FUZIER Robert, Félix

Par Éric Nadaud

Né le 30 novembre 1898 à Paris (VIe arr.), mort le 29 novembre 1982 à Rocquemont (Oise) ; décorateur, journaliste et dessinateur de presse ; attaché au cabinet ministériel de Léo Lagrange (1936-1938), militant de la SFIO, du Parti socialiste unitaire, du Parti socialiste autonome, du Parti socialiste unifié puis du PS, membre de la direction du Parti socialiste unitaire.

Robert Fuzier
Robert Fuzier
Coll. privée de la fille de Robert Fuzier.

Robert Fuzier vit le jour et se forma dans un milieu d’artistes. Il fut élevé par son père, Félix Fuzier, qui dirigeait une petite et prospère entreprise de décoration en broderies, puis vécut auprès de sa mère Berthe Serano, une artiste-peintre d’esprit très contestataire, remariée en 1927 avec Henri-Paul Gassier, le caricaturiste alors le plus en vue de la presse de gauche. Après des études à Paris, il fut mobilisé en 1916 au 156e régiment d’infanterie. Fait prisonnier, il fut interné en Allemagne au camp de Merseburg. Il retrouva la liberté en novembre 1918, mais dut passer deux ans en sanatorium, pour avoir inhalé des gaz de combat. Il commença à gagner sa vie comme dessinateur en broderies, à l’image de son père, et comme illustrateur. À partir de 1928, il élargit ses activités. Sous l’influence d’H.-P. Gassier, qui le forma, il se tourna vers le dessin et le reportage de presse.

Robert Fuzier commença sa carrière journalistique en janvier 1928 au quotidien de gauche Le Soir que dirigeaient Robert Lazurick* et Louis-Oscar Frossard*, dont il illustra les feuilletons, anima la rubrique des spectacles (music-hall, cirque, théâtre et arts) et, à partir de janvier 1930, dessina la bande humoristique hebdomadaire sur l’actualité politique. Lorsque le journal sombra, en mars 1932, il rejoignit avec la majorité des rédacteurs l’hebdomadaire culturel et politique qui en prit le relais, Lectures du soir. En parallèle, il collabora à partir de la fin 1929 à de multiples autres journaux, pour une large gamme de rubriques. Il livra des dessins sur des sujets comiques à Frou-Frou et au Chat-Rieur, sur le monde du spectacle à Paris-Midi, La Rampe, et Les Hommes du jour, sur le sport à la revue mensuelle Sport et Santé, et sur la vie politique à deux hebdomadaires frondeurs et briandistes, Le Carnet de la Semaine et Cyrano.

Cependant, ce fut surtout en tant que dessinateur socialiste qu’il se fit connaître dans le monde de la presse. Les sources diffèrent sur l’année exacte de son adhésion à la SFIO, 1930 ou 1931. En 1931 en tout cas, il signa un contrat d’exclusivité avec le quotidien central du Parti socialiste, Le Populaire. Il en devint dès lors un collaborateur majeur. Il y illustra l’actualité politique en première page, une fois par semaine par une bande intitulée La Semaine humoristique, et certains autres jours par des dessins isolés. Il y publia comme au Soir des reportages sur certaines manifestations ou spectacles, notamment de cirque et de music-hall. À partir de juillet 1932, enfin, il y dessina en feuilleton une bande édifiante pour les enfants, Les Aventures de Dédé et Doudou, qui racontait la découverte du monde capitaliste par un petit garçon et une fillette. Il travailla de même pour plusieurs organes socialistes de province. Il mit parfaitement en images la ligne qu’imprimait au Populaire Léon Blum, son directeur politique. De 1931 à 1934, il apporta sa contribution à la grande campagne pour le désarmement dans laquelle s’était lancée la SFIO, en faisant de la dénonciation des fauteurs de guerre son thème de prédilection. Il matérialisa cet engagement pour la paix en 1932 en éditant un album remarqué de trente-cinq planches, Vive la Guerre. À partir de 1934, ce fut la nouvelle politique antifasciste et unitaire du parti qu’il illustra. Il fit ressortir inlassablement le danger que représentaient les ligues nationalistes, pourfendit toutes les formes d’union nationale, et exalta l’unité ouvrière et le Front populaire. Par ailleurs, il fonda un Service artistique au Populaire, par le truchement duquel il réalisa le décor de multiples manifestations et réunions socialistes.

Après la victoire du Front populaire aux élections d’avril-mai 1936, il fut attaché au cabinet du sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs dans le gouvernement dirigé par Léon Blum, son ami Léo Lagrange*. Il représenta ce dernier dans de multiples manifestations. Il en fut notamment l’envoyé spécial aux Olympiades populaires de Barcelone en juillet 1936, ce qui lui permit d’assister au début de la guerre civile espagnole, et de donner au Populaire un des premiers comptes rendus « en direct » des événements. Au sous-secrétariat, il prit aussi une part active à l’organisation des grandes fêtes « d’art et de sports » du 14 juillet 1936. Il s’occupa plus particulièrement du développement des Auberges de jeunesse, des maisons de jeunes, des clubs de loisirs, et des centres culturels. Il assura également la direction artistique du pavillon des sports et loisirs à l’exposition universelle de 1937.

