LE TRON Michel, Yves, Arthur

Par Jean-Paul Richez

Né le 13 octobre 1932 à Rouen (Seine-Maritime), mort le 7 octobre 2010 à Clichy (Hauts-de-Seine) ; technicien chimiste ; membre du syndicat CFTC-CFDT des travailleurs des industries chimiques de la région parisienne (STIC), secrétaire confédéral CFDT chargé des actions en direction des Comités d’entreprises puis des Conditions de travail (1962-1992).

Michel Le Tron avec son épouse (date inconnue).

Son père, Gabriel, d’origine bretonne et normande travaillait comme comptable dans une entreprise normande et sa mère, Marie-Louise, née Vion, sans profession, était issue du milieu de la boulangerie. La fratrie comptait quatre enfants dont Michel était le second. Après avoir fréquenté les écoles primaire et secondaire de Rouen (Seine-Maritime), il s’engagea dans une formation de technicien supérieur en chimie dispensée par l’École de chimie de Rouen.

Son diplôme équivalent à l’actuel Brevet de technicien supérieur en poche, il effectua son service militaire au Maroc, de 1955 à 1957, à l’Hôpital de Casablanca où il se forma à la chimie biologique. De retour en métropole, il fut embauché en tant que technicien chimiste en 1958 au Centre de recherches d’Aubervilliers (Seine, Seine-Saint-Denis), un établissement récent, fondé cinq ans auparavant, et dont le site regroupait depuis 1956 les laboratoires de la Compagnie Pechiney localisés en province et au Bourget. Il participa au développement de nouveaux produits dérivés de la chimie organique. Au Centre de recherche, Michel Le Tron côtoya Claude Mennecier et également quelques mois Edmond Maire dont le dynamisme orienta de nombreux jeunes sensibilisés à la question algérienne vers l’action syndicale. Quand, au mois de mai 1958, la rébellion des généraux à Alger porta de Gaulle au pouvoir, en solidarité avec l’opposition, le jeune chimiste adhéra à la section syndicale CFTC de l’établissement dominé par la CGT.

Fin 1959, il se vit confier des responsabilités syndicales au sein de l’établissement. Il fut nommé délégué au comité d’entreprise dont l’activité, fortement empreinte de paternalisme, était alors, comme beaucoup d’autres, sous emprise patronale. À la demande de Jean-Marie Kieken, son secrétaire-général adjoint, il vint renforcer la Fédération des industries chimiques alors en rupture avec le courant proche de la hiérarchie catholique. Partageant les convictions des dirigeants de la fédération, il participa au mouvement de « déconfessionnalisation » qui aboutit à la création de la CFDT.

Ayant gravi pendant cinq ans les échelons des responsabilités syndicales chez Péchiney, membre de Reconstruction, Michel Le Tron quitta la Compagnie en 1962 pour rejoindre le secrétariat confédéral. Il fut appelé à organiser un nouveau poste pour coordonner les politiques menées par les fédérations dans les entreprises et notamment au sein des comités d’entreprises (CE). Désormais permanent, il mit à profit cette fonction pour élaborer, avec la direction confédérale, une action proche des salariés qu’il enrichit jusque dans les années 1980. L’objectif était de soutenir l’activité revendicative en développant de nouveaux outils dans le domaine de la formation, de l’information et du conseil en s’appuyant sur la loi du 16 mai 1946 par laquelle le Comité d’entreprise ou d’établissement s’était vu investi de missions en matière de contrôle économique, d’activité sociale, d’hygiène et de conditions de travail, assisté par le Comité d’hygiène et de sécurité (CHS) associant les représentants des salariés et de l’employeur aux autres acteurs de la prévention des risques professionnels (inspection du travail, médecins du travail et contrôleur de sécurité des caisses régionales). Alors largement majoritaire dans les instances représentatives des salariés des entreprises industrielles, la CGT privilégiait la revendication salariale et exploitait peu ces modalités d’action exigeant des compétences nouvelles.

Michel Le Tron participa, au côté de Laurent Lucas, secrétaire général adjoint de la confédération en charge du secteur social et professionnel, à l’élaboration de cette évolution stratégique. Pour Michel Le Tron, l’investissement syndical dans les instances représentatives des salariés dans l’entreprise était un moyen de transformer le travail dans une perspective de socialisme autogestionnaire, d’où son intérêt marqué pour l’expérience yougoslave. Il avait participé à la première délégation confédérale à se rendre dans ce pays en mars 1964 aux côtés notamment d’Albert Détraz, René Salanne et Edmond Maire. L’année suivante, il accompagna Fredo Krumnow en mission d’étude des syndicats yougoslaves. Leur rapport sur les syndicats et la pratique autogestionnaire décrivit les expériences engagées dans ce pays depuis 1950.

