Par Annie Pennetier, Claude Pennetier
Né le 30 mai 1952 à Paris (XVe arr.) ; instituteur ; militant syndicaliste du SNI-PEGC-FEN, puis du SNUipp-FSU, membre du secrétariat national ; militant de la Ligue communiste puis de la LCR (1969-1988) ; militant de la Gauche unitaire, du Front de gauche, puis d’Ensemble ! ; conseiller régional de PACA au titre du Front de Gauche (2010-2015).
Jacques Lerichomme effectua toute sa scolarité depuis la maternelle, dans les Hauts-de-Seine, qu’il termina au lycée Mounier à Chatenay-Malabry. Il avait seize ans en 1968. Membre des Comités d’action lycéens, il participa aux manifestations parisiennes de Denfert-Rochereau au Quartier latin. Au lycée, il fit la connaissance de Marc Peschanski, militant à Lutte ouvrière, qu’il suivit pendant quelques mois, avant de rallier la Ligue communiste dont il admira le dynamisme lors de la manifestation du 1er mai 1970. Il témoignait ainsi : « C’est à cette occasion que j’ai vraiment découvert la Ligue : les grands calicots, les grands drapeaux rouges, l’orchestre d’Higelin, une belle manif très rythmée, et je me suis dit : « C’est ça qu’il me faut ! » Donc, tu vois que je ne suis pas venu à la Ligue sur des bases politiques, mais sur sa capacité à représenter au plus près la profonde révolte que je ressentais. »
Jacques Lerichomme participa à ses premières réunions de cellule à l’École normale supérieure puis à la Cité internationale et fut affecté à la cellule Schlumberger (compagnie des compteurs) de Montrouge. Il participait au service d’ordre.
Son attachement à la Ligue puis à la LCR CR était fort et dura longtemps, au-delà même de son appartenance à cette organisation. « À cette époque, la Ligue mettait en avant le principe d’un communisme non autoritaire, elle comprenait les mouvements sociaux et sociétaux et s’y insérait facilement, se montrait très unitaire, sans oublier son côté novateur dans les manifs, son ouverture culturelle et son caractère chaleureux. »
Pour payer ses études, il fut vendeur au magasin du Printemps Vélizy 2, dont il fut licencié au bout de trois mois pour avoir voulu créer un syndicat CGT, sans avoir l’ancienneté suffisante pour pouvoir le faire ! Il arrêta alors ses études supérieures et entra à l’ Éducation nationale, d’abord comme instituteur suppléant éventuel, puis comme remplaçant, avant d’être titularisé.
Il fit deux séjours au Portugal en 1974 pendant la « Révolution des œillets », puis partit faire son service militaire, à l’époque des comités de soldats.
Dès son entrée à l’Éducation nationale, il se syndiqua au SNI-PEGC affilié à la FEN, en soutenant la tendance « École émancipée », ce qui lui ouvrit des horizons : « Puis il y a eu l’aventure de l’École émancipée, la rencontre avec d’autres courants, et un certain étonnement. À l’époque, je devais être d’un sectarisme sans nom, sans m’en apercevoir, pensant qu’il n’y avait rien de mieux que la Ligue, que les autres n’existaient pas. Lorsque j’ai rencontré d’autres courants (des anarcho-syndicalistes, des gens pas organisés), ça m’a fait tout drôle. Incontestablement, cette confrontation m’a permis de comprendre que les luttes, les engagements militants, la volonté de modifier les choses en profondeur, ne pouvaient se résumer à un seul courant. »
Ce qui devint la colonne vertébrale de son engagement militant se situe ici : chercher à construire l’unité, mettre en avant les convergences, trouver les revendications unifiantes, que ce soit sur le plan politique ou syndical. Ses initiatives du début des années 1980, ouvrirent la voie à ce qui fut sa marque durable, la recherche de passerelles avec les autres sensibilités du mouvement ouvrier, articuler la radicalité avec la nécessaire unité. Ainsi, il s’investit intensément dans « Union dans les luttes » créée par Stélio Farandjis et Guy Bois, militantisme qui élargit son champ politique.
En parallèle, sur le plan syndical, il créa à Bagneux (Hauts-de-Seine) (il enseignait alors à Issy-les-Moulineaux) pour les élections internes au conseil syndical une liste « Union pour les luttes » regroupant des syndiqué-e-s de différentes sensibilités. S’il considérait que la FEN de l’époque permettait un syndicalisme d’unité avec la cohabitation de plusieurs tendances, il pensait nécessaire de modifier les modes de fonctionnement extrêmement cloisonnés, et souvent artificiels à ses yeux, des tendances entre elles. Cette liste unitaire obtint un bon résultat, alors que la tendance U&A dominait d’habitude très largement dans cette section, loin devant l’École émancipée. Il estimait par la suite avoir durement payé son initiative, étant attaqué de divers côtés, y compris sur le plan professionnel.
