GIROT Victorien [GIROT Emile, Etienne, Victorien]

Par Marc Geniez

Né le 15 février 1875 à Canaples (Somme), mort le 12 juillet 1957 à Canaples ; instituteur, directeur d’école et de cours complémentaire ; militant mutualiste, associatif, président de l’ANPCC (1927-1932) ; maire de Canaples.

Victorien Girot – Maire de Canaples
Victorien Girot – Maire de Canaples

Fils aîné de Stéphane, Fuscien Girot, employé des chemins de fer, et de Marie, Victorine Vasseur, sans profession, Victorien Girot eut un frère cadet, Eugène, né à Canaples le 10 septembre 1882 qui devint instituteur dans la Somme.

Il suivit toute sa scolarité primaire à l’école de garçons de Canaples où il obtint le certificat d’études primaires en 1886. En 1891, il réussit au concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs d’Amiens (Somme) qui avait accueilli ses premiers élèves-maîtres en 1885. Il y obtint le brevet supérieur en juillet 1894 et sortit premier de sa promotion avec la mention « Très bon élève à tous égards ».

Il s’engagea alors pour trois ans, afin de bénéficier de la loi permettant aux instituteurs ayant souscrit un engagement décennal de n’effectuer qu’un an de service militaire. Incorporé le 7 novembre 1894, il fut donc « mis en congé » le 24 septembre 1895, puis versé dans la réserve.

Victorien Girot effectua ensuite toute sa carrière d’instituteur, de directeur d’école et de cours complémentaire (CC) dans le département de la Somme. Il fut d’abord affecté, le 10 septembre 1895, à Villers-Bretonneux puis le 15 septembre 1896 à Flesselles, en tant que stagiaire.

Il se maria le 19 août 1896 à Pozières (Somme) avec Cidalise, Marie, Euphrasie Delaporte, née le 13 mai 1872 à Pozières, institutrice formée à l’ENI d’institutrices d’Amiens de 1888 à 1892. Ils eurent une fille Jeanne, Eugénie, Olga, Rosa, née le 14 mars 1897 à Flesselles (Somme).

Victorien Girot obtint le certificat d’aptitude pédagogique (CAP) pendant l’année scolaire 1896-1897 et fut à nouveau affecté à Villers-Bretonneux en 1897 puis titularisé le 16 octobre 1898. Il fut ensuite nommé à Bernes en janvier 1902, puis à Cléry en septembre 1904. En 1908, il fut promu directeur d’école de garçons d’Escarbotin et son épouse fut affectée adjointe à l’école de filles dont elle devint rapidement la directrice.

Friville-Escarbotin était la principale commune de la petite région naturelle du Vimeu, pays à la fois rural et berceau de la serrurerie, qui ne disposait d’aucun établissement permettant de poursuivre des études au-delà du CEP : ni école primaire supérieure, ni même cours complémentaire, après l’échec et la fermeture de l’école pratique d’industrie. Le seul avenir des enfants d’ouvriers était d’obtenir à leur tour un emploi d’ouvrier dans l’une des petites entreprises de serrurerie. La demande de création d’un cours complémentaire par les élus locaux était donc pressante.

La population du Vimeu était réputée remuante. En 1906, une longue grève marquée par des manifestations tumultueuses s’était terminée par l’envoi de la troupe qui était restée cantonnée pendant des mois dans l’ancienne école pratique et d’industrie de Friville-Escarbotin. Pour mener à bien la création d’un cours complémentaire, il fallait un directeur expérimenté et ayant la confiance de la population. Le poste fut proposé en mai 1908 à Victorien Girot, qui se rendit dans la commune le 1er juin suivant, pour rencontrer les élus et les habitants. Après avoir donné son accord, les décisions s’enchaînèrent : le 20 juillet 1908 le conseil municipal, sur proposition du conseiller général, M. Gilson, et avec le soutien du maire, M. Acoulon, décida à l’unanimité de demander la création d’un CC. Le 31 juillet 1908, le conseil départemental de l’Instruction publique donna son avis favorable.

À la rentrée de 1908, l’école de garçons d’Escarbotin, composée de trois classes, s’installa dans les locaux de l’ancienne école pratique d’industrie, libérés quelques mois auparavant par la troupe : vastes locaux de sept salles de classes et d’un atelier. Victorien Girot démarra le processus de création du CC en préparant dans sa classe primaire un élève, Paul Dupont, qui venait d’obtenir le CEP et voulait se présenter au concours d’entrée à l’ENI d’Amiens. Or, pour obtenir la création d’un CC, il fallait un minimum de six élèves (décret du 15 janvier 1881). Pour compléter l’effectif, il partit donc à vélo, après ses cours, à la rencontre des directeurs d’école des communes avoisinantes pour trouver de nouveaux élèves. Il se rendait ensuite chez les parents pour les convaincre de consentir des sacrifices financiers, alors que les conditions de vie étaient dures et les salaires bas.

Ayant réussi à avoir suffisamment de candidats, le ministère de l’Instruction publique créa le CC par un arrêté du 22 octobre 1908, et le 3 novembre suivant, Victorien Girot fut nommé directeur de l’école de garçons et du CC de Friville-Escarbotin – le sixième du département. À la reprise des classes, en janvier 1909, il comptait quinze élèves. Malgré l’absence d’internat, les effectifs progressèrent rapidement : une vingtaine d’élèves en 1910, puis 31 pendant l’année scolaire 1911-1912, répartis en trois ou quatre niveaux d’études dans la même classe. Treize de ces 31 élèves devinrent enseignants.

Comme il n’existait aucune structure de poursuite d’études pour les filles, Victorien Girot prit sa fille Jeanne dans sa classe. Sa présence était tolérée par l’inspecteur primaire qui, toutefois, ne voulait pas l’y voir quand il venait. Ce fut le début de l’instauration de la mixité au CC de Friville-Escarbotin, qui progressa pendant la Première Guerre mondiale avec la scolarisation de quatre filles de la commune, puis des filles de fonctionnaires du canton au début des années 1920. La mixité se développa à cette époque dans cinq autres CC du département. Mais il fallut attendre 1932 pour qu’elle soit officiellement admise. Toutefois, le nombre de filles scolarisées au CC de Friville-Escarbotin ne dépassa jamais 25 % de l’effectif global des élèves.

Dès 1910, Victorien Girot mit en place une pratique alors peu répandue. Directeur et seul maître du CC, il en confiait une partie des enseignements à ses adjoints des classes primaires. Il les remplaçait alors dans leur classe. Cette organisation ne pouvait être mise en place sans l’accord de l’inspection primaire. Elle fut ensuite officiellement admise au cours de l’année scolaire 1919-1920.

Au printemps 1913, Victorien Girot participa, pour la première fois, au congrès annuel de l’Association nationale du personnel des cours complémentaires (ANPCC) créée trois ans auparavant et qui était en pleine construction. Il y intervint à plusieurs reprises, notamment sur la situation des adjoints exerçant en CC et sur le programme de géographie. La même année, sa fille fut admise à l’ENI de filles d’Amiens et obtint le CAP en 1917 ; elle épousa en 1922, Henri Jean Miquignon, maître nommé en 1920 au CC de son père.

Victorien Girot fut rappelé à l’activité militaire en août 1914 et fut « aux armées » dans la Territoriale jusqu’au 2 mai 1917. Durant cette période, il entretint une correspondance soutenue avec ses anciens élèves, eux aussi mobilisés. À cause de son départ, l’unique classe de cours complémentaire fut fermée ; elle rouvrit le 1er février 1915, confiée à mademoiselle Wattier, directrice de l’EPS d’Albert (Somme), dont les bâtiments avaient été détruits et qui resta fermée pendant toute la durée de la guerre. Le département fut en effet très durement touché durant tout le conflit par les combats, les destructions, la présence des troupes, perturbant la vie des établissements scolaires souvent privés d’instituteurs et de professeurs mobilisés.

Mai 1917 vit le retour de Victorien Girot mis en « sursis d’appel » jusqu’au 31 juillet 1919, puis démobilisé en septembre de la même année. À son retour, une partie de l’école et du CC abritait l’intendance et les chevaux du Royal horst dragon. La rentrée d’octobre 1917 vit néanmoins la création d’une classe préparatoire au CC ou « cours supérieur ».

La paix revenue, en récompense des services rendus, Victorien Girot fut nommé officier d’académie puis officier de l’instruction publique en 1920. Il milita dans le secours mutuel aux institutrices et instituteurs, ce qui lui valut diverses mentions et médailles entre 1919 et 1925. Il devint également président de la section des pupilles de la Nation du canton de Friville-Escarbotin, administrateur de la caisse d’épargne et s’engagea dans la Ligue des droits de l’homme.

Le décret du 6 octobre 1919 consolida la fonction de maître de CC en créant une « pérennisation » de ces fonctions accessible aux maîtres ayant cinq années de fonction en CC, l’avis favorable de l’inspecteur d’académie et du conseil départemental de l’Instruction publique. Jusqu’en 1921 cette pérennisation ne fut attribuée qu’avec parcimonie, et Victorien Girot fut l’un des trois premiers à la recevoir dans le département de la Somme.

En 1921, il s’impliqua davantage dans le fonctionnement de l’ANPCC en étant élu au « comité d’action » (comité exécutif) et il en devint vice-président au début de 1922.

C’est au congrès de Pâques 1927 qu’il fut élu président de l’ANPCC et le demeura pendant cinq ans. Son mandat débuta alors que la très forte croissance de créations de CC ralentissait. Le nombre des élèves continuait pourtant de progresser fortement, passant de 58 185 en 1927 à 74 967 en 1932. Une partie de ces élèves supplémentaires était accueillie dans de nouvelles classes mais la majorité l’était dans les classes existantes dont les effectifs augmentaient considérablement. L’ANPCC militait donc pour obtenir un dédoublement des classes à partir de 30 élèves, alors qu’ils étaient parfois refusés dans des classes de 40 et même 48 élèves (bulletin ANPCC de décembre 1929), et dénonçait une situation qui, dès 1927, provoquait le surmenage de nombreux maîtres et entrainait une désaffection des postes en CC.

Localement, pour répondre à la demande des industriels et des organisations ouvrières du Vimeu, le ministère de l’Instruction publique créa en 1927, une « école des métiers » à Friville-Escarbotin, administrativement rattachée au CC sous la direction de Victorien Girot, bien qu’installée dans des locaux distincts. Ce dernier prit sa retraite à la fin de l’année scolaire 1929-1930 et se retira dans son village natal de Canaples (Somme).

Les 22 années d’action au service de l’école, du CC et de leurs élèves lui valurent l’estime de ses élèves et de la population qui l’appelaient affectueusement « Père Girot » ou, en Picard, « Ch’père ». Le 3 août 1930, la municipalité de Friville-Escarbotin et l’amicale des anciens élèves du CC organisèrent une cérémonie pour lui rendre hommage, en présence du député socialiste de la Somme, Rodolphe Tonnelier (ancien élève du CC), de l’inspecteur d’académie et de plusieurs inspecteurs primaires, d’un grand nombre d’élus et de nombreux présidents d’associations et d’anciens élèves. Au cours de cette cérémonie, les intervenants rappelèrent le bilan des résultats scolaires des 645 élèves ayant fréquenté le CC : 145 reçus au brevet élémentaire, 84 aux bourses d’EPS et 78 aux concours d’entrée aux écoles normales d’instituteurs et institutrices. Dans son discours, l’inspecteur d’académie qualifia le CC de Friville-Escarbotin de « pépinière d’enseignants » ayant fourni à lui seul au département de la Somme 1/8è des instituteurs recrutés pendant cette période. Parmi ces lauréats, l’écrivain vimeusien Gaston Vasseur (docteur ès lettres) auteur de plusieurs ouvrages sur le Vimeu, ainsi que Jean Monborgne, instituteur puis directeur de CC, de CEG et principal de collège qui écrivit plusieurs ouvrages sur cette région de Picardie dont Si le cours complémentaire m’était conté.

Victorien Girot, reçut la Légion d’honneur en 1931 et quitta ses fonctions de président de l’ANPCC lors du congrès national d’avril 1932, qui le nomma président d’honneur.

Installé à Canaples (527 habitants), il y créa, le 31 mai 1932, une section de la Ligue des droits de l’homme qu’il présida, devint suppléant de la Justice de Paix du canton, administrateur local de la coopérative « L’union », et directeur de la colonie de vacances de Criel-sur-mer. Il fut élu maire de Canaples en mai 1935. Comme la quasi-totalité de la population, il quitta le village lors de l’exode de mai-juin 1940. Il y revint en juillet 1940, mais malade. Le conseiller municipal Joseph Vignon exerça alors l’intérim de maire. Pour reprendre sa fonction, il dut obtenir l’autorisation de la Kommandantur. Réinstallé le 11 février 1941, il fut maintenu par le Comité départemental de Libération le 22 novembre 1944. Il ne fut pas réélu lors des élections municipales du 29 avril 1945. Son épouse, Cidalise, mourut à Canaples, le 7 janvier 1949.

Vingt-six ans après la prise de retraite de Victorien Girot, dans la perspective de la commémoration du cinquantenaire de la création du CC, l’association des anciens élèves émit le vœu que l’école-CC prenne son nom, vœu repris par le conseil municipal et ratifié par le décret ministériel du 18 décembre 1957, quelques mois après sa mort.

En 1958, une cérémonie fut organisée par la municipalité dévoilant une plaque au nom de Victorien Girot fixée à l’entrée de l’école, présidée par le ministre Max Lejeune, en présence de nombreuses personnalités et d’une partie de la population.

Au début des années 1960, le CC fut transformé en collège d’enseignement général (CEG) qui continua de porter le nom de Victorien Girot puis en CES. En 1967, le SIVOM du Vimeu fit construire un nouvel établissement qui prit le nom de « Rose des vents ». Les locaux de l’ancienne école-cours complémentaire redevinrent une école primaire qui, en 2021, portait toujours le nom de Victorien Girot.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article240028, notice GIROT Victorien [GIROT Emile, Etienne, Victorien] par Marc Geniez, version mise en ligne le 14 avril 2021, dernière modification le 11 mai 2021.

Par Marc Geniez

Victorien Girot – Maire de Canaples
Victorien Girot – Maire de Canaples
Classe de Victorien Girot – CC d'Escarbotin 1910
Classe de Victorien Girot – CC d’Escarbotin 1910
Victorien Girot (chapeau) et Cidalise Girot 1925
Victorien Girot (chapeau) et Cidalise Girot 1925
Classe de dessin au cours complémentaire d’Escarbotin
Classe de chimie. A droite, au premier rang, la fille de V. Girot.

SOURCES : Arch. Dép. Somme, sous-série 1 T enseignement général, état civil, registre matricule. — Arch. direction services dép. de l’Éducation nationale de la Somme. — Jean Monborgne, Si le cours complémentaire m’était conté. — Rens. des mairies de Canaples, Friville-Escarbotin, Pozières. — Témoignage d’Hervé Mention, directeur de l’école Victorien Girot — Arch. SNCL — Bulletins nationaux de l’ANPCC. — JO, lois et décrets, 13 août 1919, 11 septembre 1920, 9 février 1922, 12 mars 1925, 15 août 1931. — Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, Les collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et le développement de la scolarisation prolongée sous la Troisième République, CNRS, ENS Fontenay, 1992.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable