SELLIER Henri, Charles

Par Claude Pennetier

Né le 22 décembre 1883 à Bourges (Cher), mort le 23 novembre 1943 à Suresnes (Seine) ; employé dans une banque puis rédacteur au ministère du Travail ; syndicaliste, coopérateur ; socialiste ; conseiller général de la Seine (1910-1941) ; fondateur de l’Office public des HBM de la Seine ; maire de Suresnes (1919-1941) ; sénateur (1935 à sa mort) ; ministre de la Santé publique (juin 1936-juin 1937) ; secrétaire général de l’Union amicale des maires de banlieue et de l’Union internationale des villes.

Henri Sellier occupe une place très personnelle dans le mouvement ouvrier et socialiste français. Sans être un dirigeant de premier plan, il est de ceux qui ont laissé les traces les plus marquantes et les souvenirs les plus forts. La postérité a surtout retenu son image de maire, associée à ses talents d’urbaniste et d’hygiéniste.

Son origine berrichonne n’est pas anecdotique. Henri Sellier fut marqué par un socialisme départemental original : le vaillantisme. Son attachement sentimental à sa province d’origine devait rester fort et influer sur ses activités associatives (ainsi son encouragement à la création d’associations régionalistes) et le choix de son entourage. Il retrouva d’ailleurs à Puteaux comme à Suresnes de nombreux ouvriers formés à Bourges ou à Vierzon venus travailler à l’Arsenal de Puteaux ou dans l’industrie automobile.

Du côté paternel, Henri Sellier était issu d’une famille ouvrière originaire de Rethel, dans les Ardennes. Son grand-père déclarait la profession de serrurier, tandis que son père (né en 1853 à Rethel) était contremaître à la Fonderie de Bourges. Pendant son service militaire dans cette ville, il s’était épris d’une fille de cultivateurs plutôt aisés. Émile Sellier (Henri à l’état civil) épousa Jeanne Bestron en 1879. Ils eurent trois fils : Louis Sellier* (né en 1880), Henri, Charles Sellier (né en 1883) et Joseph Sellier dit Fernand (né en 1886). La mère tenait une petite boutique de bijouterie-horlogerie et, sa journée de travail achevée, le père d’Henri réparait les montres. Le foyer avait donc des revenus non négligeables qui permirent d’acheter pour location cinq maisons dans la rue de la Cartoucherie (actuelle rue Henri-Sellier).

La précocité de l’engagement politique d’Henri Sellier ne semble pas s’expliquer par l’influence d’un père qui jusqu’à sa mort en 1928 ne manifesta pas de goût pour la politique. Sans doute son frère aîné, Louis Sellier, le devança-t-il dans cette voie. Dès sa quinzième année, Henri Sellier rejoignit le Comité révolutionnaire central (CRC) — devenu le 1er juillet 1898 le Parti socialiste révolutionnaire — que l’on disait blanquiste mais qui était surtout marqué par la personnalité et les idées d’Édouard Vaillant. L’ancien communard prit Henri Sellier en sympathie au point de l’inviter à sa table tous les vendredis pendant ses séjours parisiens. Leurs divergences au moment de la rupture entre Vaillant et Jules-Louis Breton refroidirent leurs rapports sans les annihiler. D’ailleurs, Sellier se présenta jusqu’à sa mort comme un disciple de Vaillant. Henri Sellier, après avoir participé à la campagne électorale de Jules-Louis Breton de 1898, partagea la position prudente de ce dernier sur le ministérialisme et le suivit en 1901 au Parti socialiste français de Jean Jaurès* pendant que Vaillant créait avec Jules Guesde* le Parti socialiste de France. Henri Sellier resta toujours très lié à l’inventeur et à l’hygiéniste Jules-Louis Breton ainsi qu’à son fils André-Jules-Louis Breton*, député républicain socialiste du Cher de 1928 à 1936.

Après de bonnes études primaires (école religieuse puis publique), Henri Sellier était entré en 1894 comme boursier au lycée de Bourges où il fit des études brillantes : le palmarès de distribution des prix de 1899 lui attribue le prix de composition française et d’histoire-géographie, ainsi qu’un accessit en mathématiques. Puis, toujours grâce à une bourse, il put accéder à l’École des hautes études commerciales (HEC) qui dépendait de la Chambre de commerce de Paris. Reçu l’un des premiers, il y acquit, entre autres, des connaissances de comptabilité qui lui furent d’un grand secours dans ses fonctions d’élu local et un très bon niveau en anglais et en allemand. Il en sortit en 1901. Cinq ans plus tard, il obtint une licence de droit qui lui permit de s’inscrire au barreau de Paris en 1907, mais il ne plaida jamais.