Logiquement, le renforcement de l’action au sein des CE passait par une formation plus approfondie des militants élus. Au tournant des années 1960, Michel Le Tron bénéficia des acquis du secteur formation de la confédération et notamment de son Institut confédéral d’études et de formation (ICEF) dirigé par Raymond Lebescond. Stimulée par les débats qui traversaient la centrale, son équipe dirigeante renforça « l’éducation syndicale » en étoffant les contenus et en démultipliant les sessions et les niveaux.

Le permanent confédéral chargé de coordonner l’action au sein des instances représentatives des salariés, mit à profit l’ouverture récente du milieu universitaire au monde du syndicalisme. À l’initiative du Professeur Marcel David, les Universités de Strasbourg et Paris s’étaient dotées d’Instituts du travail ouverts aux responsables syndicaux qui souhaitaient se perfectionner en droit du travail ainsi qu’en économie. Michel Le Tron, et la commission formation de la confédération mirent alors au point des stages portant sur l’autonomie des CE et CHS et le droit en matière d’accident du travail. Ce fut le point de départ des formations à caractère juridique centrées sur le recours à l’Inspection du travail et aux caisses de Sécurité sociale pour faire appliquer les règles d’hygiène et de sécurité. L’enjeu était d’armer les élus salariés au Comité d’entreprise (CE) pour agir en matière de contrôle de la gestion de l’entreprise, d’organisation du travail, et plus tard, de mutations technologiques. De même, il s’agissait de former les délégués au Comité d’hygiène et de sécurité (CHS) à l’utilisation les moyens offerts par la médecine du travail, le service prévention de la Caisse régionale ainsi que le recours à l’inspection du travail. Partant de l’expérience des militants notamment dans la sidérurgie, la chimie et les mines, d’entreprises et d’établissements comme Sollac, Michelin et ELF, Michel Le Tron étendit l’utilisation du registre de sécurité consignant les risques pour initier des actions de prévention.

En 1964, il fut nommé administrateur à l’Institut national de sécurité (INS) et commença à nouer des liens avec les milieux de la recherche en physiologie du travail et de l’ergonomie. La Société d’ergonomie de langue française venait d’être créée, à l’initiative d’Alain Wisner notamment, lors de son premier congrès organisé à Strasbourg un an plus tôt. Tirant parti des apports du programme de recherche « conditions de travail » de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) réalisé entre 1962 et 1966, ces études contribuèrent également à la diffusion des travaux réalisés en ergonomie et toxicologie. Il se rapprocha du Laboratoire de physiologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et du Professeur Jacques Leplat qui intervint dans certaines formations syndicales sur les causes d’accidents et la notion d’enchainement de facteurs de risques. En 1966, à la suite de la catastrophe de la raffinerie de Feyzin (Rhône) due à une explosion de gaz occasionnant la mort de 18 personnes et plus de 80 blessés, la CFDT passa aux travaux pratiques. Elle engagea une action juridique démontrant que le syndicat pouvait agir comme partie civile mais aussi que la responsabilité patronale et les problèmes de nature organisationnels de l’entreprise pouvaient être reconnus. Cette démarche ouvrait de nouvelles perspectives de prévention en agissant sur l’ensemble des facteurs de risques pouvant être analysés par une méthode établissant un enchainement de causes. L’impulsion donnée par Jacques Leplat et soutenue activement par Jean Hamel, militant CFDT à la Sollac et administrateur de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS, ex INS) fut alors développée sur le plan scientifique par cet institut de recherche financé par la Sécurité sociale. Michel Le Tron et les militants de la CFDT engagés dans les CHS diffusèrent la nouvelle méthode d’analyse des accidents et incidents intitulée « arbre des causes » et l’adoptèrent dans les programmes de formations. Au sein du CNAM, il eut recours à Alain Wisner dont la carrière de médecin physiologiste avait débuté à Renault-Billancourt qui intervint dans des sessions de formation de la fédération de la Métallurgie abordant la question du travail sous contrainte de temps. Également sollicité par les industries de processus telles que la chimie, la pétrochimie, la verrerie, le caoutchouc, Michel Le Tron s’était rapproché, quelques années plus tôt, de Marc Maurice sociologue du travail au CNRS pour mieux identifier les effets sur la santé de l’organisation du travail en équipes alternantes ainsi que les problèmes de désorganisation et d’adaptation de la vie sociale et familiale. Ce travail permit d’abord à la fédération de la Chimie de négocier une organisation du travail à trois équipes, avec une durée de travail hebdomadaire de 33 heures et demie. Cette avancée aida d’autres fédérations à élaborer un véritable cahier de revendication pour les travailleurs affectés à des équipes alternantes et se traduisit par l’élaboration en 1976 d’un rapport consacré au travail posté par Alain Wisner, devenu professeur au CNAM.

En enrichissant le contenu des formations syndicales, les études conduites par les chercheurs intervenant dans les sessions de formation de militants avant 1968 firent émerger des questions de fond relatives au mode de rémunération et plus généralement aux conditions de travail. Quelques années plus tard, les révoltes des OS marquées par des grèves remettaient en cause les salaires au rendement, le travail parcellisé et, plus largement, les conditions de travail. La loi du 27 décembre 1973 relative à l’amélioration des conditions de travail reconnut la compétence du CE dans ce domaine. Elle associait ce dernier à la recherche de solutions concernant notamment l’organisation matérielle, l’ambiance et les facteurs physiques du travail. Prenant en compte ces nouvelles possibilités d’action syndicale et l’élargissement des missions d’expertise, Michel Le Tron participa avec Jean-Claude Jullien à la création en 1971 du cabinet SYNDEX, regroupant des experts et des économistes soucieux de mettre leurs savoirs au service du combat syndical. En prolongement, des négociations nationales interprofessionnelles s’engagèrent sur les conditions de travail. Elles se conclurent en 1975 par un accord entre le CNPF et les syndicats FO, CFTC et CGC. La CFDT participa à ces négociations mais ne ratifia pas cet accord. En effet, Jeannette Laot, en charge du secteur confédéral Action revendicative à partir de 1973 et Michel Le Tron ne souhaitèrent pas s’embarquer dans des stratégies de négociation sur les conditions et l’organisation du travail avec les seuls délégués sans associer les salariés eux-mêmes dans les transformations du travail. Ces discussions contribuèrent cependant à mieux définir les conditions de travail, jusque-là à peu près ignorées par le code du travail et la jurisprudence. Prenant acte de la création de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) institué par la loi de 1973, la direction confédérale délégua Michel Le Tron à son conseil d’administration. Albert Détraz, jusque-là responsable du secteur politique confédéral, rejoignit l’Agence comme chargé de mission avant d’être nommé directeur adjoint. La Confédération marquait ainsi sa volonté de veiller, à l’autonomie de la nouvelle agence par rapport au ministre du travail.
Au cours des deux années qui suivirent, le secteur confédéral Action revendicative et Michel Le Tron engagèrent une réflexion ambitieuse soutenue par l’ANACT et alimentée par une dizaine de fédérations et de nombreux syndicats. Ces travaux furent présentés lors d’un colloque organisé en 1976 à Paris intitulé : « CFDT : Progrès technique, organisation du travail, conflits ». Soucieuse d’en assurer une large diffusion, la confédération chargea trois chercheurs d’en coordonner l’édition dans un ouvrage publié l’année suivante et titré CFDT : Les dégâts du progrès. Les travailleurs face au changement technique. Le 37èmecongrès confédéral d’Annecy en mai 1976 couronna ce travail avec, la présentation par Robert Bono d’un rapport porté par le Bureau national, intitulé « Les conditions de travail, la médecine du travail, les accidents du travail, le travail au rendement, l’organisation du travail », au terme de trois ans d’élaboration collective. Celle-ci a été facilitée par le réseau de chercheurs tissé par Michel Le Tron avec les milieux universitaires et les organismes d’études dans lesquels il exerça des mandats de représentation, qu’il s’agisse de l’INS-INRS, de l’ANACT de 1974 à 1980 ou du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, de sa création en 1976 jusqu’en 1992.

