FRAISSEIX Jules, Léonard

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Michel Patinaud

Né le 12 juillet 1872 à Peyrat-le-Château (Haute-Vienne), mort le 1er novembre 1952 à Eymoutiers (Haute-Vienne) ; docteur en médecine ; militant socialiste puis communiste de la Haute-Vienne ; maire d’Eymoutiers (1919-1940, 1945-1952), député (1928-1932), conseiller de la République (1946-1948).

[Sénat]

Jules Fraisseix était fils de Léonard Fraisseix et de Louise Nony qui tenaient un commerce à la fois hôtel, restaurant et débit de vins. Il fit ses études secondaires au lycée de Limoges, ses études médicales à Limoges puis à Paris. Interne à l’asile interdépartemental de Clermont-sur-Oise, il adhéra à un « Cercle d’action laïque » qui bataillait pour la révision du procès Dreyfus. Ses études médicales terminées, il s’établit médecin à Eymoutiers en 1900.

« Instinctivement, je puis dire, j’étais à gauche… républicain-démocrate sentimental, ignorant tout de la cuisine politique [...] mais dressé d’avance depuis longtemps contre la "noblaille" ». Avec quelques amis, il organisa un groupe socialiste, d’abord adhérent de la Fédération socialiste autonome, dont Édouard Treich, candidat socialiste dans la 2e circonscription de Limoges, était un des animateurs. Entré en relations avec les militants limogeois du Parti socialiste de France, le « Cercle d’études socialistes » d’Eymoutiers donna son adhésion à ce Parti en 1903. Il était admirateur de Jules Guesde, avec lequel il s’identifia toujours, jusqu’au physique. Ses amis reprirent d’ailleurs plus tard les mêmes termes pour parler de lui : « apôtre loyal, probe, inattaquable et pur ».

En 1906, le Dr Fraisseix se porta candidat au conseil général et recueillit 800 voix contre le conseiller sortant, le Dr Pradet, un radical, dont les idées politiques devenaient toujours plus modérées. La bourgeoisie locale chercha alors à enlever au Dr Fraisseix sa clientèle pour l’amener à quitter la région. Mais le Dr Fraisseix se maintint et, en 1908, fut élu conseiller municipal d’Eymoutiers. En 1910, il était conseiller général du canton. Il conserva ce mandat jusqu’en 1940, puis de la Libération à sa mort. En 1919, il avait été élu maire d’Eymoutiers, mandat qu’il conserva également jusqu’en 1940 puis de 1945 à sa mort.

En 1920, à la scission de Tours, le Dr Fraisseix était allé au Parti communiste avec trois autres conseillers généraux : Joseph Lasvergnas de Saint-Junien, Gabriel Texier d’Ambazac, Jean Châtenet de Saint-Mathieu. Sauf à Saint-Mathieu, où la personnalité de Châtenet était moins forte, les communistes ont gardé depuis 1920 la majorité dans les trois cantons. Les électeurs de Fraisseix le suivirent. Son honnêteté foncière lui valut une grande autorité. Il fut délégué à la commission départementale au conseil général et il se présenta aux élections sénatoriales du 9 janvier 1927.

En 1928, il fut élu, au second tour, député de la 2e circonscription de Limoges contre un candidat socialiste assez malencontreux, radical avant 1914, figurant sur la liste du Bloc national en 1919, radical en 1924, adhérent du Parti socialiste après 1924.

Le docteur Fraisseix ne souhaitait pas être élu. Henri Lozeray le confirma lors d’une réunion du comité central le 8 septembre 1929 : « On l’a presque forcé pour être député » (ex. I.M.Th.) et il ne conserva pas un bon souvenir de ses quatre années au Palais-Bourbon. Dans ses souvenirs inédits, Albert Vassart raconte une anecdote significative qui se situe au début de la législature :

« Je me souviens d’un discours qu’on m’avait chargé de transmettre tout rédigé au Dr Fraisseix, député mais brave homme (mal élu) de la Haute-Vienne pour qu’il intervienne dans la discussion sur le budget. Le vieux docteur se tirait pensivement la barbe en écoutant la lecture du discours préparé par les soins d’une Agit-Prop clandestine sur laquelle je n’en savais pas plus que lui : quand ce fut fini, il me déclara que son état de santé ne lui permettant pas d’assister régulièrement aux séances, il vaudrait peut-être mieux que le secrétariat désigne un autre orateur...

