VIEILLARD Octave, Lazare

Par Daniel Grason

Né le 31 juillet 1924, à Saint-Pryvé-Saint Mesmin (Loiret), mort le 10 avril 2008 à Gonesse (Val-d’Oise) ; ajusteur-outilleur ; militant syndicaliste CGT ; membre du Parti communiste internationaliste (PCI), du Parti Socialiste unifié (PSU), puis sympathisant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

Embauché aux usines Chausson le 14 octobre 1946 comme ajusteur-outilleur, il fut affecté à l’atelier d’outillage d’Asnières. Membre des Auberges de Jeunesses ainsi que du PCI. Membre de la CGT depuis 1945, il en sera exclu en 1950, pour « titisme ». Il sera réintégré à sa demande après la rencontre entre Khrouchtchev et Tito en 1955. Il deviendra membre du bureau du syndicat CGT Chausson à l’usine d’Asnières, délégué au comité d’hygiène et de sécurité (CHS). Après la guerre d’Algérie, il milita pendant quelques années au Parti socialiste unifié (PSU), il sera sympathisant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).
Lors d’un entretien en mai 2002, il nous retraça son parcours militant : « Quand je suis entré chez Chausson, j’étais membre du PCI […] et membre des Auberges de Jeunesse. En 1948, on a monté un groupe de campeurs, j’avais organisé ce qu’on appelait des caravanes dans les Pyrénées. […] Tout ça faisait qu’on avait autour de nous des sympathisants, sans être des adhérents trotskistes. On sortait aussi des gars le week-end, quinze, vingt jeunes. »
« Maurice Pinard [responsable de la CGT] m’a dit : “Écoute, ce qui serait bien, c’est que vous déclariez votre groupe en association loi de 1901.” À partir de ce moment-là, on a eu une petite subvention du Comité d’entreprise, on faisait des sorties, on louait des autocars, on allait soit au lac des Settons, soit à Fécamp, ça nous permettait d’avoir des activités avec des jeunes. On délivrait les licences de camping, parce qu’à l’époque, il fallait avoir une licence. On avait plus de 300 adhérents à un moment donné. »
« On avait organisé un échange avec des jeunes syndicalistes autrichiens. Nous avons été là-bas, on devait être 25 ou 30. Les jeunes Autrichiens sont venus chez nous. J’ai obtenu de leur faire visiter l’entreprise. La direction a marché. Ça devait être en 1949 ».
« Au PCI on faisait un journal, La Vérité des travailleurs, on en a diffusé 20 à 25 numéros de façon régulière. Dès qu’on m’a découvert comme trotskiste, on a essayé de me mettre à l’écart. En 1950, c’est la rupture de Tito avec l’URSS et c’est de là que nous avons organisé les fameuses brigades, pour aller voir ce qui se passait en Yougoslavie. Alors là, ça a été le déchaînement total ! De là, j’ai été exclu de la CGT à cause de mon voyage en Yougoslavie. Ils avaient convoqué une assemblée. La CGT n’admettait pas les “titistes” dans ses rangs. La Commission exécutive de la section syndicale CGT Chausson Asnières a pris la résolution par dix voix contre six de m’exclure. Un certain nombre de gars étaient contre mon exclusion. Ils ne l’ont pas obtenue si facilement que ça. Mais bon, ils avaient un poids tel que ça s’est fait quand même. Après ils ont publié un papier expliquant que j’avais été exclu. Lorsque j’ai été exclu, ils ont perdu au moins un tiers des syndiqués. »
Octave Vieillard garda précieusement tous les tracts, les coupures de journaux dans une boîte en carton marquée « Yougo ». Les articles les plus virulents émanaient de La Voix populaire, hebdomadaire local édité par les sections du Parti communiste de Gennevilliers, Asnières, Villeneuve-la-Garenne. Florilège : « Les travailleurs de chez Chausson ont chassé de l’organisation syndicale CGT le diviseur professionnel Vieillard, c’est bien cet individu qui pendant l’occupation a travaillé en Allemagne hitlérienne. » En réalité, Octave Vieillard avait été requis au titre du Service du travail obligatoire (STO).