Après 1981 et l’élargissement aux conditions de travail des CHS qui devinrent CHS-CT avec les lois Auroux, Michel Le Tron prit en charge de nouvelles responsabilités au sein de la Confédération. Les salariés bénéficièrent de nouveaux droits collectifs et individuels comme celui de se mettre en sécurité en cas de danger grave et imminent. Ils disposèrent de nouveaux moyens d’expression relatifs aux conditions et à l’aménagement du travail. Encore fallait-il leur donner la possibilité de faire valoir ces nouveaux droits. Il œuvra dans cette perspective au côté de Jean-Paul Jacquier qui venait d’être élu, en 1982, secrétaire national en charge, notamment des conditions de travail. Avec ce dernier, il contribua à créer le Comité entreprise liaison information conseil (CELIC), une structure chargée du soutien au CE qui organisa, à partir de 1984, tous les deux ans un salon « Forum des CE et CHSCT » pour les élus d’entreprise et réunissant plusieurs centaines d’entre eux. Sur une proposition de la fédération de la Chimie et de Robert Villatte, il finalisa également en 1983, la création de l’Institut pour l’amélioration des conditions de travail (INPACT), un outil confédéral d’aide aux CHSCT compétent pour la formation, l’information et l’expertise en matière de conditions de travail. Enfin, il prépara et assura le suivi de la Convention de recherche CFDT-CNRS, signée en 1984, pour une durée de cinq ans baptisé « Programme Paroles ». Il s’agissait d’appréhender les effets de la loi du 3 juin 1982 relative à l’expression des salariés dans l’entreprise notamment sur les sections syndicales et les institutions représentatives, les hiérarchies et les directions d’entreprise. C’était une première dans les relations « recherche publique et organisation syndicale ».

En trois décennies, porté notamment par les mobilisations sociales des années 1970, Michel Le Tron permit au mouvement syndical de se renouveler en s’ouvrant plus largement aux sciences sociales, comme en témoigne Robert Villatte : « il était à mes yeux un défricheur opiniâtre et ouvert aux spécialistes et experts de son domaine ». Au-delà même, son ouverture d’esprit et son goût pour l’innovation le conduisirent à nouer des liens avec les milieux artistiques. Il contribua ainsi avec l’Espace Belleville à l’organisation de plusieurs expositions d’art contemporain dans les locaux de la confédération CFDT, notamment celle consacrée au peintre Bernard Lorjou, présentée en 1997.

Depuis 1992, Michel Le Tron qui avait commencé à laisser à d’autres certains de ses dossiers, depuis le milieu de la décennie 1980, avait démissionné de ses différents mandats.

Michel Le Tron s’était marié le 10 octobre 1957 avec Josette Duchemin exerçant le métier d’assistante sociale. Le couple eut trois enfants : Marie-Jeanne, enseignante, née en 1958, François, né en 1959, agriculteur et animateur d’un réseau de maraichers bio à l’Ile de Bréhat (Côte-d’Armor) et Bruno, né en 1964, musicien folk et accordéoniste. Après quelques années au foyer, Josette Le Tron entra au Planning familial, où elle assura l’accueil des couples ou des femmes pour les conseiller en matière de contraception. Elle dirigea ensuite une équipe de travailleuses familiales. La retraite étant venue, le couple garda un rôle social actif, et bénévole, auprès des personnes âgées de la ville de Taverny (Val-d’Oise).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article239377, notice LE TRON Michel, Yves, Arthur par Jean-Paul Richez, version mise en ligne le 17 mars 2021, dernière modification le 18 juin 2021.

Par Jean-Paul Richez

Michel Le Tron avec son épouse (date inconnue).

ŒUVRES : Connaître l’entreprise, C.F.D.T., 1970. — Le Tron Michel, « Le programme paroles CNRS – CFDT », Société française. Cahiers de l’Institut de recherches marxistes, n°41/42, 1991-1992. — (avec Alain Chouraqui, Henri Pinaud), Syndicalisme et démocratie dans l’entreprise : une coopération scientifique CFDT-CNRS, 1984-1995, L’Harmattan, 1999.

SOURCES : Arch. conf. CFDT : Fonds du secteur confédéral Action revendicative, cote CH/8 (426 ; 435 à 447). —Jean-Pierre Faivret, Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, CFDT : Progrès technique, organisation du travail, conflits, Colloque, 1976. —Id., CFDT : Les dégâts du progrès. Les travailleurs face au changement technique, Seuil, 1977. — Id., Le tertiaire éclaté, Seuil, 1980. — René Chillin, Aimée Moutet, Martine Muller, Histoire de l’Anact : 20 ans pour l’amélioration des conditions de travail, Syros, 1994. — Michel Le Tron , Entretien avec Antoine Laville, SELF, 2001 (https://ergonomie-self.org/wp-content/uploads/2017/03/Le-Tron-Michel.pdf). — Jean-Michel Helvig, Edmond Maire : une histoire de la CFDT, Seuil, 2013.— Entretiens et correspondance avec François Le Tron et Marie-Jeanne Kreyder, née Le Tron, en novembre 2020.

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