DAVEZIES Philippe, Laurent, Marie

Par François Daniellou

Né le 24 octobre 1949 à Lourdes (Pyrénées-Orientales), enseignant-chercheur en médecine et santé au travail ; auteur de recherches-actions avec les organisations syndicales sur la mise en débat du travail dans les groupes de salariés, promoteur de la clinique médicale du travail.

Portrait en 2001 fourni par Philippe Davezies.

Philippe Davezies était l’aîné d’une famille de cinq enfants. Son père, Jean Davezies, cadre dans le privé, fut arrêté en octobre 1958 pour son engagement contre la guerre et en faveur de l’indépendance de l’Algérie, en lien avec les activités clandestines de son frère, le prêtre Robert Davezies. Sa mère, Jacqueline Sanchette, s’occupait de la famille et partageait les mêmes engagements. Philippe Davezies découvrit les questions politiques du fait de la tension entre les positions très minoritaires de son environnement familial et la violence des discours anti-arabes dont il était témoin dans les établissements scolaires.

Ses emplois d’été en usine lui firent découvrir les questions de conditions de travail et de santé au travail. De 1972 à 1974, il participa comme étudiant en médecine au soutien médical à la lutte pour un « droit à la santé » des travailleurs immigrés de l’usine Peñarroya (recyclage du plomb de batteries), à Lyon-Gerland, lutte considérée comme un modèle d’organisation autonome. Ainsi, c’est après avoir longtemps débattu et rédigé leur cahier de revendications qu’ils décidèrent de se constituer en section syndicale et furent accueillis par la fédération CFDT de la Métallurgie. Comme c’était généralement le cas à l’époque, le médecin du travail refusait de leur communiquer les résultats des examens biologiques réalisés pour la surveillance de leur exposition au plomb. En revanche, ces résultats ne pouvaient pas être refusés au médecin traitant. Les travailleurs se mirent d’accord pour prendre le même médecin traitant, le docteur Gérard Bendrihem, membre du comité de soutien. Les résultats collectés furent complétés par une enquête mobilisant, outre ce médecin, Michel Leclercq, chercheur à l’institut Pasteur Lyon et militant des Cahiers de Mai – qui réalisait les analyses –, et les docteurs Robert Zittoun et Alfred Gajdos, spécialistes du Groupe information santé (GIS) parisien. Ils purent ainsi opposer aux dénégations de la direction un bilan de leur état de santé et formuler leurs revendications en termes de surveillance et de prévention. Grâce à une organisation exemplaire sur le plan de la démocratie, un groupe relativement réduit de travailleurs, maghrébins pour la plupart, imposa ainsi à la direction du trust une nette montée en gamme des modalités de surveillance de l’exposition au plomb. Un peu plus tard, cette avancée fut généralisée par son inscription dans le Code du travail. L’activité ultérieure de Philippe Davezies fut marquée par l’expérience de ce processus de discussion et de préparation qui avait permis aux salariés de prendre la main sur leur destin.

Toujours étudiant en médecine, il participa au Mouvement Santé-Population qui luttait contre le contrôle médical patronal des arrêts de travail et il s’engagea au sein de Choisir – Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (MLAC).

En 1975-1976, Philippe Davezies se spécialisa en médecine du travail et approfondit ses connaissances en physiologie du travail. De 1977 à 1979, Il assura, à mi-temps, la fonction de médecin du travail dans une soixantaine d’entreprises de la métallurgie lyonnaise, et il fut embauché comme vacataire à l’université, sur l’autre mi-temps, pour mener des études sur la santé au travail en entreprise. Il fit partie de la génération qui assura le passage d’une médecine du travail pensée comme « orientation biologique de la main d’œuvre » et centrée sur la détermination de l’aptitude, à une médecine au service de la protection et de la promotion de la santé des salariés. En 1979, il fut recruté comme assistant hospitalo-universitaire en médecine du travail, avec pour mission de développer l’ergonomie.

Syndiqué au SNESup, il soutint le mouvement des attachés-assistants de sciences fondamentales, personnels scientifiques des laboratoires de recherche des facultés de médecine qui étaient nommés pour un an avec, à chaque fin d’année, la menace d’être remerciés. Leur situation fut régularisée à partir de 1982. Lui-même fut titularisé, en 1986, comme maître de conférences de universités - praticien hospitalier (Université Lyon 1 et Centre hospitalier Lyon Sud). Au début des années 1980, il rejoignit le Collectif risques et maladies professionnelles de Jussieu, animé par Henri Pézerat*.