Il n’intervint pas directement dans les luttes intérieures de la SFIO à la fin des années 1930. Quoique membre de la tendance Bataille socialiste qu’animait Jean Zyromski*, et comme elle hostile à la politique de non intervention dans la guerre d’Espagne, il s’abstint de signer ses motions. Cependant, lorsque le parti se déchira sur la conduite à suivre face aux dictatures fascistes, et que Zyromski* et Blum s’allièrent pour imposer une ligne de résistance aux dictatures, il soutint très activement celle-ci par ses dessins du Populaire. Cessant de dénoncer la guerre en elle-même, il désigna sans relâche les dictateurs, Hitler, Mussolini, Franco et les chefs japonais, comme les fauteurs de guerre exclusifs, tout en épargnant Staline et les communistes jusqu’au Pacte germano-soviétique.

De 1935 à 1939, il collabora également à des journaux de gauche qui n’étaient pas liés à la SFIO, mais n’en étaient pas moins, eux aussi, unitaires, antifascistes et partisans d’une alliance des démocraties et de l’URSS contre les États fascistes. Il dessina ainsi pour Le Droit de Vivre, l’organe de la LICA de Bernard Lecache*, Messidor, le journal des amis de Léon Jouhaux*, et Marianne, le nouveau titre de Frossard*, ainsi que pour des journaux sous influence communiste, tels l’hebdomadaire Regards et Mon camarade, journal illustré pour la jeunesse où il fit paraître chaque semaine de 1935 à septembre 1939, sur une pleine page, Les Aventures de Pat’soum.

Robert Fuzier se replia au début de la guerre avec l’équipe du Populaire dans les locaux du journal La Montagne à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Dès l’Occupation, il cessa toute activité journalistique officielle. Il s’établit comme artisan-décorateur en Auvergne, à Aigueperse, où il vécut de travaux de sculpture. Il participa à la Résistance, en collaborant à la réalisation du Populaire clandestin, et en assurant des liaisons entre les différents mouvements de résistance et Léon Blum, une fois celui-ci interné à Bourassol. Un rapport de police le signale comme l’un des animateurs actifs du groupement « Ceux de la Résistance ». Il fut arrêté par les Allemands en août 1943, interné à Moulins puis, en octobre, à Fresnes. Relâché en mai 1944, il milita dans la 5e section du mouvement Libération-Nord. Il fut l’un des six journalistes qui, le 23 août 1944, installèrent Le Populaire dans l’immeuble du quotidien Le Matin.

Dans les années qui suivirent la libération de Paris, il continua de travailler pour la presse de la SFIO, Le Populaire en premier lieu, mais aussi Jeunesse, le journal des JS, et certains organes fédéraux de province. Il lança et dirigea lui-même Sport Vu, organe sportif patronné par Le Populaire et placé « sous le signe de Léo Lagrange », qui entendait triompher « des routines et des combines ». Il collabora aussi à des journaux d’inspiration socialiste comme l’hebdomadaire culturel Gavroche, le magazine illustré Ambiance, dirigé par Pierre-Bloch*, et le quotidien Franc-Tireur, dont une fraction des rédacteurs, avec son ami Jean-Maurice Hermann* et Marcel Fourrier*, était socialiste de gauche. Il fit également partie de la rédaction de journaux de gauche satiriques, Le Clou, de Bernard Lecache*, et Le Canard enchaîné.

Robert Fuzier rompit cependant avec la direction de la SFIO quand celle-ci lui parut trahir ses principes originels. En 1947, il compta parmi les militants qui, avec Élie Bloncourt, reconstituèrent la tendance Bataille socialiste pour tenter un redressement. Il perdit vite ses illusions. En décembre, il cosigna un manifeste de la Bataille qui dénonçait publiquement le soutien apporté par la SFIO à la constitution de la Troisième Force, à la scission de la CGT et à la répression contre les grévistes. Sans attendre son exclusion, qui fut prononcée le 15 janvier 1948, il participa à la fondation du Mouvement socialiste unitaire et démocratique, qui prit en septembre 1948 la dénomination de Parti socialiste unitaire (PSU). Il siégea au comité directeur de cette formation de 1948 à 1951, et exerça jusqu’en 1950 les fonctions d’administrateur de son organe central, La Bataille socialiste, auquel il livra chaque semaine une bande politique intitulée La Semaine humoristique, comme jadis au Populaire. Il appartenait à la majorité conduite par Élie Bloncourt, le secrétaire général, qui cherchait à différencier le PSU du PCF. Lors de la crise des années 1949-1950 entre la Yougoslavie et l’URSS, il soutint la démarche de Bloncourt, qui voulait bien condamner Tito, mais sans s’aligner inconditionnellement sur la position soviétique. Cependant, il fut évincé de la direction avec les autres dirigeants majoritaires en 1951, à la suite d’un « putsch » des unitaires les plus proches du Parti communiste.