Animateur avec d’autres, en 1987, de la grève et des toutes nouvelles coordinations contre la création des « maîtres-directeurs » par le ministre Monory, il intégra à cette occasion le secrétariat enseignant de la LCR, où ne siégeaient jusque-là que des professeurs du secondaire et de l’enseignement supérieur.
En 1989, pour la grande manifestation organisée par le « Collectif contre la dette » auquel participait le chanteur Renaud (« ça suffat comme ci »), il proposa à la LCR de mettre en place et d’animer un orchestre. Reprenant des chansons connues en en modifiant les paroles, l’orchestre rencontra un vif succès.
Jacques Lerichomme quitta la LCR, après la campagne présidentielle de Pierre Juquin de 1988, qui lui avait donné l’espoir d’un regroupement des différentes sensibilités de la gauche de transformation sociale : « J’avais apprécié qu’au fil de ses congrès, la LCR s’éloigne de la « théorie du noyau » (en gros, la construction d’un parti révolutionnaire autour d’elle), pour affirmer que cette construction ne se ferait pas seulement autour d’elle, mais qu’elle en serait l’une des composantes. Je me rappelle même de discussions informelles entre Juquin et une partie de la direction de la Ligue pour voir si nous pouvions aller vers la formalisation d’une nouvelle organisation. Tout cela a volé en éclats, en partie parce que le score de Juquin a été très bas, en partie parce que la Ligue, au-delà d’une unité d’action, n’a pas voulu lâcher la proie pour l’ombre et a préféré maintenir la Ligue et son appareil tels quels, plutôt que de se lancer dans l’aventure d’une nouvelle organisation. Il y a eu un revirement à 180 degrés, ce que je n’ai pas assumé. Je voyais nos limites organisationnelles, dès lors que nous ne pesions plus en rien sur la situation politique mais que nous refusions de nous organiser avec d’autres… J’ai donc quitté la LCR à ce moment-là. »
« Ce départ m’a profondément affecté, car j’étais très attaché à la Ligue. Cela a représenté pour moi une véritable rupture, il m’a fallu très longtemps pour dépasser tout cela. Mais il m’avait bien fallu constater qu’au moment où elle aurait pu faire le pas, les actes de la LCR ont été en complète contradiction avec ses affirmations. Je suis resté « compagnon de route »… »
Conscient des grandes capacités d’organisation et d’animation du syndicalisme enseignant, il se consacra au moment de la scission de la FEN au militantisme dans le SNUipp-FSU naissant (1992-1993), en intégrant son bureau national dont il fut secrétaire national pendant dix ans. Responsabilité dont il s’acquitta avec un grand enthousiasme, à travers de multiples fonctions : aide à la construction des sections départementales, organisation des grandes manifestations de décembre 1995, service d’ordre… Il participa pour son syndicat et sa fédération aux mouvements des chômeurs, des mal-logés, des sans-papiers… Cela était nouveau en cette deuxième partie des années 1990, le champ de l’intervention syndicale ne s’étant jusqu’alors que rarement élargi à ces mouvements. La FSU fut novatrice en investissant ce champ du « mouvement social ». Il co-organisa ainsi, au titre de la FSU, les « États généraux du mouvement social », en étroite collaboration avec Pierre Bourdieu.
Il utilisa son savoir-faire acquis à la Ligue dans l’animation des manifestations, en introduisant un orchestre dans les cortèges. Transformant les mots d’ordre traditionnels en paroles détournées de chansons connues, il fit avec les autres membres de l’orchestre chanter et danser les manifestants dans des cortèges très dynamiques !
La première grande apparition publique de son tout jeune syndicat, lors de la grande manifestation nationale du 16 janvier 1994 contre la loi Bayrou, devait être l’occasion de faire apparaître le SNUipp-FSU. Chargé de trouver un mode original d’apparition, il eut l’idée de ballons géants gonflés à l’hélium sur lesquels le nom du syndicat était particulièrement visible dans le champ des caméras de télévision. Le succès de la couverture médiatique fut immédiat. La FSU dans son ensemble allait à son tour adopter ce genre de ballons, ce qui concourut à la création de son image au cours des grèves de décembre 1995. Cette idée fut d’ailleurs reprise ensuite par pratiquement toutes les autres organisations syndicales.
Jacques Lerichomme prit donc sa part dans la montée en puissance du SNUipp-FSU qui passa de 35 000 adhérents au départ à 54 000 en 2000, et devint la première organisation du premier degré lors des élections professionnelles de 1996, permettant du même coup à la FSU de conquérir la première place dans la fonction publique d’État. La direction du SNUipp était partagée entre le courant de pensée Unité et Action (Daniel Le Bret, secrétaire général, Nicole Geneix) et le courant École émancipée (Danièle Czalczynski). « Une vraie alchimie a fonctionné entre nous » dit-il.
