BENARD Pierre [autre forme du nom : Pierre Marie Joseph Bénard]

Par Anne Mathieu

Né en 1901, mort le 15 décembre 1946 à Paris ; journaliste à de nombreux titres de presse ; reporter ; chroniqueur judiciaire à L’Œuvre, à Marianne et à France-Soir ; rédacteur en chef du Canard enchaîné (1926-1940), puis directeur (1944-1946) ; journaliste résistant ; rédacteur en chef à France-Soir (1944-1946) ; chansonnier ; scénariste ; essayiste, préfacier.

Regards, 11 mars 1937.
Source gallica.bnf.fr/BnF

Le 17 août 1920, Pierre Bénard débuta sa collaboration à Bonsoir, « Journal républicain du soir » imprimé par L’Œuvre, par un reportage sur les Parisiens s’entassant dans les trains pour aller respirer au Bois de Vincennes. Il y devint par la suite directeur des services météorologiques, mais continua à y livrer divers genres d’articles jusqu’à la fin des années vingt environ.
En septembre 1921, Marcel Coulaud, journaliste à Bonsoir, fit appel à lui et à Paul Lenglois, pour servir soit de conciliateur soit de témoin pour un duel, dans un conflit qui l’opposait à René d’Ixelles, ce dernier l’ayant accusé de « diffamation » à son encontre (Bonsoir, 26 septembre 1921).
Il collabora le 10 mars 1922 au Midi socialiste, puis de nouveau le 26 mai 1922, y signant comme « météorologiste hors concours » un « Bulletin météorologique » intitulé ce jour-là « Pourquoi fait-il chaud ? ». Il y collabora ensuite avec des articles pétris de calembour et autres procédés humoristiques. Il collabora aussi à La France de Bordeaux et du Sud-Ouest et, ultérieurement, à la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque.

En août 1922, il épousa Geneviève Antoine, elle-même journaliste à Bonsoir. Ils eurent une fille.

Le 30 octobre 1922, Pierre Bénard fut envoyé spécial de L’Œuvre à Saint-Brieuc – il avait collaboré à ce quotidien le 30 mai 1921, dans la rubrique « Contes de L’Œuvre ». On y retrouva de nouveau sa signature le 8 novembre, puis le 13, pour des reportages sur Paris, ces différents articles amorçant une collaboration durable à ce quotidien. En août 1923, il y suivit notamment « l’affaire Quémeneur ». Il y tint d’ailleurs désormais la rubrique judiciaire, et y suivit par exemple l’affaire Seznec en 1924, ou le procès de Violette Nozière en 1934. Mais il put y signer d’autres types d’articles ; et également des interviews, telle celle de Firmin Gémier, retour d’Allemagne, en octobre 1925.

L’année 1923 fut une date décisive dans sa carrière, puisqu’outre cette chronique judiciaire à L’Œuvre qu’il inaugura, il commença à collaborer au Canard enchaîné, dont il devint le rédacteur en chef en 1926.

Le 26 août 1924, Paris-Soir et Le Figaro publièrent la lettre-ouverte suivante, dans la veine humoristique du Canard, adressée au journaliste Léon Treich et signée de Pierre Bénard, Henri Jeanson et Alain Laubreaux : « Vous avez annoncé dans votre courrier que le groupe des « Moins de trente ans » avait accepté deux prix littéraires de 1.000 francs, offerts par un cabaretier parisien. Nous sommes quelques-uns qui, n’ayant pas assisté au dîner où cette décision fut prise par une minorité de nos camarades, ne la tenons pas pour définitive. En tout cas nous nous refusons d’ores et déjà à y souscrire, si par impossible elle était maintenue au cours d’une prochaine réunion. / Nous estimons en effet qu’un noble but, et précis, s’offre au restaurateur soucieux des jeunes écrivains : c’est de leur servir de bonne et roborative boisson. Ainsi il fera plus pour les lettres françaises qu’en prodiguant à d’inutiles dotations une somme qui pourrait être judicieusement consacrée à parfaire la qualité de ses consommations. /Et puis, n’est-ce pas ? notre génération ne saurait accepter une tournée de prix littéraires comme une tournée de vermouth-cassis. Ce n’est pas encore de son âge. »

Pierre Bénard fut aussi critique théâtral, et dispensa à partir du 16 mars 1925 une chronique théâtrale dans Le Soir, début de sa collaboration avec ce journal d’affaires, dans lequel il écrivit aussi des articles d’un tout autre genre, jusqu’en juin 1927. Deux mois auparavant, il avait débuté sa collaboration à Paris-Soir. Il y participa alors notamment à la rubrique « Les contes de Paris-Soir ».

