferodo n’avait cependant pas répercuté l’information auprès des salariés.
De 1953 à 1961, il participa pendant ses congés à de nombreuses Écoles normales ouvrières (ENO), comme la session dans laquelle intervint Pierre Mendès-France.
En 1960, la métallurgie CFTC se développa et Jean Buet devint permanent syndical du département du Calvados. Cette même année, il participa au congrès, et sur proposition fédérale fut élu membre du conseil , organe directeur de la fédération entre deux congrès. Ce mandat fut renouvelé en 1962. En 1964, les 17 et 18 octobre, Jean Buet participa à la réunion du conseil national de la métallurgie. Cette réunion extraordinaire avec plus de 100 participants avait pour but de décider des positions de la fédération au congrès extraordinaire de la CFTC, prévu les 6 et 7 novembre 1964 pour l’évolution de la CFTC en CFDT. A l’instar de son secteur très majoritairement favorable à la déconfessionnalisation, il poursuivit l’action engagée dans le cadre de la CFDT. Il contribua notamment en 1965 à l’animation d’une grève chez Jaeger (mécanique) pour de meilleures qualifications. Il fut élu membre du conseil en 1965, 1968 et 1971, et en 1968 et 1971 membre de la commission exécutive fédérale composée de 13 membres.
À cette époque s’implantèrent en Basse-Normandie de nombreux ateliers taylorisés, fonctionnant à la chaîne et au rendement, décentralisés de la région parisienne. En 1963-1964, la Fédération générale de la métallurgie (FGM), plus habituée aux conditions de travail des salariés masculins, souhaite mieux appréhender le travail des femmes, notamment dans les ateliers d’électronique. Jean Buet contribua à la prise de contact avec Alain Wisner, devenu chercheur en ergonomie au Conservateur national des arts et métiers (CNAM), qui mit en place avec Antoine Laville une première enquête scientifique sur le travail des femmes de l’industrie électronique dès 1965. Les chercheurs n’étant pas autorisés à rentrer dans les usines, les syndicalistes organisèrent les rencontres avec les ouvrières dans les locaux syndicaux, avec des plans et des maquettes des postes de travail. Le couple Buet fut à l’origine de la rencontre en 1967 entre Alain Wisner et Catherine Cailloux Teiger, jeune psychologue qui deviendra une figure de l’ergonomie francophone. Cette recherche sur les ouvrières de l’électronique fut la première d’une série. Elles se poursuivirent avec Antoine Laville, Catherine Teiger et Jacques Duraffourg qui mirent en évidence les activités cognitives complexes des supposées « travailleuses manuelles ».
En janvier 1968, éclata, d’abord à la Saviem à Blainville-sur-Orne (Calvados) puis dans six entreprises, une grève très dure, portant notamment sur le travail répétitif et les conditions de travail, que Jean Buet contribua à animer avec notamment Guy Robert, délégué Saviem. Jean Lacouture parla dans Le Monde de « jacquerie ouvrière ». La répression très brutale fut dirigée par le préfet Pontal, ancien directeur de la sécurité nationale d’Algérie. Jean Buet conduisit pendant trois ans la bataille juridique en vue de la condamnation de la Saviem pour le licenciement de Guy Robert, et pour sa réintégration, obtenue en 1972.
En mai 1968, un groupe d’étudiants en grève de la faculté de médecine de Caen proposèrent une recherche sur la santé et l’amiante chez Ferodo. Si la direction interdit l’entrée des usines et les médecins du travail refusèrent de collaborer, l’initiative permit les premiers contacts entre ces étudiants et l’équipe CFDT, fortement implantée sur les différents sites. Peu après ces étudiants s’organisèrent au sein de Secours rouge.
La détermination des travailleurs se maintint à Condé-sur-Noireau après Mai 68. En décembre 1970, les ouvriers de Ferodo réagirent à la mise à pied d’un des leurs qui réclamait un masque de protection et séquestrèrent le directeur et deux cadres pendant trois jours et demi pour obtenir sa réintégration. Jean Buet organisa, auprès du tribunal de Rouen, la défense du groupe d’ouvriers inculpés pour séquestration et obtint leur réintégration et la promesse d’une visite du médecin inspecteur régional. Le procès servit de tribune au Secours rouge, qui engagea à Condé-sur-Noireau une campagne de plusieurs mois dénonçant les conditions de travail et notamment l’exposition aux poussières d’amiante. Six mois plus tard, Jean Buet accompagna le médecin inspecteur dans sa visite et déclencha l’intervention du Service de prévention de la Caisse régionale d’assurance maladie de Normandie.
