BERNARD César, Nicolas

Par Henri Besset, Laurent Gonon

Né le 24 frimaire an III (14 décembre 1794) à Meximieux (Ain), mort le 28 avril 1838 à la Croix-Rousse (Lyon) ; chef d’atelier à la Croix-Rousse ; Mutuelliste Canut ; gérant de L’Echo de la Fabrique (août 1833-mars 1834).

Né à Meximieux (Ain), mort à la Croix-Rousse (Lyon) ; chef d’atelier en soierie, César Bernard figure en octobre 1831 parmi les membres du bureau de la Commission des chefs d’ateliers de Lyon et des faubourgs qui signaient l’Adresse présentée au préfet du Rhône. C’est d’ailleurs le projet de cette « adresse », qu’il avait lui-même rédigé, qui fut approuvé le 16 octobre lors de l’assemblée générale des chefs d’ateliers. Ce texte fut publié le 23 octobre, dans le prospectus de L’Écho de la Fabrique, journal des chefs d’ateliers et des ouvriers en soie.
César Bernard, 15 rue Dumenge, à la Croix-Rousse, figura parmi les chefs d’ateliers de la fabrique d’étoffes qui négociaient le Tarif. Il signa ou contresigna les tarifs de « Gros de Naples simple, qualité d’Allemagne », « Marabou sur 400 ou 600 », « Mouchoirs brillantine 400 et 600 ». Tous les membres de cette commission étaient naturellement chefs d’ateliers. Tous n’ont pas eu le même rôle dans le mouvement social lyonnais de cette période (précisent les auteurs de l’édition électronique de L’Écho de la Fabrique. Les plus importants étaient Bouvery, Charnier, Maçon-Sibut et Bernard. Charnier, avec l’appui de Joseph Pavy député ultraroyaliste, avait fondé en 1827 la Société de surveillance et d’indication mutuelle qui organisait la défense des chefs d’atelier contre les fabricants, mais aussi contre les simples compagnons ; Bouvery et Maçon-Sibut étaient alors membres du directoire de cette société. Agacés par le comportement de Charnier et par ses idées, Bouvery surtout, mais aussi Bernard et Maçon-Sibut fondèrent Le Devoir Mutuel. La participation de chacun aux journées insurrectionnelles de novembre 1831 ne fut pas la même. Bouvery fut, semble-t-il, en retrait, alors que Charnier fut l’un des membres de l’état-major provisoire qui siégea à l’Hôtel de Ville le 23 novembre 1831. Ce furent enfin Bernard et Charnier qui, envoyés en députation à Paris par les chefs d’ateliers, rédigèrent pour Casimir Périer un « Rapport à M. le Président du Conseil des Ministres sur les causes générales qui ont amené les événements de Lyon ». Pendant les journées de novembre 1831, Bernard adopta une attitude modératrice, s’en tenant à la base unificatrice du mouvement des Canuts né en octobre, exigeant de « vivre (décemment) en travaillant ». Une nouvelle révolution ne figurait pas dans leurs objectifs, qui demeuraient purement revendicatifs dans le domaine économique et social, même s’ils dénonçaient la provocation montée par les négociants et le pouvoir qui, après avoir accepté le Tarif, en refusaient l’application. Les carlistes, partisans de Charles X, déchu l’année précédente, et les « Volontaires du Rhôn  », rassemblant d’anciens grognards de Bonaparte, s’emparèrent du mécontentement pour mettre la ville en effervescence. Bernard, capitaine de la Garde nationale, se signala dans la négociation avec les insurgés, pour que l’irréparable ne soit pas commis sur la vie du général Ordonneau commandant la place, exécution pouvant justifier ensuite un énorme bain de sang, dont les Mutuellistes se refusaient à assumer la responsabilité.
À la rencontre du président du Conseil. Dès le 27 novembre 1831, Bernard et Pierre Charnier partent pour Paris. Selon Fernand Rude, Bernard rentra seul vers le 15 décembre. Charnier rentra le 22 janvier 1832, cela fut confirmé le 23 par le rapport du commissaire central. Charnier rencontra seul le Président du Conseil, mais il ne lui parla pas du Tarif, visiblement en désaccord avec la revendication.
Bernard ne se désintéressa pas du sort des insurgés incarcérés, que le pouvoir voulait faire condamner, en délocalisant le procès à Riom dans le Puy-de-Dôme. La police notait le 17 mai 1832 : « L’avocat Godemard, deux autres individus en chapeau blanc qui je crois sont aussi attachés au barreau, Comini, Martinon et Bernard, ces trois derniers maîtres ouvriers en soie, étaient tous assemblés hier soir à neuf heures dans le café Philipon ». À surveiller, répond le préfet. Les accusés furent triés, on choisit des « politiques » et de préférence des hommes qui ne n’étaient pas des canuts. Il faut essayer d’enlever à l’insurrection son caractère de classe... La mobilisation ne faiblit pas. À Lyon, parmi les canuts, on prépara le procès ; à Riom, la population manifesta en faveur des accusés qui furent acquittés le 18 juin 1832.
Lors de la réorganisation du mutuellisme, le 14 avril 1833, on retrouva Bernard, parmi les trente responsables répartis sur six centrales représentant 1 320 membres. L’objectif était d’assurer le contrôle du mutuellisme sur les prud’hommes. Le 28 avril, Bernard fut désigné membre de la Commission de surveillance de L’Écho de la Fabrique avec MM. Strube, Duchamp, Souchet, Fournier, Python et Flachat .