Le 25 août 1927, l’Humanité publia une lettre titrée « Les journalistes de gauche à Chiappe, préfet de gauche », et adressée la veille au « préfet de police, bien connu pour ses opinions de gauche » : « Nous venons de lire avec infiniment de plaisir vos déclarations dans L’Intransigeant. /Nous vous en remercions personnellement. /Nous savons maintenant que nous devrons, à L’avenir, nous munir de nos revolvers pour nous défendre contre les provocations des gens de votre bande. / Nous n’y manquerons pas. Amitiés particulières. » Outre Pierre Bénard, la lettre était notamment signée de Robert Brisacq, Robert Desnos, Georges Grandjean, Henri Jeanson, ou Georges Pioch.
En décembre 1928, lors d’une assemblée générale du syndicat des journalistes, il somma son secrétaire général, Georges Bourdon, de s’expliquer sur son entrée dans le conseil d’administration de la société financière Interpresse et réclama sa démission.

Il collabora au journal littéraire de droite Gringoire à partir de 1928. A partir du 17 octobre 1930, il y publia une série de reportages sur la pègre, « Le bar des mauvais garçons », qui paraîtra ensuite en volume aux éditions de France. Il y livra aussi des nouvelles. C’est aussi pour Gringoire qu’il fit un reportage sur « Ces messieurs de Buenos Aires », cette fois-ci en collaboration avec un confrère, Claude Vincelle, série qui parut aussi en volume chez le même éditeur que le précédent. Même procédé pour la série A la Martinique, c’est ça qu’est chic..., qui fut, en octobre 1933, sa dernière collaboration à ce périodique. Dernière collaboration due probablement à l’évolution grandissante vers le fascisme et l’antisémitisme de l’hebdomadaire.

Le 6 novembre 1930, Le Populaire publia une lettre de Pierre Bénard adressée la veille au directeur de La Liberté, Camille Aymard, « en plein accord avec un groupe de journalistes républicains de toutes nuances » : « Monsieur, /Vous êtes un coquin. /On le savait déjà. /Mais aujourd’hui, vous commencez à abuser de votre rôle de coquin. /C’est pourquoi, il est temps de vous dire : "Maintenant, ça suffit". /Dans la Liberté datée du 4 novembre, vous accusez Léon Blum de trahison et vous désignez aux balles d’un nouveau Villain le bétail socialiste. /Dans votre numéro d’aujourd’hui, vous récidivez. / Bétail socialiste ? Présent ! / Mais je vous demanderai, à mon tour, ce qui vous donne le droit de parler sur ce ton. /Est-ce parce que vous avez fait fortune pendant la guerre en spéculant contre les Bons de la Défense nationale ? /Est-ce parce que vous avez été chassé de la compagnie des notaires de Saigon comme indigne ? /Est-ce parce qu’au cours d’une affaire d’honneur, il a été reconnu officiellement qu’on ne se battait pas avec un homme tel que vous ? /Est-ce parce que vous êtes connu partout pour être le journaliste le plus vénal et le plus taré de cette époque ? /Vous avez profité de la dernière guerre. Il est naturel que vous souhaitiez la prochaine qui vous enrichira encore. /Aujourd’hui, vous appelez au meurtre contre ceux qui voudraient l’écarter. /Bonne note en est prise. /Et si un jour un de vos amis, estimant, comme Raoul Villain, qu’il est plus avantageux de passer la guerre en prison qu’au front, tentait un geste meurtrier contre un Blum ou contre un Briand, ceux qui combattent pour la paix sauront, à leur tour, à qui ils devront immédiatement demander des comptes. » Une grosse centaine de journalistes s’associa à la démarche de Pierre Bénard. Camille Aymard fut arrêté en janvier 1934 pour complicité dans le placement des faux bons du Crédit municipal de Bayonne.

En ce début des années 1930, il collabora épisodiquement à plusieurs périodiques, dont le Radical de Vaucluse à partir de décembre 1930, Le Petit Journal le 5 mars 1932. Parallèlement à sa carrière de journaliste, il écrivait des « revues », seul ou en collaboration, depuis le début des années Vingt.

Un Prix Démosthène, prix d’éloquence judiciaire, fut fondé en février 1933, dont il était membre du jury, aux côtés de notamment Géo London ou André Salmon : « Le prix sera décerné à l’avocat âge de moins de quarante ans, non lauréat de la conférence du stage, qui aura prononcé la plaidoirie jugée la meilleure de l’année » (L’Aube, 25 février 1933).

