ESTELLÉ Georges, Joaquim

Par André Balent

Né le 25 juillet 1900 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 11 juillet 1944 à Fabas (Ariège) assassiné par des résistants de la 3401e compagnie des FTPF de la Haute-Garonne (maquis de Betchat, Ariège) ; instituteur à Fabas ; résistant (aide à des Juifs) ; homologué FFI

Georges Estellé était le fils de Joseph, Firmin Estellé, paveur âgé de vingt-trois ans et de Jeanne Livres, tailleuse âgée de vingt-quatre ans. Ses parents étaient domiciliés 22 avenue de Lyon à Toulouse.

Il se maria le 21 août 1929 à Carmaux (Tarn) avec Hélène, Émilienne Barrou. Instituteur, il était en poste en 1943-1944 à Fabas (Ariège), un village proche de la Haute-Garonne (Comminges). Il assurait aussi les fonctions de secrétaire de mairie de sa commune de résidence. À Fabas, il occupait avec sa femme un logement au rez-de-chaussée de la mairie, près de la salle des séances du conseil municipal.
Georges Estellé est présenté par Henri Soum (op. cit., 1995) comme ayant été partisan de Pétain, ce qui ne faisait forcément pas de lui ni un collaborateur ni, encore moins, un collaborationniste. Sa femme et lui aidèrent des Juifs réfugiés à Mazères (Haute-Garonne), les Tenenbaum. Lui-même prit en charge Irène Tenenbaum, la fille du couple qui put ainsi échapper à la mort. Il procura des tickets de rationnement à Adolphe Tenenbaum et à sa femme, réfugiés chez d’autres habitants de Fabas, les Laffont.

Georges Estellé fut, à tort, accusé d’être un milicien. Max et trois hommes du maquis de Betchat effectuèrent une reconnaissance le 10 juillet à Fabas. Ils revinrent au village, armés de mitraillettes Sten, le lendemain en fin d’après-midi. L’un des quatre portait une courte pelle. Le 10 juillet, également, ils avaient exécuté, après l’avoir torturé, à Saleich (Haute-Garonne), Luigi Pavan, un résistant de Salies-du-Salat (Haute-Garonne), qu’ils accusaient à tort d’être un milicien.

Maria Matulewicz, âgée de seize ans, gardait des vaches dans le pré, sous le cimetière, où sa sœur aînée, Regina, faisait de même, le 10 juin, jour où elle fut abattue par des SS de la division Das Reich. Tout comme sa sœur, un mois plus tôt, elle tricotait jusqu’au moment, où avant 18 heures, elle assista à une scène d’horreur. Le 10 juin, l’acte de décès de Regina Matulewicz (n°7 pour l’année 1944) avait été rédigé et transcrit sur le registre de l’état civil de Fabas par Georges Estellé, secrétaire de mairie.

Peu de temps auparavant Georges Estellé allait fermer l’école communale située au bas du village. C’était le début des vacances d’été. Il fut intercepté par les quatre hommes. La scène de son exécution, fut observée par Maria Matulewicz. Estellé fut insulté, frappé. On lui intima l’ordre de creuser sa tombe. Il réussit à s’enfuir, très provisoirement. Cherchant une issue, le visage en sang, il regarda Maria Matulewicz et, courant, il finit par atteindre la maison du tailleur, Germain Baudet, traversa son atelier, la cuisine puis la cour de la maison et emprunta le chemin du cimetière, afin d’atteindre son logement de fonction où il ne put parvenir. Un de ses quatre poursuivants, tirant à bout portant, le tua. D’après Georges Loubiès, ce fut André Bonzom alias « Marceau » qui fut l’auteur du coup de feu. S’emparant de la brouette qui se trouvait dans la cour de la maison Baudet, les quatre hommes transportèrent le corps d’Estellé au cimetière et le déchargèrent contre la tombe de Regina Matulewicz. Avec la terre encore meuble de sa tombe, ils recouvrirent la face ensanglantée d’Estellé.

L’acte de décès de Georges Estellé fut rédigé et écrit sur le registre de l’état civil de Fabas par le maire de la commune, Jean-Pierre Tourte. Portant le n°8, il faisait suite à celui de Regina Matulewicz. Accusé, à tort ou à raison, de favoriser ses amis dans la distribution de tickets de rationnement, Estellé fut victime de rumeurs qui purent générer des interprétations abusives, comme celle d’être affilié à la Milice. D’où la décision de Blasco de le « liquider », de le « composer », pour utiliser le mot utilisé par Fernand Cortale alias « Gravas », commissaire aux opérations régional (COR) des FTPF de la Haute-Garonne, dans ses communiqués manuscrits.

