FILIÂTRE Roland, Nicolas, Benoît, écrit souvent FILIATRE

Par Jean-Michel Brabant, Claude Pennetier

Né le 15 septembre 1900 à Saint-Mandé (Seine, Val-de-Marne), mort le 4 septembre 1991 à Maisons-Alfort (Val-de-Marne) ; électricien à la ville de Paris ; militant socialiste puis communiste devenu trotskiste ; déporté en Allemagne ; militant de la Nouvelle gauche, de l’UGS et du PSU à Maisons-Alfort.

Roland Filiâtre et Yvonne en 1986 (collection famille Filiâtre)
Roland Filiâtre et Yvonne en 1986 (collection famille Filiâtre)

Roland Filiâtre est bien né le 15 septembre 1900 à Saint-Mandé mais son acte de naissance ne figure pas à cette date car son père, Charles Filiâtre (1889-1920) "très bohème" oublia de faire la déclaration. Troisième d’une famille de dix enfants, Roland Filiâtre avait un père artiste, pamphlétaire, librettiste pour l’Opéra comique, et de plus socialiste ; sa mère (Camille Dreux [1876-1929]) était originaire d’une famille bourgeoise du Palatinat, mais" voltairienne". Le foyer n’était pas riche ; la mort prématurée des parents plongea les enfants dans la pauvreté. Roland Filiâtre fut à l’école un « élève indiscipliné » et abandonna ses études dès l’âge de treize ans. Il adhéra alors à la Jeunesse socialiste de La Garenne-Colombes (Seine, Hauts-de-Seine), suivant ainsi la tradition de son père, et, selon la mémoire familiale déclara aux six de ses frères et sœurs dont à vingt ans il avait la charge, "nous sommes pauvres donc nous sommes des ouvriers". Roland Filiâtre vécut, à cette époque, de petits métiers et fut notamment employé dans une perception.
Membre du Comité des jeunes pour la reprise des relations internationales, en 1916, son action lui valut d’être arrêté pour « intelligences avec l’ennemi ». Bien que n’étant jamais passé en jugement, il fut emprisonné pendant quatre mois à Versailles.
Cette dure expérience contribua sans doute à lui faire accueillir encore plus favorablement la Révolution russe et il devint un ardent partisan de l’adhésion à la IIIe Internationale et un militant communiste. Les méthodes de la bolchevisation portées, entre autres, par Albert Treint rencontrèrent son hostilité. Il s’opposa à la direction du parti sur le terrain de l’organisation interne et désapprouva les « votes à l’esbroufe et la trop grande dépendance vis-à-vis de l’Internationale ». Son action militante n’en continuait pas moins, et, en 1925, il fut de nouveau incarcéré pendant quinze jours. Par la suite, des divergences, doublées de problèmes familiaux, l’éloignèrent de l’activité politique. Il quitta alors le PC, peu de temps avant que Treint ne soit éliminé.
Durant cette période, Roland Filiâtre acquit une formation professionnelle d’électricien obtenue à la fois sur le tas et grâce aux cours des Arts et Métiers. Jusqu’en 1934, il ne suivit que de l’extérieur l’évolution du mouvement ouvrier.
Frappé par la manifestation du 12 février, à laquelle il participa, il décida de rejoindre le Parti socialiste SFIO de Conflans-Sainte-Honorine (Seine-et-Oise, Yvelines) où il habitait. À l’occasion de l’apparition de comités de chômeurs dans la région, auxquels il avait participé avec des jeunes socialistes, des jeunes communistes et des militants de Front commun, il avait déjà été sensible à la nécessité de l’union contre les fascistes. À la SFIO, il rejoignit le courant trotskiste du groupe bolchevik-léniniste, fondé en septembre.
Le 17 septembre 1935, la commission des conflits de Seine-et-Oise prononça l’exclusion de Roland Filiâtre, accusé d’avoir durement critiqué les dirigeants locaux. Quelques jours avant (le 14 décembre) Roland et Yvonne Filiâtre avaient obtenu leur mutation à la section de Maisons-Alfort (Seine, Val-de-Marne), où ils venaient de s’installer. Les militants locaux passèrent outre à la décision de la fédération de Seine-et-Oise. L’arrivée de ce militant expérimenté, excellent orateur et animateur né, donna une vie nouvelle à la section. Il y fit la connaissance du jeune Marcel Pennetier qui avant son départ au régiment s’était inscrit dans la ville où vivaient ses oncles et tantes et de Marcel Chenel qui était un de ses voisins dans les nouveau HBM du Vert de Maisons.
Le GBL quitta la formation socialiste à la fin de l’année 1935. Filiâtre participa, en juin 1936, à la fondation du Parti ouvrier internationaliste, mais il resta membre de la section socialiste de Maisons-Alfort. Avec onze autres militants, dont certains proches semble-t-il, de la Gauche révolutionnaire, il présenta une liste à l’élection de la commission exécutive. Il recueillit 32 voix contre 47 à Alfred Milliot, candidat le mieux placé de la CE sortante. Sa double appartenance posa bientôt des problèmes. À la réunion de section du 28 novembre 1936, André Dreux* déclara avoir « assisté à la réunion du Vert (quartier de Maisons-Alfort), organisée par des membres de la IVe Internationale et (avoir) été surpris de constater que des camarades de la section socialiste ont participé à l’organisation de cette réunion, qui était présidée par Filiâtre ». Le 19 décembre 1936, la section lui demanda de ne plus vendre La Lutte ouvrière sur le marché. Malgré l’estime dont jouissait Roland Filiâtre, les divergences politiques croissantes décidèrent la section à demander son exclusion. Une demande de contrôle fut votée le 16 janvier 1937 par 49 voix contre 11 et 7 bulletins blancs. Il obtint, à cette époque, sa titularisation comme ouvrier d’État électricien. L’administration l’affecta à l’atelier central de la ville de Paris.Il logea des militant clandestin dont le trotskyste allemand Rudolf Klement qui ne réapparut plus au domicile du Vert de maison en juillet 1938, il avait été assassiné par les services soviétiques, son cadavre décapité fut retrouvé et découpé fut retrouvé dans un valise dans la Seine.
Critiquant certains aspects de l’opposition trotskiste, notamment au sujet de la nature de classe de l’Union soviétique, Roland Filiâtre refusa de rejoindre, au début de 1939, le Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert que rallia la majorité du POI. Mobilisé le 1er septembre 1939, il participa à la défense de Dunkerque où il fut fait prisonnier le 4 juin 1940. Il eut alors l’occasion de s’initier à l’allemand et de dialoguer avec un autre prisonnier, Jean Bruhat, qui ne réfutait pas son analyse des Procès de Moscou et du Stalinisme, tout en déclarant qu’il fallait un Parti communiste française fort et discipliné, même vis-à-vis de l’URSS.
Rapatrié en France, en octobre 1942, il dirigea alors l’intervention des militants trotskistes en direction des soldats de l’armée allemande. Arrêté par la Gestapo, le 7 octobre 1943 avec Yvonne Filiâtre à leur domicile de Maisons-Alfort, il subit un interrogatoire accompagné de tortures. Il fut déporté à Dachau, Buchenwald, puis Dora du 29 janvier 1944 au 13 mars 1944, matricule 43997 et libéré par les troupes russes en juin 1945. David Rousset évoqua à de nombreuses reprises Roland Filiâtre dans Les Jours de notre mort.
De retour en France cette même année, il rejoignit le Parti communiste internationaliste. Membre de son comité central et représentant de son parti aux élections de 1945 et 1946, il fut poursuivi pour son action contre la guerre du Vietnam. Quittant définitivement le mouvement trotskiste en 1948, il n’adhéra à aucune organisation tout en maintenant des liens avec l’action militante. En 1951, il se présenta aux élections législatives, à Maisons-Alfort, sous le sigle du Cartel des gauches indépendantes. Membre dès sa fondation de la Nouvelle gauche, il en devint l’un des responsables parisiens en 1957, puis fut élu au comité politique de l’Union de la gauche socialiste (UGS). En 1960, il devint membre du comité politique national du Parti socialiste unifié. Réélu jusqu’en 1963, il abandonna ses responsabilités pour des raisons de santé. Membre des comités de rédaction, au début des années 1960, de Perspectives socialistes et de la Nouvelle revue marxiste, il participa activement au Centre d’études socialistes et rédigea, dans ce cadre, une brochure traitant du problème de l’évolution récente des techniques.
Ouvrier et intellectuel, ami d’enseignants comme Yvan Craipeau, d’universitaires comme Pierre Naville et Laurent Schwartz, Roland Filiâtre fut une des figures marquantes du courant marxiste révolutionnaire. Il était écouté, estimé, mais son indépendance d’esprit, son aversion pour les manœuvres d’appareil l’écartèrent des postes dirigeants. Enthousiaste, généreux, courageux, il donna le meilleur de lui-même dans les périodes de clandestinité. Pendant les temps de sommeil de l’action révolutionnaire, Roland Filiâtre devenait « artiste », « philosophe » et, sur la fin de sa vie, manifestait un certain scepticisme quant aux capacités révolutionnaires de la classe ouvrière.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23963, notice FILIÂTRE Roland, Nicolas, Benoît, écrit souvent FILIATRE par Jean-Michel Brabant, Claude Pennetier, version mise en ligne le 22 décembre 2008, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par Jean-Michel Brabant, Claude Pennetier

Roland Filiâtre et Yvonne en 1986 (collection famille Filiâtre)
Roland Filiâtre et Yvonne en 1986 (collection famille Filiâtre)
À Potangis, discussion politique avec Guy Prévan en 1986
À Potangis, discussion politique avec Guy Prévan en 1986

SOURCES : Arch. J. Maitron. — Arch. section socialiste de Maisons-Alfort. — La Vérité, 13 octobre 1945 et 24 mai 1946. — Témoignage autobiographique, 28 avril 1974. — État civil de Saint-Mandé, recherche infructueuse. — Renseignements fournis par sa fille, Rolande Filiâtre-Millot. — Sous son prénom de Roland, il est un des personnages du roman de David Rousset, Les jours de notre mort, Le Pavois, 1947. — Il est un des personnages du roman de Didier Daeninckx, Missak, paru en 2009.

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