Philippe Davezies compléta sa formation en ergonomie, d’abord à Lyon 2, puis au laboratoire d’ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), dirigé par Alain Wisner. La formation à l’analyse du travail qu’il reçut au CNAM, en particulier de Jacques Duraffourg et François Guérin, lui fit découvrir non seulement l’écart entre le travail prescrit et le travail réel, mais le fait que les salariés eux-mêmes étaient pris dans la description conventionnelle de leur activité, qu’ils n’avaient que très partiellement conscience des arbitrages de différents niveaux qu’ils devaient nécessairement effectuer pour assurer la production, et qu’ils avaient du mal à rendre compte des efforts et du coût que cela pouvait impliquer. Cette difficulté du salarié à exprimer « les dilemmes et les enjeux de son activité » devint l’objet de ses deux principaux axes de recherche : la pratique de la clinique médicale du travail et la formation des militants syndicaux à la mise en débat de l’activité de travail. Dans les deux cas, il s’agissait d’articuler une compréhension de la santé comme développement du pouvoir d’agir, une assistance à l’élaboration de leur expérience par les femmes et les hommes au travail, et la conquête de formes de démocratie.

Philippe Davezies entra en 1983 en contact avec Christophe Dejours, médecin du travail et psychiatre, auteur de Travail, usure mentale, et participa à son équipe de recherche lorsque Dejours fut nommé professeur au CNAM en 1990. Il prit ses distances avec lui à partir de 1998. Dans ses consultations de pathologie professionnelle à l’hôpital, où se multipliaient les plaintes des salariés pour « harcèlement moral », il développa une forme de pratique du questionnement, visant à permettre au salarié en souffrance de reconquérir sa capacité de penser, débattre et agir sur sa situation de travail. Il promut la diffusion de cette pratique, dénommée « clinique médicale du travail », grâce à ses réseaux au sein de la médecine du travail. Dès son lancement en 1991, il fit partie du comité de rédaction de la revue Santé et travail, dont le projet était de fournir un appui aux représentants du personnel préoccupés des questions de santé.

Il participa à de nombreux modules de formation des représentants syndicaux en CHSCT. Inspiré par ses connaissances en ergonomie et par l’expérience du médecin et psychologue italien Ivar Oddone avec le syndicat CGIL de la Fiat, il développa des techniques de questionnement que les militants pouvaient utiliser pour favoriser l’expression des salariés sur leur activité et sa mise en débat dans les groupes de travail. Il s’engagea dans des cycles de formation-recherche-action de longue durée des responsables syndicaux sur l’analyse du travail et la mise en discussion de ses résultats avec les salariés. De 1990 à 1993, il participa ainsi, avec Charles Gadbois, à la formation-action « La preuve par 100 », mise en place, avec 100 sections syndicales du milieu hospitalier, par La Fédération Santé-Sociaux de la CFDT et l’Institut pour l’amélioration des conditions de travail (INPACT CFDT), dirigé par Robert Villatte. De 2004 à 2006, il participa à la recherche-action sur « l’intensification du travail » – pilotée par Laurence Théry*, chargée des conditions de travail à la confédération CFDT – qui débouchera sur l’ouvrage Le travail intenable.

De 2006 à 2008, Philippe Davezies s’impliqua dans la « Formation des 100 » visant à rendre des responsables fédéraux CFDT capables de mener des projets en santé au travail, à partir de la compréhension fine du travail. En 2008-2009, il s’engagea, à la demande de Fabien Gâche*, secrétaire de la CGT Renault, dans une formation-action des militants de ce syndicat sur la prévention des risques psychosociaux, qui fut l’occasion de diffuser largement dans le milieu syndical une vision des risques psychosociaux comme conséquence d’une impossibilité, pour le salarié, de mettre en débat sa vision du travail bien fait. De 2014 à 2018, deux opérations du même type eurent lieu avec la CGT des cheminots, de concert avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. À chaque fois, il s’agissait d’un travail dans la durée (plus d’un an) permettant un co-développement entre chercheurs et syndicalistes.

Il mena par ailleurs des interventions prolongées en direction de nombreux milieux professionnels : employées de pressing, personnels hospitaliers, médecins du travail, employées des caisses de sécurité sociale, travailleurs du nucléaire et de la distribution électrique, ingénieurs du secteur des technologies de l’information et de la communication, médecins généralistes, inspecteurs et contrôleurs du travail.
Il apporta, en 2014, son concours aux verriers de Givors dans leur lutte pour faire reconnaître les pathologies liées à leurs expositions professionnelles.

Tout au long de sa carrière, Philippe Davezies s’efforça de rendre accessibles pour les salariés et leurs représentants les leçons qu’il tirait de ses travaux, à travers des textes mis en libre accès sur son site.

En 2015, il prit sa retraite, et participa à la coordination de l’ouvrage encyclopédique Les risques du travail, pour ne pas perdre sa vie à la gagner, qui reprenait, trente ans après, les objectifs d’une première édition, pilotée en particulier par Bernard Cassou : mettre à la disposition des militants, notamment en CHSCT, des connaissances actualisées sur les effets du travail sur la santé, pour soutenir l’action sur les situations de travail. Il s’opposa à une volonté de l’Ordre des médecins de limiter la possibilité pour les médecins de déclarer certaines pathologies professionnelles.

