CROGUENNEC Emile Jean Yves

Par André Delestre

Né le 29 janvier 1924 à Pont-Audemer (Eure) ; roulant, ouvrier motoriste puis technicien à la SNCF ; résistant ; engagé volontaire dans l’armée ; militant CGT ; communiste.

Son père, Yves Croguennec, fut douanier et sa mère, Eugénie Guérard, femme de ménage. Il fréquenta l’école maternelle Jean-Jaurès puis l’école primaire Chevreul à Petit-Quevilly (Seine-Inférieure, Seine-Maritime). En 1937, il obtint son certificat d’études. Bon élève, Émile Croguennec ne voulut pas s’engager dans la voie de l’enseignement. Il voulut travailler de ses mains. Il pratiqua le foot au Football-club de Rouen (FCR), mais suite à un grave accident de vélo en 1937, Émile Croguennec se passionna pour la danse de salon. Des cours firent de lui un danseur apprécié.
En 1939, après des études techniques au collège Marcel Sembat de Sotteville-Lès-Rouen, il obtint un CAP d’ajusteur et un Brevet d’enseignement industriel (BEI) et fut placé par l’école aux ateliers Commentry à Oissel, spécialisés dans la réparation des wagons de chemin de fer. En juin 1940, l’exode poussa la famille jusque dans le Finistère chez des oncles. De retour en octobre 40, il reprit ses études à l’école pratique Marcel Sembat à Sotteville-lès-Rouen jusqu’en juin 1941.
Le 30 décembre 1941, il fut recruté par la Cie de transport Clamageran-et-Cie, située à Rouen, en qualité d’ajusteur afin de travailler à l’entretien et la réparation des navires. Ceux-ci étant réquisitionnés par l’occupant allemand, Émile Croguennec, dans son coin et sans concertation avec une quelconque organisation de résistance, se livra à des activités de sabotage des navires sur lesquels il travaillait, de manière à ce qu’elles n’apparaissent pas comme des malfaçons, des négligences. Il se syndique à la CGT sollicité par Auguste Breton. A l’été 1942, il fut repéré par son responsable qui ferma les yeux sous condition de quitter l’entreprise. Il démissionna le 18 juillet 1942. Placé dans une situation difficile, son père le fit passer la ligne de démarcation, en zone libre, par l’intermédiaire de son frère Jean Croguennec, douanier à Châlon-sur-Saône.
Il rejoignit Toulon (Var) et souscrivit un engagement de 5 ans dans la Marine nationale le 7 août 1942. Émile Croguennec fut versé dans une unité de Défense contre les avions (DCA) au fort de Sainte-Marguerite qui domine la baie de Toulon et son arsenal, tout en suivant des cours de mécanicien marine. Le 21 novembre 1942, les Allemands entrèrent en zone libre. L’ordre fut donné de saboter la flotte afin que les navires ne tombent pas entre les mains des Allemands. Fait prisonnier de guerre, il fut interné 15 jours puis mis en congé d’armistice. Il revint à Rouen. Désigné, il refusa de travailler en Allemagne. La Société Clamageran le reprit à partir du 14 décembre 1942. Ne pouvant le remettre à la réparation des navires allemands, il fut placé au dépôt SNCF de Rouen-Orléans. Il reprit ses activités de résistance individuelle en volant des poteaux indicateurs de l’armée allemande, qu’il brûla dans la cheminée de ses parents.
Le 19 avril 1944, aimant danser, chanter et rire, il fit la fête avec des jeunes de son âge au 33, rue Anatole-France à Sotteville-lès-Rouen, chez la famille Hauchard, qui pratiquait le théâtre et la musique dans la troupe « Théâtre des petits artistes ». Émile Croguennec quitta ce lieu de convivialité avant le couvre feu. Peu après, la ville fut écrasée par les bombes. Toute la famille Hauchard, réfugiée dans la cave, fut décimée. Dès le petit matin, venu prendre des nouvelles de ses amis, il ne trouva plus que ruines. Il se joignit aux sauveteurs pour participer à la recherche des corps.