En août 1833, des dissentiments se firent jour au sein de la L’Écho de la Fabrique. L’assemblée des actionnaires (une centaine) remplaça le gérant Berger et le rédacteur en chef Chastaing par le mutuelliste César Bernard. Le 18 août, le nouveau gérant s’adressa aux lecteurs. En acceptant cette importante tâche, le nouveau gérant avait moins compté sur ses faibles moyens que sur le concours de ceux d’hommes vraiment philanthropes, dont la constante sollicitude fut l’amélioration physique, intellectuelle et morale de la classe la plus nombreuse des travailleurs. Sentinelle avancée, dont la consigne était de veiller et de défendre les intérêts divers, L’Écho de la Fabrique ne trahit pas son mandat. Partisan dévoué à la classe ouvrière, dans les rangs de laquelle il s’honorait de compter, son gérant continua, à l’exemple de ses prédécesseurs, à signaler sans crainte et à frapper sans pitié la masse honteuse des abus quel que soit le camp qui les renferme. Dès lors, une série d’articles furent signés de sa plume. Il mit fin à cet engagement en janvier 1834, pour raisons de santé, à la suite de la campagne calomnieuse menée contre lui par L’Écho des travailleurs, et particulièrement Marius Chastaing. Une divergence idéologique profonde sépara sans doute aussi les deux hommes.
L’examen de la biographie de l’un des dirigeant du mouvement canut pour le Tarif en octobre 1831, nous permet d’observer l’évolution politique des « mutuellistes », véritable organisation syndicale des travailleurs lyonnais de la soie, jusqu’à la prise du pouvoir par Louis Napoléon Bonaparte. D’abord fouriériste, en 1831, par ses fréquentations parmi les mutuellistes, Bernard prit rapidement ses distances avec Pierre Charnier, carliste et catholique. Fernand Rude souligna d’ailleurs qu’au cours de l’insurrection de novembre 1831, tous les mutuellistes n’ont « pas eu la même attitude ». Puis saint-simonien, comme le montre sa protestation contre les tracasseries de la police à l’égard des Saint-Simoniens, devant son allée montée Saint-Barthélemy, parmi lesquels il se classait… (La Glaneuse, le 5 mars 1833). Avec cependant des réserves, comme Bernard le souligna dans L’Écho de la Fabrique du 15 septembre 1833 : « Quoique nous ne partagions pas les idées religieuses des saint-simoniens, nous apprécions leur dévouement et leur savons gré de leur but, qui est l’amélioration du sort du peuple. Nos vœux les accompagnent ».
Lorsqu’il prend la gérance de L’Echo de la Fabrique (août 1833), sur la décision de l’Assemblée générale des mutuellistes, il choisit le camp des républicains avancés. Les républicains l’ont tous compris ; il ne peut y avoir parmi eux, et surtout à leur tête, que des hommes purs, entièrement purs ; la grande majorité, nous pensons que nous pourrions dire la totalité, des actionnaires de l’Écho, était composée de républicains, comme l’écrira La Glaneuse le 27 octobre 1833, après le remplacement de Chastaing, à la tête de L’Écho de la Fabrique, par Bernard. Dans L’Écho de la Fabrique, le 1er septembre 1833, Bernard, nouveau gérant, affirma ses convictions républicaines : « Les principes politiques du Précurseur et de La Glaneuse sont les nôtres ». Le 6 octobre 1833, Bernard prit position, à propos des bagarres entre ouvriers issues des rivalités du compagnonnage, contre la division des travailleurs : « Prolétaires de tout état, assez de maux vous accablent, n’augmentez pas encore par vos haines et par vos divisions, la somme de misère attachée à votre sort ; unissez-vous, au contraire, pour vous entraider, le fardeau s’allégera ». L’historien lyonnais Fernand Rude, fit le rapprochement de cet appel avec le Manifeste Communiste, publié quinze ans plus tard : « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ! ».
César Bernard a toujours recherché l’organisation et l’unité des exploités et la défense des populations laborieuses (le tarif en 1831, le refus de la compromission ; affaire des prud’hommes, et débat dans l’Echo de la Fabrique ; refusé l’aventurisme, en 1833 il est l’objet de la calomnie de Chastaing et Charnier (affaire de la Croix d’honneur) pour avoir sauvegardé la vie du général Ordonneau. En décembre 1831, dans son rapport au Président du Conseil rédigé conjointement avec Pierre Charnier, il condamne le coup de main des Volontaires du Rhône : « un fantôme de République que quelques individus, étrangers pour la plupart à notre industrie, avaient dans leur délire voulu établir à la place de l’administration ». Nous ne saurions clore cette notice biographique sans rappeler sa prise de position clairvoyante dans L’écho de la Fabrique du 27 octobre 1833 quant à l’expédition coloniale de la France qui débutait en Algérie.
« Nous le disons avec une entière franchise, les détails affreux de cette expédition, et le ton joyeusement barbare avec lequel la plume d’un militaire français les a retracés, nous ont pénétré d’une profonde tristesse […] Eh bien ! nous le demandons aussi : – Quels sont les plus barbares ! de ces hommes demi-sauvages, vivant dans une ignorance absolue et dans l’abrutissement le plus complet, qui, ignorant la science de la destruction, ne livrent jamais de combats réglés, mais attaquent leurs ennemis en détail, les frappent à l’improviste, les assassinent enfin ! ou de ceux qui, armés du flambeau de la civilisation, saccagent les villes, détruisent les récoltes, écrasent ou fusillent des femmes et des hommes dans leurs habitations, et à travers les champs, ainsi que l’on chasse les bêtes fauves ? […] Maintenant, si on réfléchit que ces déplorables résultats sont le prix d’un coup de chasse-mouche ; – si l’on pèse le sang que la vengeance de cet affront a coûté à la nation française insultée ; – ce que cette vengeance amasse de haines contre nous, chez les peuplades algériennes ! on se demande ce que c’est que la civilisation, et si de tels fruits ne sont pas bien amers !!!!! » Prémonitoire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article242372, notice BERNARD César, Nicolas par Henri Besset, Laurent Gonon, version mise en ligne le 2 septembre 2021, dernière modification le 2 septembre 2021.