Le 1er novembre 1933, il signa un article dans Le Crapouillot – il y dressa le portrait d’Henri Jeanson, le 1er mars 1934. Le 27 janvier 1934, il publia un reportage sur Marseille dans L’Intransigeant. A la même époque, il collabora à Voilà. Le 28 mars 1934, il débuta une collaboration à Marianne, en y tenant dans un premier temps une rubrique « La vérité toute nue » qui s’intitula ensuite « Au palais ».

C’est à partir de mai 1934 que s’amorça véritablement sa collaboration à Paris-Soir, laquelle devait durer plusieurs années. Il y eut une place de reporter, s’intéressant aux « Drames et comédies de la vie chère » en Bretagne (mai 1934) comme aux plages de Normandie et du Pays basque (août 1934) ou au carnaval de Nice (février 1935), livrant des portraits des « rois de la combine » (janvier 1935) ou des « coulisses du Tour » (juillet 1935), des « navires en perdition » (novembre 1936).

En décembre 1934, Pierre Bénard demanda à être entendu par la Commission d’enquête parlementaire sur Stavisky : il avait indiqué dans L’Œuvre avoir rencontré l’inspecteur Bonny en juillet 1933, lequel lui ayant alors déclaré « être sur la piste d’une affaire Stavisky-Alexandre » et « avoir l’impression que les renseignements qu’il envoyait à la Sûreté générale étaient systématiquement négligés » (Le Populaire, 4 décembre 1934). Sa déposition parut dans Le Populaire du 7 décembre.

En mai 1935, il signa la protestation de l’Association française du Grand reportage contre le texte de loi voté par le Sénat le 26 mars 1935 et en attente d’instruction par l’Assemblée. « Chargés professionnellement d’informer le public, les soussignés, pratiquant le "grand reportage" directement menacé par ce projet de loi, croient de leur devoir d’attirer l’attention de la Chambre sur la gravité du texte qui lui est soumis et refusent d’admettre que, 105 ans après les « Trois Glorieuses », la liberté de la presse, fondement même du régime, puisse être remise obliquement en question. » Parmi les signataires figuraient notamment Henri Béraud, Claude Blanchard, Emmanuel Bourcier, Stéphane Manier, Louis Roubaud, André Salmon, Pierre Scize ou Andrée Viollis.

Le 9 septembre 1936, un entrefilet du Populaire intitulé « Une feuille ex-gauche » attaqua l’orientation politique du Canard enchaîné sous la direction de Pierre Bénard : « Beaucoup de lecteurs du Canard Enchaîné nous ont fait part de leur étonnement et de leur indignation à propos du dernier numéro paru le 9 septembre. /Nous partageons bien leur indignation, mais pas leur étonnement. La feuille dirigée par Pierre Bénard a depuis longtemps une orientation telle que, quant à nous, nous nous sommes abstenus, depuis des mois, de la citer. / S’il y a des gens qui considèrent que le Canard Enchaîné est encore une feuille de gauche, tant mieux pour eux. » Dans son article du Canard enchaîné du 9 septembre, Pierre Bénard avait notamment écrit : « Je suis pacifiste. / Je ne veux pas faire la guerre et encore moins la faire faire aux autres. Ni pour la Pologne ni pour la Russie. / Ni même pour l’Espagne. / Je ne marche pas. / Seulement, je voudrais comprendre. / Et quand on me parle, sous la signature d’hommes pour lesquels j’ai de l’affection, d’une croisade qui serait montée par les démocraties contre le fascisme, je ne comprends pas. / Et je ne marche pas non plus. / Où est la croisade ? Je n’en vois qu’une. Bénie d’un côté par Hitler et Mussolini, de l’autre côté par le pape, c’est celle qui a jeté la légion étrangère et les "regulares" de Franco contre l’Espagne républicaine. / Il y a une croisade du fascisme contre les démocraties. »
La rédaction du Canard était alors traversée par des conflits politiques importants. Pierre Bénard et le directeur Maurice Maréchal se prononçaient contre la non-intervention ; Jean-Galtier Boissière et Henri Jeanson, pour. Se mêlait à cette question celle de l’alliance avec le parti communiste, duquel Pierre Bénard s’était manifestement rapproché. Le 30 juin 1937, un article de Galtier-Boissière duquel avait été sabré un paragraphe – concernant, ce ne fut pas un hasard, le POUM – mit fin à la collaboration de ce dernier au journal satirique. Il en claqua la porte, suivi par solidarité par Henri Jeanson.
On notera, en cette période, la collaboration de Pierre Bénard, àRegards à partir du 1er mars 1937, date à laquelle il y signa un article sur André Tardieu. Témoignage de l’inflexion politique de Pierre Bénard, ou des démarches de rapprochement du parti communiste envers celui-ci, sa collaboration à l’hebdomadaire illustré ne dura en tout cas que quelques numéros.
Car c’est pour la presse parisienne conservatrice qu’il continua à travailler, en l’occurrence pour Paris-Soir, dont il fut même l’envoyé spécial à Nyon, en septembre 1937 ou à la conférence internationale de la radiodiffusion, à Montreux en avril 1939, il y tint une rubrique de bloc-notes durant l’été 1939, intitulée « Soit dit en passant… ».