Dans la soirée, les assassins de Georges Estellé allèrent à la ferme de Bordeneuve, où résidait la famille Matulewicz. Ils demandèrent à la rencontrer. Mais elle s’était cachée sous les foins, dans la grange lorsqu’elle vit arriver les quatre hommes. Sa mère, Angèle, se proposa d’aller la chercher. Ils déclinèrent son offre et allèrent dans la grange. Sortie de sa cachette, la jeune Maria fut « avertie » sans ménagements. L’un des quatre (Max ?) lui dit que si elle révélait ce qui était arrivé à Georges Estellé, elle subirait le même sort que lui. Peu de temps après, le restaurateur de Fabas, agent du maquis de Betchat, s’adressa à Maria Matulewicz et renouvela la menace proférée par le quatuor de tueurs. Si elle parlait, elle était morte ! Le même homme montra à Germain Baudet, le tailleur, des photographies représentant des maquisards dans lesquelles de dernier reconnut ceux qui avaient exécuté Estellé.

Maria Matulewicz ne raconta qu’en 1989 ce qu’elle avait vu le 11 juillet 1944. Entre temps, elle s’était mariée avec René Dot, de Montclar-en-Comminges (Haute-Garonne) qui, lui aussi, avait été témoin d’une autre « composition » réalisée le 29 juillet 1944 par Max et son équipe, celle d’un vrai collaborationniste, agent de la police allemande de Cazères. Maria et René savaient à quoi s’en tenir sur les méthodes employées par Max et son équipe de tueurs. Leurs témoignages ont été recueillis par Henri Soum, ancien FTPF « légal » (3402e compagnie) de Toulouse, arrêté puis libéré, qui cherchant à gagner le maquis de Betchat ne le trouva pas et intégra une formation géographiquement voisine, le maquis de l’Armée secrète (AS) de Cazères (Haute-Garonne).

Dès 1968, cependant, Georges Loubiès (né le 16 mars 1905 à Toulouse, domicilié à Sainte-Croix-Volvestre, Ariège, en 1968, secrétaire général adjoint des combattants volontaires de la Résistance de l’Ariège), ancien du maquis de Betchat où il avait été chef de section, avait pris contact avec Claude Delpla, professeur d’Histoire-Géographie au lycée Gabriel-Fauré de Foix (Ariège), correspondant pour l’Ariège du Comité d’Histoire de la Seconde guerre mondiale. Dans quatre textes ou lettres rédigées ou envoyées à Claude Delpla, en particulier le 1er et le 12 mars 1968, Loubiès faisait part de sa gêne à reconnaître qu’il avait — lui et d’autres — fait partie du maquis commandé par Jean Blasco alias « Max » : « Nous ne tenons pas à nous montrer, nous les rescapés de ce maquis dont les chefs cités plus haut, ont laissé un mauvais souvenir dans la portion de territoire occupé par eux » (lettre du 12 mars 1968). Sept de ces chefs, selon lui, avaient « laissé un sentiment de malaise et de dégoût » qui avait rejailli sur la masse des combattants du maquis qui ne s’était jamais associés à des actions qu’ils réprouvaient, tout comme aux actions hasardeuses qui révélaient un manque total de sens stratégique et tactique. Comme Henri Soum en 1994 et en 1995 dans deux ouvrages destinés au public, Georges Loubiès a expliqué, à son correspondant, et à lui seul, quelques-uns des actes, dont il avait été témoin ou avait eu connaissance, commis par Max — à qui il reconnaissait toutefois « beaucoup de cran » et de sang froid dans les combats qu’il dirigeait et dans lesquels il s’exposait — et ses amis. Il donna une liste de « compositions » dont furent victimes des innocents, parfois des résistants, parmi lesquelles celle de Georges Estellé — il écrivait son patronyme « Stellet » — instituteur à Fabas.

Georges Estellé fut reconnu « Mort pour la France », mention qui fut transcrite sur son acte de décès le 6 octobre 1948. Officiellement, son assassinat fut attribué … à la Milice. Il y a un dossier à son nom, non consulté, au Service historique de la Défense (cote GR 16 P 211754) qui le classe comme membre des FFI.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article240528, notice ESTELLÉ Georges, Joaquim par André Balent, version mise en ligne le 22 mai 2021, dernière modification le 6 juin 2022.

Par André Balent

SOURCES : Arch. dép. Ariège, 63 J 206, fonds Claude Delpla (maquis de Betchat et Cazavet), entre autres : structure, histoire et action du maquis FTPF de Betchat, 1er mars 1968, lettre de Georges Loubiès, sous-lieutenant du maquis de Betchat à Claude Delpla, Sainte-Croix-Volvestre, lettre de Georges Loubiès à Claude Delpla, 12 mars 1968. — Arch. com. Toulouse, 1 E 591, registre d’état civil, naissances, janvier-juillet 1900. — Henri Soum, Ceux de Balesta, Toulouse, Signes du Monde, 1995, 341 p. [p. 88-99]. — Site Mémoire des Hommes, consulté le 15 mai 2021.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable