ESNAULT Paul, Victor, Eugène

Par Claude Pennetier

Né le 9 décembre 1908 à Paris (XIe arr.), mort 10 décembre 1989 à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) ; ouvrier métallurgiste puis employé ; syndicaliste et militant communiste, secrétaire de la Région communiste Paris-Sud à la Libération, secrétaire national de l’ARAC (1953-1968) ; secrétaire général de France-Tchécoslovaquie (1968-1975) ; résistant.

Autobiographie de parti conservée au RGASPI de Moscou, 1936

Louis, le père de Paul Esnault, fut marin jusqu’à vingt-deux ans puis s’installa à Paris et devint successivement cocher de fiacre, chauffeur de taxi et enfin, après la Première Guerre mondiale, employé de bureau à la mairie de Saint-Ouen. Sa mère, Hélène née Bozon-Mermet, était issue d’une famille paysanne savoyarde. À onze ans elle vint à Paris comme bonne chez un crémier originaire de son village. Elle travailla à domicile après son mariage et eut trois enfants.

Le père de Paul Esnault, très anticlérical, avait adhéré au Parti socialiste vers 1905 mais il n’eut plus d’appartenance politique après la scission de Tours (décembre 1920) et il milita seulement à l’ARAC « L’opinion de mon père était qu’il fallait toujours être le plus à gauche possible » (entretien du 15 octobre 1984).
Paul Esnault avait un frère, employé à la CPDE puis à EDF, qui fut membre du Parti communiste entre les deux-guerres et jusqu’en 1958, ainsi qu’une sœur qui rejoignit le Parti communiste français en septembre 1939. Arrêtée pendant l’été 1941 dans le cadre de « l’affaire Bréchet » (voir la biographie d’André Bréchet), condamnée à quinze ans de prison, elle mourut en détention en 1944.

Paul Esnault fut élevé dans le XVIIIe arr. de Paris. Reçu au certificat d’études primaires avec un an d’avance, il travailla aussitôt comme arpète à Saint-Ouen puis devint ouvrier robinetier. C’est après son service militaire effectué en 1929 qu’il put suivre pendant quatre ans les cours du CNAM. Son entrée chez Renault, en 1935, précéda d’un an ses débuts dans la vie militante. Issu d’une famille dont les sympathies allaient au Parti communiste, il lisait régulièrement l’Humanité et Le Canard enchaîné. Ses activités sportives à la Fédération sportive du travail ne l’avaient pas conduit à rejoindre les jeunes communistes qui l’animaient. C’est la grève de juin 1936 qui provoqua sa participation active au mouvement syndical puis, à l’automne (en réaction contre la non-intervention en Espagne), son adhésion au Parti communiste français. La croissance vertigineuse des effectifs communistes le fit désigner, le jour même, comme secrétaire d’une cellule forte de 150 membres. Paul Esnault fut même contacté par Jean Jérôme pour aller en Espagne créer une usine d’armement, mais la proposition n’aboutit pas. Licencié le 24 novembre 1938, il travailla dans plusieurs entreprises avant d’entrer à l’annexe Ratier de Châtillon-sous-Bagneux.

