PILLÉ Jacques

Par Micheline Abours

Né le 24 mars 1926 à Nice (Alpes-Maritimes) ; intendant universitaire ; résistant, déporté à Buchenwald ; militant de l’UJRF et du PCF, militant syndicaliste de la CGT, du SNIEN et de la FEN, secrétaire de l’ADIRP des Bouches-du-Rhône et membre du comité national de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés, résistants, patriotes).

Jacques Pillé était fils unique. Son père, Albert Pillé, était monteur en chauffage central et travaillait comme ouvrier d’entretien à l’hôtel Terminus à Nice. Après l’installation de la famille à Marseille (Bouches-du-Rhône) en 1941, il travailla comme docker, et devint chef d’équipe. Il avait été canonnier pendant la Première Guerre mondiale et fut blessé d’un éclat d’obus dans la jambe, puis fut mobilisé en 1939 dans la DCA à Nice. Sa mère était couturière, spécialisée dans la confection de tailleurs, mais avait dû arrêter de travailler en raison de problèmes de santé.

Après sa scolarité à l’école primaire et sa réussite au concours d’entrée en 6e (seul élève de son école à y avoir été présenté), Jacques Pillé fréquenta le lycée Masséna de Nice de la 6e à la 3e. En 1941, ses parents décidèrent de quitter Nice pour Marseille, afin de ne pas se retrouver en zone occupée par les Italiens. À Marseille, il entra au lycée Thiers, où il dût refaire une année de 3e.

Il se lia alors avec l’un de ses camarades de classe, Pierre Mouren, issu d’une famille plutôt intellectuelle, avec lequel il noua une profonde amitié. Ce dernier le fit entrer en décembre 1942 dans le réseau de résistance de l’abbé Blanc. Les deux jeunes lycéens y effectuaient des missions de renseignement, notamment d’interception de correspondance entre agents de la Gestapo, collage d’affichettes, et parfois même, collectage d’armes. Le 27 août 1943, Jacques Pillé surveillait avec deux autres camarades l’appartement de l’abbé Blanc, au 10, cours Julien, où se tenait une réunion de dirigeants. Il fut arrêté ainsi que tous le membres du groupe qui avait été infiltré par des « gestapistes français ».

Après son passage au siège de la Gestapo de Marseille, puis à la prison Saint-Pierre, il fut envoyé à Compiègne, et partit en déportation de la gare de l’Est à Paris, le 20 décembre 1943. Il arriva le 21 à Sarrebruck (Allemagne), et fut interné au camp de Neue Bremme, où la Gestapo torturait les prisonniers, avant leur envoi en camp de concentration. Le 7 janvier 1944, il fut envoyé à Buchenwald où il arriva le 9 avec le matricule 32 377. Pierre Mouren, quant à lui, fut déporté à Dachau, où il devait mourir – une rue de Marseille (VIIe arrondissement) porte son nom.

Jacques Pillé vécut le quotidien de tous les déportés : les appels, la faim, le froid, les humiliations, la mort de ses compagnons. Le 24 août 1944, le camp fut bombardé, en même temps que l’usine d’armement voisine. Il participa à l’équipe de déportés qui ramassa les morts (près de 400) et les blessés. Il ne découvrit l’existence d’une organisation clandestine de résistance armée dans le camp, que dans les derniers jours avant la libération, quand des mots d’ordre circulèrent de ne pas accepter l’évacuation par les SS au début du mois d’avril (les « marches de la mort »). Le 11 avril 1945, armé d’un mousqueton italien, il était parmi les prisonniers qui se dirigèrent vers les miradors en rampant et passèrent dans une brèche sous les barbelés, puis, en relevant la tête, il se trouva nez à nez avec les chars américains.

