GAUCHERON Jacques, Henri, Charles

Par François Eychart

Né le 28 juin 1920 à Gaubert (Eure-et-Loir) ; poète, critique littéraire, éditeur, professeur de philosophie, professeur à l’École nationale supérieure des arts décoratifs (1969-1985) ; résistant ; membre de la rédaction de Arts de France (1950-1951), des Lettres françaises (1948-1956), d’Europe (depuis 1960) ; membre du PCF.

Jacques Gaucheron naquit en 1920 à Gaubert, un hameau de la plaine beauceronne où sa mère (Rose-Marie Rousseau, 1889-1983) et son père (Charles Gaucheron, 1891-1953) avaient été nommés instituteurs vers 1916, après les longs séjours à l’hôpital de son père, grand blessé de guerre qu’il vit longtemps se déplacer sur des béquilles. Enfant, pupille de la nation, il haïssait la guerre. Ce fut une constante de sa vie.

Quand son frère André eut l’âge d’entrer au lycée, son père, sur sa demande, fut nommé directeur d’école à Chartres. A onze ans Jacques Gaucheron fut reçu premier au concours des bourses départementales. En cinquième il publia son premier « journal » (polycopié). En troisième, il fabriqua artisanalement son premier livre de poèmes dactylographiés : Le cœur ardent (1936). Il adhéra au Front populaire et prononça sa première conférence sur Rimbaud au Cercle des Lycéens socialistes. Il manifesta pour l’Espagne républicaine agressée par Franco.

Après le baccalauréat, il entra en hypokhâgne au lycée Lakanal. Il passa une licence de Lettres classiques en Sorbonne. En 1938, c’est Munich et son professeur de Lettres l’avertit confidentiellement qu’il n’y aurait pas de rentrée l’année suivante. Un choc pour lui.

La guerre déclarée en août 1939, il décida de renoncer à ses projets d’études. Sursitaire, il retrouva le lycée de Chartres comme maître d’internat. La police le surveilla sans véritable motif.

Il avait vingt ans en juin 40. Après l’armistice, son père et lui décidèrent qu’il ne reviendrait pas en zone occupée. Voyageur sans bagage, il rejoignit Marseille où l’accueillit la belle famille de son frère. Il s’inscrivit en khâgne au lycée Thiers et à la faculté d’Aix. Il fut alors gardien de nuit dans un petit hôtel et aide barman le jour, ce qui lui permit de vivoter. C’est surtout une époque de lectures. Il obtint le diplôme d’études supérieures de lettres et une licence en philosophie et esthétique. En même temps il fréquenta un cercle d’écrivains réfugiés, réunis par la famille Harel, des Assurances maritimes.

Le 11 novembre 1942, les Allemands envahirent la « France libre ». Il quitta Marseille et répondit à une convocation, son sursis d’étudiant étant épuisé, pour rejoindre « les chantiers de jeunesse ». En 1943, il fut requis pour le STO et enfermé à la caserne Mortier à Paris. Il choisit un moment favorable pour s’évader et passer dans la clandestinité. Des contacts furent pris par ses amis avec un réseau de résistance en grande banlieue. Il y rencontra des résistants communistes et y accomplit des tâches d’agent de liaison (quelques poèmes courts seront publiés dans des tracts polycopiés).

Il remonta à Paris au début d’août 1944 pour participer à la libération de la capitale. La guerre n’était pas terminée mais, dès l’automne, il suivit avec passion la violente bataille politique et culturelle qui commençait. Elle avait pour enjeu le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) qui était mis en question dans le climat de la reconstruction nécessaire.
Il vécut à Montmartre dans un hôtel proche du Bateau-lavoir et prépara les concours de l’enseignement en philosophie. Il travailla à l’Encyclopédie de la Renaissance française aux côtés du poète et philosophe Henri Mougin*, projet qui fut peu après abandonné.
Avec Jean Auger, il créa un groupe d’études marxistes sur le plan culturel. Ils invitaient beaucoup d’écrivains et d’artistes à leurs réunions de travail hebdomadaires, notamment Henri Lefebvre*, le poète et dramaturge allemand Rudolf Leonardt, Marc Soriano et des hommes de théâtre.

Il adhéra au PCF en 1946.

Jean Auger et lui furent appelés à diriger aux éditions Raison d’être (fondées en 1945 par Joseph Billiet) une collection de textes historiques qu’il inaugura avec Les Discours de Saint-Just en octobre 1946. C’est dans cette maison que furent publiés ses premiers recueils et il voulait y créer une collection poétique pour laquelle Paul Éluard* lui confia ses poèmes de Tout dire (illustrations de Françoise Gilot).

Il fréquenta depuis leur début les réunions du Comité national des écrivains (CNE).

Il obtint le certificat d’aptitude à l’enseignement en 1946 et enseigna la philosophie à Mantes en 1947, puis à partir de 1953 au lycée de Saint-Germain-en-Laye où il fut responsable syndical de l’établissement (SNES). Au cours de ces années il participa à de nombreuses luttes sociales et à des manifestations contre la présence américaine en France, contre les deux guerres du Viêt-Nam et celle d’Algérie. La guerre froide s’était révélée pour lui dès 1947 avec l’éviction des ministres communistes du gouvernement.

Il participa aux actions du Comité national des écrivains qui s’employait aussi à sauver des poètes étrangers menacés, comme Nazim Hikmet ou Yannis Ritsos. C’est aussi le temps des grandes amitiés avec Paul Éluard*, avec Louis Aragon* qui le fit entrer aux Lettres françaises, avec Tristan Tzara*, poète mais aussi théoricien de la poésie, duquel il avait beaucoup appris, avec Léon Moussinac*, à la revue Arts de France.

