MATEU Manuel [né MATEU SANCHEZ Manuel]

Par Renaud Poulain-Argiolas

Né le 17 décembre 1918 à Dos Aguas (province de Valence), dans la Communauté valencienne (Espagne), mort le 30 avril 1997 à Marseille (IXe arr.) ; militant de la Jeunesse communiste de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) ; membre de la CNT-FAI pendant la guerre civile espagnole ; camionneur puis conducteur d’engins ; résistant, membre des Milices Patriotiques - Forces Unies de la Jeunesse Patriotique, puis sergent dans l’armée de libération ; syndicaliste CGT.

Manuel Mateu à 17 ans [photo de sa carte de membre des FIJL en Espagne]

Manuel Mateu arriva en France avec ses parents, originaires de Dos Aguas et immigrés pour des raisons économiques. Il avait alors six mois. Il aura une sœur, plus jeune que lui de dix-sept ans, qui sera très croyante et conservatrice.
La famille s’installa d’abord à Istres (Bouches-du-Rhône) en 1919. Son père, José Mateu Grau, était journalier agricole. Il fut par la suite embauché dans l’industrie chimique à Port-de-Bouc, aux Établissements Kuhlmann. Il construisit lui-même une épicerie boulevard Voltaire, dans le quartier Tassy, avec des matériaux trouvés dans la campagne. Sa femme, Rosa Sanchez Sanchez, travaillait avec lui. José Mateu partait le soir avec un cheval ou un âne pour chercher les fruits et légumes au marché de Salon-de-Provence et revenait le lendemain pour approvisionner le magasin. Il se rendait aussi régulièrement au port de Marseille pour les commandes d’oranges et d’huile d’olive.

Le petit Manuel fit sa scolarité à Port-de-Bouc à l’école du Canal, rue Gambetta, avec les enfants français. Il aidait ses parents au magasin et, au lieu de faire ses devoirs, passait souvent les commandes que son père lui demandait de faire. En 1932 ou 1933, il obtint son certificat d’études et fit un voyage scolaire à Paris organisé pour récompenser les lauréats.

Manuel Mateu s’intéressa très jeune à la vie politique. Son père était socialiste, mais le fils, souvent en désaccord avec lui, rejoignit la Jeunesse communiste (le responsable de l’époque était Peynichou). Il y fit la connaissance de Clément Mille, dont les jeunes militants suivaient le rythme des arrestations et libérations successives en lui manifestant leur solidarité. Il était également membre d’une association de solidarité avec les antifascistes italiens.

En juillet 1936, il fut révolté par le coup d’État de Franco contre la jeune République espagnole. Mille annonça à Mateu la création prochaine des Brigades internationales. Néanmoins, âgé de 17 ans et demi, il aurait été trop jeune pour y être accepté. Il partit donc par ses propres moyens en prenant le train jusqu’à Cerbère-Port-Bou (il franchit la frontière le 23 janvier 1937), puis Barcelone. Il arriva en pleine effervescence des combats contre les troupes nationalistes. Les anarcho-syndicalistes représentant la première force politique, il adhéra à la FIJL (Federación Ibérica de Juventudes Libertarias, Fédération ibérique des jeunesses libertaires), issue de la CNT-FAI, qui recrutait pour le front d’Aragon. Il y partit dans la « Division Francisco Ascaso – groupos italianos [groupes italiens] », affecté à la colonne Ascaso. Manuel Mateu parlait d’ailleurs italien.
Il fut profondément marqué par certaines réalisations du communisme libertaire, comme les collectivités agraires d’Aragon et l’abolition de l’argent. Il avait de plus une grande admiration pour les figures de Francisco Ascaso et Buenaventura Durruti.

Lors des Journées de mai 1937, il dut quitter le front, appelé en renfort pour défendre le central téléphonique de Barcelone. Les communistes et le gouvernement républicain espagnol voulaient reprendre à la CNT-FAI qui le tenait depuis le début de la guerre civile. Côté anarchiste, l’événement fut perçu comme une tentative de contre-révolution stalinienne, les communistes voulant supplanter l’influence anarchiste dans la ville, ce qui donna lieu à des batailles rangées. Pendant les quelques jours de permission que Manuel Mateu eut par la suite, la tension était toujours très grande. En descendant les Ramblas, lui et ses camarades gardaient la main sur leurs revolvers pour prévenir les balles communistes.