Philippe Davezies épousa, en 1972, Marie-Françoise Bringuier, attachée d’administration universitaire. Ils eurent quatre enfants (Sarah née en 1978, décédée en 1978 ; Laurent né en 1979, statisticien ; Isabelle née en 1990, ingénieur agronome ; Marion, née en 1990, ingénieur agronome).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article239582, notice DAVEZIES Philippe, Laurent, Marie par François Daniellou, version mise en ligne le 24 mars 2021, dernière modification le 5 mai 2021.

Par François Daniellou

Portrait en 2001 fourni par Philippe Davezies.

ŒUVRE CHOISIE : Avec Jean-Paul Dulery, Dominique Huez, Marie Pascual, Nicolas Sandret, En finir avec l’aptitude médicale, 1998, Santé et travail, 23, 61-63. – Les impasses du harcèlement moral, Travailler, 2004, n°11, pp. 83-90. – Tensions et orientations du système français de santé au travail, Santé, Société et Solidarité , 2006, 2, pp. 23-32. – Avec Annie Deveaux, Christian Torres, Repères pour une clinique médicale du travail, Archives des maladies professionnelles et de l’environnement, 2006, 67, 119-125. – Une affaire personnelle ? pp. 138-170 in Laurence Théry, Le travail intenable, résister collectivement à l’intensification du travail, 2006, La Découverte. – Reprendre la main sur le travail ? Nouveaux regards (Institut de Recherches de la FSU), n°50, août, septembre, octobre 2010, p 22-24. – Avec Karine Chassaing, François Daniellou, Jacques Duraffourg, Recherche-action « prévenir les risques psychosociaux dans l’industrie automobile : élaboration d’une méthode d’action syndicale », avec la collaboration de Yves Bongiorno, Serge Dufour, Fabien Gâche, Julien Lusson, 2011, Rapport Emergences publié par IRES. – « Enjeux, difficultés et modalités de l’expression sur le travail : point de vue de la clinique médicale du travail », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 2012, 14-2. en ligne – Souffrance au travail, répression psychique et troubles musculo-squelettiques, Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé , 2013, 15-2. en ligne. – Avec Annie Thébaud-Mony, Laurent Vogel, Serge Volkoff (dir.), Les risques du travail, pour ne pas perdre sa vie à la gagner, 2015, 608 p., La Découverte. – Souffrance au travail et enjeux de santé : le rôle charnière de l’inflammation et du stress oxydant, Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 2017, 19-1, en ligne.– Avec Bernard Dugué, et Emmanuelle Begon, François Daniellou, Frédéric Dumalin, Clément Ruffier, Reprendre la main sur le travail, élaboration d’une méthode d’action à l’intention des militants syndicaux de la SNCF, 2018, Université de Bordeaux et ANACT. – Textes en ligne sur le site de Philippe Davezies

SOURCES : René Baratta, film L’intensification du travail, 2006, CELIDE, CFDT, Communauté européenne, ANACT. – Bernard Cassou, Dominique Huez, Marie-Laurence Mousel, Annie Touranchet-Hebrard (dir.), Les risques du travail, pour ne pas perdre sa vie à la gagner, 1985, La Découverte. – Maurice Copin, Laurent Mahieu, Troubles psychosociaux en collectivités locales, une recherche-action en cours. Revue Cadres CFDT, 2008, n° 428. – Pascal Marichalar, Qui a tué les verriers de Givors ?, une enquête de sciences sociales, 2017, La Découverte. – Pascal Marichalar et Laure Pitti. Réinventer la médecine ouvrière : retour sur des mouvements médicaux alternatifs dans la France post-1968. Actes de la recherche en sciences sociales, 2013, 1(1-2), 114-131. Ivar Oddone, Gianni Briante, Alessandra Re, Redécouvrir l’expérience ouvrière, vers une autre psychologie du travail. 1977, Editions sociales. – Laure Pitti. Une matrice algérienne : Trajectoires et recompositions militantes en terrain ouvrier, de la cause de l’indépendance aux grèves d’OS des années 1968-1975. Politix, 2006, 4(4), 143-166. – Laure Pitti, Experts « bruts » et médecins critiques : ou comment la mise en débats des savoirs médicaux a modifié la définition du saturnisme en France durant les années 1970. Politix, 2010, 3(3), 103-132. – Entretien de Philippe Davezies avec Jean-Claude Sperandio, Itinéraire personnel et professionnel sous l’angle du rapport à l’ergonomie, Commission d’histoire de la Société d’ergonomie de langue française, 2019. – Laurence Théry avec Francis Bourdon, François Daniellou, Philippe Davezies, Bernard Dugué, Corinne Gaudart, Cécile Guillaume, Danielle Mezzarobba et Nadine Olivier, Le travail intenable, résister collectivement à l’intensification du travail, 2006, La Découverte.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable