CRÉANGE Pierre [CRÉANGE Samuel, Pierre, Joseph]

Par Daniel Grason

Né le 24 octobre 1901 à Paris (VIIIe arr.), tué en septembre 1942 à Auschwitz (Pologne) ; franc-maçon ; socialiste ; membre de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ; de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA) ; de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) ; écrivain et journaliste ; déporté ; victime de l’antisémitisme.

Fils de Moïse, trente-sept ans à la naissance, capitaine puis lieutenant-colonel d’artillerie et de Jane, Julie Level, Samuel Créange était prénommé familièrement Pierre. Il épousa le 3 novembre 1927 en mairie du XVIe arrondissement, Raymonde Esther Cahen, trente-et-un ans, fille d’un négociant, le couple eut deux enfants Françoise et Robert. La famille demeura 32 rue La Fontaine (Paris, XVIe arr.), puis 4 bis rue de Buzenval à Boulogne-Billancourt (Seine, Hauts-de-Seine).
Ancien élève de l’école Polytechnique, ex.-commandant des 219e et 231e Régiment d’artillerie, Pierre Créange était franc-maçon et socialiste. Il travaillait avec son beau-père dans commerce de chemiserie et chapellerie au 85 rue La Fontaine. Écrivain et journaliste, il réalisa quatre recueils de vers, et un livre en prose Épitres aux juifs et un récit autobiographique de sa jeunesse (non publié) "L’enfant et la haine" où il manifestait sa haine de l’internat, de l’uniforme et de l’antisémitisme. Il collaborait au journal Le Droit de Vivre édité par la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme (LICA). Il fut membre du Comité central de l’organisation, le président de la section de Boulogne-Billancourt. Il était également l’animateur du cercle Henri Barbusse (Université populaire).
Pierre Créange prenait souvent la parole dans les réunions et meetings organisés par le Front populaire. L’Humanité se faisait l’écho de son activité au sein de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), certains de ses poèmes furent à la radio (L’Humanité du 27 juin 1935 et 1er septembre 1935), il assista à l’inauguration de l’école d’orateurs (10 décembre 1935).
En 1934, Pierre Créange était le président de la section du XVIe arrondissement de Paris de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (L.I.C.A.), avec au bureau deux vice-présidents Georges Zérapha et Tedesco, la secrétaire Colette Lévy, le trésorier Heilbronner, et deux autres membres Pierre Paraf et Dupertal. (DDV 1er juin 1934).
Le Droit De Vivre annonçait régulièrement les initiatives de l’association.
Le 12 juillet 1934 Henri Levin et Pierre Créange donnèrent une conférence au café du « Khédive », place Gambetta dans le XXe arrondissement, le premier fit un exposé sur « La Ligue et le Fascisme », et le second sur « Les Juifs et la L.I.C.A. »
Le 1er février 1935 était annoncé une conférence où il interviendrait sur « Laïcité et tolérance ». Le mercredi 6 mars 1935 il participa à un meeting à Boulogne-Billancourt avec Bernard Lecache, Pierre Bloch et Louis Lagorgette.
Le 21 février 1935 rue de l’Annonciation devant les adhérents du XVIe XVIIe , il examina la situation de l’antisémitisme en France et dans les colonies. Il préconisa le boycott des produits hitlériens
Le 12 mars 1935, salle de la Gaité dans le XVe arrondissement, il donna une conférence sur le « Sionisme », Rodrigues sur « L’assimilation » et Henri Levin présenta « La thèse de la Lica ».
Le 4 avril 1935 aux côtés de Pierre Paraf, Pierre Créange présenta un exposé sur l’action des Anciens combattants à la L.I.C.A.
La librairie de l’association proposait plusieurs ouvrages à leurs adhérents : « Bernard Lecache : Séverine, « Les Ressuscités  » ; Jules Vallès : « Souvenirs d’un étudiant pauvre » ; Pierre Paraf : «  Israël 1931, Les Russes sont-ils heureux ?  » ; Charles-Auguste Bontemps : « L’Homme devant l’église » ; Pierre Créange : « Vers les pays qui ne sont pas » ; Raymond Offner : « Vaincre » ; « Les chaînes brisées, de Jésus-Christ à Karl Marx » ; « Le Livre Brun » ; « Israël, des origines au milieu du VIIIe Siècle. »
Dans le DDV du 1er janvier 1934 paraissait : « Une réponse à M. Vautel »
« Le lendemain de notre congrès triomphal et du grand banquet qui le suivit, M. Clément Vautel repartait en guerre contre la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme et traînait dans sa boue les personnalités qui nous secondent et qui voulurent bien s’asseoir à la table d’honneur de notre banquet.
Bien que dans « Cyrano », plus tard devant la tentative des antisémites français de « rosser les Juifs du 4e arrondissement », Clément Vautel se soit donné à lui-même un démenti, il nous plait de mettre sous les yeux de nos lecteurs la lettre que le Lieutenant-Colonel Créange, vice-président de notre section de Fontainebleau, lui a adressé :