« J’étais au STO, je suis parti, je n’avais même pas dix-neuf ans et, normalement, je n’aurais pas dû partir ; je suis parti désigné par mon patron à la place de son fils ! Là c’est un tract : “Parti communiste Français – Plus de flic chez Chausson. […] La bande trotskiste et […] son représentant […] Vieillard. Un trotskiste n’est pas, répétons-le, un honnête travailleur, c’est un affilié à une bande d’espions, de traîtres, de saboteurs et d’assassins...”. Ça a été distribué à l’usine. Là je suis qualifié d’agent “provocateur de Tito !”. La Fédération des Métaux [s’en était fait l’écho dans] Le Métallo où il était écrit : “Pas un jeune métallo en Yougoslavie fasciste… c’est le cas notamment de Chausson Asnières …”.
Au milieu des années cinquante, Octave Vieillard créa un groupe de jeunes au sein de la CGT. Il organisa notamment des week-ends à la neige. La découverte de la montagne n’était pas à cette époque très répandue par les jeunes ouvriers de la région parisienne.
Les grèves menées dans les années cinquante furent difficiles face aux différents gouvernements de droite, mais également au sein de la CGT. « Je me souviens d’une des grèves que nous avons menées, quand Lucien Marrane était encore là. Dans L’Huma tout allait bien, et puis l’on chauffait toujours les gars. Un éditorial de L’Huma préparait à la reprise du travail. Moi qui avais lu L’Huma, je comprenais que ce qu’il nous récitait dans son exposé, c’était l’éditorial. Et, bien sûr, la reprise du travail s’est faite. »
« À un moment donné, il y a une action qui se mène pour l’augmentation des salaires, et d’autres revendications, et nous formons ce qu’on appelle des comités d’action, et chaque équipe doit nommer un représentant. Dans mon équipe, mes camarades de travail m’élisent. C’est de là qu’il y a un tract de la CGT qui s’adressait : "Aux 25 camarades de la travée Senand. De nombreux camarades ont été élus pour le Comité d’unité d’action, par les travailleurs de leur équipe. Ces élections se sont déroulées sous le signe de la plus large Liberté, groupant organisés et inorganisés dans le seul but de faire aboutir nos justes revendications."
"Notre bureau syndical CGT a cependant été surpris par le choix d’un de vos délégués, le dénommé : Vieillard."
"Nous pensons que la bonne foi des travailleurs de votre équipe a été surprise et que la propagande mensongère de cet individu vous a trompés."
"Nous tenons à vous rappeler que la constitution de ces Comités a pour but d’unir tous les travailleurs. Or, Vieillard est un ennemi de l’unité de la classe ouvrière."
"Il fut exclu de notre CGT pour un travail fractionnel au sein du Syndicat."
"D’autre part, il s’est complètement dévoilé lors de la campagne qu’il a menée pour l’envoi des jeunes en Yougoslavie fasciste."
"Dans le but d’éviter tout facteur pouvant nuire au développement de la constitution des Comités d’unité d’action, nous demandons à toute votre équipe de venir discuter amicalement avec nous, à la permanence syndicale le mardi 2 avril 1951 à midi et demi."
"Section syndicale CGT des usines Chausson."
La Voix populaire du 17 mars 1951 titra : « Les travailleurs de chez Chausson ont chassé de l’organisation syndicale CGT le diviseur professionnel Vieillard, c’est bien cet individu qui pendant l’occupation a travaillé en Allemagne Hitlérienne. » Une pétition soutenant Octave Vieillard a circulé dans l’entreprise à la suite de cet article, elle a recueilli plusieurs centaines de signatures.
Il fut réintégré dans l’organisation syndicale en 1956 : « Sur les conseils de mon camarade Pierre Frank qui faisait partie de notre cellule [du PCI]. Il m’a conseillé de demander ma réintégration à la CGT. De toute façon, ma demande était permanente, je n’admettais pas d’être exclu. Ça ne s’est pas fait rapidement, mais bon, là, il y a eu une occasion et ça s’est fait ! J’ai été réintégré à la CGT. »
