Par Daniel Grason
Né le 23 octobre 1911 à Stochek [Stoczek] (Pologne), mort le 20 septembre 1987 à Paris ; communiste ; volontaire en Espagne républicaine ; interné ; déporté à Auschwitz (Pologne) ; victime de l’antisémitisme.
Fils de Chaïm et de Sara née Kobialkowicz, Alter Fajnzylberg vécut à Otwok avec ses cinq frères et six sœurs. Il n’alla pas à l’école, entra en apprentissage à l’âge de quinze ans, il devint menuisier. Les syndicats dont celui des menuisiers organisèrent une grève en 1926, un particulier porta plainte, mais ne se présenta pas à l’audience, l’affaire fut classée.
En 1936, au moment de l’éclatement de la guerre civile en Espagne, il recruta des volontaires pour combattre en Espagne républicaine et soutenir le gouvernement de Juan Negrin. Il partit avec une cinquantaine de de volontaires, mais fut refoulé plusieurs fois à la frontière. Il ne réussit à partir qu’en mai 1937 en passant par la Tchécoslovaquie, l’Autriche, la Suisse et la France.
Il combattit dans la brigade Jaroslaw Dabrowski, comme simple soldat et ensuite comme délégué politique. Il prit part aux combats au front pendant dix-huit mois. Blessé, il fut hospitalisé. Il rejoignit les volontaires pour défendre Barcelone. Evacué en février 1939, il fut interné sous le nom de Koskociak au camp de Saint-Cyprien. Huit ans plus tard, il en gardait le souvenir : « C’était un camp dont trois côtés étaient entourés de barbelés et le quatrième touchait à la mer. Nous avions construit des baraques par nos propres moyens. Les conditions de vie étaient très difficiles, la nourriture mauvaise et en quantité insuffisante. Les Français n’assuraient pas les soins médicaux, ne fournissaient pas de médicaments, nous étions soignés par nos camarades médecins. Nous ne souffrirons pas de la faim grâce à l’aide extérieure de notre organisation. »
Il a été arrêté par la police française comme Juif avant d’être muni de faux papiers. Interné au camp de Drancy, en guise d’alimentation, une miche de pain pour sept, un quart de litre de soupe, et deux fois par jour du café, tel a été l’alimentation pendant les 81 premiers jours d’internement.
Une commission Allemande décida d’alléger les conditions de détention : possibilité de recevoir des colis, du linge, du courrier. Des internés juifs arrêtés par la police française ont été fusillés comme otages le 15 décembre 1941 et le 21 février 1942.
Parmi les otages des anciens combattants en Espagne républicaine, pour tenter d’échapper à la fusillade avec d’autres anciens d’Espagne, il se porta volontaire pour aller travailler en Allemagne. Une centaine de volontaires furent transférés au camp Compiègne où ils restèrent plus de trois mois.
Le 27 mars 1942 il était dans le convoi n° 1 de 1118 hommes et femmes à destination d’Auschwitz. « On nous a mis dans de petits wagons de marchandises, 50 personnes dans chacun. On nous a distribué deux kilos et demi de pain et environ 250 g de saucisson par personne ; cela devait nous suffire pour tout le voyage qui devait durer environ 12 jours. Pendant le voyage, nous n’avons rien reçu à boire. Cependant, notre transport est arrivé à Auschwitz à peu près cinq jours plus tard. Quand nous sommes arrivés, nombre d’entre nous manquaient à l’appel, car pendant le voyage, beaucoup de personnes étaient mortes, suite aux conditions de voyage difficiles. »
Il resta cinq semaines à Birkenau, le numéro 27 675 fut tatoué sur sa poitrine. Menuisier, il a été envoyé à Auschwitz. « Je dois ajouter ici qu’au moment de mon départ de Birkenau pour Auschwitz seules 250 personnes restaient encore en vie du transport dont j’avais fait partie et qui avait compté, comme je l’ai déjà dit plus tôt, plus de 1 000 personnes. Les autres ont été, toutes, assassinées pendant ces cinq semaines. »
« Je suis resté jusqu’en automne 1942, dans le Block 11, mais j’ai passé les cinq premières semaines à l’infirmerie, le Krankenbau. Je peux dire au sujet de l’infirmerie, qu’on n’y faisait pratiquement rien pour soigner les malades et les faire guérir. Et plus particulièrement, on ne soignait pas les Juifs. Souvent des SS arrivaient, sélectionnaient ceux qui allaient moins bien et les transféraient à Birkenau où ils étaient tués et enterrés dans les fosses, comme je l’ai appris plus tard. En novembre 42, s’est présenté à moi l’écrivain de l’Arbeitsdienst, Wiktor, qui m’a demandé si je ne voulais pas travailler comme civil à l’usine Bata, située à 200 km d’Auschwitz. J’ai été d’accord et j’ai été alors conduit en compagnie de neuf autres prisonniers, des Juifs de forte constitution, chez le médecin qui nous a examinés. Trois d’entre nous ont été conduits dans le Blockältestestube et là, j’ai obtenu mon affectation… comme ouvrier préposé au travail dans les crématoires. »
« Le crématoire d’Auschwitz était un bâtiment sans étage, long de 50 mètres environ et large de 12 à 15 mètres. Il se composait de cinq salles relativement petites et d’une grande salle, sombre, d’environ 30 mètres sur cinq. Cette grande salle, dépourvue de fenêtres, était munie de deux ventilateurs situés dans le plafond, d’un éclairage électrique, de deux portes, celle d’entrée et une autre menant au four. Cette salle portait le nom de Leichenhalle, salle aux cadavres. »