« Mais c’est justement lui qui était désigné parce qu’il était connu pour sa modération et sa courtoisie et que le discours préparé était particulièrement agressif. Il me promit finalement qu’il “s’inspirerait” du papier que je lui transmettais ; mais ce fut au-dessus de ses forces et, quand je lus son intervention dans L’Officiel, je n’y retrouvai aucune des formules explosives que contenait le texte qu’il aurait dû lire. »

La représentation du Parti communiste, s’étant trouvée réduite à neuf députés, leur laissait une faible marge d’action. Il fut de ces députés auxquels fut reproché leur vote en faveur de la loi des assurances sociales et, en 1932, il ne fut pas représenté. Gabriel Texier fut candidat à sa place. Il ne fut pas davantage candidat aux élections législatives de 1936. Au conseil général, il fut avec Joseph Lasvergnas le leader de la fraction communiste. Il exprima la désapprobation de la politique munichoise par les communistes qui s’opposèrent à une motion de félicitations au président Daladier et au ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet, votée par tous les conseillers généraux non communistes.

Après une séance orageuse en octobre 1939 où les communistes furent accusés de trahison, Jules Fraisseix et ses amis cessèrent de siéger au conseil général, privés de leur mandat. Sous le gouvernement de Vichy, le Dr Fraisseix souffrit d’une hémorragie interne qui l’obligea à entrer en clinique. Guéri, il fut considéré comme en convalescence par le préfet régional de Limoges qui le plaça sous surveillance et lui interdit d’exercer son métier. Le 6 avril 1944, les Allemands vinrent l’arrêter. Le Dr Fraisseix était parti avec sa famille quelques minutes auparavant. Et ce furent « cinq mois de vie misérable . J’allai de village en village, les miliciens aux trousses ».Pendant cinq mois, il vécut dans la clandestinité et fut médecin pour la résistance.

À la Libération, il reprit son activité politique. Il fut président du Comité de Libération d’Eymoutiers, membre du Comité départemental de Libération. Il fut placé à la tête du Comité, le 26 septembre 1944. Dès le 4 octobre, trois démissions survinrent, dont deux communistes. L’un d’eux, L. Pouteix (qui sera plus tard premier adjoint du neveu) expliqua ainsi son geste : « à mon avis, Fraisseix aurait dû refaire une liste communiste et laisser le Comité de Libération ». La volonté unitaire maintes fois affirmée du maire d’Eymoutiers explique sans doute l’attitude conciliante des socialistes à son égard (cf. cantonales de 1937 et 1945). Elle constituait bel et bien une pomme de discorde entre communistes "pelauds". C’est en raison de son grand prestige que le PCF ne lui fit aucun reproche, mais le malaise était bien réel. Il reprit aussi son activité médicale. En novembre 1946, il fut élu conseiller de la République. Il souffrit de n’être pas réélu en décembre 1948. En mai 1950, il fut suspendu de ses fonctions de maire par le préfet pour avoir refusé de porter la mention « Mort pour la France » en marge des actes de décès d’un habitant, le notaire Brénac, exécuté publiquement en mai 1941 par la résistance.

Marié, le Dr Fraisseix eut une fille, Claude, née en 1921, mais pas de fils. Il se remaria à l’âge de cinquante ans avec une femme de vingt-cinq ans plus jeune que lui. Il fut proche de son neveu, Jean Fraisseix, né le 29 avril 1922 à Limoges d’un père orfèvre. Jean Fraisseix fut médecin des maquis. Il milita à l’UJRF puis au PCF. Maire d’Eymoutiers de 1952 à 1989, conseiller général, il fut en désaccord avec le PCF à propos de la Hongrie, du contrôle des naissances, de l’anticolonialisme (il signa le Manifeste des 121), des relations avec les socialistes. Exclu du Parti communiste en 1961, il devint communiste indépendant et conserva le soutien de la population d’Eymoutiers. En 1964, il adhéra au comité de réhabilitation d’André Marty.

On ne peut parler des « crises d’indépendance » des communistes du canton d’Eymoutiers sans évoquer le souvenir du grand précurseur que fut le Dr Jules Fraisseix. Bien que n’ayant jamais été dissident, certains aspects de sa vie préfigurent les grands moments des années d’après-guerre. On ne peut s’empêcher de penser à l’influence qu’il a pu avoir sur son neveu et successeur, Jean.

Pourtant, J. Fraisseix ne fit jamais aucune critique publique à l’égard de son parti, au contraire : ‘La doctrine communiste actuelle prolonge, comme le fruit continue la fleur, les doctrines et programme d’émancipation ouvrière qui se sont succédés…. Depuis cent ans ». Ses mémoires se terminent par l’apologie du régime soviétique : « là-bas, deux cents millions d’hommes travaillent et prospèrent…. Aucun d’eux n’est esclave, aucun d’eux n’est maître, ils sont égaux et véritablement frères…. Le bonheur viendra pour eux… si on leur fiche la paix ». Retrouvant sa mairie, son siège de conseiller général ; récompensé par un siège de conseiller de la République , le « père Fraisseix » fut encensé par la direction du PCF jusqu’à sa mort.
En fait, tout le monde se reconnaît en lui et l’unanimité des éloges a de quoi surprendre quand on connaît l’histoire du Parti Communiste. Nous avons plusieurs aspects de la version officielle, selon les niveaux. Dans la préface d’ « Au long de ma route », Marcel Cachin parle de Jules Fraisseix comme « un exemple de probité politique, de courage et d’honneur sans tâche ». Son vieil ami lui reconnaît d’avoir été « le défenseur passionné de l’Unité du peuple de France ». Cette référence à l’unité de la classe ouvrière- et même au-delà- est, si on veut bien y regarder à deux fois, un premier signe d’indépendance d’esprit. En effet, à la différence du PCF, Jules Fraisseix ne varia jamais de cette position.. Mais il faut bien reconnaître qu’en 1946, année où ces lignes furent écrites, la politique unitaire du maire d’Eymoutiers « cadrait parfaitement avec la stratégie du Parti Communiste qui préconisait « l’unité populaire (comme) règle essentielle pour battre définitivement le fascisme ». Voilà pour le portrait d’ « un homme qui fait honneur au PCF”, à la fois officiel et amical, dressé par un haut dirigeant du Parti. La version régionale n’en diffère aucunement. Que ce soit dans les colonnes de « l’Echo » ou du « Travailleur Limousin », J. Fraisseix fut toujours « notre vieux camarade qui a consacré toute sa vie au service du peuple… jouissant de l’estime de tous les républicains », ou encore « une noble figure du socialisme dans le département “. Les éloges prononcés à quelques mois d’intervalle à l’occasion de ses 80 ans (12 juillet 1952), puis de son décès (1 er novembre 1952) ne manquent pas à cette vision mythique du « vieux Jules ». Les communistes "Pelauds" ont constamment manifesté le même respect. Chaque année, une délégation de la section se rendait au cimetière « fleurir la tombe où se’ repose ce militant irréprochable… qui ne dévia jamais de cette ligne ». Bien que renié par ses anciens amis, et en froid avec sa tante, Jean Fraisseix, s’est toujours recommandé de son oncle, comme « successeur spirituel d’un fondateur du communisme limousin ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23982, notice FRAISSEIX Jules, Léonard par Jean Maitron, Claude Pennetier, Michel Patinaud, version mise en ligne le 27 décembre 2008, dernière modification le 28 octobre 2022.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Michel Patinaud

[Sénat]

ŒUVRE : Au long de ma route. Propos anecdotiques d’un militant limousin, plaquette, Limoges, 1946, 132 p.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13091. — Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Renseignements recueillis auprès du maire adjoint d’Eymoutiers. — Compère-Morel, Grand dictionnaire socialiste, p. 319. — Le Monde, 27 janvier 1953. — Débat communiste, 15 juin 1964. — Michel Patinaud, Un canton « rouge » : Eymoutiers, laboratoire du communisme rural (1945-1989), Université de Toulouse-Le Mirail, 1991. — État civil de Peyrat-le-Château. — Michel Patinaud, "Jules Fraisseix : un paradoxe de notable "rouge" revue D’onte ses, 2019.

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