En 1974, dans un souci d’apaisement du conflit engagé à la Saviem, le nouveau préfet y obtint l’embauche de Jean Buet – qui souhaitait revenir en entreprise. À l’initiative de Bernard Vernier-Palliez, président du groupe, conseillé par Alain Wisner, l’entreprise développait alors une réflexion sur des organisations du travail moins tayloriennes et avait recruté un an auparavant Bernard Vandevyver, comme ergonome coordinateur des différents sites. Jean Buet intégra l’usine de Blainville sur un poste d’« agent conditions de travail » rattaché au service des méthodes, et obtint une formation de trois ans, à raison d’une semaine par mois, dans le laboratoire d’ergonomie du CNAM alors dirigé par Alain Wisner.
Reconnu comme ergonome en 1977, il combina les analyses des postes de travail avec des cycles de formation, qui réunissaient agents des méthodes, encadrement de proximité, et représentants du personnel de toutes appartenances syndicales. Plusieurs centaines de personnes furent ainsi formées à la prise en compte des conditions de travail. Jean Buet trouva dans l’exercice de l’ergonomie un lien fort avec son engagement syndical. Il participa à des actions importantes d’enrichissement du travail, notamment pour les boîtes de vitesses, où le montage complet de chaque boîte put désormais être fait par deux opérateurs au lieu d’être divisé entre soixante postes. En 1978, la Saviem fusionna avec Berliet pour devenir Renault Véhicules Industriels. C’est en 1980 que Jean Buet fit découvrir l’ergonomie à François Daniellou, jeune ingénieur au bureau d’études de l’entreprise, qui devint plus tard professeur d’ergonomie. Parmi les réalisations marquantes à Blainville, figura le fait de faire commencer le montage des châssis à l’envers, roues en l’air, au lieu d’imposer un travail en fosse bras levés pour la fixation des éléments inférieurs.
Jean Buet resta ergonome à Blainville jusqu’en 1982, année où il fut nommé chef du service central conditions de travail au siège de Renault Véhicules Industriels à Vénissieux (Rhône), tout en restant syndiqué. Il y participa notamment à une fameuse action ergonomique sur le montage des autocars dans l’usine d’Annonay : jusque-là les pavillons – c’est-à-dire les toits – étaient soudés en haut du véhicule par des soudeurs couchés à plat ventre sur des litières mobiles et certains postes dans la caisse impliquaient un travail à genoux. Les ergonomes mirent en place un processus de fabrication où les sous-ensembles étaient d’abord montés séparément, assemblés, puis boulonnés sur un retourneur à hauteur d’homme debout, innovation saluée par l’ensemble des organisations syndicales.
Jean Buet, toujours engagé à la CFDT, fut en pré-retraite en 1987, à 57 ans. Il intervint alors dans des formations syndicales sur les conditions de travail, notamment à la Fédération générale agroalimentaire (FGA) de la CFDT. Au sein du Centre d’étude et de formation des salariés de l’agroalimentaire (CEFA), il multiplia les formations de membres de comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il s’investit également dans les démarches de reconnaissance des victimes de l’amiante en Normandie (Ferodo à Condé-sur-Noireau, Moulinex, la SMN, la SNCF, la réparation navale).
Jean Buet épousa en 1954 Paule Rappenne qui, après un CAP de couture, devint couturière costumière en restant mère au foyer, puis enseignante en accouchement prophylactique, et secrétaire de comité d’entreprise. Ils eurent quatre fils : Alain, chanteur baryton, Philippe, tailleur de pierre, ergonome et formateur syndical, Pierre, journaliste sportif, et Frédéric, éducateur sportif.
Après avoir participé avec des couples amis à la restauration du hameau de La Salle, en Dordogne, les Buet y vécurent de 1986 à 1992, avant de regagner Caen.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article238626, notice BUET Jean, Louis, Maurice par François Daniellou avec Jean-Paul Richez, version mise en ligne le 20 février 2021, dernière modification le 24 octobre 2021.