« Monsieur,
Je ne saurais pas laisser sans protestation votre Film du "Journal" où vous prenez comme cible la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme à laquelle j’appartiens. Votre article contient des passages abominables.
En écrivant que l’activité de la L.I.C.A. s’expliquerait mieux à Berlin vous voulez être spirituel par cette boutade d’une ironie facile : vous n’êtes qu’inconvenant.
Et vous savez bien que, même à Paris, l’antisémitisme n’est pas imaginaire. Faut-il vous rappeler les meutes déchaînées de l’ "Action Française" faisant une razzia rue des Rosiers, il n’y a pas si longtemps ; faut-il vous rappeler la campagne de l’Ami du Peule contre les parasites, non pas de la finance tout court, mais de la finance juive : faut-il vous rappeler l’affaire Rozenwaig ; faut-il vous rappeler enfin, que M. de Kérillis, qui nie être antisémite (c’est une maladie honteuse et rares sont ceux qui, en France, avouent en être atteints), que M. de Kérillis faits une distinction entre juifs bien nés… et les autres !
Des innocents en souffrent et en souffriront… Mais des centaines de milliers d’êtres humains seront sauvés.
Vous osez écrire en pensant à nous : "Pour un peu ces gaillards-là crieraient dans les rues : "Français, allez délivrer nos Frères !"
Les Juifs, Monsieur, n’ont pas l’habitude de se faire tuer par procuration quand le pays dont ils sont citoyens est en danger. Ils l’ont prouvé, Français ou Allemands, pendant la dernière guerre et j’espère qu’ils n’auront plus à le prouver.
Pourquoi, Monsieur, n’avoir pas dit à vos lecteurs que Bernard Lecache s’est écrié récemment : "Périssent tous les Juifs d’Allemagne, s’il faut une guerre pour les délivrer."
Si le boycottage décidé par la Fédération Internationale à laquelle appartient la C.G.T. et par la L.I.C.A. est généralisé, ou plutôt continue à l’être, Hitler prendra peu prendra peur, et lui, qui demande l’égalité des droits pour l’Allemagne, il la donnera à tous les Allemands, y compris les non-aryens…
Quant à votre supposé M. Lévy qui vous aurait dit : "Si ces excités-là continuent, ils vont me rendre antisémites" je reconnais qu’il y a assez nombreux pareils.
Il est des Juifs français qui, soucieux avant tout de leur tranquillité, veulent bien faire l’aumône (et encore !) aux réfugiés, mais bornent à cela leur action et ne veulent voir en les juifs persécutés que des Allemands "comme les autres".
Ces Juifs-là, Monsieur Vautel, vous aiment et vous lisent volontiers. Ils ne deviendront pas antisémites : Ils le sont.
Ils ont en vous le porte-parole à leur image qu’ils méritent.
Veuillez agréer, etc…
Lieutenant-Colonel Créange,
Ancien élève de l’École Polytechnique
Ex-Commandant des 219e et 281e Rt d’artillerie. »
Clément Vautel un auteur à succès, à gros tirage, traduit en plusieurs langues, chroniqueur dans plusieurs journaux, était un xénophobe un antisémite qui se revendiquait comme tel.
Pendant la guerre le couple Créange se réfugia à La Rochefoucault en Charente avec leurs deux enfants. Livrés par le passeur qui devait leur faire franchir la ligne de démarcation, ils furent arrêtés, leurs deux enfants échappèrent à l’interpellation.
Pierre et Raymonde Créange était dans le convoi n° 34 qui partit de Drancy le 18 septembre 1942. Ils y moururent tous les deux.
Les noms de Pierre et Raymonde Créange ont été gravés sur le Mur des noms au Mémorial de la Shoah 17, rue Geoffroy-l’Asnier à Paris IVe arrondissement. Son nom a été inscrit au Panthéon sur la plaque « Aux écrivains morts pour la France ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article239917, notice CRÉANGE Pierre [CRÉANGE Samuel, Pierre, Joseph] par Daniel Grason, version mise en ligne le 9 avril 2021, dernière modification le 23 décembre 2021.

Par Daniel Grason

Raymonde Cahen.

OEUVRE : Le Phare, organe de la section de Boulogne, publia en feuilleton un ouvrage autobiographique de son père "L’enfant et la haine".

SOURCES : Arch. PPo. 1 W 7. – L’Humanité 27 juin, 1er septembre, 11 novembre 1935, 10 décembre 1935. – Le Droit de Vivre, 1934, 1935. – Laurent Joly, Le préjugé antisémite entre « bon sens » et humour Gaulois, Clément Vautel (1876-1954), Cairn Info, 2010/1 (en libre accès). – Emmanuel Debono Aux origines de l’antiracisme. La LICA, 1927-1940, CNRS Éditions, 2012. – État civil Paris VIIIe arr. V4E 8772 acte n° 2023, acte de mariage Paris XVIe arr. 16M 247 acte n° 1750. – Site internet du Mémorial de la Shoah.

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