FUSTIER Yvès [FUSTIER Henriette, Yvès, épouse KRÜGER]

Par Gérard Bonet

Née le 9 novembre 1903 à Yvoire (Haute-Savoie), morte le 3 janvier 1988 à Prades (Pyrénées-Orientales) ; éducatrice, directrice du Centre éducatif (1945-1988) de La Coûme, à Mosset (Pyrénées-Orientales) ; militante antifasciste et du mouvement des Auberges de jeunesse.

Yvès et Pitt Krüger
Yvès et Pitt Krüger
Photo extraite de l’article "Histoire de La Coume", d’Henri Goujon, paru dans Le Journal des Mossétans, n°65 de janvier-février 2009, pp.24-26

Orpheline très tôt après l’accident de voiture de ses parents, Yvès Fustier et son frère furent placés séparément en orphelinat à Genève (Suisse). Remarquée par le banquier suisse Georges Barbey, explorateur et photographe de l’Afrique et de l’Océanie, ce dernier lui fit faire des études.

Plus tard Yvès Fustier entra au service d’une comtesse hongroise comme secrétaire et préceptrice des enfants. Elle travailla un temps comme professeur de français au Centre éducatif de Letzlingen (Allemagne), une école de plein air pilote. Elle se familiarisa avec la méthode de Maria Montessori qui favorisait l’éducation des enfants dans un cadre adapté à leurs besoins en respectant leur rythme propre. Cette pédagogie active et coopérative devait contribuer à la création de la Coûme.

En 1929, elle fit la rencontre à Potsdam (Allemagne) d’un jeune instituteur, Pitt Kruger. Elle l’épousa dans cette ville le 17 mai 1929. Deux filles naquirent de cette union : Jamine, en 1930, à Potsdam, et Véronica, en 1936, à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Dans les années 1980, elles étaient respectivement installées à Prades (Pyrénées-Orientales) et à Castelnau d’Aude (Aude).

Le 7 mars 1933 Pitt Kruger, social-démocrate, secrétaire de l’Association des enseignants sociaux-démocrates, anti-nazi de la première heure et francophile, fut révoqué de l’enseignement et privé de son logement. Jusqu’au mois de septembre, le couple Krüger et leur fille vécut sous une tente dans la forêt, en bordure du lac de Werder, entre Berlin et Potsdam.

Grâce à ses relations avec les Quakers de Berlin, Pitt Kruger gagna la France pour y ouvrir dans les Pyrénées-Orientales une petite colonie pour les réfugiés allemands. Yvès et sa fille le rejoignirent début novembre 1933. Le couple s’installa dans l’arrière-pays, à Mosset, au mas de la Coûme. Au fil du temps, dans un contexte difficile (une terre ingrate, le manque d’argent, des conditions de vie rudimentaires, la guerre), le projet des Quakers d’une « colonie agricole allemande » se transforma en Auberge de jeunesse puis en communauté éducative.

Après l’arrestation de son mari, le 1er juin 1944, puis sa déportation, Yvès Krüger et ses enfants se cachèrent durant quatre mois avant d’oser regagner le mas de la Coûme. Une fois rentrée, en l’absence d’hommes, avec deux autres femmes, loin de tout et dans l’adversité, grâce, entre autres, à la solidarité ajiste, elle fit fonctionner La Coûme qui comptait 22 enfants. Le soutien de la Fédération des Auberges de jeunesse ne se démentit pas lorsque, le 2 septembre 1945, un incendie ravagea toute la partie arrière du mas, détruisant récoltes, outils et dortoirs. De France et de l’étranger, chacun apporta son soutien financier ou matériel. À l’approche de l’hiver, cette solidarité fut d’autant plus indispensable que 550 000 francs s’avéraient nécessaires pour rebâtir la Coûme.

La Libération venue, à la charnière d’un nouveau monde à construire, les époux Krüger, confrontés au désarroi de beaucoup d’enfants, forts de leur expérience et, au demeurant, imprégnés des méthodes des grands pédagogues allemands de la République de Weimar, s’orientèrent définitivement vers une démarche éducative dans l’esprit d’ouverture, d’échange, de fraternité et d’humanisme qui fut leur marque. Ils se tournèrent plus spécialement vers des enfants à problèmes, qu’ils soient scolaires ou sociaux, dont la santé était déficiente, issus de couples divorcés voire d’enfants sujets à des problèmes mentaux.

Pitt Kruger étant affaibli et malade, ce fut Yvès Krüger qui, progressivement puis effectivement vers 1965, dirigea la communauté éducative avec le concours d’Yvonne Grangeon. Jeune institutrice fraîchement diplômée de l’École normale de Nîmes (Gard), cette dernière avait découvert la Coûme par le biais des Auberges de jeunesse avant d’y consacrer sa vie à partir de 1944. Interlocutrice de l’Éducation nationale, en septembre 1951 un poste de directeur d’études pour le premier cycle de l’enseignement secondaire, créé et financé par le ministère, lui échut. Yvonne Grangeon constitua avec Gérard Bétoin, le « technicien » de La Coûme, arrivé en 1945, également ajiste, cheminot en rupture de ban, et le couple Krüger, les piliers du Centre éducatif à la campagne.

Celui-ci prit progressivement son essor, ajustant année après année la réflexion et la pratique quotidienne afin de parvenir à une forme d’équilibre qui plaçait l’enfant au centre du débat. Le 2 avril 1965, un protocole d’accord fut signé avec le ministère de l’Éducation nationale. En 1972, Yvès Krüger rédigea la « Charte morale » qui constituait le socle de cette originale et innovante entreprise pédagogique. La même année, la Fondation Krüger vit le jour sous la tutelle des ministères de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et des Sports. Elle vint consolider et pérenniser l’entreprise. En 1989, la Coûme fut agréée comme centre d’accueil : tous les trois ans, une visite de contrôle diligentée par l’inspecteur d’Académie était déléguée à l’inspecteur primaire de la circonscription de Prades.

Après la mort des époux Krüger, Yvonne Grangeon, Gérard et Monique Bétoin dirigèrent la maison avant de passer le relais à Olivier Bétoin.

Une phrase de Rainer Maria Rilke : « Qu’il faille nous tenir au difficile, c’est là une certitude qui ne doit pas nous quitter », gravée sur une poutre du bureau d’Yvès Krüger, rappelle les épreuves traversées, et caractérise sa personnalité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24012, notice FUSTIER Yvès [FUSTIER Henriette, Yvès, épouse KRÜGER] par Gérard Bonet, version mise en ligne le 28 décembre 2008, dernière modification le 24 octobre 2022.

Par Gérard Bonet

Le Journal des Mossétans, n°65 de janvier-février 2009, pp.24-26 "> Yvès et Pitt Krüger
Yvès et Pitt Krüger
Photo extraite de l’article "Histoire de La Coume", d’Henri Goujon, paru dans Le Journal des Mossétans, n°65 de janvier-février 2009, pp.24-26

SOURCES : « La Coûme, centre éducatif à la campagne », note d’Yvès Krüger, s.d (1949). — « En faveur de La Coûme pour sa reconstruction », note d’Yvès Krüger, s.d (1945). —Yvonne Grangeon, C. Haller, La Coûme, une expérience humaine et éducative, s.l., 1993. — Jean-Baptiste Jolly, « Le Catalan de Potsdam, Karl Pitt Krüger » in Klaus Berger, Gilbert Badia, Exilés en France. Souvenirs d’antifascistes allemands émigrés, 1933-1945, Maspéro, 1982, p. 233-246. — Notes de Madeleine Claus (1er mai 2007).

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