Le 27 août 1937 au soir, il participa à une attaque près du cimetière de Huesca (à environ 300 km de Barcelone). Au sein d’une équipe d’éclaireurs, il était chargé de couper des barbelés pour pouvoir permettre l’avancée des troupes. Il fut très grièvement touché par un tir de mortier franquiste. Pour le conduire à l’hôpital de Barcelone des camarades réquisitionnèrent une voiture, dans laquelle il fut entassé avec d’autres blessés. Le corps criblé d’éclats d’obus, on l’y garda longtemps. Comme les moyens matériels faisaient défaut, son oncle venait depuis Valence avec de l’alcool à brûler pour désinfecter ses plaies. Fin septembre, sa mère le rejoignit et le fit rapatrier à Port-de-Bouc. Il poursuivit sa convalescence à Buis-les-Baronnies (Drôme), bientôt rejoint par l’infirmière qui l’avait soigné à Barcelone. Elle était la fille de l’ancien Premier ministre portugais contraint de démissionner par le coup d’État de Salazar. Leur relation dura un temps. Il conserva toute sa vie le portefeuille, fendu par un éclat d’obus, qu’il portait au niveau de la poitrine au moment où il avait été blessé. Peut-être que l’objet lui avait sauvé la vie, ou qu’il l’avait empêché d’être encore plus gravement atteint.

Vers 1939, Manuel Mateu était de retour à Port-de-Bouc. Il travailla comme chauffeur de poids lourd dans différentes sociétés de transport, dont l’entreprise Philippon, vraisemblablement pendant toute la durée de la guerre. Le 28 août 1939, il postula pour être engagé volontaire au service militaire des étrangers de Marseille. Toutefois il ne fut pas appelé à la déclaration de guerre.

Un peu en délicatesse avec les communistes (malgré sa proximité avec Clément Mille), Manuel Mateu se lia au socialiste Henri Lazzarino. Celui-ci avait adopté un enfant orphelin de la guerre d’Espagne (nommé Tobar), ce qui avait pu rapprocher les deux hommes. De 1942 à 1944, Mateu était chef du groupe de résistance armée MP-FUJP (Milices patriotiques – Forces unies de la jeunesse patriotique) du quartier Tassy, sous le matricule 71026. Le groupe comptait au moins 18 membres en plus des trois donneurs d’ordres : Henri Lazzarino, Georges Lazzarino et Joseph Brando. Il retrouvait régulièrement Henri Lazzarino à la gare, au point de rendez-vous où ce dernier fut finalement arrêté.

Mateu était en contact avec les résistants Marius et Joseph Grosso. Il venait chercher des tracts à leur bar du quai de la Liberté. Sans être communiste, il relayait tous les textes de la résistance locale. A cette époque il pratiquait beaucoup la pétanque, qui faisait se côtoyer les ouvriers de la commune. Suite à l’exécution du Fenouillet du 13 juin 1944 (lors de laquelle Henri Lazzarino trouva la mort), il y avait une volonté de vengeance parmi les résistants de son réseau. Georges Lazzarino aurait fait passer un revolver de calibre 7,65 mm à Manuel Mateu pour éliminer un homme soupçonné d’être un traître. Mateu le prit en filature avec un camarade, mais aux alentours du quai des Girondins à Martigues, ils durent rebrousser chemin à cause de la présence de témoins. Ils apprirent plus tard que leur cible était innocente.
Il aurait également fait partie d’un groupe chargé de libérer Maurice Tessé. Néanmoins, faute d’informations suffisantes, l’opération aurait été annulée.

