Par Hugo Melchior, Jean-Paul Salles
Né le 28 juillet 1956 à Combourg (Ille-et-Vilaine) ; militant UNCAL, JC puis AMR, au lycée Honoré-de-Balzac à Paris XVIIe arr. ; étudiant à Nanterre, militant du PSU ; à partir de 1978, employé au Ministère de l’Agriculture puis contrôleur du travail, militant de la LCR à Paris et à Rennes, militant du NPA et de la IVe Internationale ; syndicaliste au MAS, à la CFDT puis à Tous ensemble et à la FSU.
Handicapé des quatre membres depuis sa naissance, Christian Taillandier subit de nombreuses opérations sans lesquelles il n’aurait jamais pu marcher. Il a vécu à Bourg-des-Comptes et à Rennes en Ille-et-Vilaine jusqu’à l’âge de sept ans, avant de partir à Conflans-Sainte-Honorine , avec ses parents et sa sœur d’un an plus âgée, puis à Paris en 1967. Son père, Pierre Taillandier , après une adolescence difficile après la guerre, à la limite de la délinquance, exerça de nombreux métiers dont celui de commerçant, puis devint cheminot, affecté à « la surveillance générale », la police du chemin de fer, dont il a été délégué CGT. Sa mère, Clémentine, d’origine paysanne de Trans, canton de Pleine Fougères en Ille-et-Vilaine, fut postière à Bourg-des-Comptes, mais elle mourut alors qu’il n’avait que huit ans. Par convenance sociale ses parents l’avaient baptisé mais ils n’étaient pas croyants. Très proche du PCF, son père pouvait voter Alain Krivine ou Arlette Laguiller), mais en même temps avoir parfois des réactions contre les migrants. Il avait aussi un oncle, Jean Taillandier, qui a été membre de la direction du PCF d’Ille-et-Vilaine de 1946 à 1954.
Militant lycéen.
Scolarisé en 1967 au lycée Honoré-de-Balzac à Paris, porte de Clichy (XVIIe arr.), il y fit toute sa scolarité depuis la classe de sixième. C’est dans ce lycée, surnommé par France Soir « le bastion rouge de la périphérie », où toutes les tendances de gauche et d’extrême gauche étaient représentées, qu’il fit son éducation politique. Ainsi, celui qui fut un des principaux dirigeants du mouvement contre la loi Debré sur les sursis militaires au printemps 1973, Michel Field, exclu du lycée Claude-Bernard pour agitation, y fit sa khâgne en 1972-1973. Il y rencontra aussi, par exemple, Joëlle Aubron future membre d’ Action Directe. Du fait de son jeune âge, il fut peu marqué par Mai 68, à la différence de sa sœur, Patricia, qui sympathisa avec La Cause du Peuple. Révolté par le génocide du Biafra, il participa à la campagne humanitaire et décida rapidement que ce n’était pas suffisant. Dès la rentrée 1969 en classe de quatrième, il adhéra à l’UNCAL et s’inscrivit aux JC du XVIIe arr. dans le fief du conseiller de Paris communiste Louis Régulier en 1974, se solidarisa avec les grèves de la faim des Sans-Papiers en 1974 et 1975 et milita à Information et Droits des Soldats (IDS). Participant à l’animation du Ciné-Club du lycée, il fut aussi de toutes les luttes lycéennes (lois Debré. Fontanet, Haby).
En 1974, partisan de l’autogestion, il entra au PSU, dans le cadre de la fusion AMR-PSU. Il rejoignit la 17°section du PSU et intervint régulièrement, en plus du lycée, sur le marché et le quartier des Batignolles. Il appartint, pendant cette période, à la tendance B du PSU, jusqu’au départ de celle-ci, tout en restant affilié à la revue Sous le drapeau du socialisme, revue de la Tendance Marxiste Révolutionnaire Internationale (TMRI) de Michel Pablo. L’extrême droite n’était pas très présente au lycée Balzac, si ce n’est quelques militants de la Nouvelle Action Française (NAF). Par contre des militants d’autres groupes d’extrême droite, comme Ordre Nouveau (ON), le GAJ ou le GUD, attaquaient régulièrement les militants d’extrême gauche, les facultés et les lycées du quartier. Un des responsables de la Ligue communiste, Christophe Aguiton, déjà étudiant, aidait à la riposte. Il n’était pas rare que des militants d’autres lycées du quartier, le lycée Carnot et le lycée Mallarmé, eux aussi situés dans le XVIIe arrondissement, soient venus à la rescousse et vice versa. Un jour de 1975, en allant se porter au secours de ses camarades du lycée Mallarmé, avec un groupe du service d’ordre lycéen de Balzac, il fut très sévèrement battu par des militants d’extrême droite et se retrouva à l’hôpital.