Cette expérience le conforta dans sa conviction qu’il fallait réfléchir à un fonctionnement différent des tendances syndicales, les faire vivre en cas de divergences profondes d’orientation ou de bilan, mais trouver davantage de passerelles entre elles, voire parvenir à leur dépassement quand c’était possible. « Après les grèves de 95 par exemple, où les deux tendances ont appelé clairement à la grève et s’y sont totalement investies, rien ne justifiait qu’il y ait deux listes distinctes au congrès suivant. Il y avait des différenciations entre nous, mais pas de divergences de fond. »
Lorsque le ministre Claude Allègre en 1997, traita l’Éducation Nationale de « mammouth », il eut l’idée, dans une manifestation nationale de son syndicat, de faire défiler autour de la place Montparnasse à Paris, un véritable éléphant, s’assurant ainsi l’ouverture des journaux télévisés… et une rancœur tenace des forces de l’ordre !
Après 10 ans de cet investissement syndical, Jacques Lerichomme reprit son activité d’enseignant en tant que directeur d’école, et décida d’aller s’installer avec sa famille en région marseillaise. Il n’en continua pas moins à militer. En 2005, il participa activement à la campagne du « Non » au référendum sur la constitution européenne. À la suite de cette expérience très riche, au caractère très unitaire, il décida de retrouver le champ politique. Il s’investit alors dans la création des Collectifs unitaires antilibéraux. Après s’être battu en faveur d’une candidature unitaire pour l’élection présidentielle de 2007, il participa à l’animation de la campagne de José Bové en 2007 dans les Bouches-du-Rhône. S’il considéra, après coup, que cette candidature avait été une erreur, cela permit localement une véritable alchimie entre militants politiques de différentes sensibilités, syndicalistes, citoyens investis dans le milieu associatif, culturel, tissant ainsi entre eux des liens profonds qui perdurèrent.
À la création du Front de Gauche (2009), il rejoignit la Gauche unitaire (2009, avec Alain Faradji, Céline Malaisé, Christian Picquet et Francis Sitel). Considérant que le Front de Gauche pouvait être le creuset d’un nouvel espace politique favorisant les démarches unitaires – entre les organisations d’une part et entre organisations et citoyens non encartés d’autre part –, il y défendit le principe d’une adhésion possible des citoyens directement au Front de Gauche, sans forcément adhérer à l’une de ses composantes. Il milita également pour que le Front de Gauche crée des passerelles avec les autres composantes de la gauche, et participa activement à la première campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2012.
Élu conseiller régional du Front de gauche de 2010 à 2015, il s’occupa de questions liées à l’environnement au sein de l’ARPE (Agence régionale pour l’environnement), du conservatoire du littoral, du Parc de préfiguration de la Sainte-Baume. Sur le plan social, il se battit pour les « Fralib » (2010), participa à populariser leur lutte, à favoriser une aide du conseil régional en leur faveur. Convaincu qu’à toute lutte, il faut un débouché politique, il tira un bilan particulièrement positif de l’articulation entre une lutte sociale d’ampleur et la possibilité de la soutenir directement et concrètement dans les institutions politiques.
Plus globalement il chercha, durant ces cinq années, à concilier ses convictions profondes, sa conception éthique du rôle et du mode de fonctionnement d’un élu au service de la population, avec les réalités et la lourdeur de la vie politique institutionnelle.
En 2013, en cohérence avec son combat pour unifier des courants politiques proches les uns des autres, il se prononça pour le regroupement de la Gauche unitaire avec d’autres courants de la gauche radicale dans le mouvement Ensemble !, ce qui lui valut d’être exclu de la Gauche unitaire.
En 2015, il décida de ne pas se représenter pour un second mandat au conseil régional, estimant qu’il devait traduire en actes sa conviction que les directions (politiques comme syndicales) devaient être rajeunies et féminisées. Il joua un rôle important dans la constitution d’une liste commune entre les écologistes, les communistes et les insoumis en PACA.
En 2021, le militant unitaire qu’il demeurait, mesurait le poids des appareils dans le morcellement du paysage politique et la multiplication des candidatures de gauche pour la présidentielle de 2022. Il gardait intactes ses convictions unitaires, et se disait prêt à se réinvestir dans un cadre unitaire pour les voir aboutir.
Il partageait sa vie depuis 35 ans avec Françoise Laroche, qui fut secrétaire générale de son syndicat (le SNPES-PJJ) de 1996 à 2002, et membre de la direction nationale de la FSU.
Par Annie Pennetier, Claude Pennetier
SOURCES : Arch. SNUIpp-FSU. — Entretien d’Annie et Claude Pennetier avec Jacques Lerichomme, 18 juin 2018 puis échanges avec lui en 2021. — 180 récits de vies recueillis par Gérard Perrier, 2009, devoirdememoirebesoindhistoire.home.blog.