D’après les souvenirs de Joseph Brando, un groupe de résistants se constitua au début du printemps 1944 à l’usine Kuhlmann autour de Gabriel Balme, chargé de la diffusion des tracts et journaux clandestins, et d’Antoine Gallardo, chargé des sabotages dans l’usine (dont des coupes de raccords en caoutchouc des trains). Parmi eux il y avait Jaujeon, Pierre Alarcon, Charles Turrel, Rubio, Elmut Babierowski et Manuel Mateu (peut-être en lien avec les premiers en tant que camionneur). Brando ajoute que les résistants port-de-boucains avaient à sa connaissance trois armes à feu. Mateu avait un revolver qu’il avait rapporté en 1937 de la guerre d’Espagne, Babierowski possédait un 9,35 mm qu’il avait obtenu auprès d’un Polonais enrôlé de force par les Allemands et Brando une mitraillette Sten, qu’il gardait dans sa chambre de l’hôtel Cyrnos pour former les nouvelles recrues, en prévision du jour où on leur livrerait des armes. De source familiale, pendant les derniers mois de l’Occupation les jeunes résistants lançaient des pierres vers les sentinelles allemandes sur le toit du Cyrnos pour les mettre sous pression.

Le 14 juin, Brando, Babierowski, Marius Tourrel (ou Tourel) et Mateu sectionnèrent en deux endroits les câbles électriques et téléphoniques reliant une grande partie des fortifications de la côte au nord de l’étang du Pourra. Les Allemands durent les réparer. Dans son récit Brando se prend à rêver sur le jeu de massacre qu’ils auraient pu réaliser s’ils avaient eu des armes à feu ce jour-là, face au PC allemand du Mas de l’Hôpital.
À la Libération de Port-de-Bouc, les résistants de son groupe furent surpris de voir un grand nombre de jeunes gens inconnus devant la mairie, portant des brassards de FFI flambants neufs. Eux-mêmes n’avaient pas de brassards comme tous ces probables résistants de la dernière heure. Pascaline Argiolas leur cousit alors des brassards avec du tissu recyclé.

Engagé volontaire pour la durée de la guerre « à titre étranger pour servir aux FFI », Manuel Mateu fut incorporé dans le 3e régiment Rhône et Durance à Arles le 1er novembre 1944. Il y côtoya notamment Maurice Garenq. Les volontaires furent rassemblés à l’Hôtel Jules César, puis envoyés dans différents corps. Lui fut muté dans le bataillon 21/15 le 28 décembre avec le grade de sergent et envoyé à Menton (Alpes-Maritimes) se battre contre l’armée italienne. Il fut démobilisé le 29 juin 1946. Après la guerre, Joseph Brando et Cyrille Blaya attestèrent que Mateu avait participé aux activités de leurs groupes respectifs pour faire reconnaître son action dans la Résistance.

Fin 1946-début 1947, Manuel Mateu fut embauché à à Port-de-Bouc à l’usine de la Vieille Montagne, compagnie belge qui extrayait le zinc en passant du minerai dans des fours. On le nomma chef d’équipe au vu de son expérience professionnelle. Son emploi lui donna droit à un logement situé 16, cité Vieille Montagne, qu’il dut partager les deux premiers mois avec une famille. Le patron le convoqua cependant environ une semaine après son embauche. Il avait enquêté sur lui : en tant qu’étranger et anarchiste, il refusa de lui donner des responsabilités dans l’entreprise. Il fut bridé durant toute sa carrière par la dureté de la direction et travailla comme conducteurs d’engins, approvisionnant les fours jusqu’à la fermeture en 1976.
Il souffrit de sa grande précarité, devant tous les trois ou quatre ans renouveler ses papiers au commissariat. Ces moments donnaient régulièrement lieu à situations humiliantes à cause des policiers qui le méprisaient en tant qu’étranger. Mais sa principale peur resta la possibilité d’être expulsé vers l’Espagne franquiste.

En 1947, Manuel Mateu s’était marié avec Juana Perez, dite Jeannette Mateu, née à Barcelone et arrivée en France lors de la Retirada.
De mémoire familiale, le père de son épouse était un leader anarchiste espagnol, Pedro Perez, ouvrier métallurgiste à Barcelone, souvent emprisonné lors des grèves, qui s’était battu dans une colonne anarchiste pour défendre la révolution espagnole. Il avait été interné au camp d’Argelès, vivant dans des conditions très précaires, surveillé par des gendarmes français et des artilleurs sénégalais, et n’avait retrouvé sa femme, ses deux filles et son fils que vers 1944. Pendant la guerre, il se serait caché en Dordogne et aurait participé à la résistance, sans qu’on en sache davantage. Sa femme et ses enfants avaient vécu à Gramat (Lot) où Jeannette avait travaillé comme domestique chez un médecin. Pedro Perez avait une sœur à Port-de-Bouc. C’est pour la rejoindre que la famille Perez s’installa dans la commune.
En 1948, Manuel et Juana Mateu eurent un fils, Raymond.