Par François Daniellou avec Jean-Paul Richez

Jean Buet en 2006.

ŒUVRE : « Les ouvriers âgés et les conditions de travail », Service central des conditions de travail RVI, rapport interne, 1983. – Pratique de l’ergonomie intégrée dans une entreprise industrielle, XXe Congrès de la SELF, Genève, 1984. – Le guide « viande », FGA-CFDT, 1992 – Avec Bernard Dugué, « Les rencontres successives d’une section syndicale avec l’ergonomie », Actes des Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie 1998, Université de Bordeaux. – « Des rencontres avec Alain Wisner », in Jacques Duraffourg et Bernard Vuillon (dir.), Alain Wisner et les tâches du présent. La bataille du travail réel, Toulouse, Octarès, 2004 p. 100-103.

SOURCES : Notice « 1968 à Caen » sur wikipedia.fr [consulté en ligne le 15 février 2021]. — « 1968-1979, la décennie des grèves ouvrières dans le Calvados », Gavroche, revue d’histoire populaire, n° 129/130, 2003,https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gavroche/Gavroche-n129-130 [consulté en ligne le 15 février 2021]]. — Hélène David, Esther Cloutier, « Entrevue guidée avec Catherine Teiger Cailloux », Pistes, 2008, 10-1. – Ferodo, « Le pouvoir d’autorité et de décision de l’usine », Informations correspondance ouvrière, n° 103/104, 1971, https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/ico/ICO-103-104.pdf [consulté en ligne le 15 février 2021]. — Jean Lacouture, « De la grève à la « jacquerie ouvrière », Le Monde, 7 février 1968. — Christian Lascaux, Histoires d’ergonomie, le temps des pionniers, film, Octarès Éditions. — Cécile Maire, Vivre et mourir de l’amiante. Une histoire syndicale en Normandie, L’Harmattan, 2016, p. 49-51. — Rémy Ponge, Pour ne plus perdre son esprit au travail. Sociologie historique d’une préoccupation syndicale pour la santé des travailleurs-ses (1884-2007), Thèse de doctorat de l’Université Paris-Saclay, 2018. — Michel Pottier, « Entretien avec Jean Buet », Bulletin de la Société d’ergonomie de langue française, 2002. — Michel Pottier, Christian Lascaux, « Entretien avec Jean Hodebourg », Bulletin de la Société d’ergonomie de langue française, 2002. — Catherine Teiger « « Les femmes aussi ont un cerveau ! » Le travail des femmes en ergonomie : réflexions sur quelques paradoxes », Travailler, 2006/1 (n° 15), p. 71-130. — Catherine Teiger, Liliane Barbaroux, Maryvonne David, Jacques Duraffourg, Marie-ThérèseGalisson, Antoine Laville, Louis Thareaut, « Quand les ergonomes sont sortis du laboratoire.... à propos du travail des femmes dans l’industrie électronique (1963 – 1973). Rétro-réflexion collective sur l’origine d’une dynamique de coopération entre action syndicale et recherche-formation-action », Pistes, 2006, 8-2. — Alain Wisner, Antoine Laville, Edouard Richard (1964-67), « Conditions de travail des femmes O.S. de la construction électronique », Collection du laboratoire de physiologie du travail-ergonomie du CNAM, rapport n°2. — Entretien de Jean-Paul Richez avec Jean-Pierre Brunet le 15 décembre 2020. Entretien de Jean-Paul Richez avec Bernard Vandevyver, le 16 décembre 2020.

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