Par Henri Besset, Laurent Gonon

ŒUVRE : Adresse présentée au préfet du Rhône. Bernard, rédacteur, signe avec Bouvery, président ; Falconnet, vice-président ; Guillot, Labory, Rozier, Maçon-Sibut, Marel, Charnier, Bonnard, et Lavalée. (Cf. Prospectus de L’Echo de la Fabrique, 23 oct. 1831). — « Rapport fait et présenté à Monsieur le Président du Conseil des Ministres. Sur les causes générales qui ont amené les événements de Lyon. Par deux chefs d’ateliers : Bernard et Charnier. » Imprimerie de Charvin, Lyon. (BMLyon, cote 117.190). – Série d’articles dans L’Écho de la Fabrique, d’août 1833 à février 1834 : Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en ..., Prospectus du 23 octobre 1831 ; Aux lecteurs, N° 33 du 18 août 1833 ; Un mot sur la question lyonnaise, N° 33 du 18 août 1833 ; Réponse aux éloges, N° 34 du 25 août 1833 ; Des abus en fabrique, N° 34 du 25 août 1833 ; Réponse à la lettre de M. J.C.B., N° 35 du 1 septembre 1833 ; Réponse au Précurseur, N° 35 du 1er septembre 1833 ; Du Conseil des prud’hommes, Réponse à M..., N° 36 du 8 septembre 1833 ; Du Procès, N° 36 du 8 septembre 1833 ; Puisque M. J.C.B. J.-C.Bergeret, N° 36 du 8 septembre 1833 ; Abus en Fabrique, N° 39 du 29 septembre 1833 ; Du compagnonnage, N° 40 du 6 octobre 1833 ; De la Caisse de Prêt. A la suite de la ..., N° 41 du 13 octobre 1833 ; Appel aux Citoyens en faveur d’un père de ..., N° 41 du 13 octobre 1833 ; M. Marius Chastaing ..., N° 42 du 20 octobre 1833 ; Au nombre des causes qui soulèvent ..., N° 42 du 20 octobre 1833 ; De l’apprentissage, N° 43 du 27 octobre 1833 ; Nous avons reçu de M. Marius Chastaing ..., N° 43 du 27 octobre 1833 ; Un mot sur les Affaires, N° 44 du 3 novembre 1833 ; Des abus, N° 45 du 11 novembre 1833 ; Réponse à l’ Echo des Travailleurs ..., N° 45 du 11 novembre 1833 ; Banquet des Mutuellistes, N° 46 du 17 novembre 1833 ; De la réélection partielle, N° 51 du 22 décembre 1833 ; MM. Bernard, chef d’atelier et ..., N° 53 du 5 janvier 1834.

SOURCES : Arch. Dép. du Rhône ; http://echo-fabrique.enslsh.fr. — Bibliothèque municipale de Lyon, Papiers de Pierre Charnier, fonds Rude, « Rapport à M. le Président du Conseil des Ministres sur les causes générales qui ont amené les événements de Lyon par deux chefs d’ateliers ». — Ludovic Frobert, L’Echo de la Fabrique ou la démocratie turbulente, Lyon 1831-1834, éditions Taillandier Paris 2009. — Ludovic Frobert (sous la direction de), L’écho de la Fabrique, naissance de la presse ouvrière à Lyon, ENS éditions, Lyon 2010. — Maurice Moissonnier, La révolte des canuts, Lyon novembre 1831, Éditions sociales, Paris 1958. — Jean Bruhat, Histoire du mouvement ouvrier français, des origines à la révolte des canuts, Éditions sociales, Paris 1952.

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