RAMEAU Roger, Pierre

Par François Daniellou

Né le 27 mai 1920 à Nevers (Nièvre), mort le 16 juin 2016 à Nevers ; ingénieur des mines aux Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais, ergonome, fondateur du Centre d’études des problèmes humains du travail, enseignant d’ergonomie à l’université d’Orsay ; syndicaliste CGT puis CFTC et CFDT, expert technique CFDT pour les procès des catastrophes minières de Liévin, Merlebach et Forbach, militant et formateur pour la prévention de la silicose et des autres maladies professionnelles des mineurs.

Roger Rameau (à gauche) avec Bernard Vandevyver en 1966.

Fils unique d’Étienne Rameau, né de parents paysans, valet de chambre dans un château puis négociant en vin, et de Madeleine Cornu, de parents paysans, qui travailla dans une ferme, puis au château où elle rencontra son futur mari, Roger Rameau grandit à Nevers, où sa mère, après son mariage, tenait un café. Dans cet établissement, il prit le goût et la facilité de faire connaissance avec les autres. Après des études secondaires au lycée Jules-Renard de Nevers, il suivit les classes préparatoires aux grandes écoles à Mauriac (Cantal) puis en 1940-1941 au lycée du Parc à Lyon (Rhône). Dans le cadre du stage obligatoire de huit mois dans les Chantiers de jeunesse imposé par la loi du 18 janvier 1941, il travailla comme manœuvre dans la mine de La Machine (Nièvre) et obtint sa carte de mineur. Après une année de droit à Paris, il intégra en 1942 l’École supérieure de la métallurgie et de l’industrie des mines de Nancy (Meurthe-et-Moselle), dont il sortit ingénieur civil de la métallurgie et des mines, mention mines, le 1er septembre 1944.

Il rencontra Simone Serres, née en 1924 à Jeandelaincourt (Meurthe-et-Moselle), qui décéda en 2012 à Nevers. Elle travaillait comme secrétaire chez un médecin et fit de fausses cartes de travail pour éviter à des jeunes le Service de travail obligatoire (STO) en Allemagne. Elle fut arrêtée, frappée durant trois interrogatoires, et emprisonnée, à 19 ans, à la prison des Hauts-Clos de Troyes (Aube) du 30 août au 19 décembre 1943. Elle fut reconnue en 2004 « combattante internée » et détenait la carte de la Fédération nationale des déportés et internés. Roger Rameau l’épousa en mai 1944 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), et ils eurent sept enfants : Jacques (1944-1997), architecte ; Emmanuelle (1945), dessinatrice industrielle ; Dominique (né en 1947), aide-bibliothécaire ; Gilles (1948), kinésithérapeute ; Philippe (1949), aide-comptable ; Guillaume (1954-2003), responsable magasinier ; Catherine (1956), orthophoniste. Simone Rameau géra toute la logistique familiale, alors que son époux était peu présent à la maison, et les témoins se souviennent d’une maison accueillante où l’on était toujours bienvenu grâce à Simone, son humour et sa gaîté.

Roger Rameau entra en 1944 comme ingénieur d’exploitation aux Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais (HBNPC), qui comptaient à l’époque 200 000 salariés. Il encadrait 800 mineurs, et prit la mesure de la responsabilité des ingénieurs en matière de sécurité, notamment en ce qui concernait le boisage et le soutènement des galeries, ainsi que leur ventilation. Il se syndiqua d’abord à la CGT dès 1945, puis à la CFTC dont il suivit la transformation en CFDT. Il resta catholique pratiquant jusqu’à la fin des années 1960. Politiquement, il était anti-stalinien, proche de Pierre Mendès France puis de Michel Rocard et du PSU.
En 1950, il fut chargé de la formation professionnelle, à la fois pour la formation d’agents de maîtrise (chefs porions) et pour la formation de base des nombreux mineurs, notamment marocains et algériens, recrutés à l’époque. Ils vivaient dans des camps fermés le soir. Il développa des chantiers-écoles (galeries reconstituées en béton) et des maquettes pour favoriser la compréhension de la mine et les apprentissages.