Manuel Mateu était resté en contact avec les anarchistes espagnols qu’il avait connus pendant la révolution. Beaucoup d’entre eux s’étaient installés à Toulouse, certains venant lui rendre visite à Port-de-Bouc. Son fils Raymond se souvenait en avoir rencontrés dans son enfance.
Il acheta pendant longtemps des livres sur la Résistance.

Au niveau syndical, il était membre de la CGT, quoique sans responsabilité. En 1968, au vu de son expérience passée, il fut sollicité pour préparer l’accueil des CRS à la Vieille Montagne. Mais ces derniers ne vinrent pas. Il était alors en bons termes avec les communistes, Clément Mille lui témoignant toujours un grand respect. A l’occasion d’une commémoration de Port-de-Bouc, Raymond Mateu rapporte que Mille aurait dit à ses camarades à l’approche de son père : « Levez le chapeau devant cet homme parce qu’il a combattu les fascistes les armes à la main. »
Lors du plan social qui accompagna la fermeture de la Vieille Montagne en 1976, les ouvriers obtinrent une indemnité correspondant s’ils le souhaitaient à l’achat de leur logement. La cité Vieille Montagne devint cité Les Acacias et Mateu propriétaire de sa maison. Il constitua l’association des anciens de la Vieille Montagne et exerça la fonction de président et syndic bénévole de la co-propriété pendant une vingtaine d’années.

A la retraite en 1981, il partit en Espagne l’année suivante pour y retrouver sa famille avec qui il était resté en lien à distance. Il se rendit à la Valle de los Caídos près de Madrid pour cracher sur la tombe du général Franco.
En 1989, une loi espagnole donnait des droits aux anciens combattants du camp républicain. Malgré une prétendue loi de réconciliation au temps de Franco, les républicains n’avaient touché jusque là qu’une pension dérisoire comparée à celles des combattants franquistes.

Alors que Manuel Mateu était malade, son médecin fut surpris de constater qu’il n’avait pas la nationalité française. La femme de celui-ci fit l’aida à faire les démarches pour l’obtenir. Lorsqu’il mourut l’année suivante, il avait donc la nationalité française.

Sans être adhérent à une organisation politique, Manuel Mateu participa à la vie locale de Port-de-Bouc, notamment aux manifestations organisées par le PCF et aux meetings. Il avait de nombreuses discussions politiques avec son fils Raymond, engagé lui au Parti communiste, tous les deux étant conscients que leurs choix politiques respectifs étaient conditionnés par les événements auxquels ils avaient été confrontés.

Son fils Raymond Mateu eut des responsabilités au Comité fédéral du PCF des Bouches-du-Rhône de 1979 à 2000.
Son petit-fils, Olivier Mateu, était secrétaire de l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône en 2021.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article241507, notice MATEU Manuel [né MATEU SANCHEZ Manuel] par Renaud Poulain-Argiolas, version mise en ligne le 12 juillet 2021, dernière modification le 21 juillet 2022.

Par Renaud Poulain-Argiolas

Manuel Mateu à 17 ans [photo de sa carte de membre des FIJL en Espagne]
Combattants de la CNT-FAI en 1937. De gauche à droite : Miguel Sangueras, Joaquin Primo, Manuel Mateu.
Le portefeuille qui prit l’éclat d’obus

SOURCES : Extrait des services de l’intéressé, daté du 31 mars 1983 et signé par le lieutenant Lugan, adjoint au chef de la section DOSN, avec le nom de du lieutenant-colonel Allary en introduction (Ministère de la Défense, direction centrale du service national, Bureau central d’archives administratives militaires, caserne Bernadotte, Pau cedex). — Joseph Brando, Notes d’histoire vécue à Port-de-Bouc durant l’occupation allemande de 1940 à 1945, [sans date]. — Site Match ID, Acte n°43/R4 N, Source INSEE : fichier 1997, ligne n°362239. — Archives familiales. — Témoignage de son fils Raymond Mateu (juillet 2021).

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