Envoyé en stage d’HEC en Allemagne en 1902, Henri Sellier travailla chez Siemens à Hambourg, comme secrétaire de Walther Rathenau, le futur ministre. Ce séjour allemand lui permit de connaître Eduard Bernstein et de rencontrer chez le dirigeant social-démocrate August Bebel, le jeune normalien Albert Thomas* qui devint un ami personnel et politique.
De 1902 à 1905, Henri Sellier travailla à Paris dans différents établissements de la finance et du commerce, ses fonctions au syndicat des employés l’ayant obligé à changer plusieurs fois d’employeur. Il fut un temps rédacteur au ministère du Commerce puis, en 1906, il entra, par concours, comme rédacteur au ministère du Travail et devint quelques années plus tard chef de bureau.

L’action syndicale eut une place importante dès son entrée dans la vie active. Henri Sellier fut administrateur puis secrétaire adjoint et trésorier de la Chambre syndicale des employés de la région parisienne comme de la Fédération nationale des syndicats d’employés, et rédacteur en chef du Ralliement des employés. Sa profession de foi de 1919 affirme : « Il a notablement contribué, par ses multiples conférences dans plus de 100 villes de province, au mouvement qui aboutit à l’extension aux employés de commerce et des bureaux, des lois sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs et au vote de la loi sur le repos hebdomadaire » (élection au conseil général).

Délégué depuis 1902 à de nombreux congrès nationaux, fédéraux et confédéraux, Henri Sellier représenta à la Commission administrative de la Fédération des Bourses du Travail, les bourses de Mehun-sur-Yèvre (Cher), de Nîmes et de Tulle, dont les mandats renforçaient le courant favorable à la neutralité politique. Ses talents d’orateur furent utilisés dès 1903, ainsi en décembre, la chambre syndicale des ouvriers cotonniers de Lillebonne annonça une « Grande conférence par le citoyen H. Sellier de la Confédération du Travail (Section des Bourses), administrateur aux Cahiers de l’Ouvrier. » Henri Sellier fut candidat sans succès à la fonction de trésorier de la CGT en 1904. Il était des sept militants (dont Albert Thomas et Auguste Keufer*) qui lancèrent en 1905 la Revue syndicale pour « décrire les progrès du mouvement syndical en France et à l’étranger, et indiquer scrupuleusement les diverses méthodes. » Il en fut secrétaire de rédaction. Mais Henri Sellier s’affirma également comme homme de terrain en particulier pendant la grève des Grands magasins Dufayel en décembre 1905. Délégué au congrès CGT d’Amiens en octobre 1906, il signa la motion Keufer en faveur du neutralisme syndical.
Sa participation au mouvement coopératif n’était pas moins active. Appelé à Puteaux par son ami Lucien Voilin pour fonder la Bourse du Travail et le seconder dans le combat politique local, Henri Sellier adhéra à « La Revendication » de Puteaux dès 1905. Il en devint administrateur, membre de la commission de contrôle et président de 1908 à 1913. Il était également contrôleur, puis administrateur de la Verrerie ouvrière d’Albi et administrateur du restaurant coopératif de Puteaux, « Chez nous ». « La Revendication » était affiliée à l’Union coopérative de la rue Christine à Paris (VIe arr.) ; le restaurant « Chez nous » l’était à la Bourse des coopératives socialistes. Sellier fut parmi les premiers et les plus ardents partisans de l’unité coopérative. Son action fut déterminante au congrès de Calais (1911) et son nom figure parmi les signatures du Pacte d’unité. Administrateur de l’Union des coopérateurs de la banlieue ouest, puis de la société fédérale l’Union des coopérateurs créée à la veille de la guerre de 1914, il adhéra avec elle, à l’UDC (Union des coopérateurs) de Paris. Le congrès unitaire de Tours confia à Henri Sellier le poste de secrétaire adjoint de l’Office technique de la FNCC (Fédération nationale des coopératives de consommation) dont Albert Thomas avait été le secrétaire général. En 1918, il accéda au Conseil supérieur de la coopération. Le congrès national de 1920 le nomma au Conseil commun de la FNCC et au Magasin de Gros. Le conseil étendit ses compétences, en 1922, à la Banque des coopératives.
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Mais depuis quelques années déjà ses activités syndicales et coopératives avaient cédé le pas à son action politique.
Délégué suppléant du Cher au conseil du Parti socialiste français dès 1903, il fut avec Jules.-Louis Breton et Henri Laudier* un des membres de la commission d’unification qui, formée en 1905, réussit non sans peine à réunir l’année suivante les socialistes du Cher. Le congrès tenu le 26 octobre 1906 délégua Henri Laudier et Henri Sellier au conseil national.