Mobilisé en août 1939, Paul Esnault fut rappelé en affectation spéciale en décembre. La débâcle le conduisit à l’usine Ratier de Figeac (Lot). Revenu à Paris, il entra en contact avec des militants communistes du XVIIIe arrondissement et organisa des comités populaires dans les usines Précis (Courbevoie), Sauter (Paris, XVIe arrondissement), La Lorraine (Argenteuil) et Jaeger (Levallois). Sous sa direction, ces groupes procédèrent à la diffusion de tracts et au freinage de la production. En décembre 1941, Paul Esnault fut nommé chef régional des comités populaires d’entreprises pour toutes les localités de la région Ouest de la Seine et de la Seine-et-Oise. La filature d’un ouvrier membre du comité populaire de l’usine Camps (Sartrouville) conduisit à son arrestation le 15 mai 1942 à son domicile clandestin du 37 rue des Archives (Paris) avec trente-cinq autres militants. Paul Esnault fut interné à la prison de la Santé. Condamné à trois ans de prison en mars 1943, il fut transféré à la centrale de Poissy en avril 1943, puis à celle de Melun en septembre 1943. En décembre de la même année, il fut envoyé à Châlons-sur-Marne et enfin, fin avril 1944, à Compiègne. Désigné pour la déportation, Paul Esnault parvint à organiser avec Roger Chaigneau une évasion collective du convoi I. 211 qui les menait à Buchenwald au départ de Compiègne le 11 mai 1944 (ou le 12, selon la FMD). Il sauta en marche avec une dizaine d’autres compagnons dont Chaigneau, Yves Calvez, Roger Arvois, René Desguez et Fernand Ponsignon. Les derniers, Georges Bénitte et Georges Amable, furent abattus par les Allemands. Selon la version de Roger Chaigneau publiée par Le Serment en 1994, si ce dernier disposait des compétences et des outils pour concrétiser l’évasion, Paul Esnault lui sauva la vie en le portant hors de portée des tirs allemands alors qu’il s’était blessé en sautant du train.

Robert Francotte, un ancien de Renault, donna asile à Esnault et Chaigneau le 15 mai. Paul Esnault reprit immédiatement contact avec le Parti communiste et le Front national. Il devint secrétaire régional à la propagande et organisa dans ce cadre la répartition des tracts et journaux du FN dans les dépôts clandestins des localités d’Ile-de-France. La presse diffusée concernait toutes les branches d’activité du mouvement (médecins, juristes, milieux du cinéma…). Il participa à l’organisation des manifestations patriotiques du 14 juillet dans les communes de la banlieue sud (Vitry-sur-Seine, Ivry-sur-Seine, Choisy-le-Roi, Gentilly…). Il contribua avec les groupes de ce secteur à la grève patriotique insurrectionnelle des cheminots de Vitry-sur-Seine le 10 août 1944.

Secrétaire de la Région communiste Paris-Sud à la Libération, nommé conseiller général de la Seine, Paul Esnault s’installa à Vanves où ses rapports avec le maire communiste (Albert Pellegeay, un ancien socialiste pivertiste) et la section ne furent pas faciles. Il dirigea sans succès la liste communiste aux élections municipales de 1947 : il fut élu avec une minorité communiste. Ayant cessé d’être permanent en mars 1946, Paul Esnault entra à l’usine Citroën du XVe arr. en avril 1946 et assuma les fonctions de secrétaire du syndicat jusqu’en décembre 1947. Il travailla ensuite dans différentes entreprises, en particulier dans l’aviation à la SNCAC. Cependant, depuis la création en 1946 de la Fédération de la Seine, ses responsabilités politiques étaient limitées. Son nom apparaît pour la dernière fois comme délégué à un congrès national du Parti communiste français en 1947 (XIe congrès). Paul Esnault avait été mis en cause dans un congrès parisien de 1946, constituant la fédération de la Seine, pour son initiative d’évasion de mai 1944, accusation d’autant plus injuste que si des militants y laissèrent leur vie, le destin des déportés était les camps et le plus souvent la mort. Quelqu’un ayant demandé pourquoi on présentait au comité fédéral un militant qui était responsable de la mort de plusieurs camarades dans une évasion, le président de séance, André Marty, aurait déclaré, « Comment peut-on désigner un militant qui a du sang sur les mains » (Témoignage de l’intéressé). Paul Esnault demanda à être reçu par la commission des cadres. Le rapport qui en résulta est bien contestable : « Arrêté le 15 mai 1942. Condamné en avril 1943 à 3 ans de prison. S’évade avec 7 ou 8 camarades du train qui les emmenait à Buchenwald alors qu’une évasion générale devait avoir lieu. A reconnu s’être trompé quant à l’heure et au lieu de l’évasion. N’a pas été réélu SF en 1946 à la conférence constitutive de la fédération de la Seine sur la base de son évasion prématurée qui a empêché un nombre plus grand de camarades d’être libérés. A repris contact tout de suite après son évasion. »
Selon Paul Esnault la formulation assassine de Marty avait pour vocation d’affaiblir un cadre thorezien de la banlieue Sud au moment où se déroulait la réorganisation de la région parisienne. Il fut déchargé de ses responsabilités.

Paul Esnault redevint permanent en 1953. Trois ans plus tard, il s’installa à Ivry-sur-Seine où il résida jusqu’à sa mort. Secrétaire de la Fédération de la Seine de l’ARAC, puis secrétaire national entre 1953 et 1968, il fut secrétaire général de France-Tchécoslovaquie (1968-1975) pendant une période difficile marquée par l’intervention soviétique et la normalisation.
Un rapport de la SMC (Section montée des cadres [commission des cadres]) daté du 23 avril 1957 rapporte une appréciation fédérale : « Le camarade Esnault a des qualités politiques certaines. Il participe à la vie de la fédération, notamment dans le domaine de l’éducation. Il nous aide à nos réalisations pour tenir des écoles à la porte des entreprises. C’est ainsi qu’actuellement il dirige une école avec la participation de 15 travailleurs de la SNCAN de Châtillon. Mais c’est pour une autre raison que nous proposons Esnault au comité fédéral. Nous avons commencé de travailler pour que les communistes militent activement dans le mouvement A(ncien) C(ombattant) de notre fédération. De par ses tâches actuelles, Esnault a acquis dans ce domaine une expérience qui nous serait utile. De plus il apporterait au comité fédéral son expérience dans ce travail de masse très important. La direction du Parti appréciera si certaines critiques qui lui avaient été adressées peuvent encore faire obstacle à son accession au CF. » Mais le lendemain une note de la SMC était plus réservée : « Parmi les nouveaux proposés, revoir l’intérêt de la candidature de Paul Esnault, dirigeant départemental de l’ARAC, et si son apport est de nature à justifier son élection au CF. » Notons que la même année, lors des conférences de section de mars-avril à Champigny-sur-Seine et Châtillon, Georges Marchais, rejoint par Roland Foucard, indiquait qu’il fallait désormais relativiser l’attention accordée au comportement pendant la guerre et éviter que ces questions ne reviennent toujours sur le tapis dans les commissions politiques. Paul Esnault entra donc au comité fédéral et y siégea jusqu’en 1962. A cette époque, le rapport de la commission des candidatures de la conférence fédérale indique : « Esnault Paul : A proposé son retrait, afin de se consacrer à ses responsabilités de secrétaire national à l’ARAC. La commission a été d’accord. » (Archives de la FD 94, dossier conférence fédérale de 1962).

À partir de 1975, retraité, Paul Esnault suivit les travaux de l’Institut Maurice-Thorez devenu Institut de recherche marxiste et s’affirma comme un autodidacte remarquable.
En 1987, Paul Esnault fut, avec son épouse Liliane (née Liliane, Marcelle Tétard, le 2 décembre 1922 à Paris IIIe arr. et morte le 11 février 1993), un des créateurs du courant rénovateur communiste dans le Val-de-Marne. Ils participèrent très activement à la campagne présidentielle de Pierre Juquin en 1988. Ils furent animateurs des Comités d’initiative pour une nouvelle politique à gauche qui faisaient suite aux Comités Juquin, puis ils militèrent au Mouvement des rénovateurs communistes. Paul Esnault s’était marié une première fois le 13 janvier 1948 à Vanves, puis remarié le 4 avril 1968 à Ivry avec Liliane Tétard. Il était père d’une fille Hélène, née en juillet 1953 à Paris 1er, de Liliane et Paul.