Après son bac, obtenu en 1975, il s’inscrivit à l’Université de Nanterre ou il fit trois premières années en économie et histoire, mais il y fut surtout militant, négligeant ses études. Il aimait à dire qu’il avait un bac+3, option grève. Membre du secteur étudiant du PSU, il participa à la création du MAS, syndicat étudiant proche de la CFDT. Simultanément, il travaillait plus ou moins bénévolement pour l’éditeur Savelli (maison d’édition d’extrême gauche), à la librairie de diffusion rue de la Jonquière à Paris XVIIe comme coursier et s’occupait aussi de la diffusion des livres. Tout en pointant au chômage pour se nourrir. L’aide sociale bretonne à Paris, lui trouva en 1978, un stage Barre d’un an dans l’assurance où il participa activement aux grèves et au luttes des « stagiaires Barre en colère ».
Salarié, militant syndical à la CFDT et militant politique à la LCR.
Ayant décidé d’en finir avec les emplois précaires, il se fit embaucher au Ministère de l’Agriculture en 1978 dans le cadre des emplois réservés, comme adjoint administratif.
Il décida d’adhérer tout de suite après son embauche à la CFDT et rejoignit la gauche de celle-ci regroupée autour des « Cahiers syndicaux ». Il prit rapidement des responsabilités syndicales.
Tout en participant aux mobilisations liées au mouvement breton (pour l’autonomie de la Bretagne, pour la libération des prisonniers politiques bretons, contre les marées noires, contre la construction de la centrale de Plogoff), et bien que n’étant pas un fervent trotskyste, il se rapprocha de la LCR. Selon lui, les forces militantes réunies dans les Comités communistes pour l’autogestion (CCA), qui se construisirent après le départ des militants de l’AMR du PSU, étaient trop faibles. Avec les militants de la LCR de son Ministère, il participa notamment à la campagne Union dans les luttes contre la désunion entre PS et PC qui risquait de faire perdre la gauche. Et dès le 11 mai 1981, le lendemain de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle, il devint militant de la LCR sous le pseudonyme de Ketchup. Il n’avait aucune illusion sur François Mitterrand, n’attendant pas de lui de grandes réformes sociales et démocratiques. Mais il était persuadé qu’après sa victoire et celle de la gauche aux législatives s’ouvrirait une période de luttes sociales importantes, un peu comme en juin 1936 après la victoire électorale du Front populaire. Il fut affecté à la cellule de la LCR du Ministère de l’agriculture composée de six membres, dont trois militaient à la CFDT et trois à la CGT. Ils animaient un Cercle rouge d’une vingtaine de personnes qui diffusait le matériel de propagande de la Ligue sur divers sites du Ministère de l’Agriculture. Bien implantés dans le secteur ouvrier du Ministère, ils étaient capables d’organiser des grèves bien suivies. Travaillant au siège central, Hôtel de Villeroy, rue de Varennes dans le VIIe arr., il était affecté au Service des Pensions. Après avoir « récupéré » un rapport de l’Inspection générale, avec ses camarades de la Ligue et de la CFDT ils soulevèrent une affaire de malversations liée aux crédits d’action sociale, qui permit de créer, cas unique dans la fonction publique, l’équivalent d’un Comité d’Entreprise géré par les syndicats, il devent vice-président de l’Association d’Action Sociale du Ministère de l’ Agriculture ( ASMA ).