En 1964, la direction, à l’initiative du docteur Claude Amoudru (futur médecin-chef des Charbonnages de France), lui proposa de participer à la création d’une unité d’ergonomie. Il rencontra le docteur Pierre Cazamian*, qui avait créé en 1960 un centre d’ergonomie aux Houillères des Cévennes et était devenu en 1961 responsable du Centre d’études et de recherche en ergonomie minière en région parisienne. Une équipe multidisciplinaire fut ainsi créée à Sin-le-Noble (Nord) sous le nom de Centre d’études des problèmes humains du travail (CET), avec Bernard Vandevyver, psychologue, Christophe Pternitis, médecin du Centre d’études médicales minières – remplacé en 1972 par Francis Six, physiologiste – et Roger Rameau comme directeur. Ce dernier se forma auprès de Cazamian et au laboratoire d’ergonomie du CNAM avec Alain Wisner. Le centre travailla à la fois sur des problèmes généraux de conditions de travail (bruit, chaleur), sur l’aménagement de postes et la conception de machines, et sur des problèmes transversaux (communication dans la mine). Il collabora avec le Centre d’études et de recherche des Charbonnages de France, qui devint ultérieurement l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), et avec le Centre d’études médicales minières également situé à Sin-le-Noble.

Depuis la Libération, il y avait en moyenne dans les mines un accident collectif majeur tous les deux à trois ans, faisant parfois des dizaines de morts. Le 27 décembre 1974, l’explosion dans la fosse 3-3 de Liévin (Pas-de-Calais) fit quarante-deux morts. S’opposant à la croyance en la fatalité, quatre ingénieurs CFDT, dont Roger Rameau, firent un tract dénonçant la responsabilité des Houillères. Ils furent contraints de quitter l’entreprise, en pré-retraite pour ce qui concernait Rameau. Il devint enseignant d’ergonomie dans le cadre de la maîtrise de sciences et techniques d’Orsay, dirigée par le professeur Simon Bouisset, où il resta deux ans. Il marqua les étudiants par sa rigueur, son attention aux détails, son écoute, ses qualités pédagogiques et son humour.

Roger Rameau travailla bénévolement comme expert technique de la CFDT pour l’action judiciaire menée suite à la catastrophe de Liévin, avec Jean Pruvost*, secrétaire régional du syndicat des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais et Michel Aubron* du service juridique confédéral. Malgré les nombreux accidents antérieurs, il s’agissait de la première instruction judiciaire sur un accident aux Houillères. L’instruction fut d’abord confiée au juge Pascal, rapidement dessaisi. Le procès eut lieu en 1982. L’un des avocats des parties civiles était maître Henri Leclerc, qui écrivit dans ses mémoires : « Le procès a été très sérieux sur le plan technique, aidés que nous étions par Roger Rameau, ingénieur des mines en retraite, d’une compétence exceptionnelle, pédagogue étonnant, mineur dans l’âme, qui nous a appris à comprendre les problèmes techniques qui se posent à la mine, mais aussi la profondeur humaine des hommes qui travaillent au fond. Ainsi le tribunal a travaillé en permanence sur une maquette de la mine, faite par lui, d’abord contestée, puis reconnue comme parfaitement exacte. » Le chef de siège – que par ailleurs Roger Rameau estimait à titre personnel – fut condamné à une amende. Le procès et le jugement furent des événements douloureux pour Roger Rameau, car la plupart des ingénieurs lui tournèrent le dos. Mais le principal effet fut sans doute qu’il n’y eut plus aucune explosion aux HBNPC jusqu’à leur fermeture fin 1990.

Le 30 septembre 1976, une explosion au puits Vouters à Merlebach (Moselle) fit seize morts. Des plaintes furent déposées par la CFDT et la CGT. Roger Rameau travailla avec maître Leclerc et les responsables syndicaux CFDT lorrains, dont Paul Bladt, Jean Marie Spaeth* et surtout Roger Lambert* qui fut le principal animateur de l’action du syndicat des mineurs CFDT de Lorraine pour les dossiers juridiques concernant l’hygiène et la sécurité. Mais un non-lieu fut prononcé, faute notamment de plainte des familles, avec lesquelles la direction des Houillères négocia directement.

Le 25 février 1985, l’explosion au puits Simon de Forbach (Moselle) fit vingt-deux morts. Des plaintes furent déposées par les familles des victimes, la CFDT et la CGT. Un non-lieu fut d’abord prononcé, mais l’appel devant la chambre d’accusation de Metz fut couronné de succès, et le procès eut lieu en 1992 à la chambre correctionnelle de Sarreguemines (Moselle), à nouveau avec une maquette, faite sur les indications de Roger Rameau. Le tribunal descendit dans la mine. Seuls le chef de siège et son adjoint furent condamnés, cette fois à six mois de prison avec sursis.
À partir des contacts pris en 1976, Roger Rameau travailla, pendant vingt ans, avec les mineurs CFDT sur les questions d’hygiène et de sécurité, notamment en Lorraine avec Roger Lambert et dans le Nord et le Pas-de-Calais avec Serge Gouillart*. Son action porta principalement sur la prévention des risques collectifs comme la silicose et le risque lié au grisou et aux poussières explosives.