Paul Esnault mourut le 10 décembre 1989 à Ivry. Il fut enterré en présence de deux cents personnes dont Gilbert Wasserman (représentant des rénovateurs), Gaston Viens (maire d’Orly, reconstructeurs) et Jacques Laloë (maire communiste d’Ivry-sur-Seine).
Liliane Esnault ne lui survécut qu’un peu plus de trois ans. Titulaire d’un diplôme d’État d’infirmière hospitalière en octobre 1944 et d’un diplôme d’état d’assistante sociale en avril 1946, elle avait travaillé comme conseillère du travail à la Snecma Kellermann (Paris XIIIe arr.) de juin 1946 à septembre 1947, avant d’œuvrer avec le même titre pour la société des aéroplanes Voisin à Issy-les-Moulineaux de septembre 1947 à novembre 1951. Elle devint alors infirmière chef responsable du service médical de la Société des aéroplanes Voisin jusqu’à la fermeture de l’usine en janvier 1958. La ville d’Ivry la recruta alors comme responsable des services sociaux. Elle partit à la retraite en février 1968 mais continua à s’occuper des problèmes de solidarité dans le cadre du Secours populaire. Personnalité intense et combative, elle entretenait une relation personnelle et politique fusionnelle avec Paul Esnault et accompagnait avec passion son éloignement du Parti communiste et son engagement dans une nouvelle mouvance refondatrice.

Le site "Mémoire des Hommes" le répertorie dans les "déportés et internés de la résistance" (DIR), comme membre de la "Résistance intérieure française" (RIF) et du mouvement Front national. Le Service historique de la Défense de Vincennes dispose d’informations le concernant dans ses archives à la cote GR 16 P 211194 ; celui de Caen à la cote AC 21 P 642164.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24194, notice ESNAULT Paul, Victor, Eugène par Claude Pennetier, version mise en ligne le 9 décembre 2020, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par Claude Pennetier

Autobiographie de parti conservée au RGASPI de Moscou, 1936

SOURCES : RGASPI, Moscou, 495 270 3388. — Arch. de l’ONAC de Paris, dossier personnel (demande de carte de CVR attribué le 12 avril 1956, attestations du service de liquidation du FN, attestations diverses…). — Arch. com. Ivry-sur-Seine. — Arch. du comité national du PCF. — Arch. de la fédération PCF du Val-de-Marne — Jean-Paul Depretto, Les communistes et les usines Renault de Billancourt (1920-1936), mémoire de maîtrise, Paris IV, 1974. — R. Francotte, Une vie de militant communiste, Paris, 1973, p. 152. — Ivry fidèle à la classe ouvrière et à la France, Ivry, s.d., p. 89. — Conseillers municipaux et généraux (1871-1956), Hôtel de ville de Paris, 1957. — Paul Esnault, « Le Parti communiste et l’insurrection dans la banlieue sud de Paris », Colloque Libération de la France, 12-13 octobre 1984. — Témoignages de Paul Esnault, de Liliane et de leur fille Hélène. — Interview par Claude Pennetier, Ivry, 15 octobre 1984 et rencontres multiples. — État civil de Paris XIe arr. — Claude Pennetier, Bernard Pudal, « For intérieur et remise de soi dans l’autobiographie communiste d’institution (1931-1939). L’étude du cas Paul Esnault », Le For intérieur, PUF, 1995. — Notes de Jean Maitron, Michèle Rault, Emmanuel Hagen, Paul Boulland. — État civil. — Le Serment n°236, bulletin bimestriel de l’Association Française Buchenwald, Dora et Commandos, mai-juin 1994 (pp. 4-5). — Livre-Mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. — Mémoire des Hommes, SHD Vincennes, GR 16 P 211194 (nc) ; SHC Caen, AC 21 P 642164 (nc). — Notes de Renaud Poulain-Argiolas.

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