Il décida de vivre avec Suzanne Guichard (1908-1982) qui l’avait hébergé aux premiers jours de sa clandestinité, et en 1954 ils quittèrent Paris pour habiter La Frette dans une petite maison sur les coteaux de Seine, dont lui avait parlé Solange Morin, dirigeante de la Maison de la Pensée française. Avec un ami, il entreprit une reconstruction totale de cette maison, ce qui l’éloigna un temps de la vie parisienne. Il poursuivit néanmoins une œuvre poétique qui se renouvela avec Liturgie de la Fête (1964).

Il fréquenta les réunions des peintres qui feront parler d’eux au Salon d’Automne et avec son grand ami Boris Taslitzky*, il publia de superbes livres illustrés. Aux réunions des musiciens il fit la connaissance de Joseph Kosma. Ensemble ils conçurent l’opéra Les canuts (1956-1958) qui fut créé à Berlin en 1959, joué à Budapest en 1960 et créé en France à Lyon par Louis Erloo en 1964.

Il entra en 1960 à la revue Europe, alors dirigée par Pierre Abraham, où il créa avec la complicité de Pierre Gamarra* la collection Europe-poésie en 1963. Il fut un des animateur des Éditeurs Français Réunis où, soutenu par la directrice Madeleine Braun*, il inaugura en 1968 avec Cahier grec la collection La petite sirène, véritable panorama de la poésie contemporaine (75 volumes parus) qui ne prendra fin qu’avec le naufrage des éditions Messidor où fut publié en 1990 Entre mon ombre et la lumière, recueil qui lui valut le prix Apollinaire.

Pour combler l’isolement des quatre années de l’occupation il avait beaucoup lu d’ouvrages étrangers et dès les années 1960 il entreprit avec l’aide de poètes connus un important travail de traduction poétique qui concerna principalement des pays dont l’assise culturelle avait historiquement changé. Ces traductions furent publiées en français dans des revues étrangères. Il se passionna par exemple pour la production en Macédoine yougoslave d’une poésie forte qui s’imposa en même temps que renaissait la langue macédonienne. (Il fut d’ailleurs élu en 2003 membre de l’Académie de la République de Macédoine.) Inversement ses recueils ou des choix de ses poèmes furent publiés dans une quinzaine de pays et plus récemment au Japon.

En 1969, après avoir vécu les journées et les nuits de 1968 au lycée Marcel-Roby à Saint-Germain, il devint professeur de sciences humaines et de sciences de l’art à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, jusqu’à la retraite, en 1985.

Il se remaria avec Anne Le Floch aux derniers jours du XX° siècle. Un de ses derniers livres alors publiés, qui porte le titre État de veille, fut édité par les éditions Le Temps des cerises, dont il était un des fondateurs.

Son œuvre se développa sur plus de soixante années comme une recherche de l’authenticité de l’être qui affronte toutes les mystifications et toutes les aliénations qui l’encombrent. Sa poésie emprunte beaucoup aux circonstances, le moi du poète n’étant pas étanche comme souvent la poésie contemporaine le laisse croire. Du même mouvement, sa poésie fut une poésie de résistance qui veut suggérer que, de notre préhistoire, peut naître une vie humaine plus acceptable. Elle fut aussi une fête à laquelle il s’adonna en produisant artisanalement chaque année de petits livres de bibliophilie qui continuaient d’explorer le langage et le monde.

Parallèlement à la création poétique, il donna de nombreuses interventions critiques sur la poésie du passé et la poésie contemporaine qui furent publiées dans des revues et des magazines, notamment dans Europe, la Nouvelle Critique, l’Humanité. Car il n’est pas pour lui de création poétique sans une incessante relecture des poètes du passé, menée de façon lucide et contemporaine.

Il avait été fait Chevalier dans l’Ordre des arts et des lettres et a obtenu plusieurs prix littéraire dont le prix de la SGDL (1982) et Grand prix de l’Essai (1995).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24333, notice GAUCHERON Jacques, Henri, Charles par François Eychart, version mise en ligne le 21 janvier 2009, dernière modification le 29 octobre 2022.

Par François Eychart

Lecture avec Jacques Gaucheron au Café Le temps des cerises, le 2 juillet 2007. À droite Francis Combes, éditeur.

ŒUVRE : Le Chant du rémouleur, Éditions Raison d’être, 1947. — Les Canuts, Éditions Henneuse, 1956. — Liturgie de la fête, Éditions Oswald, 1966. — Cahier grec, EFR, 1968. — Sous le signe d’Hiroshima, Europe-poésie, 1970. — A nous deux l’amour, EFR, 1977. — La Maison du sourd, Éditions Messidor, 1982. — Entre mon ombre et la lumière, Éditions Messidor, 1990. — Fabuleusement nôtres, Éditions La Malle d’aurore, 1995. — État de veille, Editions Le Temps des cerises, 1998. — Florilège de la poésie de Résistance, Editions Messidor, 1999. — Orphiques, Éditions Maison de la poésie Rhône-Alpes, 2001.
Critiques : La Poésie la Résistance, Messidor, 1991. — Éluard et la fidélité à la vie, Le Temps des cerises, 1995.

SOURCES : Entretiens avec Jacques Gaucheron. — Europe. — La Nouvelle Critique. — Service de documentation de l’Humanité. — Faites entrer l’Infini, n° 43, juin 2007. — Notes de Jean-Pierre Ravery.

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