Par Jacques Girault
Né le 17 juillet 1939 à Paris (XVIe) ; professeur d’Université ; militant syndicaliste (SNESup) ; militant du PSU, puis d’extrême gauche, puis du PS.
Né dans une famille juive d’origine alsacienne qui avait peu de pratiques religieuses et de grandes convictions républicaines, d’un père, inspecteur de la Banque de France tué sur le front en juin 1940, Alain Geismar, pupille de la Nation, et sa mère, fille de confectionneurs du quartier du Sentier à Paris, échappèrent à la répression antijuive en s’installant en Corrèze puis en Savoie. Après une scolarité secondaire au lycée Carnot à Paris, bachelier (1956), élève de classes préparatoires au lycée Janson de Sailly, il réussit en 1959 le concours de l’Ecole nationale supérieure des mines de Nancy. Pendant ses trois années de scolarité, il suivit l’instruction militaire obligatoire. Durant la première année, lors du stage ouvrier aux forges de Pompey, il découvrit les ouvriers métallurgistes, souvent catholiques, militants de la CGT et souvent communistes. Pierre Aigrain, physicien, spécialiste des semi-conducteurs, lui proposa une bourse Thomson pour entreprendre un 3ème cycle et le recruta dans son laboratoire de l’École normale supérieure en 1963. Il soutint en 1966 cette thèse sous le titre "Phénomènes de transport dans le silicium de type n fortement dopé".
Il participa aux luttes de la jeunesse étudiante à la fin des années 1950 (hostilité à l’intervention soviétique en Hongrie sans toutefois prendre part aux actions violentes contre le Parti communiste français, actions contre la guerre d’Algérie, heurts au lycée avec les élèves préparant des écoles militaires). Il encadra des séances d’alphabétisation des travailleurs algériens organisés par l’église de Clichy.
Attiré par l’activité syndicale des étudiants, devenu vice-président de l’AG des étudiants de Nancy (1959-1962), il était chargé des relations avec le monde extérieur. Devant les menaces qui pesaient sur la jeunesse étudiante, avec la question des sursis, se sentant protégé en tant que pupille de la Nation, souvent porte-parole des anciens minoritaires, (les « minos »), il lutta, comme beaucoup de militants de l’Union nationale des étudiants de France, contre la guerre d’Algérie et fut chargé, lors du congrès national de l’UNEF en 1961, de soutenir la reconnaissance de l’Union générale des étudiants musulmans algériens.
Après sa scolarité à Nancy, remarqué lors de son troisième stage, il fut admis, avec une bourse de troisième cycle, dans le laboratoire de l’entreprise Thomson à Paris, spécialisé dans les semi-conducteurs, dont le conseiller scientifique était Pierre Aigrain. Ce dernier, avant la soutenance de sa thèse, (« Phénomène de transport dans le silicium de type n fortement dopé »), lui avait obtenu en 1962 un emploi d’assistant à la faculté des Sciences de Paris. Devenu docteur, il fut titularisé en 1966 comme maître-assistant au département de physique.
Alain Geismar se maria en juin 1962 à Paris (XVIIe) avec une professeure agrégée de lettres, et, divorcé, se remaria en janvier 1986 à Paris (XXe) avec une psychiatre des hôpitaux. Il eut quatre enfants, dont deux de son premier mariage.
Alain Geismar adhéra lors de sa création en 1959, au Parti socialiste autonome qui se transforma peu après en Parti socialiste unifié. Membre du secrétariat national des étudiants en 1961, il exerçait des responsabilités dans la fédération de Meurthe-et-Moselle de 1959 à 1963. De retour à Paris il dirigea la section PSU du XVIIe arrondissement où il demeurait et fut secrétaire général adjoint de la fédération de Paris. Candidat au Conseil général de la Seine sur la liste d’Union de la Gauche en 1965, il militait dans le courant animé par Jean Poperen, Bien que partisan de l’insoumission, il partagea les conseils de prudence que lui donna Alain Savary afin de ne pas attirer la répression contre le parti politique. Aussi participa-t-il, en 1965, à l’organisation et à la coordination d’un comité de soutien aux insoumis. Il fut par ailleurs le secrétaire du comité pour la candidature unique de la gauche de Jean Vilar dont il était proche. Mais cette année-là il quitta le PSU.
A partir de 1963, Geismar commença à militer au Syndicat national de l’enseignement supérieur, "foyer qui contestait la tradition et aspirait à faire du neuf". Aux côtés de la revendication d’une modernisation universitaire, la lutte contre la guerre d’Algérie s’accentuait. Son investissement syndical devint essentiel comme secrétaire général adjoint de 1964 à 1965 et son élection au comité national du CNRS en 1966.
Toutefois, « consterné par l’évolution de l’UNEF », Geismar pensait que le syndicalisme enseignant pouvait jouer un grand rôle en tant que « référent » pour les changements alors que les organisations syndicales étaient divisées. A la différence des militants engagés dans le PCF, il souhaitait notamment une petite " révolution culturelle" à l’Université. Le SNESup pouvait être « le point de passage où l’on peut se rencontrer » comme l’attestait sa présence en tête des nombreuses manifestations. Fonctionnant sans tendance, sa ligne directrice amalgamait toutes les orientations de gauche mobilisées contre le conservatisme universitaire, y compris des militants et des "oppositionnels" communistes. Il était en liaison avec les dirigeants de la tendance "autonome" de la Fédération de l’Éducation nationale à laquelle Geismar n’appartenait pas. Au congrès d’avril 1967 à l’ENS, pour la première fois, deux listes s’affrontèrent. Si les revendications professionnelles étaient voisines, ces listes s’affrontaient sur le rôle politique et idéologique du syndicat dans le mouvement social. La liste conduite par Geismar l’emporta sur celle conduite par Guy Bois, qui réclamait notamment des moyens, la défense du personnel, du service public et la démocratisation de l’Université.
La direction du SNESup, sous son impulsion, remit en cause les structures universitaires, la structure hiérarchique, le statut de l’étudiant. Ses fonctions permirent à Geismar de participer aux débats sur le système scolaire et universitaire dont le colloque d’Amiens en mars 1968 où il prit la parole, lors de la dernière séance plénière de travail. Il réclama des moyens pour une véritable réforme universitaire, avec participation des étudiants et des enseignants. Il annonça l’intervention de ceux-ci « par la grève ou dans la rue ». Dès lors les événements s’enchaînèrent. A partir du 3 mai 1968, il fut un des dirigeants du mouvement, marchant la main dans la main avec les dirigeants du Mouvement du 22 mars et de l’UNEF, dans les manifestations du Quartier Latin. Sa responsabilité syndicale dans un premier temps l’imposa comme le porte-parole du mouvement universitaire. Il participa à plusieurs émissions de radio notamment sur Radio Luxembourg. L’ouvrage La Révolte étudiante, les animateurs parlent, paru pendant les événements aux éditions du Seuil, reproduisait ses interviews par Hervé Bourges avec celle de Daniel Cohn-Bendit et de Jacques Sauvageot. Toutefois, il entendait pouvoir agir en pleine convergence avec le monde ouvrier qui entrait en grève. Il estimait que la crise devenait plus politique et que la lutte contre le mandarinat à l’Université anticipait les futures luttes politiques. Déçu par l’attitude des syndicats et du PCF, favorable à la tentative de définir une voie différente lors du meeting du stade Charléty, le 27 mai, il abandonna sa responsabilité de secrétaire général du SNESup.
Geismar s’engagea alors dans un combat plus violent de nature plus politique en direction du monde ouvrier. Il devint alors la cible aussi bien des organisations de gauche, surtout du PCF, que des forces gouvernementales. Avec des militants de divers horizons de l’extrême-gauche (depuis les libertaires jusqu’aux maoïstes), Geismar participa, avec Benny Lévy, à l’organisation de la Gauche prolétarienne qui préconisait la lutte pour une issue révolutionnaire et l’engagement aux côtés de la classe ouvrière pour qu’elle prenne conscience de la nécessité révolutionnaire. Il devait, au début de l’année 1969, définir sa vision stratégique dans un ouvrage écrit avec Erlyn Morane et Serge July, Vers la guerre civile. Bien qu’en semi-clandestinité, sa notoriété en fit le responsable affiché, ce qui ne correspondait pas à la réalité puisque le véritable dirigeant du mouvement était Lévy. Geismar dirigeait La Cause du Peuple, journal qui fut interdit et le mouvement fut dissous officiellement, le 27 janvier 1970. Il demanda alors à Jean-Paul Sartre, qui accepta, d’utiliser son nom pour légitimer les activités du groupe.
Geismar, qui avait été suspendu de son emploi, devint clandestin après la manifestation contre le procès Le Dantec (fin mai 1970). Arrêté à la mi-juin 1970, il fut condamné lors de quatre procès de septembre à mai 1971, chaque fois à dix-huit mois de peine de prison. Ses déclarations au procès des 20-22 octobre 1970 furent publiés sous le titre Pourquoi nous combattons et Le Prix de la liberté aux éditions Maspero. Jean-Paul Sartre préfaça les Minutes du procès d’Alain Geismar, aux éditions Hallier dans la collection de L’Idiot International en 1970. Il effectua ces peines qui furent confondues dans les prisons de la Santé et à Fresnes. La nouvelle direction du SNESup participa aux actions pour les libérations des syndicalistes.
Radié de la fonction publique, Geismar, libéré en décembre 1971, devint en 1973 agent-contractuel à l’Université de Paris VII qui venait de naître. Amnistié en 1974, il ne fut réintégré dans l’enseignement qu’en 1978.
Après la dissolution de la Gauche prolétarienne, l’action de ses militants se transforma : organisation du Secours rouge, du Groupement d’information sur les prisons, comités Palestine dissous en 1974. Geismar apparut ainsi comme un des porte-parole de ces mouvements qualifiés souvent de "maoïstes". Il prit notamment la parole, récusant la vengeance, le 4 mars 1972, lors de l’enterrement de Pierre Overney, militant de la Gauche prolétarienne assassiné par un vigile d’usine.
Après ces années, Alain Geismar, amnistié en 1974, aspira à se "reconstruire". Responsable du département d’éducation permanente de l’Université de Paris VII (1974-1978), vice-président de cette université chargé des enseignements (1978-1980), premier vice-président (1982-1984), il s’engagea fermement dans les actions de formation permanente ou d’enseignement dans les prisons décidées par son université, puis comme responsable des enseignements en prison pour les universités parisiennes (1981-1985). Conseiller du président de l’agence de l’informatique, chargé des questions de qualification, de formation et d’éducation (1984), il devint directeur général adjoint de l’agence de l’informatique (1985-1986).
Longtemps distant par rapport à un engagement politique, Geismar participa activement à diverses actions ("Un bateau pour le Vietnam, manifestation contre la venue en France d’un dirigeant soviétique au nom des droits de l’homme). Lors de l’élection présidentielle de 1974, il demanda à Charles Piaget, dirigeant des ouvriers de Lip, de se porter candidat. Il refusa de soutenir François Mitterrand en 1981 mais vota pour lui. En 1986, Claude Allègre lui proposa de faire partie d’un groupe d’experts auprès de Lionel Jospin, secrétaire du Parti socialiste et il adhéra ensuite au Parti socialiste dont il fut membre suppléant du conseil national. Il devint le directeur-adjoint du cabinet d’André Laignel, secrétaire d’Etat à la Formation professionnelle (1988-1991). A partir de mai 1991, il entra au cabinet de Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale, puis, devint directeur du cabinet de Jean Glavany, secrétaire d’Etat à l’enseignement technique (1992-1993), puis membre des cabinets des ministres de l’Education nationale Jack Lang (1992), Allègre (1997), enfin de Pierre Moscovici, ministre des affaires européennes (2000). De 2001 à 2004, après l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, il devint un de ses collaborateurs, chargé de l’éducation, de la recherche et des universités.
Dans le PS, où il affirma avoir assumé son "évolution vers le réformisme", il se prononça pour une éventuelle candidature de Dominique Strauss-Kahn aux élections présidentielles de 2007. Membre de la Ligue des droits de l’Homme, il adhéra également à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme en 2002.
Inspecteur général de l’Education nationale depuis octobre 1990, professeur associé à l’Université de Marne-la-Vallée (1994-1997), Alain Geismar fut aussi au moment de sa retraite en 2006, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris.
Le 8 octobre 1998, Geismar évoqua rapidement sur les relations entre la FEN et le SNESUP à la fin des années 1960 dans le cadre du séminaire de recherches sur l’histoire du syndicalisme enseignant et universitaire organisé par le Centre Aigueperse de l’UNSA-Education et le Centre de recherches d’histoire des mouvements sociaux et du syndicalisme de l’Université de Paris I. Après le discours de Nicolas Sarkozy condamnant l’héritage de Mai 1968, le 2 mai 2007, il écrivit avec Cohn-Bendit dans Libération, un article "Nous sommes coupables…". En 2008, il composa un ouvrage sur son parcours militant dans la crise de la société française de la fin des années 1960, plusieurs articles dans la presse, répondit à plusieurs interviews et témoigna dans un colloque sur mai 1968 organisé par le centre de recherches de la Fédération syndicale unitaire, comme dans celui qu’organisa la CFDT avec Edmond Maire et Edouard Balladur.
Depuis avril 1998, à la suite d’une adoption simple, son nom légal est Geismar-Bloch.
Par Jacques Girault
ŒUVRE : Le fichier de la BNF comportait en 2021 douze références dont — La Révolte étudiante : les animateurs parlent, Paris, Le Seuil, 1968, 128 p. — MORANE (Erlyn), GEISMAR (Alain), JULY (Serge), Vers la guerre civile, Paris, Denoël, 1969, 440 p. — Mon Mai 1968, Paris, Perrin, 2008, 247 p.
SOURCES : Fonds Alain Geismar, La Contemporaine, inventaire en ligne. — Presse syndicale. — Sources orales (dont Alain Dalançon et Daniel Monteux). — Notes de l’intéressé. — Entretien de l’intéressé avec Marc Béhar (Institut Tribune Socialiste), 8 décembre 2021.