Après la libération du camp, les déportés furent accueillis par la Croix-Rouge, à Eisenach, où ils se reposèrent quelques jours à l’hôtel Rautengranz. Puis ils voyagèrent pendant une journée jusqu’à Saint-Avold (Moselle), dans trois camions. Jacques Pillé franchit la frontière le 5 mai 1945, arriva à Paris à l’hôtel Lutétia, put participer à la manifestation de la victoire, le 8 mai, sur la place de la Concorde, puis retrouva ses parents à Marseille. Épuisé par les épreuves physiques et morales, il alla en maison de repos, trois mois à La Roche-de-Rame (Hautes-Alpes), puis trois mois dans un autre centre, à Chabanas près de Gap. C’est pendant son séjour à la montagne que son père décéda, en décembre 1945. Il l’avait à peine revu.

En 1946, à son retour à Marseille, Jacques Pillé adhéra à l’UJRF, dont il fut responsable à l’éducation, et au PCF : « c’était une évidence » pour lui. Il suivit une école de formation de 15 jours, à Saint-Lazare, à l’échelon de la section. Mais il apprit beaucoup par lui-même.

En 1946, il commença aussi à travailler comme secrétaire à Tourisme et Travail. À la rentrée scolaire 1946, le rectorat recrutait des contractuels pour l’administration des centres d’apprentissage nationalisés. Il postula et fut embauché au centre d’apprentissage des métiers de l’automobile, devenu CET puis LEP et enfin lycée professionnel Frédéric Mistral, où il effectua toute sa carrière dans l’économat puis l’intendance, jusqu’à sa prise de retraite comme intendant en octobre 1982.
Il avait dû passer le baccalauréat « philosophie », car il lui était difficile de se remettre aux mathématiques, pour passer le concours d’économe. Pour cela, il avait été soumis à une enquête, car il ne s’était pas présenté pour effectuer le service militaire, dont il fut d’ailleurs dispensé, le 16 février 1949, en qualité de « fils aîné (il était fils unique) d’une veuve de guerre non remariée ».

Il se maria en 1950 avec Janette Quilici, née en 1929. Ils eurent deux fils : Serge qui milita au SNES, à la FEN, puis à la FSU, et Michel, professeur des écoles, puis directeur d’école.

Jacques Pillé milita d’abord au Syndicat national de l’enseignement technique-branche apprentissage de la CGT, syndicat qui refusa d’organiser un référendum en 1948 et qui resta à la CGT. Il rejoignit ensuite le Syndicat national de l’intendance de l’enseignement technique et plus tard le SNIEN [Syndicat national de l’intendance de l’Éducation nationale) affilié à la FEN. Il participa donc à la CA départementale des Bouches-du-Rhône de la FEN, au titre de son syndicat, et fut élu aux commissions administratives paritaires académiques des catégories auxquelles il appartint.

Jacques Pillé fut membre du comité national de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés, résistants, patriotes), et secrétaire de l’ADIRP des Bouches-du-Rhône. Il se préoccupa beaucoup du passage du flambeau et œuvra à la modification des statuts, pour que les descendants des déportés puissent prendre la suite. À partir de 1983, après la fin de son activité à l’Éducation nationale, il commença à aller témoigner dans des classes (écoles primaires et collèges) sur son expérience de déporté, jusqu’en 2011 – il avait alors 85 ans. Il reçut souvent ensuite des lettres des élèves, le remerciant pour son témoignage.

Médaillé de la Résistance, de la Croix du combattant volontaire, officier des palmes académiques, Jacques Pillé reçut la Légion d’honneur le 17 avril 2015. Il habitait toujours avec son épouse, la « Cité radieuse » Le Corbusier à Marseille.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article241686, notice PILLÉ Jacques par Micheline Abours, version mise en ligne le 23 juillet 2021, dernière modification le 23 juillet 2021.

Par Micheline Abours

SOURCES : Entretiens avec l’intéressé (2015) et témoignage dans le Bulletin de la Fondation pour la mémoire de la déportation des Bouches-du-Rhône (n° 30, décembre 2015). – Le livre mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution. 1940 - 1945. Tome 1. (Editions Tirésias. 2004). — Historique du réseau de l’Abbé Blanc, rédigé par celui-ci. –– « Journal du Comité d’intérêt de Quartier de Sainte-Anne » (octobre 2015 et février 2016). — Notes de Gérard Leidet

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable