EMMANUELLI Pierre, Marie. Pseudonymes : PERDREAUX ; DUVAL à l’ELI

Par Antoine Olivesi

Né le 10 mars 1912 à Taglio-Isolaccia (Corse), mort le 15 novembre 1988 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; ouvrier mineur ; militant syndicaliste et communiste de Marseille (Bouches-du-Rhône).

Pierre Emmanuelli, fils de Olynthe (employé sur l’état civil) et de Regiosi Angèle (ménagère), naquit dans le canton de Pero-Casevecchie, sur le revers oriental de la Castagniccia, entre Piedicroce et la mer Tyrrhénienne. Son grand-père était originaire de Moïta, plus au Sud. Il y cultivait la terre pour lui et surtout pour des propriétaires plus riches. Son père, paysan également, se lia d’amitié avec un dirigeant de l’usine de tanin de Folelli sur la côte orientale. Après avoir fait visiter à cheval la région de Casabianda à cet homme d’origine continentale, il quitta Moïta pour travailler à Folelli où il occupa bientôt des fonctions importantes. Il épousa une femme née à Taglio, village peu éloigné où naquirent ses enfants.

Le jeune Pierre Emmanuelli commença ses études primaires à l’école communale de Folelli, mais la mort de son père, survenue alors qu’il avait huit ou dix ans, obligea sa famille, sans ressources, à quitter la Corse pour venir s’établir à Gréasque dans les Bouches-du-Rhône, localité où sa tante avait épousé un mineur. Pierre Emmanuelli y passa son certificat d’études puis, à douze ans, partit travailler à la mine. Il demeura au puits Léonie de 1924 jusqu’à 1931. C’est pourquoi, lorsqu’il évoquait sa vie politique et syndicale, il se considérait comme un véritable militant ouvrier.

Dès l’âge de dix-huit ans, Pierre Emmanuelli adhéra à la CGTU et l’année suivante, au Parti communiste. Son frère, Étienne Emmanuelli, était délégué mineur et fut par la suite secrétaire du syndicat unitaire des mineurs de Gréasque. Il devint par la suite conseiller municipal de Gréasque et membre de la CA de l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône.
Étienne Emmanuelli et Pierre organisèrent notamment, en 1931, « la marche des mineurs », obligeant les confédérés à suivre le mouvement. Après son service militaire, effectué en 1932, Pierre Emmanuelli fut secrétaire du comité régional unitaire des mineurs et milita à Gréasque jusqu’en 1935. Dès 1933, il fit partie également du comité régional du PC. Sa soeur, Marie Emmanuelli, fut aussi une active militante.

Les qualités de militant de Pierre Emmanuelli le firent distinguer par François Billoux pour être désigné parmi les jeunes communistes français envoyés en URSS pour y recevoir une formation idéologique et politique. Il quitta donc clandestinement la France et séjourna pendant plus de deux ans à Moscou, sous le pseudonyme de Duval. Il y connut Togliatti et Dimitrov, André Marty et Raymond Guyot* et fit partie d’un groupe d’une vingtaine d’élèves d’origine française, avec Caresmel*, Léo Figuières* et Jean Laffitte*, qui suivirent des cours de marxisme, d’économie politique et d’histoire de l’URSS. Pierre Emmanuelli apprit également le Russe et l’Allemand. Il rencontra Staline lors du VIIIe congrès et, à l’époque, crut sincèrement à la véracité des accusations lancées à l’encontre des victimes des grands procès staliniens. En juillet 1936, il adressa à Rouge-Midi des articles signés Perdreaux sur les mineurs stakhanovistes du Donbass. Au cours d’un séminaire universitaire, en 1980, à Aix, Pierre Emmanuelli évoqua l’atmosphère studieuse, le travail intense et l’isolement qui caractérisaient cette école de formation des cadres communistes étrangers à Moscou. Son évaluation par la direction de l’école se décomposait de la manière suivante : « académique : bon ; politique bon ; social : assez bon ; liaison masse : très bonne. Un peu de légereté. Qualités particulières : agitation ».

Revenu en France au cours de l’année 1937, Pierre Emmanuelli fut chargé, en avril, d’organiser la Fédération communiste de la Corse lorsque fut supprimée la structure régionale du Parti communiste. Il prononça, le 4 avril, à Bastia, le discours de clôture du congrès constitutif de cette Fédération. La première conférence régionale du PCF en Corse eut lieu la même année, en 1937, sous la présidence de François Billoux, à Porto-Vecchio. Raoul Benigni* représentait la nouvelle Fédération insulaire. Pierre Emmanuelli effectua par la suite d’autres missions dans l’île notamment à Porto-Vecchio auprès du syndicat des dockers et, après le voyage de Daladier en janvier 1939, pour y intensifier la propagande antifasciste.

À Marseille, Pierre Emmanuelli travailla dès 1937 à Rouge-Midi où il devint l’adjoint de Fernand Pauriol*. Le journal tirait alors à 12 000 ou 15 000 exemplaires, avec des maxima de 30 000 à 40 000 pour certains numéros du vendredi. La vente à la criée était assurée le dimanche par les militants. Le journal connut de grosses difficultés d’impression à Marseille, puis à Toulon, du fait de ses relations avec Le Petit provençal et le groupe Patenôtre, avant que ne soit trouvée une petite imprimerie familiale à Nîmes. La baisse du tirage et les difficultés financières se produisirent après Munich et la grève du 30 novembre 1938 laquelle, selon Pierre Emmanuelli, fut assez décevante à Marseille et eut assez peu d’impact sur l’opinion.

Pierre Emmanuelli s’occupa également des volontaires pour l’Espagne et fut secrétaire du Secours populaire italien pour les étrangers en 1938. Aux élections municipales complémentaires de février 1939, il fut candidat, avec Fernand Pauriol, sur la liste communiste qui, opposée à Sabiani dans le 3e secteur, obtint 2 710 voix sur 21 198 inscrits à l’issue d’une campagne émaillée d’incidents. Au cours de l’été 1939, Pierre Emmanuelli participa aux actions menées par le PC pour défendre les employés des services municipaux de Marseille licenciés par décrets-lois. Il publia des articles sur ce sujet dans Rouge-Midi, notamment dans les deux derniers numéros de ce journal, ceux des 24 et 26 août (numéro clandestin) dans lesquels il dénonçait les gros traitements des fonctionnaires de l’entourage du préfet-administrateur de la ville en tutelle, Surleau.

Pierre Emmanuelli épousa en janvier 1940 la fille d’un cheminot communiste de Marseille, Simone Luciani, elle-même militante. De cette union naquit une fille qui est aujourd’hui membre du Parti communiste. Divorcé en 1949, il se remaria le 7 novembre 1950 à Marseille avec Josete Reibaut.
Mobilisé dès la déclaration de guerre, il revint en permission à Marseille, fut placé sous surveillance policière (saisie de correspondance en octobre). Il rencontra Gaston Monmousseau, le responsable clandestin de la Région venu de Paris. Leur entrevue eut lieu sur les terrains vagues de la Bourse. « J’ai demandé […] ce que je devais faire… Il m’a dit que je devais rejoindre mon régiment et je suis donc parti. » Pierre Emmanuelli fut fait prisonnier en juin 1940. Après six tentatives d’évasion successives, il fut envoyé au camp disciplinaire de Rava-Ruska, en Pologne. Il y fut libéré en mai 1945.

De retour à Marseille et toujours membre de la CA de l’UD-CGT, Pierre Emmanuelli reprit ses fonctions à Rouge-Midi, puis fut élu, le 16 juin 1945, à la conférence régionale du PC pour les Bouches-du-Rhône. En l’absence de François Billoux, alors ministre, il fut nommé membre du secrétariat fédéral aux côtés de Denis Bizot et de Ludovic Troin. Pierre Emmanuelli était chargé de la propagande, mais en réalité son énergie et ses capacités faisaient qu’il exerçait l’essentiel des responsabilités. « Ses aptitudes et son esprit de décision supérieur » lui assurèrent une prééminence de fait dans les années 1945-1951 (cf. Agulhon et Barrat, op. cit., p. 150).

Au sujet des graves incidents d’octobre 1947 à Marseille, Pierre Emmanuelli a formellement confirmé depuis que le PC n’avait aucune intention insurrectionnelle. Il a parlé du « soulagement » des communistes marseillais après l’échec électoral des 19 et 26 octobre 1947, une thèse contestée par les « orthodoxes » du parti. Sans globaliser, on peut admettre que sur le cas précis de l’augmentation inévitable du tarif des tramways, la municipalité dirigée par Jean Cristofol fut effectivement « soulagée » d’un dossier embarrassant et toute heureuse de le transmettre à la nouvelle municipalité RPF.