Muté à Rennes en 1983 à sa demande, il s’installa dans le quartier Sainte-Thérèse de Rennes. Avec sa première compagne, Gaëlle, militante tiers-mondiste au CRIDEV (Centre Rennais d’Information pour le Développement et la Solidarité entre les peuples) et à l’AISDPK de soutien au peuple Kanak, il voyagea avec elle dans nombre de pays. Il cherchait à rencontrer les sections locales de la IVe Internationale ou les organisations politiques et syndicales quand cela s’avérait possible, parfois grâce aux recommandations écrites d’ Alain Krivine, comme ce fut le cas par exemple à Cuba ou encore en Irlande du Nord. Il participa à Belfast à une mobilisation en soutien aux prisonniers de l’ IRA et de l’INLA de Long Kesch. À la Direction départementale de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF) de Rennes, il fut affecté au service de l’inspection du travail en agriculture. Militant du SNPILSA-CFDT de l’inspection du travail en agriculture, il représenta les administratifs au bureau national puis en 1987, il rejoignit le SYGMA-CFDT, le syndicat général du Ministère de l’Agriculture, dont il devint permanent, membre de la commission exécutive. Son syndicat participa à toutes les initiatives de construction d’une opposition de gauche, des Cahiers syndicaux à Tous ensemble. Parallèlement, il intervenait comme militant de la LCR sur la Cité administrative Beauregard, notamment avec son camarade Henri Donnart, autour du bulletin À Gauche ! Contrairement aux pronostics optimistes faits au début de la décennie, les années 1980 ne furent pas propices au développement de l’extrême gauche. La section rennaise de la LCR, forte de plus d’une quarantaine de militants au début des années 1980 se retrouva très affaiblie en 1989-90, avec une dizaine de militants seulement. La campagne présidentielle de 1988, au cours de laquelle la Ligue et d’autres organisations d’extrême gauche avaient soutenu la candidature de Pierre Juquin, ancien dirigeant communiste, avait suscité de l’espoir. Les meetings avaient été nombreux et enthousiastes, à Rennes pas moins d’une douzaine de Comités s’étaient constitués pour battre campagne. Les résultats ne furent pas du tout à la hauteur des efforts déployés et des espoirs suscités. Dans les années 1990, Christian Taillandier prit part à toutes les campagnes ou actions de la LCR : Agir ensemble contre le chômage (AC !) à partir de 1993, soutien au FLNKS, campagne européenne LO-LCR de 1999, mouvement altermondialiste.
En 1995, Christian Taillandier, invité au congrès la section de la Centrale Démocratique Martiniquaise du Travail (CDMT) de la Direction départementale de l’agriculture et de la forêt (DDAF), assista à Fort-de-France à la mobilisation des travailleurs martiniquais. Au congrès, on lui demanda d’intervenir pour expliquer la crise provoquée au sein de la CFDT par les positions de la Confédération. Il anima ensuite un meeting du Groupe Révolution Socialiste (GRS), section antillaise de la IVe Internationale à la Bourse du Travail sur la situation sociale en métropole. De retour en France, il fut accusé par sa fédération, la FGA-CFDT (agroalimentaire) « d’ingérence dans les affaires internationales de la confédération ». Soutenu par son syndicat, le SYGMA-CFDT, il n’y eut pas de suite. Les locaux nationaux de son syndicat, installés à la DDAF de Rennes, serviront de plaque tournante lors du passage en Ille-et-Vilaine de la marche nationale des chômeurs d’AC ! vers Amsterdam en 1997. Lors d’un déplacement syndical à Tours en 1997, il rencontra Claude Duc-Maugé, technicienne forestière de l’’ONF, militante du SYGMA-CFDT, puis élue à la direction nationale de la CGT Forêt après son départ de la CFDT. Issue d’une famille en partie d’extrême droite, elle adhéra au NPA à sa fondation et s’investit dans les luttes des migrants. Ils se marièrent cette même année 1997, et avec Malika une des trois enfants de Claude , ils s’installèrent dans la maison forestière de fonction de l’ONF de la forêt de Liffré près de Rennes dont Claude avait la gestion. Cette maison servit de lieu de réunions et de fêtes, notamment pour des stages d’intégration à la LCR. Ils auront un fils, Malo, né en mars 1999. Durant cette période Christian Taillandier participa à la direction fédérale de la LCR d’Ille-et-Vilaine, et fut envoyé au début des années 2000 à Fougères (Ille-et-Vilaine) pour aider à la reconstruction de l’organisation sur la ville. Elle retrouva deux sections et une grosse quinzaine de militants. Il fut candidat en Ille-et-Vilaine aux élections régionales de 2004 sur la liste LO-LCR. De même, aux législatives de 2007, avec sa camarade Gwenola Ermel, il représenta la LCR dans la 4e circonscription d’Ille-et-Vilaine, à Redon.
Militant du NPA.
En 2009, il participa au congrès de fondation du NPA, représentant le Comité NPA de Fougères-Liffré. Il siégea dans les instances départementales et régionales et fut aussi élu en 2011 à la commission nationale de médiation du NPA, qu’il dut abandonner atteint d’un cancer du poumon. Malgré le succès du NPA en Ille-et-Vilaine à sa création – il atteignit 140 adhérents sur le département soit quatre fois plus que la LCR -, très vite nombre de ses « militants historiques » l’abandonnèrent pour rejoindre la Gauche Unitaire (GU) de Christian Picquet et le Front de Gauche. Favorable à une alliance avec le Front de Gauche, il restait persuadé de la nécessité de construire le NPA. Proche de la Gauche Anticapitaliste (GA), une autre tendance du NPA, il ne choisit pas de la suivre dans sa scission en 2011 et resta au NPA. À la suite du départ à la retraite de sa femme en 2012, ils déménagèrent dans le nord du département d’Ille-et-Vilaine et rejoignirent tous les deux le comité NPA du pays de Saint-Malo. Tout en participant aux mobilisations contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), ils apportèrent une aide à leur camarade Pierre Chapa dans son intervention militante sur la petite ville de Combourg (Ille-et-Vilaine).
Après différents conflits, parfois violents, et des désaccords permanents avec la direction confédérale de la CFDT, Christian Taillandier avec quelques-uns de ses camarades furent les artisans du départ de leur syndicat vers la FSU, qui fut voté par plus de 66% des adhérents en février 2003. Il devint le troisième syndicat de la FSU issu de la CFDT, prit le nom de SYGMA-FSU, puis se transforma en 2012 en SNUITAM-FSU (Syndicat National Unitaire Interministériel des Territoires de l’ Agriculture et de la Mer) après sa fusion avec deux autres petits syndicats venus eux aussi de la CFDT. Christian Taillandier, tout en participant à la vie locale du syndicalisme, représenta ces syndicats auprès du Ministère de l’Agriculture dans de nombreuses instances, dont le Comité Technique Ministériel. Il fut permanent syndical, secrétaire national, membre du conseil fédéral de la Fédération et représenta son syndicat au Bureau délibératif fédéral national (BDFN) de la FSU de 2003 à 2019, où il était assimilé à la tendance École Émancipée. En 2020, en désaccord avec l’évolution prise, il quitta le SNUITAM-FSU, comme quelques autres anciens responsables du syndicat. Pour pouvoir rester à la FSU, il adhéra au SNETAP-FSU, syndicat de l’enseignement agricole public. Parti à la retraite le 1er mai 2019, comme contrôleur du travail, promotion qu’il avait obtenue le 1er janvier 2000, amateur de bons vins, collectionneur acharné de BD, et ayant conservé volontairement toute sa vie un réseau d’amis pas toujours liés à la vie militante, il était toujours en 2021 membre de la FSU, de l’École Émancipée, du NPA de Saint-Malo et de la tendance unitaire du NPA, et adhérent direct à la IVe Internationale qu’il n’a jamais quittée depuis son adhésion à la LCR.
Par Hugo Melchior, Jean-Paul Salles
SOURCES : Documents d’état-civil fournis par l’intéressé. — Nombreux entretiens réalisés avec Hugo Melchior. — Journaux locaux, comme Ouest-France et Le Télégramme. — Antoine Artous et alii, coord., La France des années 1968, Syllepse, 2008 (notamment sur l’AMR, les CCA). — Hélène Adam, François Coustal, C’était la Ligue, Syllepse et Arcane 17, 2019. — François Coustal, L’incroyable histoire du Nouveau Parti Anticapitaliste, Demopolis, 2009. — Jean-Paul Salles, « De la LCR au NPA : l’impossible mutation ? », in Pascal Delwit, Les partis politiques en France, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2014, p.109-126.