Durant l’été 1944, il entra en contact avec la résistance des Force françaises libres (FFI), notamment un groupe de combattants de Petit-Quevilly dirigé par l’entrepreneur de travaux Pierre Brasseur. Officiellement, il intégra cette formation le 30 juillet. A la Libération, il participa à des arrestations de collaborateurs sur la rive gauche de Rouen. Mission qu’il ne souhaita plus assurer le jour où il fut amené à arrêter une voisine de ses parents accusée de collaboration avec l’occupant. Passé sous le contrôle de l’armée, il fut affecté à différentes tâches de surveillance et d’affectation : le château Cornet à Sotteville-lès-Rouen comme garde de communications, à Verneuil-sur-Avre (Eure) à la surveillance de la ligne SNCF Paris-Granville, à Rousset-d’Acon (Eure) à la surveillance d’un stock de munitions allemandes, à Gaillon (Eure) comme garde de prisonniers français internés au château pour faits de collaboration et de marché noir, à Evreux (Eure) pour la surveillance de prisonniers de guerre allemands internés dans la caserne de la ville. Il fut ensuite envoyé en casernement à la caserne Turreau de Bernay (Eure) puis transféré à la caserne Duquesnne de Dieppe (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) où il fut démobilisé le 1er décembre 1945. La Marine Nationale le rappela à son engagement signé de cinq ans. Contraint de retourner à Toulon (Var), il embarqua à bord de l’aviso « Cdt Bory  », en charge de la conduite et de l’entretien des 2 moteurs diesel Sulzer, puissance 4000 CV. Il passa un mois et 13 jours à bord, période où il put visiter le port de Casablanca (Maroc). Par l’intermédiaire du député radical André Marie, il rompit son contrat avec la Marine nationale.
Le 29 juillet 1946, il réintégra Clamageran et reprit sa carte de la CGT qu’il ne quitta plus. Le 31 mars 1947, il fut embauché à la SNCF comme auxiliaire aux ateliers de Quatre-Mares. Il fut conducteur de locomotive à vapeur sur la ligne Paris-Le Havre. Après quelques mois, face aux exigences du métier et de la vie de couple, y renonça. « Mimile », ainsi surnommé, repris sa place aux ateliers de Quatre-Mares.
Il fut ajusteur monteur, ouvrier professionnel de 1ère classe, ouvrier professionnel qualifié motoriste, ouvrier hautement qualifié puis technicien entretien. Il travailla au démontage des locomotives à vapeur. Sa formation de motoriste diesel naval le désigna pour accompagner, grâce à plusieurs stages réalisés à Mantes, Saint-Nazaire et Mulhouse auprès des sociétés Pielstick et SACM, le passage au diesel des ateliers de Quatre-Mares. Technicien apprécié pour son professionnalisme, on lui confia le banc d’essai des moteurs nouvellement mis en place aux ateliers de Quatre-Mares. Le travail sur les moteurs l’exposa à l’amiante. En 1979, à l’âge de 55 ans, il prit sa retraite.
Il fut un militant syndical CGT très actif. Recruteur acharné auprès des jeunes entrant aux ateliers de Quatre-Mares, sollicité pour être délégué, il refusa, se contentant d’être trésorier de la section syndicale. Il assura, avec constance, la collecte des cotisations auprès de ses collègues syndiqués. Il participa à de nombreuses manifestations comme celles organisées au moment des guerres d’Indochine, puis d’Algérie pour empêcher le départ des militaires français, dont son frère faisait partie. En décembre 1995, il participa aux manifestations organisées à Rouen, dans le cadre de la réforme du statut des cheminots. Il demeura sympathisant du Parti communiste sans en être adhérant, suivant les conseils de son père qui avait vu trop de communistes, à Petit-Quevilly, arrêtés et déportés durant la guerre. Il se contenta de voter communiste à toutes les élections, d’être lecteur du journal l’Humanité et d’écouter Jean Ferrat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article240422, notice CROGUENNEC Emile Jean Yves par André Delestre, version mise en ligne le 16 mai 2021, dernière modification le 26 novembre 2021.

Par André Delestre

SOURCES : Témoignage et entretien avec Michel Croguennec ; archives du syndicat CGT de Sotteville-lès-Rouen ; archives familiales.

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