Il resta dans les années 1950 une figure du milieu des socialistes « compagnons de route » du PCF. Il fut, de 1949 à 1959, le secrétaire-trésorier de l’Association pour l’étude des problèmes politiques et sociaux et, de 1949 à 1961, l’administrateur de la revue que celle-ci éditait, les Cahiers internationaux, qui se voulaient « à la fois une tribune du mouvement ouvrier international et l’expression de la pensée socialiste révolutionnaire ». Il collabora de même à plusieurs organes proches du PCF, parmi lesquels l’hebdomadaire Action, auquel il livra chaque semaine, en 1950 et 1951, une bande politique ; l’hebdomadaire Le Soir dimanche, filiale du quotidien Ce soir ; Radio-Liberté, issu aussi de Ce soir, à qui il donna Les Aventures de Friture et Fading ; et surtout le quotidien Libération, d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie*, qu’il avait rejoint en 1948 avec l’ensemble de la fraction socialiste de gauche de Franc-Tireur, et où il publia jusqu’au début des années 1960 des articles sur l’actualité des spectacles, ainsi que des histoires en images : Capitaine Passe-Partout, Jacques Bonhomme, Les Mémoires de madame Angot, Marie Read la flibustière, Cartouche, La Case de l’Oncle Tom, Fanfan la Tulipe, Tête de fer, Till l’Espiègle, Nadia Starli. Il travailla aussi pour France-URSS, dont il était adhérent, comme décorateur.

Il poursuivit sous la Ve République son parcours de dissident socialiste de gauche. Il milita au sein du Parti socialiste autonome, puis du Parti socialiste unifié. Il réintégra toutefois le Parti socialiste en 1974.

Robert Fuzier avait épousé en 1928 Marcelle Pacaut (1904-2000), qui fut secrétaire de la rédaction du Canard enchaîné après 1945 et animatrice de l’association « Les amis de Cabrol ». À sa mort, il laissa un fils, Jacques, issu d’une liaison antérieure, imprimeur et éditeur, et une fille, Françoise, architecte d’intérieur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24162, notice FUZIER Robert, Félix par Éric Nadaud, version mise en ligne le 21 septembre 2010, dernière modification le 2 mai 2022.

Par Éric Nadaud

Robert Fuzier
Robert Fuzier
Coll. privée de la fille de Robert Fuzier.

ŒUVRE : Albums : Vive la Guerre, Éd. Pythagore, 1932. — Les aventures de Dédé et Doudou, Éd. du Populaire, 1933 (puis Nouvelles aventures…, en 1934). — Contribution à Vive la liberté ! Dix contes inédits pour nos enfants, Éd. de la Liberté, 1945. — Collaboration aux journaux et revues (presse socialiste de province non incluse) : Le Soir (1928-32), Paris-Midi (1929-30), La Rampe (1929-32), Le Carnet de la Semaine (1930-31), Froufrou et Bonne humeur (1931), Le Chat-rieur (1931), Cyrano (1931-32), Lectures du soir (1931-32), Les Hommes du Jour (1929-32), Sport et Santé (1932-33), Le Populaire (1931-47), Le Cri des jeunes, Mon Ciné. Actualités (1935), Regards (1936-38 et 1950), Le Droit de Vivre (1937), Messidor (1938), Marianne, Mon camarade (1935-39), Almanach populaire (1939-40), La Bataille socialiste (1938, 1947-50), Jeunesse (1944-45), Le Canard enchaîné (1944-45), Ambiance (1944-46), Sport-Vu (1946-47), Vélo-Sport-Vu (1946-47), Le Clou (1945-46), Gavroche (1945-46), Franc-Tireur (1946-48), Radio-Liberté (1950), Le Soir dimanche (1951), Action (1950-51), Libération (1951-63), France-Observateur (1954), Toulouse informations, Les Cahiers internationaux (1949-61), Caraïbes magazine (1964).

SOURCES : Arch. famille Fuzier. – Arch. PPo, dossiers RG, n° 299.332 et 459.514. — La Bataille socialiste, 6 février 1948. — Presse précitée. — Frédéric Cépède, « Robert Fuzier », Socialistes à Paris, Créaphis, 2005, p. 60. — Entretiens d’Éric Nadaud avec Françoise Camplan (2004, 2008). — Solo, 5 000 dessinateurs de presse et quelques supports, Te Arte, 1996, p. 245. — Henri Filippini, Dictionnaire encyclopédique des héros et auteurs de BD, Éd. Glénat, Grenoble, 2000. — Notice DBMOF par Michel Dixmier. — Notes de Frédéric Cépède. — Eric Nadaud, "Une grande figure du dessin de presse socialiste, Robert Fuzier (1898-1982)", Recherche socialiste, n° 48-49, juillet-décembre 2009, pp. 53-76.

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