Ses séjours dans les milieux socialistes de Vierzon lui avaient fait connaître la fille d’un socialiste mécanicien aux chemins de fer, Jessa Guitton (1886-1969). Il l’épousa civilement en 1907 à Vierzon-Villages, avec pour témoins Émile Deslandres*, conseiller municipal socialiste de Paris . Cette jeune couturière (puis employée de commerce) suivit avec attention la carrière politique de son mari sans être elle-même une militante. Elle s’adapta fort bien aux fonctions de représentation que son mari, peu amateur de mondanités, lui laissait volontiers. Ils eurent deux enfants, Lucien et Janine.

À partir de cette date, c’est en banlieue ouest que porta son militantisme. Élu député, Lucien Voilin* souhaitait que Henri Sellier lui succédât au conseil général. Celui-ci fut donc élu en septembre 1910, à vingt-sept ans, conseiller général de Puteaux et réélu deux ans plus tard. Très vite, il se prit de passion pour l’administration locale et particulièrement pour les problèmes de l’aménagement de la banlieue. Sous son influence fut créé en 1915 (mais l’idée datait de 1912) l’Office départemental des HBM de la Seine (dont il resta l’administrateur-délégué jusqu’à sa mise à l’écart par le gouvernement de Vichy) et plus près de ses électeurs, l’Office public de Puteaux. Dès 1912, il annonça son souhait d’une réforme administrative du département de la Seine.

Réformé par l’armée, le jeune élu de la banlieue ouest fut amené à jouer un rôle important pendant la Première Guerre mondiale. Favorable à l’Union sacrée, Henri Sellier siégea comme suppléant à la CAP du Parti socialiste en 1915 et comme titulaire (au nom de la majorité) en 1916 et à nouveau comme suppléant (au nom des centristes) en 1918. Aux yeux de la population, son absence du front fut compensée par les importants services qu’il rendit. Ainsi l’Association ouvrière des anciens combattants de la banlieue ouest appela à le soutenir aux élections cantonales de 1919 en rappelant que dès le 15 février 1915, il avait pris l’initiative d’organiser un service départemental d’assistance aux prisonniers de guerre. Mais, il fut surtout le rapporteur général du budget du département de 1916 à 1920. Celui qu’on appelait le vice-préfet noua des liens durables avec des hommes qui sans partager ses idées politiques croyaient comme lui à l’action sociale. Préparant l’extension du service public de logement, il dota le département d’importantes superficies constructibles à Suresnes, Châtenay-Malabry, Stains, Plessis-Robinson qui à l’exemple des garden-cities anglaises se couvrirent de cités-jardins entre les deux guerres. Parallèlement, le conseiller général de Puteaux eut des responsabilités à l’Office départemental d’hygiène sociale et de préservation antituberculeuse et à l’École des hautes études urbaines où il donna des cours.

Henri Sellier, qui vivait à Suresnes depuis juillet 1915, partit à la conquête de la mairie en novembre 1919. La tâche n’était pas aisée dans une commune longtemps marquée par la personnalité du républicain-socialiste Diederich. Sellier, seul élu au premier tour, obtint un succès personnel. La bataille du second tour fut plus difficile : si 18 membres de la liste socialiste entrèrent au conseil, 8 candidats de la liste d’Union républicaine les suivirent. Le dynamique conseiller général socialiste de la Seine disposait ainsi d’un terrain d’action pour appliquer ses nombreux projets en matière d’urbanisme et de santé publique. Il fit de Suresnes un haut lieu de l’action municipale.

Signataire du manifeste des reconstructeurs, Henri Sellier participa au congrès de Tours et présida le 26 décembre 1920 la réunion des élus municipaux et cantonaux. S’il suivit la majorité du Parti socialiste au Parti communiste SFIC plus par discipline que par conviction, son influence fut déterminante pour rallier au nouveau parti la plupart des maires socialistes de la Seine ( y compris ceux qui n’avaient pas voté avec la majorité) et des conseillers généraux. Il fut d’ailleurs élu secrétaire du groupe communiste des conseillers municipaux de Paris et conseillers généraux de la Seine, comme il l’avait été du groupe socialiste en 1919. Les militants et élus de Suresnes le suivirent mais Henri Sellier eut beau s’adapter à la nouvelle situation en affirmant que « le parti était payé pour se méfier des élus » (l’Humanité, 26 janvier 1921), il se sentit très vite mal à l’aise. En octobre 1922, le congrès de Paris donna lieu à un violent affrontement. Un militant des Jeunesses communistes demanda son exclusion en déclarant que : « S’autorisant de la tradition de Jaurès, Henri Sellier voudrait faire du Parti communiste un grand parti démocratique. » Ce fut le tollé. Sous les cris de « Vous venez d’exclure Jaurès », « Vive Jaurès », le maire de Suresnes s’empara de la tribune pour accuser les Jeunesses communistes. Son exclusion fut ratifiée par le Comité directeur du 24 octobre 1922 (BMP, mfm 30). Ainsi prit fin son expérience communiste. Dès novembre 1922, suivi par plusieurs maires de la Seine (Charles Auray*, Eugène Boistard*, Philippe Charlot*, Eugène Duchanel*, Michel Georgen*, Jules Sabatier*, voir ces noms), il participa à la création de l’Union fédérative des travailleurs socialistes révolutionnaires de France puis, en 1923, il rejoignit l’Union socialiste-communiste avant de revenir à la « vieille maison » en août 1924.