« Elle servait de remise à cadavres et on y fusillait aussi les prisonniers, ce qu’on appelait la rozwalka. Cette salle était contiguë à une autre où se trouvaient les fours pour brûler les cadavres. Il y en avait trois, chacun pourvu de deux ouvertures. Douze cadavres pouvaient être chargés dans chaque ouverture, mais on en mettait seulement cinq, car de la sorte ils brûlaient mieux. Les cadavres étaient chargés à l’aide de chariots spéciaux qu’on retirait du four une fois les cadavres dedans. Les cadavres étaient sur la grille, sous laquelle brûlait du coke. »
« À part cela, il y avait dans le crématoire une salle servant d’entrepôt de coke, une autre salle, spéciale, remise à cendres humaines et une troisième, un entrepôt de vêtements. Le crématoire était entouré d’une cour, celle-ci séparée du reste du camp par un mur haut de plusieurs mètres. Cette cour, pleine de fleurs, avait l’air d’un jardin. »
« Le personnel préposé au fonctionnement du crématoire se composait alors du Kapo Polonais de Cracovie, Mietek, d’un écrivain de Lublin, Polonais aussi, matricule 14 916, d’un mécanicien, un Polonais du nom de Waclaw Lipka de Varsovie, matricule 2 520, et de neuf Juifs, simples ouvriers. J’appartenais à ce dernier groupe. En général, nous, les simples ouvriers, étions employés à toutes les tâches qui avaient trait à l’incinération des cadavres, le transport, la mise dans les fours et le nettoyage des cendriers. Les cadavres provenaient du Block 19, on les transportait de là-bas sur des chariots spéciaux tirés par les hommes, jusque dans la remise à cadavres ou on les entreposait. De là, nous les mettions dans les fours. À part cela, deux à trois fois par semaine, avait lieu une rozwalka dans cette même salle : on y amenait des groupes de gens plus ou moins importants, tout au plus de 250 personnes, hommes, femmes de tous âges, qui, déshabillés auparavant, y étaient fusillés. »
« Ces personnes étaient en général extérieures au camp, c’est-à-dire qu’elles ne faisaient pas partie des détenus d’Auschwitz, elles avaient été arrêtées par la Gestapo dans différentes localités et amenées là pour être fusillées et n’étaient pas portées sur le registre du camp. Dans de rares cas, la rozwalka s’appliquait aux prisonniers d’Auschwitz. Je tiens à souligner que ce Quakernack procédait lui-même à ces exécutions. Lors de ces exécutions, ce Quakernack convoquait tous les Juifs dans l’entrepôt de coke et le faisait en présence de tous les Polonais et les Allemands travaillant aux crématoires. Comme l’entrepôt était éloigné à peine d’une dizaine de mètres, nous les Juifs, nous entendions les coups, les corps qui tombaient, les gens qui criaient. J’ai entendu moi-même les gens crier qu’ils étaient innocents, les enfants hurlaient, et Quakernack leur répondait : "les nôtres sont plus nombreux à tomber au front." Ensuite, on nous faisait venir dans la salle où avaient eu lieu ces exécutions et nous, les Juifs, nous sortions de là les cadavres, encore chauds et couverts de sang, pour les mettre dans les fours crématoires. Toutes les heures, nous sortions une trentaine de corps humains. Quakernack se tenait là, debout, l’arme à la main, taché et dégoulinant de sang. Outre Quakernack, le Lagerführer d’Auschwitz et le commandant accompagnés de illisible assistaient à ce genre d’exécution, [illisible...] Wacek Lipka, ce Jozek, et Mietek que j’ai déjà mentionné, arrachaient aux victimes leurs dents en or. »
« Chaque semaine, on amenait du Block 10 au crématoire des corps de femmes découpés. On amenait de ce Block aussi des corps d’enfants découpés. Ce Block était un laboratoire de recherche où on procédait à des expérimentations sur les femmes et les enfants. Dans ce Block, on faisait aussi des injections mortelles. On tuait de la sorte des centaines d’hommes chaque semaine. »
Alter Fajnzylberg parlait sept langues : polonais, français, yiddish, russe, espagnol, tchèque et allemand. Il se confond parfois avec Stanislaw Jankowski, né en 1906 en Pologne, combattant des Brigades internationales en Espagne signalé dans la archives de Moscou (RGASPI). C’est en effet le nom qu’il avait pris en 1940, se disant né en 1906.
Outre son témoignage au procès de Cracovie, il fut l’initiateur et l’un des coauteurs des trois prises de vues prouvant la crémation des cadavres de déportés et l’entrée des femmes dans une chambre à gaz. » (message de son fils).
Son fils Roger Fajnzylberg, né le 17 juin 1947 à Paris (XIIe arr.), communiste jusqu’en 1981, puis socialiste, fut secrétaire national de l’UNEF-Renouveau de 1969 à 1972 et maire de Sèvres de juin 1978 à mars 1983. Il a été directeur général de l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) de 2004 à 2013. Marié, il est père de trois enfants.
Alter Fajnzylberg , se confond parfois avec Stanislaw Jankowski, né en 1906 en Pologne, combattant des Brigades internationales en Espagne signalé dans la archives de Moscou (RGASPI). C’est en effet le nom qu’il avait pris en 1940, se disant né en 1906.
Par Daniel Grason
SOURCES : BDIC Nanterre Mfm 880/42 545 6 704 (archives de Moscou). – Le Monde, 22 septembre 2007. – Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau, Mémorial de la Shoah, Éd. Calman-Lévy, 2005 page 219 à 238. – Site internet de son fils, Roger Fajnzylberg. – Site internet CDJC.