Il ne se découragea pas continua à militer, réussissait à entrer dans un atelier « réputé impénétrable, les gars connus comme étant du Parti communiste, par exemple, n’ont jamais pu y pénétrer. J’y faisais régulièrement des réunions de discussion, et j’y ai fait des syndiqués à la CGT alors qu’avant personne n’était syndiqué. C’était l’atelier secret… Un jour le sous-directeur du personnel m’a dit : “Vous savez, monsieur Vieillard, que je pourrais vous interdire d’aller là-bas ?” Je lui ai répondu : “Vous savez, quand j’y vais, je ferme les yeux, je ne vois rien, je ne vois que des hommes.” »
« En 1963, nous avons monté une section de ski, elle recevait des subventions du Comité inter-entreprise. C’est une section qui fonctionnait relativement démocratiquement. Nous étions considérés comme des petits-bourgeois par les gars de Chenard », se souvient Octave Vieillard. « Le ski, pour eux, c’était un truc de riches ! Alors notre boulot c’était de faire partager ce plaisir aux travailleurs. Je me rappelle qu’une fois nous avons emmené de l’usine G [située à Gennevilliers] une dizaine de jeunes travailleurs nord-africains. Nous étions à Briançon, l’hôtelier me dit : “Je vous ai préparé une bonne choucroute pour ce soir.” – Je lui répond :“Bien, mais nous avons une dizaine de participants de confession musulmane ; ils ne mangent pas de cochon. – Ah ! S’il n’y a que ça, je vais leur faire un repas à part.” Penses-tu, la choucroute arrive : “Mais on en veut !” Il n’y en a qu’un qui n’en a pas mangé. Avec ça, ils ont dégusté du vin de Bordeaux. […] Nous avions un règlement qui comportait une priorité pour les gens qui n’étaient jamais partis à la neige. C’est vrai qu’il y en avait qui y allaient tout le temps, mais il fallait bien remplir le car… »
Lors de la grève de mai et juin 1975, délégué CGT, il était responsable du Comité de grève de l’usine d’Asnières. « Ça a démarré dans mon atelier avec un jeune qui me suivait, mais qui n’était pas trotskiste, mais syndicalement bagarreur. Notre idée s’était, puisque, en fait, on était une filiale de Renault, de voir nos salaires soient alignés sur ceux de la Régie. Partant de là, on a demandé rendez-vous aux copains de chez Renault. Ils nous ont expliqué les niveaux de leurs salaires, comment se faisaient les promotions, tout. On a fait un tract très détaillé de plusieurs pages. On l’a distribué dans notre atelier. Par exemple : à quel coefficient étaient les outilleurs, à quel coefficient était telle ou telle profession. Quels salaires et tout ça ! Quand on a mis ça sur la table, on a mis le feu aux poudres chez les gars. C’est comme ça qu’a démarré la grève… Après, les outilleurs, dans l’atelier d’en face, ont suivi. »
« Un autre exemple, les délégués, en général, étaient très mal payés. Il y avait une grille des salaires. Les délégués, quelle que soit leur véritable qualification, étaient en bas de l’échelle. Dans mon atelier, on a fait deux grèves importantes pour que tous les délégués de l’outillage soient dans la moyenne des salaires. Nous avons dit, ni en dessus ni en dessous. Et on a obtenu satisfaction pour eux. » Octave Vieillard fut chargé par l’organisation syndicale de contrôler l’application de cette mesure.
Octave Vieillard mourut le 10 avril 2008. Lors de ses obsèques au cimetière intercommunal situé à Pierrefitte Villetaneuse Alain Martinez lui rendit un vibrant hommage.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article242734, notice VIEILLARD Octave, Lazare par Daniel Grason, version mise en ligne le 23 septembre 2021, dernière modification le 23 septembre 2021.

Par Daniel Grason

SOURCES : AM de Gennevilliers, La Voix populaire de juillet 1948 à avril 1951, Asnières, Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne. – Tracts édités par la CGT et le PCI. – Entretien avec Octave Vieillard le 16 mai 2002 avec la présence de Gilbert Marquis. – Chausson : Une dignité ouvrière, préface de Michel Verret, Bernard Massera et Daniel Grason, Éd. Syllepse, 2004.

Photographie : Daniel Grason (D.R.)

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