L’action collective permit d’obtenir les premiers comités d’hygiène et de sécurité (CHS) dans les mines en 1977 après l’adoption de la loi du 6 décembre 1976. Cette première victoire imposa la mise en œuvre d’un important programme de formation, technique, scientifique et juridique organisé par la Fédération nationale des mineurs CFDT. Ces formations, animées par Roger Rameau et François Dosso*, permirent aux mineurs CFDT de travailler avec d’autres militants experts comme André Cicolella*, Henri Pézerat*, Lucien Privet*et Jean-Claude Zerbib*et de former tous les membres CFDT des CHS des différents bassins miniers, y compris sur des thèmes techniques et médicaux précis, pour leur donner les moyens de faire autorité en CHS.

Roger Rameau fut nommé en 2001 membre d’honneur de la Société d’ergonomie de langue française .

Il souhaita revenir vivre à Saxy-Bourdon (Nièvre), village de sa famille, où il fut enterré aux côtés de sa femme et de son fils aîné, et au milieu des autres tombes familiales.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article239960, notice RAMEAU Roger, Pierre par François Daniellou, version mise en ligne le 11 avril 2021, dernière modification le 24 octobre 2021.

Par François Daniellou

Roger Rameau (à gauche) avec Bernard Vandevyver en 1966.

ŒUVRE : Avec Bernard Vandevyveret Claude Amoudru, « Les communications dans les groupes de travail, l’exemple des communications en taille », Le Travail Humain, 33(1/2), 1970, p. 113-124. —Avec Bernard Vandevyver, M. Prouillet, et Claude Amoudru, « Étude et aménagement d’un poste de travail : le poste de conducteur de rabot », Le Travail Humain, 34(2), 1970, p. 325-336. — Avec Claude Amoudru, René Michotet et Francis Six, « Influence de la température sur l’excrétion des électrolytes urinaires dans les travaux miniers en ambiance thermique élevée », Archives des Maladies Professionnelles, 35 (9), 1974, p. 805-814. — Avec Francis Six, « Influence de la température ambiante sur les concentrations de différents électrolytes dans l’urine. Recherche d’un critère d’adaptation au travail à la chaleur dans les mines », Le Travail Humain, 37 (1), 1974, p. 165-172. — Avec Francis Six, « Contraintes du milieu de travail et aménagement du poste de conduite d’un engin de chantier en galerie minière », XIe Congrès SELF, Vandœuvre-lès-Nancy, 1974. — « Ingénieurs et cadres, c’est le moment de réinventer le travail », Cadres CFDT, « numéro spécial santé-travail », mai-juin 1981, p. 54-56.

SOURCES : François Dosso, « Ouvrir le préjudice d’anxiété à tous les cancérogènes avérés », Bulletin de l’ANDEVA, n°60, 2019. — ISTNF, L’ergonomie dans les Hauts-de-France, Genèse et essor d’une discipline en santé au travail, Institut de santé au travail du nord de la France, 2020. — Isabelle Lambert et François Jeffroy, « Entretien avec Roger Rameau », Commission histoire de la Société d’ergonomie de langue française (SELF), 1999. — Henri Leclerc, Un combat pour la justice, La Découverte, 1994. — Henri Leclerc, La parole et l’action, Fayard, 2017. — « Liévin, un an après », Le journal du mineur CFDT, n°105, janvier 1976. — « La catastrophe de Liévin et ses suites judiciaires », Le journal du mineur CFDT, n° 128, mars 1978. — Stéphane Mazzucotelli, « Drame du puits Simon : une maquette sort de l’oubli », Le Républicain Lorrain, 11 février 2015. — Michel Pottier, « Entretien avec Francis Six », Commission histoire de la SELF, 2003 et 2013. — Michel Pottier et Antoine Laville, « Entretien avec Bernard Vandevyver », Commission histoire de la SELF, 2002. — Témoignage de François Dosso, janvier 2021. — Témoignage de Catherine Rameau, février 2021.

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