Sa collaboration à L’Œuvre cessa en juin 1939, ses derniers articles dans Paris-Soir et dans Marianne datent de février 1940.
Pendant l’Occupation, Pierre Bénard fut membre de l’équipe clandestine de Défense de la France et des Lettres françaises.

À la Libération, il fut un collaborateur régulier de France-Soir – pour lequel il couvrit notamment le procès Laval – et des Lettres françaises. Son nom figura parmi les signataires du fameux manifeste des écrivains rédigé par le Comité National des Ecrivains (CNE) publié dans Les Lettres françaises du 9 septembre 1944.

La reparution du Canard enchaîné se produisit sous sa direction, en assurant que le lecteur n’y retrouverait pas « d’anciennes signatures, compromises sous l’occupation » (Combat, 7 septembre 1944 ; France Amérique, 1er octobre 1944). Il lui impulsa une orientation pro-communiste.
Lors du procès contre « les agents de la Gestapo française » (Combat, 9 décembre 1944) en décembre 1944, il déposa comme témoin à décharge, en faveur de l’inspecteur Bonny.

Il mourut le 23 décembre 1946, salué par des articles élogieux dans la presse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article243611, notice BENARD Pierre [autre forme du nom : Pierre Marie Joseph Bénard] par Anne Mathieu, version mise en ligne le 6 décembre 2021, dernière modification le 13 avril 2022.

Par Anne Mathieu

Regards, 11 mars 1937.
Source gallica.bnf.fr/BnF

ŒUVRE : Ouvrages de reportages : Malikoko, président de la République, éditions de France, 1931. — Les Bars des mauvais garçons, éditions de France, 1931. — avec Claude Vincelle, Ces Messieurs de Buenos-Aires, éditions de France, 1932. — A la Martinique, c’est ça qu’est chic..., éditions de France, 1933. — Avec les figurantes, éditions de France, 1934. — Préfaces : A. De Grimont, Peau d’Hermine et... Peau de Lapin, Caricatures de Ziph, Les Œuvres françaises, 1936. — Robert Danger, La cause est entendue, Illustrations de Henri Monnier et Pol Ferjac, éditions du Cadran, 1943. — J. Sennep, Dans l’honneur et la dignité : souvenirs de Vichy, éditions Franc-Tireur, 1944. — Mille neuf cent... 45 fillette, 67 dessins de Jean Effel, Bruxelles, Edibel, 1945. — Théâtre (revues) : avec Marcel Achard, Le film à couper le Tip, 1922. — avec André Dahl, Maurice Maréchal, Jules Rivet, La Revue du canard, 1931. — avec René Buzelin, Paris en cage, 1933. — avec René Buzelin, As-tu vu ma tante ?, 1934. — avec Victor Vallier, A ras perché !, 1935. — avec Victor Vallier, Votons !, 1936. — avec Victor Vallier, Mordez !, 1937. — avec René Buzelin, Pierre Varenne, La Revue déchaînée, 1939. — Scénario et dialogues : Le café du cadran (Jean Gehret, réalisation), 1947. — Entretiens : Adolphe Pinard, Ainsi parla... le professeur Pinard, Paroles recueillies par Pierre Bénard, éditions Nilsson, 1930

SOURCES : Anne Mathieu, Nous n’oublierons pas les poings levés. Reporters, éditorialistes et commentateurs antifascistes pendant la guerre d’Espagne, Paris, éditions Syllepse, 2021. — Nicolas Brisso, Préface à : Jean Galtier-Boissière, Le Canard enchaîné. Chroniques 1934-1937, éditions du Lérot, 2018. — Laurent Martin, « Collaboration « chaude » ou collaboration « froide » ? Le cas d’Henri Jeanson (1938-1947) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. no 86, no. 2, 2005, pp. 91-106. — Christian Delporte, Les journalistes en France 1880-1950 – Naissance et construction d’une profession, Paris, Seuil, 1999. — Databnf. — Journaux et articles de presse cités dans la notice.

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