DELATTRE Jules [alias « BRILLAT » dans la clandestinité]

Par André Balent

Né le 31 janvier 1887 à Cléry (Nord), mort le 9 août 1944 à Rieumes (Haute-Garonne) assassiné par la Milice ; militaire de carrière (Armée de l’Air) ; résistant de la Haute-Garonne, chef du maquis de Rieumes de l’Armée secrète (AS) et/ou du Corps franc Pommiès (CFP) de l’ORA

Rieumes (Haute-Garonne)
Stèle à a mémoire due Jules Delattre (1887-1944)
Source : Mémorial François Verdie Forain

Jules Delattre était le fils de Jules et de Clémence Brillet. L’état civil de la commune ayant été détruit pendant la Première Guerre mondiale, sa reconstitution ne donne que peu d’informations sur les parents. La fiche initiale du registre matricule n’est, elle non plus, pas disponible, ayant été détruite dans les mêmes circonstances. Il était retraité à Lherm (Haute-Garonne), bourg situé entre Rieumes et Muret. Rieumes, foyer initial du maquis éponyme est une bastide, alors chef-lieu de canton situé sur la rive gauche de la Garonne.

Militaire de carrière, Jules Delattre était officier (capitaine) de l’armée de l’Air. À la fin de 1942, il participa à la création d’un groupe de l’AS, formé à l’initiative d’André, Marie, Albin Reboul (Toulouse, 1er octobre 1905 ; Mont-de-Marsan, 14 octobre 1987) juge d’instruction à Muret, sous-préfecture de la Haute-Garonne et de Dupont, percepteur. Le groupe s’étoffa, courant 1943, en rassemblant d’autres Rieumois, officiers de réserve comme Robert Roger, médecin ; Charles Schwartz, Alsacien, médecin, lieutenant ; Jean, Paul, Pascal Lécussan (né le 19 septembre 1903 à Rieumes), sous-officier (adjudant-chef), retraité de l’armée de Terre. Le recrutement s’élargit considérablement en recrutant dans les communes des cantons de Rieumes, Carbonne, Auterive et Muret, territoire, du sud du département, à la charnière du Lauragais (basses vallées de l’Ariège et de la Lèze), du Volvestre (cours de la Garonne en amont de Muret, et du Comminges (cours supérieur de la Garonne, sur le Piémont des Pyrénées et dans la partie de la Haute-Garonne incluse dans ce massif). Un groupe « sédentaire », sous les ordres du capitaine Albert fut également formé à Toulouse parmi le personnel de l’usine d’électricité de Bazacle. Le maquis avait également une liaison clandestine avec l’Espagne par l’intermédiaire du réseau « Charrette » auquel appartenait par ailleurs un des cadres du maquis, Emile, Henri Chiffre, alias « Henry », né le 7 février 1899 à Névian (Aude).

Dans le courant des semaines qui précédèrent le débarquement de Normandie, les recrues potentielles pour la constitution d’un maquis crurent considérablement, certaines affluant depuis Toulouse. Après le 6 juin 1944, André Reboul, le chef, fut débordé car on ne savait comment encadrer ces hommes aux motivations pas toujours très claires (il a été dit que l’effectif aurait atteint le chiffre de 800 !). Certains partirent, d’autres furent renvoyés. Finalement les effectifs se stabilisèrent autour du nombre, déjà considérable de 300 recrues. Mais tous ces mouvements s’étaient effectués sans la moindre discrétion et le maquis était bien repéré. En 1943 et, pendant les cinq premiers mois de 1944, le maquis profita des liens privilégiés de son chef avec le Corps franc Pommiès (CFP) qui distendit ceux initialement entretenus avec l’AS toulousaine. Considéré par le CFP comme « bataillon statique Reboul », le groupe franc qu’il forma participa à plusieurs opérations spectaculaires. Il alla jusqu’à Aurillac (Cantal) récupérer avec des camions cinq tonnes d’armes et d’explosifs larguées lors d’un parachutage. Si une partie fut débarquée à Toulouse, le reste fut entreposé à Muret. Grâce aux liens controversés avec le CFP (et remis en cause par des cadres dont Delattre), le maquis de Rieumes récupéra cinq parachutages, trois près de Muret, deux à proximité d’Auterive. Mais une partie du matériel de ces deux derniers alla renforcer le maquis FTPF de Betchat (Ariège, mais actif surtout dans le Comminges, Haute-Garonne) après la « scission » de maquisards de la région d’Auterive. Le 6 juin 1944 le groupe qui allait former le maquis de Rieumes était sans doute, en Haute-Garonne, l’un des mieux pourvu en armes.

Un problème plus grave, celui de l’affiliation du maquis, opposa Reboul à son second, Delattre. Il aboutit à une scission de la formation. En effet, Reboul avait fait allégeance au commandant André Pommiès, officier d’active de l’armée d’armistice passé à la clandestinité et organisateur du CFP. Mais l’affiliation au CFP (lui-même relevant de l’ORA, Organisation de résistance de l’Armée) ne convenait pas à la majorité des recrues du maquis de Rieumes qui n’appréciait guère l’ordre de Pommiès (27 juin) de rejoindre la Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées. Delattre et d’autres cadres du maquis de Rieumes, Pierre, Clément, Lacroux (né le 7 août 1909 à Miremont, Haute-Garonne ; il avait organisé la compagnie d’Auterive du maquis), Maris, Henri Chiffre, les soutenaient. Les socialistes toulousains, dirigeants de l’AS, de ses groupes francs et instigateurs de la formation de maquis (Voir Raymond Badiou), voulaient conserver le maquis de Rieumes dans son cantonnement, pas très éloigné de Muret. Ils voulaient assurer la permanence du rapport des forces très favorable, en Haute-Garonne, à l’AS/CFL face aux FTPF, dont l’activisme de leur maquis de Betchat, en Comminges, les inquiétait.

Reboul dut faire face à ce qu’il qualifia de « mutinerie ». Beaucoup d’hommes refusèrent de le suivre. La gravité du conflit provoqua la scission. Le 23 juin 1944, obéissant au CFP, Reboul quitta la région de Rieumes avec une minorité de maquisards, la soixantaine d’hommes de la compagnie commandée par Gadras. Ils firent mouvement vers la région de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées).

Jules Delattre devint le chef de ceux qui restèrent sur place (environ 150 hommes) et affirmèrent ainsi la continuité du maquis de Rieumes qui passa sous le contrôle de l’AS/CFL (théoriquement sous celui des FFI, officiellement en cours de formation sous la direction de Serge Ravanel depuis le 17 mai, mais qui, encore au mois d’août 1944, n’existaient que sur le papier.Dans le cadre de l’AS et des FFI,il avait le grade de commandant. Le maquis forma deux compagnies (environ 60 hommes chacune — respectivement commandées par Pierre Lacroux et Joseph Drouart — et un corps franc de 20 hommes commandé par Paul Bajou. Delattre fit installer le maquis dans un nouveau cantonnement, la forêt de Savères-Lautignac (communes de Savères et Lautignac, Haute-Garonne). Le 14 juillet 1914, il fit une démonstration de force en organisant des défilés et en déposant publiquement des gerbes devant les monuments aux morts de Rieumes et de Muret Le maquis resta dans la forêt de Savères-Lautignac jusqu’au combat du 17 juillet qui l’opposa à environ 200 Allemands appuyés par quatre avions Junker et des blindés. Il réussit à décrocher et franchit la Garonne pour pénétrer en Ariège, à Fabas, à la limite de la Haute-Garonne. Cantonné dans une forêt de cette commune, il se livra à des opérations de harcèlement. Le 4 août 1944, 45 Malgaches occupés à des travaux forestiers dans les bois de Fabas rallièrent le maquis que l’on appelait toujours « maquis de Rieumes » dont les effectifs atteignirent alors 200 hommes.

D’après Michel Goubet, Delattre conserva une attitude ambigüe, désireux, en premier lieu de préserver l’autonomie d’un maquis formellement rallié aux CFJ qui avaient succédé à l’AS. Ainsi, dans un souci d’équidistance, il chercha à maintenir des liens avec le CFP avec qui il était censé avoir coupé les ponts. Ainsi, à la demande de l’organisation commandée par Pommiès, le 5 août, il fit enlever par ses hommes deux sous-officiers de la garnison de Saint-Gaudens. Mais par ailleurs, Delattre maintenait d’étroits contacts avec Jean-Pierre Vernant, chef des CFL puis, simultanément, des FFI de la Haute-Garonne. Le 8 août 1944, la veille de son tragique assassinat, Delattre discuta avec lui afin de consigner par écrit son intégration dans les CFL de la Haute-Garonne. Cette intégration ne fut pas remise en question par son successeur à la tête du maquis de Rieumes, le capitaine Pierre Lacroux.

Le 9 août 1944, vers 16 heures, une trentaine de miliciens accompagnés par des policiers allemands et guidés par un collaborationniste, pénétrèrent dans Rieumes afin d’exercer des représailles contre des résistants ou sympathisants de la Résistance. Ils bloquèrent une rue, près de l’ex-garage Servat. Ils pénétrèrent dans les domiciles de Laurent Caillis et d’Eugène Pons, forgeron, et les forcèrent à monter dans l’un de leurs véhicules. Ils se dirigèrent ensuite en direction du domicile et des entrepôts de Dominique Biassou, négociant en vins. Se trouvant à proximité, ayant été informé par des habitants de Rieumes de la présence d’un faux maquis et de miliciens venus arrêter des habitants de la localité connus pour leur action résistante ou leur sympathie pour la Résistance, Jules Delattre se rendit sur place dans une automobile accompagné par un chauffeur et le capitaine Jacques Markus alias « docteur Morelli » (né le 27 janvier 1900 à Bruxelles, Belgique) qui passait par là. Voyant la scène, il descendit du véhicule et entreprit de parlementer avec les assaillants. Il fut aussitôt fauché par une rafale d’arme automatique et immédiatement tué. Profitant de la confusion de l’affrontement, Caillis et Pons purent pénétrer chez Bouissou et s’y réfugier. Craignant sans doute l’intervention imminente de maquisards redoutés, les assaillants quittèrent les lieux, renonçant à la poursuite. En plus de Delattre, tué, l’affrontement fit également deux blessés, Jacques Markus, un des adjoints de Delattre et le chauffeur de l’automobile qui les transportait. Pierre Lacroux succéda à Jules Delattre à la tête du maquis et dirigea les opérations jusqu’à la Libération de la Haute-Garonne.

La dépouille de Jules Delattre fut transportée à la forêt de Fabas où elle reçut les honneurs militaires suivis d’une veillée funèbre. L’inhumation eut lieu de nuit au cimetière de Lherm où le capitaine avait établi son domicile demeurait depuis juin 1940.

Il y a un dossier, non consulté, au SHD (Vincennes) au nom de Jules Delattre (cote GR 16 P 168432). La date de naissance de Jules Delattre donnée dans les documents de cette cote (10 janvier 1897 au lieu de 10 janvier 1887) est erronée. On retrouve la même erreur dans la cote indiquée dans les « sources » de cette notice (SHD, Vincennes,19 P 31/13). Le nom de Jules Delattre figure sur les monuments aux morts de Clary (Nord), de Rieumes et de Lherm (Haute-Garonne). Une stèle érigée à Rieumes commémore son assassinat. Les mots suivants y sont inscrits : « Au commandant Delattre, héros de la Résistance 9 août 1944 ». N’ayant pas voulu intégrer définitivement le CFP et ayant, en revanche,accepté l’intégration de son maquis à l’AS, son nom n’a pas été gravé sur le mémorial du CFP à Castelnau-Magnoac (Hautes-Pyrénées).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article242986, notice DELATTRE Jules [alias « BRILLAT » dans la clandestinité] par André Balent, version mise en ligne le 8 octobre 2021, dernière modification le 9 août 2022.

Par André Balent

Rieumes (Haute-Garonne)
Stèle à a mémoire due Jules Delattre (1887-1944)
Source : Mémorial François Verdie Forain

SOURCES : Service historique de la Défense, Vincennes, GR 19 P 31/13, « maquis Delattre ou de Rieumes ». — Arch. dép. Nord, 1 Mi EC 149 R 6, état civil de Clary (1885-1889) par la commission de Cambrai (1923), acte de naissance de Jules Delattre. — Michel Goubet, « Les activités du maquis de Rieumes avant le 6 juin 1944 » ; « Les activités et les souffrances du maquis de Rieumes (après le 6 juin 1944) » ; « La libération de Muret et de ses environs in La résistance en Haute-Garonne, CDROM, Paris, AERI (Association pour des études sur la résistance intérieure), 2009. — La Dépêche, Toulouse, 21 août 2003. — « L’assassinat du commandant Delattre », Le Petit journal, Comminges, 3 août 2016. — Site MemorialGenWeb consulté le 7 octobre 2021. — Site Mémoire des Hommes, consulté le 30 septembre 2021.

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