Pour les élections municipales de mai 1925, Henri Sellier dut faire face à l’opposition de la liste Diederich et à celle des communistes qui, appelant à chasser « les renégats », particulièrement « l’as du verbe », s’inquiétaient de voir les travailleurs admirer encore « sa salade de mots et de chiffres qu’il remue avec l’adresse d’un clown politique » (l’Aube sociale, mai 1925). La liste communiste dirigée par Alexandre Piquemal* ne recueillit que 21,5 % des voix et Henri Sellier fut élu au premier tour. Le reste de sa liste de « Bloc des ouvriers et des employés pour la défense des intérêts communaux » passa au second. En 1929, il élargit sa majorité municipale aux représentants du Comité d’intérêt général de Suresnes, constitué sous son impulsion et dirigé par Maurice Leblanc. Henri Sellier s’était fait construire, rue Merlin de Thionville, en 1926, une belle maison, sur un plan de Payret-Dortail (architecte des cités-jardins).

Dès lors, le maire de Suresnes ne rencontra plus d’obstacles dans l’accomplissement de son œuvre locale. Il put achever dans les meilleures conditions la cité-jardin de Suresnes, restée célèbre pour la qualité de son habitat, de ses locaux scolaires (le premier groupe prit le nom d’Edouard-Vaillant) et de ses équipements sanitaires. Ses 2 500 logements furent achevés en 1937 et la cité témoigna par le nom des ses rues et bâtiments publics des références d’Henri Sellier : Jean-Jaurès bien sûr, Léon Bourgeois (ministre radical et philosophe du Solidarisme), le Président Wilson, Albert Thomas... S’y ajoutèrent d’autres réalisations réputées : le groupe scolaire Payret-Dortail (du nom de son architecte) inauguré en 1927 sur le plateau nord, l’École de plein air bâtie par Baudoin et Lods entre 1932 et 1935. L’œuvre d’Henri Sellier dans le domaine de l’hygiénisme ne fut pas moins marquante : le bureau d’hygiène créé en 1921 employa des « infirmières-visiteuses », plus tard appelées « assistantes sociales » ; en 1931 un important dispensaire municipal ouvrit ses portes. Cette politique de solidarité sociale l’amena à collaborer avec des organisations liées à l’Église et à puiser ses références jusque dans l’action de Saint Vincent de Paul auquel il comptait consacrer un ouvrage sur « Saint Vincent de Paul et l’Assistance sociale moderne ». Lors des élections municipales de mai 1935, la liste communiste menée par Louis Ducamp* déclara que l’action municipale était entachée de cléricalisme : soutien à l’Armée du salut, référence à l’action du fondateur des Filles de la Charité. La réponse d’Henri Sellier fut ferme et provocante : « au risque de faire à nouveau prononcer contre lui l’excommunication bolcheviste, signalons que si la liste qu’il patronne est réélue, le maire » donnera à une rue de Suresnes le nom d’une collaboratrice suresnoise de Saint Vincent de Paul, Marguerite Naseau (Le Suresnois, 4 mai 1935). Il souhaita que l’église construite au cœur de la cité-jardin par un moine bénédictin, architecte novateur, dom Paul Bellot, fût consacrée à Notre-Dame-de-la-Paix.

L’action d’Henri Sellier se situait également au niveau départemental et national. C’est à son initiative que fut constituée en mai 1925 l’Union amicale des maires de banlieue, dont il fut « l’âme » et le secrétaire général inamovible. Son passage à la présidence du conseil général de la Seine en 1927-1928 renforça encore son autorité. Il fut également le mentor de la Fédération nationale des municipalités socialistes et de l’Union des conseillers municipaux socialistes de banlieue, organisation dont il laissa le secrétariat à Antonin Poggioli*. Dès le début des années vingt, il avait pris une part prépondérante à la constitution de l’Union internationale des villes et présidé le comité exécutif de l’Association internationale des cités-jardins et de l’aménagement des villes. Sous l’impulsion de Théodore Tissier, maire radical de Bagneux, d’André Morizet* et d’Henri Sellier furent créés les syndicats intercommunaux de l’eau, du gaz et de l’électricité, suivis en 1939 par le syndicat des communes de la région parisienne pour l’octroi.

L’originalité de son action locale, sa volonté de s’ouvrir aux classes moyennes (comme en témoigne sa référence constante aux employés) et de bousculer les cadres idéologiques traditionnels, ne l’empêchaient pas d’être un militant socialiste discipliné. Peu présent dans les débats de tendance et les discussions de congrès, il combattait avec force les dissidences qui risquaient d’affaiblir le potentiel municipal socialiste de la banlieue. Ainsi en 1928, Henri Sellier prit parti pour Maurice Delépine* contre ses anciens amis Marius Jacotot* et Lucien Voilin* dans le conflit qui divisait les militants socialistes de Puteaux. Avant le congrès de Lille, le premier après la scission « néo-socialiste » de 1933, il écrivit dans la « Tribune du Parti » du Populaire un article intitulé « Moins de mots... Plus de réalités ! » qui visait la majorité du parti ; il repoussait le plan de Henri de Man, mais préconisait un programme immédiat adapté à la situation de la France et susceptible de conquérir, à côté du prolétariat, les classes moyennes. Mais il fallut attendre 1937 pour qu’il accepte de prendre place à la CAP, au titre de la motion de gauche présentée par Jean Zyromski. Le compagnonnage avec le représentant de la tendance la plus favorable à l’unité de d’action avec les communistes peut surprendre. Outre le respect personnel qu’inspirait aux élus socialistes de la banlieue le secrétaire de la Fédération socialiste de la Seine, courageux, exigeant, convaincu, il faut mesurer à cette occasion l’évolution de la pensée d’Henri Sellier entre 1935 et 1937. En effet, au conseil fédéral socialiste de la Seine de mars 1935, le maire de Suresnes avait été sommé par les militants de la Gauche révolutionnaire d’accepter la possibilité d’un Front commun avec les communistes. Son refus énergique le mit en position difficile et il fallut l’intervention de Zyromski pour éviter un conflit. Les élections municipales passées et emportées sans coup férir par Sellier, celui-ci prit en compte l’évolution des communistes qui sur plus d’un point les rapprochaient de ses pratiques municipales. Malgré de vives polémiques dans l’ouest parisien, il sut nouer le contact avec les maires communistes de banlieue, faciliter leur entrée à l’Union des maires et laisser à un maire communiste, Léon Piginnier, la vice-présidence en 1935, puis la présidence en 1938.

L’horizon politique d’Henri Sellier s’était élargi. Battu aux élections sénatoriales de janvier 1927, il prit sa revanche le 20 octobre 1935. Puis, le 4 juin 1936, il devint ministre de la Santé publique dans le premier cabinet Blum. Gérard Massé a pu écrire qu’il « fut le premier véritable ministre de la Santé en France, alors que le ministère en tant que tel existait depuis 1930 » (1936 : la santé à un tournant, inédit). Avec l’aide de son chef adjoint de cabinet, Robert-Henri Hazemann*, il entreprit une politique marquée par la priorité à la prévention et ébaucha une réforme du système hospitalier. Le ministre, avec ses manières « directes, bourrues, parfois brutales » (L’œuvre, 2 juillet 1936), bouscula les habitudes du ministère tout en inquiétant certains milieux médicaux. Un an plus tard, Henri Sellier refusa de se voir attribuer un autre portefeuille dans le ministère Chautemps (on lui avait proposé celui du Travail) et se consacra à ses activités suresnoises en n’hésitant pas à tirer un bilan négatif de son action gouvernementale et à faire la critique du manque de détermination du cabinet Blum. Le journal le Suresnois, porte parole officieux de la municipalité, écrivit : « Les intimes du maire de Suresnes, à qui il a fait parfois des confidences, savaient combien il a été désabusé de ses fonctions ministérielles, de l’impuissance totale à laquelle il s’est heurté, combien il souffrait de sa propre carence et de l’obligation où il était mis de faillir à ses engagements, des difficultés qu’il éprouvait de se mouvoir dans les milieux parlementaires et politiciens, si contraires à son esprit réalisateur. » (26 juin 1937).