Pierre Emmanuelli était jugé « très éloquent » par Ludovic Troin*. Ce dernier lui reprochait toutefois de rechercher une certaine popularité et d’affirmer son autorité avec un caractère entier et assez indépendant.
À la même époque, il fut élu conseiller général du 4e canton de Marseille, en septembre 1945, ce 4e canton qui avait été, depuis 1922, le fief de Sabiani. Il obtint 4 516 voix sur 13 503 inscrits au premier tour et 5 881 au second, ne faisant pas le plein des voix du candidat SFIO du premier tour, Marini, qui en avait recueilli 2 949. Ce furent également les défections des électeurs socialistes qui valurent à Pierre Emmanuelli d’être battu de peu, en 1951, par le radical Milani, qui avait été sabianiste avant la guerre. Il avait été également candidat aux élections pour le Conseil de la République sur la liste communiste.

Pierre Emmanuelli devint directeur du quotidien communiste La Marseillaise, de 1951 à la fin de l’année 1953, alors que Josette Reibaut*, sa deuxième compagne, dirigeait avec Pierre Doize le secrétariat fédéral. La mort de cette dernière à la fin du mois de mai 1952 suscita de nombreuses manifestations de sympathie en sa faveur. Cependant, des divergences se produisirent à l’intérieur de la Fédération communiste des Bouches-du-Rhône où Pierre Emmanuelli critiquait souvent la politique suivie par la direction nationale du Parti. Il avait commencé à se poser des questions et à avoir des doutes à partir de l’affaire Tito. Beaucoup lui reprochaient également son esprit trop critique.

En 1952-1953, Emmanuelli quitta Marseille pour Grenoble où il orit la direction du quotidien du Front national, Les Allobroges. Il retourna ensuite dans la cité phocéenne. En juillet 1956, il y épousa une autre militante communiste, Paulette Laugery*. Tous deux quittèrent le Parti en 1958 et ne reprirent pas leurs cartes en 1959. Pierre Emmanuelli a déclaré, qu’après avoir accepté sur le moment la position du PC sur la Hongrie, il avait entamé l’évolution qui allait le conduire à se retirer. Sa reconversion fut difficile. Il résida pendant cinq ans à Nice pour « se faire oublier à Marseille ». En 1975, il était revenu dans la cité phocéenne où il avait trouvé un emploi de représentant d’une entreprise de produits surgelés.

Dans son ouvrage Les Staliniens (p. 148), Dominique Desanti dépeint Pierre Emmanuelli comme un militant qui « à travers toutes les formations de l’appareil et les écoles Lénine de Moscou était resté le Corse de Marseille, ancien mineur, homme de masse… qui a quitté un Parti auquel il avait tout donné pour recommencer la difficile existence d’un homme au courage sans faille, mais sans autre profession que le Parti ».

Pierre Emmanuelli, retraité, résidait toujours à Marseille avec sa femme en 1984 et participait à de nombreuses activités culturelles, souvent en relation avec les centres de recherche universitaires.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24319, notice EMMANUELLI Pierre, Marie. Pseudonymes : PERDREAUX ; DUVAL à l'ELI par Antoine Olivesi, version mise en ligne le 18 janvier 2009, dernière modification le 17 avril 2021.

Par Antoine Olivesi

ŒUVRE : Nombreux articles dans Rouge-midi et La Marseillaise.

SOURCES : Arch. comité national du PCF, décisions du secrétariat. — RGASPI, Moscou, 495 270 1763. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, III M/57, V M 2/290, M 6/10793, rapport du 28 février 1938, M 6/10933, rapport du 2 octobre 1939 et M 6/13311. — Rouge-Midi, 3 mars, 14 avril, 28 juillet, 6 octobre 1934 (pour Étienne Emmanuelli), 2 février 1935, 5 novembre 1937, 7 et 11 janvier 1938, 31 janvier et 2 février 1939 (photos), 14 juillet 1939, 15, 25 et 26 août 1939, 8 et 9 septembre 1945 (photo), etc. — La Marseillaise entre 1945 et 1953. — M. Agulhon et F. Barrat, CRS à Marseille…, op. cit., — D. Dessanti, Les Staliniens…, op. cit.Le Mémorial des Corses, op. cit., t. 5, p. 23 et t. 6, p. 477. — Marcel Bernard, thèse, op. cit., t. 1, p. 67. — R. Mencherini, Thèse 3e cycle, l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône, Aix, 1984, dactylographiée, notamment t. 2. — Entretiens avec le militant lui-même, entre 1975 et 1984. — État civil de Taglio-Isolaccia. — Fichier INSEE des personnes décédées.

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