Par Jean-Paul Nicolas
Né le 16 janvier 1910 à Pont-Audemer (Eure), mort le 13 avril 1956 à Planquery (Calvados) dans un accident automobile ; cafetier-épicier au village de Saint-Etienne-l’Allier (Eure), région du Vièvre ; chef du maquis Surcouf, un secteur couvrant la moitié ouest du département de l’Eure.
Robert Leblanc épousa le 23 février 1933 Denise Prey, originaire de Saint-Germain-Village (Eure). De cette union naîtront quatre enfants. Il effectua son temps de service militaire en 1938 dans la marine, à Bizerte, comme matelot de deuxième classe. C’est en Tunisie qu’il contracta une pleurésie qui lui valut un long séjour en sanatorium et, par la suite entraîna sa réforme au moment de la déclaration de guerre en septembre 1939.
Fervent patriote, il refusa l’armistice et regarda avec espoir la vieille Angleterre qui refusait de s’avouer vaincue. L’appel du 18 juin 1940, annonçant que la lutte continuait, le détermina à se jeter à corps perdu dans la Résistance.
S’appuyant sur des amis sûrs de son village : Robert Samson, charpentier, et l’abbé Meulan, curé du village de Saint-Etienne-l’Allier, Robert Leblanc posa les bases d’un noyau résistant en commençant par recueillir des prisonniers de guerre évadés. Un précis recensement des cachettes possibles, fermes abandonnées dans les forêts du voisinage, fut très tôt effectué grâce au savoir faire de Robert Samson. Les immenses marnières de Fourmetot près de Pont-Audemer furent soigneusement explorées : elles constituèrent une cachette idéale pour de nombreux clandestins. Ces grottes, correctement aérées par des orifices masqués par la végétation, avaient l’avantage de ne figurer sur aucune carte d’état-major.
Aidé d’hommes sûrs dont certains avaient une solide formation militaire, Robert Leblanc constitua un véritable réseau de maquisards dispersés dans de nombreuses localités de l’Eure à l’intérieur d’un triangle Honfleur-Rouen et Bernay. L’organisation en était quasiment militaire, les groupes de villages étaient constitués en sizaines dirigées par un chef local qui rendait compte au commandant en chef du maquis appelé désormais Surcouf. Robert Leblanc se révéla un chef lucide et organisé qui ne laissait rien au hasard. Il cimenta avec tous et entre tous des liens qui contribuèrent à l’essor et la valeur de son maquis. L’armement de Londres ne tarda pas à parvenir au Surcouf qui appartenait au mouvement Résistance lui-même dirigé par Gaétan Lesage (commandant Max) auquel Robert Leblanc rendait compte. Après la création du STO fin 1942, les effectifs des nombreuses sections éparses du Surcouf ne cessèrent de se développer. Leurs refuges parfois distants de dizaines de kilomètres étaient reliés au PC (de Saint-Etienne- l’Allier) par un efficace réseau de boîtes à lettres et les incessants va-et-vient de plusieurs agents de liaison. La complicité des gendarmes de Saint-Georges-du-Vièvre, village proche du PC Surcouf, permit de prévenir et renseigner plusieurs fois le maquis et assura le filtrage nécessaire de prisonniers russes évadés du camp du Madrillet à Rouen ainsi que de déserteurs de la Wehrmacht (Polonais , Alsaciens, Autrichiens), lesquels vinrent renforcer le maquis Surcouf.
Après le débarquement du 6 juin 1944, l’on retiendra que le Surcouf, cantonné sur le flanc est de la pénétration des Alliés, joua un rôle militaire déterminant, gênant les Allemands pour attaquer par l’est le département du Calvados puis servant de guide connaissant le terrain aux troupes anglo-américaines dans la zone limitrophe du Calvados et de l’Eure.
Le maquis Surcouf, victime d’un dénonciateur, fut l’objet de plusieurs attaques répétées, notamment par un bataillon spécialisé de SS en juillet et août 1944, c’est-à-dire encore peu de jours avant la libération de la Normandie. Guidés par l’Inspecteur Alie de la brigade anti-terroriste de Rouen, ils recherchaient activement Robert Leblanc mais échouèrent dans leur recherche abattant lors de batailles rangées un grand nombre de maquisards du Surcouf. Voir à ce sujet le site fusillés et exécutés intitulé : Eté 1944 : les tués ou exécutés du maquis Surcouf département de l’Eure.
Un an après la Libération, en septembre 1945, Robert Leblanc a été reconnu officier de FFI au grade de commandant, « ayant fondé le maquis Surcouf et fondé le premier bataillon de Normandie ». En juin 1946, il a été nommé au grade de chevalier de la Légion d’honneur.
Pour être complet, il convient de signaler que Robert Leblanc fut mêlé en septembre 1946 à une affaire de meurtre d’un prisonnier allemand évadé du Havre. En un lieu- dit proche de Pont-Audemer appelé « La queue du Renard ». Deux membres du Surcouf convoyés dans un camion appartenant à leur employeur Robert Leblanc, recyclé dans le transport, furent mis en présence de deux évadés allemands d’un camp du Havre : une rixe à l’arrière du camion aboutit à la mort d’un des évadés. Le juge d’instruction chargé de l’affaire, ancien « loyal avec Vichy » ayant échappé aux purges de 1945, vit l’occasion de se venger des hommes du maquis qu’il détestait en « chargeant » Robert Leblanc accusé d’être devenu « chef d’un gang » composé d’anciens maquisards.
La presse nationale (mais pas du tout locale), se saisit de cette nouvelle sensationnelle qui apportait de l’eau au moulin aux théories anti résistantes visant à assimiler les FFI à des délinquants abusant de leur pouvoir du temps de la Libération. Un mandat d’arrêt fut lancé contre Robert Leblanc. Comme pendant la guerre, le chef résistant de l’Eure, ne fut jamais arrêté par la police. La solidarité des mouvements fédérés de résistance normands dont il était secrétaire général, joua à plein et permit de le cacher sans qu’il ait besoin de quitter la région normande. Il écrivit une longue lettre ouverte au juge d’instruction, mettant en évidence la mauvaise foi d’une instruction bâtie avec une partialité qui dissimulait tous les faits qui mettaient hors de cause le chef résistant de Saint-Etienne-l’Allier.
La solidarité et la mobilisation de tous les mouvements résistants de France s’exprima à cette occasion. Mais il fallut attendre décembre 1946, date de constitution du bref gouvernement de Léon Blum, qui permit d’aboutir à la désignation d’un nouveau magistrat chargé de l’affaire de La Queue du Renard sur décision d’arrêt de la Cour de cassation.
Robert Leblanc et les trois maquisards qui étaient retenus à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen depuis cinq mois, en compagnie des nombreux prisonniers collaborateurs, retrouvèrent la liberté en février 1947. La cabale de La queue du Renard s’était effondrée.
L’affaire Robert Leblanc s’apparente, par certains aspects, à celle de Georges Guingouin dans une autre région. Les deux affaires ont à voir avec les rancoeurs accumulées au sein d’une police et d’une justice qui parfois s’étaient déshonorées dans une collaboration passive ou active avec l’occupant allemand.
Robert Leblanc perdit la vie au volant d’une automobile le 13 avril 1956. A bord de la voiture trois passagers furent légèrement blessés. Une enquête conclut à un accident sans en déterminer les causes exactes.
Robert Leblanc repose aujourd’hui au cimetière de Pont-Audemer dans le carré des maquisards du Surcouf fusillés ou morts au combat.
Sites d’exécutions et/ou de mémoire Pont Audemer (Eure) Les tués du maquis Surcouf
Par Jean-Paul Nicolas
SOURCES : Raymond Ruffin Les Lucioles de ma nuit- Le maquis Surcouf en Normandie Presses de la cité Paris, 1976. — Raymond Ruffin Ces Chefs de maquis qui gênaient Presses de la cité Paris, 1980. — Julien Rapp La Résistance dans l’Eure 1940-1944 Éditions du Sapin d’or, Épinal, 1988.