Deux voyages en Union soviétique l’avaient marqué. Le premier (août-septembre 1936) était prévu avant sa nomination comme ministre ; Henri Sellier fut accueilli comme un membre du gouvernement et revint très impressionné par les réalisations soviétiques en matière de santé. Le second voyage (août 1937) le renforça dans ce sentiment et il accepta de faire à son retour une conférence louangeuse pour l’effort de santé en URSS. L’Humanité du 12 mars 1938 publia sa lettre adressée la veille aux organisateurs d’un meeting de soutien aux procès de Moscou. Il écrivait : « Que ceux qui considèrent comme compatible avec le serment du 14 juillet 1935, l’impunité scandaleuse dont, sous l’autorité jouissent les bandits de l’Étoile, les assassins de Villejuif et leurs complices, s’indignent de la sévérité avec laquelle le gouvernement prolétarien d’URSS recherche et réprime impitoyablement les complots tramés contre le peuple par les agents fasciste, c’est normal. » Dans sa demande de libération fin juin 1941, Henri Sellier écrivit : « Sur la demande de M. Potemkine, alors ambassadeur à Paris, il accepta une fonction honorifique à l’association des Amis de l’URSS avec plusieurs autres personnalités françaises. En 1938, après l’accord de Munich, il démissionna de cette Association. » (Arch. Madame Sellier-Darrieux). Cette affirmation de circonstance signifie-t-elle que Henri Sellier se rangeait dans le camp des « munichois » ? On n’entendit pas sa voix dans le débat qui enflamma le Parti socialiste mais notons que le Journal de Saint-Denis fait dire à Georges Gérard*, maire du Kremlin-Bicêtre « que la majorité des municipalités socialistes étant de la tendance Paul-Fauriste (...) il est intolérable que des mandats soient donnés par elles, à M. Henri Sellier, antimunichois, blumiste notoire, et partisan de l’Unité d’action socialo-communiste ! » (10 juin 1939).

Malgré un violent conflit avec les maires communistes, et particulièrement avec Georges Marrane*, en avril 1939, à l’occasion de la nomination du bureau du syndicat intercommunal de l’octroi unique (Henri Sellier était président du syndicat intercommunal de l’octroi de la banlieue ouest en 1938) et du contrôle des autres syndicats intercommunaux, il resta d’une grande modération dans la période qui suivit le Pacte germano-soviétique et, avec André Morizet* et Alexandre Bachelet*, il s’abstint lors du vote de la déchéance des députés communistes : « Nous n’avons pas osé, mes collègues et moi-même, aller jusqu’au bout de nos sentiments personnels en votant contre le projet. Nous avons fait à la discipline de notre parti la concession de nous abstenir » (la Tribune républicaine, 13 janvier 1940). Il maintint le contact avec ses amis par un Bulletin de liaison des travailleurs et des socialistes de Suresnes pendant la guerre. Dans un long article intitulé « Savoir pourquoi on se bat », Henri Sellier fustigeait ceux des militants qui, autour des secrétaires généraux du parti, Paul Faure* et Jean-Baptiste Séverac*, menaient la bataille contre Léon Blum* et il dénonçait nommément Robert Prieur*, Costedoat* et Ludovic Zoretti*.

La guerre exacerba la colère d’Henri Sellier devant l’incapacité administrative et politique des gouvernants. Dès le 4 septembre 1939, il remit une note à un certain nombre de personnalités politiques « pour tenter de dégager les réformes indispensables dans l’organisation gouvernementale, pour permettre le fonctionnement le plus parfait des services civils et militaires, et la poursuite rapide d’une guerre victorieuse. » Il revint à la charge le 15 février 1940 avec un rapport sur les « conditions d’organisation d’un gouvernement efficace de guerre » (Arch. Suresnes, D, C II). Dans le département de la Seine, il s’attribuait une responsabilité particulière en raison de l’incapacité de la préfecture de faire face aux événements. Dès le 3 juin 1940 sa ville fut gravement touchée par les bombardements. Refusant de quitter Paris avec le Sénat, il tint à rester dans sa commune et à accueillir le 13 juin, revêtu de son écharpe tricolore, le premier officier allemand. « Les trois mousquetaires » (Henri Sellier, André Morizet et Mounié, maire radical d’Antony, plus Grisoni, président de l’Union des maires de la Seine) se comportèrent en vice-préfet avec pour souci essentiel d’assurer la sécurité et le ravitaillement de la population. Dans cet objectif, ils proposèrent aux autorités d’occupation une loyale collaboration en matière administrative. Le journal personnel tenu alors par André Morizet* ne laisse aucun doute sur leurs sentiments profond d’hostilité vis à vis de l’occupant comme du régime de Vichy. Henri Sellier et lui-même refusèrent d’être présents à Vichy le 10 juillet 1940 pour le vote des pleins pouvoirs à Pétain. Mais, s’ils ne firent rien qui puisse permettre de leur retirer leurs mandats locaux, ils court-circuitèrent en février 1941 les tentatives de Marcel Déat* pour faire cautionner par le président de l’Union des maires, Grisoni, la création du Rassemblement national populaire. En mai 1941, Sellier avait le pressentiment que la nouvelle loi municipale s’appliquerait à leur détriment. Il ne fut donc pas surpris de savoir que Vichy souhaitait se débarrasser de cinq maires socialistes dont ceux de Boulogne-Billancourt et de Suresnes. À la demande de Marquet, ce furent finalement les Allemands qui, par la bouche d’Abetz, demandèrent à Vichy de les maintenir pour assurer une bonne administration de la banlieue (journal personnel de Morizet). Le gouvernement accepta mais fit dire par le préfet que l’Union des maires ne devait plus se réunir. Sellier passa outre et organisa, le 16 mai 1941, à son domicile puis chez Poggioli, une réunion discrète avec plusieurs édiles dont trois maires socialistes mis à l’écart (journal personnel de Morizet). Dès le lendemain l’Amiral Darlan signa son ordre de révocation avec pour motif : « À fait preuve d’hostilité manifeste à l’œuvre de la rénovation nationale. »

Ce fut pour Henri Sellier un coup très dur. La délégation spéciale nommée par la préfecture s’avéra incapable d’imposer son autorité au personnel municipal et à la population. Le 22 juin 1941, jour de l’entrée des Allemands en Russie, Sellier fut arrêté dans son jardin par la Gestapo pour « accointances avec la Russie », interné au camp de Compiègne et libéré le 17 juillet. Fin 1941, Henri Sellier, qui savait qu’il allait être écarté de la direction de l’Office des HBM, apparaissait comme un homme malade (en 1937, un grave accident de voiture lui avait provoqué une fracture du crâne ; il souffrait également d’une surdité croissante et venait d’avoir deux attaques cardiaques) et découragé par son inaction. Il fut à nouveau arrêté au début de l’année 1942. Relâché après quarante-huit heures, il partit pendant plusieurs semaines dans la Sarthe puis fut rassuré par l’intervention de son ami, le docteur Karl Strölin, bourgmestre de Stuttgart depuis 1933, dirigeant de l’Association municipale allemande (le « Deutscher Gemeindetag ») et président de l’Union internationale des villes (lettre du 17 juin 1942). Celui-ci assurait que son « nom avait été rayé de toutes listes de suspects » et lui demandait de « faire en sorte que vos actes ne puissent donner lieu à aucune interprétation défavorable. » Strölin intervint aussi en faveur de la nièce d’Henri Sellier, Renée Guitton, arrêtée en mai 1941 comme agent d’un réseau faisant évader des soldats anglais dans le Nord de la France. Elle avait été condamnée à mort par le Tribunal militaire de Paris et sa peine fut commuée en prison perpétuelle. À la Libération, la famille de Sellier fit des attestations en faveur de Strölin qui était interné (correspondance de Sellier et de sa famille, Massœuvre).

Le 25 février 1942, M. Cazée remplaça comme administrateur-délégué de l’OPHBM Henri Sellier, non renouvelé dans ses pouvoirs d’administrateur puisqu’il n’avait pas été désigné à la commission départementale remplaçant le conseil général. Sans doute faut-il voir la marque de Pierre Laval dans le revirement de juillet 1943 : un arrêté préfectoral du 16 juillet nomma Henri Sellier administrateur en qualité de délégué au Comité de patronage des HBM de la Seine et, le 23 juillet le conseil d’administration élut Sellier administrateur-délégué en remplacement de M. Cazée, démissionnaire. Cette « victoire » lui ouvrit à nouveau les locaux du quai des Célestins. Se réunissaient autour de lui à Suresnes, un petit groupe de compagnons de toutes tendances — parmi lesquels des membres du Parti socialiste clandestin — qui sera à l’origine du réseau Libération-Nord local et où figureront trois de ses successeurs : Courtin, Cosson et Legras, maires de 1945 à 1965 et tous trois berrichons.

Déçu par la prudence de certains Suresnois qui depuis sa révocation de la mairie n’osaient plus le saluer dans la rue, découragé par l’effondrement du Parti socialiste et le peu optimiste quant à son renouveau, HenriSellier était également déçu par la « Grande Allemagne » dont il avait admiré le redressement pendant les années vingt. Il mourut le 23 novembre 1943 à soixante ans. Malgré l’interdiction de tout rassemblement, ses obsèques furent suivies par une foule impressionnante.
Un de ses interlocuteurs syndicaux, Lucien Jayat*, des syndicats des personnels municipaux de la Seine, écrivit que l’animateur de l’Union des maires était « un des esprits les plus ouverts aux problèmes sociaux que j’aie connus » (Tout ne finit pas avec nous, p. 216). Ce compliment spontané a sans doute plus de force que les éloges qui se multipliaient dès le début des années vingt et dont Robert Tourly donne un bon exemple dans Paris-Soir (journal qui bénéficiait de la collaboration épisodique de Sellier) du 24 février 1925 : « C’est qu’il est armé d’un cerveau d’une puissance de travail qui ne connaît pas la fatigue. Une faculté prodigieuse d’assimilation lui permet de jouer avec les problèmes les plus complexes. Les questions les plus ardues, les plus rebutantes, les plus obscures, quand elles ont passé par le creuset de son éloquence, restent comme enveloppées de lumière et de simplicité. » Peu d’hommes politiques de banlieue auront été si souvent décrits par la presse : Henri Sellier, « l’œil vif derrière ses lunettes, le toupet en bataille et la barbe agressive » ne laissait pas indifférent (le Journal de Saint-Denis, 6 avril 1935). Dans la cité-jardins de Suresnes le souvenir du « barbu », comme l’appelait familièrement la population, fut durable. Une enquête ethnologique réalisée en 1984 laisse de lui une image de simplicité, de cordialité, de proximité, d’intelligence : « avant la Cité, c’était vraiment une vie familiale, mais cette ambiance tenait à Sellier, tout tenait à Sellier, quand il a disparu, on a bien vu qu’il n’y avait plus rien comme avant. » (G. Baty-Tornikian, L. Bédarida, Plaisir et intelligence de l’urbain, rapport IERAU, p. 25).

Sa force de conviction, la continuité de sa pensée et de son action lui donnent une place marquante dans le mouvement socialiste. Henri Sellier s’inscrit dans la lignée du courant municipaliste qui voit dans l’action communale une source majeure de réforme sociale, de transformation des modes de vie et des mentalités. Son possibilisme mâtiné de vaillantisme est marqué de l’incontestable puissance des réalisations concrètes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24227, notice SELLIER Henri, Charles par Claude Pennetier, version mise en ligne le 12 janvier 2009, dernière modification le 20 mai 2020.

Par Claude Pennetier

ŒUVRE : On peut se reporter à la bibliographie établie par Michel Guillot pour l’ouvrage La Banlieue oasis : Henri Sellier et les cités-jardins 1900-1940, sous la direction de Katherine Burlen, Presses universitaires de Vincennes, 1987, p. 263-266.
Quelques titres :
Les banlieues urbaines et la réorganisation administrative du département de la Seine, Paris, imprimerie municipale, 1917. Réédité en 1920 avec une préface d’Albert Thomas, Paris, collection « Les documents du socialisme », 106 p.
« La cité jardin du Grand Paris », La vie urbaine, Paris, E. Leroux, 1920, 14 p.
Henri Sellier, André Brüggeman et Marcel Poëte, Paris pendant la guerre, Paris, PUF, 1927, 106 p.
La Coopération ouvrière, préface de Joseph Boyet, 1921.
Les municipalités et le personnel communal, discours prononcé à l’Assemblée générale de la section syndicale des employés et ouvriers communaux, Paris, La Vie communale, n° 4, 1921.
Le parti socialiste et l’action communale : commentaire du programme adopté au congrès national de Grenoble le 12 février 1925 à l’usage des conseillers municipaux socialistes, Paris, La Vie communale, n° 7, 1925.
Le socialisme et l’action municipale, discours du 28 octobre 1934 au congrès de Lille, Fédération des municipalités socialistes, Paris, La Vie communale, 1934.

SOURCES : Arch. Nat., archives privées : fonds Henri Sellier. — Arch. Com. Suresnes. — Arch. privées Madame Sellier-Darrieux. — Journal personnel de Morizet (Institut français d’histoire sociale). — « Portrait de la semaine », la Vague, 18-24 janvier 1923. — A. Rosier, « Un grand ministre : Henri Sellier est mort il y a trente ans », Collectivités express, 25 février 1973. — Louis Boulonnois, « Henri Sellier (1883-1943), œuvre et action municipales », La Revue socialiste, n° 5, novembre 1946. — Le Conseil municipal. Nos édiles, Annuaire municipal, publié par la Ville de Paris. — Claude Pennetier, Le socialisme dans le Cher, 1851-1921, Éditions Delayance/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1982. — Il y a 50 ans Henri Sellier installait la première municipalité socialiste à Suresnes 1919-1969, 1970, 64 p. — René Sordes, Histoire de Suresnes, Société historique de Suresnes, 1965. — La Banlieue oasis, op. cit. (avec une importante bibliographie) — La Vie communale et départementale, juin-octobre 1945. — Notes de J. Gaumont, Michèle Rault, M. Guillot, J. Raymond et Nathalie Viet-Depaule.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes III, op. cit., p. 225. — Base iconographique du Maitron.

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