BAZARD Saint-Amand

Par Notice revue et complétée par Philippe Régnier

Né le 18 septembre 1791 à Paris (Seine), mort le 29 juillet 1832 à Courtry, près de Montfermeil (Seine-et-Oise) ; commis d’octroi ; haut dirigeant de la Charbonnerie, Bazard fut, après la mort de Saint-Simon, l’un des fondateurs du mouvement saint-simonien et son principal dirigeant, avec Enfantin, jusqu’en novembre 1831.

Les débuts de Bazard dans la vie furent difficiles : enfant adultérin, il avait été abandonné à lui-même, sans ressources, dès l’Îge de 16 ans. Pour s’être distingué en 1814 dans les combats de la garde nationale contre l’invasion de Paris, il fut nommé capitaine de sa compagnie (celle du faubourg Saint-Antoine) en dépit de son jeune Îge et reçut la croix d’honneur — qu’il ne porta d’ailleurs pas longtemps, en raison de ses convictions farouchement républicaines. Tout en occupant un emploi assez modeste à la division de l’octroi de la préfecture de la Seine, Bazard, après avoir déjà fondé avec Philippe Buchez* diverses sociétés comme la Philomedicos ou la Diablement philosophique, participa en juin 1820 à la création de la Loge des Amis de la vérité avec Buchez, Pierre Dugied* et Nicolas Joubert* (le fils du conventionnel et le frère de Claire Joubert, sa femme qu’il épousa fort jeune — voir ce nom). Sous des apparences maçonniques, cette loge, qui rassemblait les étudiants et les jeunes gens du commerce ainsi que les commis d’administration, et dont Bazard devint le Vénérable, compta vite plus d’un millier de membres et fonctionna comme un véritable club républicain. En 1820, il était à la tête de la Compagnie franche des Écoles, branche étudiante de la précédente, avec le titre de « capitaine ». Il participa au Bazar français.

Après son échec et un séjour de Dugied en Italie, les quatre hommes décidèrent de constituer une Charbonnerie française. Bazard adapta les statuts italiens de la carbonaria en en expurgeant l’aspect religieux et mystique, et l’organisation française fut créée le 1er mai 1821. La direction en fut confiée d’abord à Bazard, puis, afin d’élargir le recrutement à des notabilités, à La Fayette. Lors de l’échec de la conspiration de Belfort en janvier 1822, Bazard, qui dirigeait les opérations sur place, réussit in extremis à éviter à ce dernier d’y être compromis. Lui-même, jugé par contumace, dut entrer dans une longue clandestinité.

C’est l’échec de l’action conspirative, patent dès 1823, qui aurait amené Bazard à lire Saint-Simon, sans l’avoir jamais connu personnellement semble-t-il. Sa signature apparaît de fait dans le numéro du 27 novembre 1825 du Producteur. Mêlé à la polémique qui opposa les rédacteurs de ce petit mensuel à Benjamin Constant, Bazard prôna, contre le principe libéral de la liberté de conscience, « la nécessité d’une nouvelle doctrine générale ». Cette conviction fondatrice et son expérience politique expliquent qu’il ait été chargé, à partir de 1828, d’exposer en public la « doctrine saint-simonienne ». Dans le duumvirat Bazard-Enfantin, officialisé à la Noël de 1829, il est clair que l’autorité de l’ancien chef carbonaro fut, initialement, prépondérante. Les événements de juillet 1830 confirmèrent ce rôle, qui le virent aller à l’Hôtel de Ville pour tenter de convaincre La Fayette d’assumer une sorte de dictature mi-républicaine, mi saint-simonienne.

Le désaccord s’installa cependant progressivement entre les deux « Pères » pour des raisons multiples et complexes.
Bazard, demeuré au fond républicain, envisageait la question du pouvoir en termes essentiellement politiques. Il semble bien aussi que, peut-être inspiré, comme l’en accusèrent certains enfantiniens, par le communisme néo-babouviste infiltré par Buonarroti dans la Charbonnerie, il ait été plus attaché qu’Enfantin et ses partisans à l’amélioration globale et immédiate du sort du prolétariat, quitte à l’obtenir par la spoliation des propriétaires oisifs. Dans l’effort des saint-simoniens pour se démarquer du libéralisme, Bazard fit en tout cas plus que cautionner leur évolution vers des formes religieuses, pour ne pas dire théocratiques, de sorte qu’il se trouva à court d’arguments devant les pratiques de direction psychologique et la théorie du pouvoir personnel (« la loi vivante ») développées par Prosper Enfantin*. Selon Hippolyte Carnot*, « Bazard n’exagérait pas moins qu’Enfantin le système de l’autorité ». En outre, après qu’il eut épuisé dans lExposition sa grande inspiration — le modèle social organique de la catholicité médiévale —, l’inventivité intellectuelle se déplaça du côté de son rival. Son humeur austère, les habitudes de commandement qu’il avait contractées dans la Charbonnerie, mais aussi son rigorisme républicain, mis en évidence par la fronde conjugale de Claire, contribuèrent d’autre part à lui aliéner les sympathies des disciples les plus jeunes.

Enfantin profita de ce point faible en l’entraînant du terrain proprement politique sur le terrain des rapports entre les sexes : leur lutte ne fut bien sûr pas seulement une dispute d’idées sur la question féminine, mais aussi un combat d’hommes pour le contrôle d’un groupe essentiellement masculin. Réduit à la défensive, physiquement affaibli par une congestion cérébrale survenue pendant le psychodrame déclenché par Enfantin, Bazard fit savoir le 11 novembre 1831 sa décision de se retirer de la direction. S’ensuivit, le 21 novembre, le « schisme » des plus républicains d’entre les saint-simoniens (Carnot, Pierre Leroux*, Jean Reynaud*, etc.), qui se regroupèrent autour de la Revue encyclopédique. Bazard lui-même mourut l’année suivante sans avoir retrouvé les forces qui lui auraient permis d’organiser une opposition. Selon Charles Lambert, tous ses papiers auraient été brûlés, dans sa crainte et celle de Claire que le scandale des discussions saint-simoniennes ne retombât sur sa famille.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24366, notice BAZARD Saint-Amand par Notice revue et complétée par Philippe Régnier, version mise en ligne le 27 janvier 2009, dernière modification le 20 novembre 2022.

Par Notice revue et complétée par Philippe Régnier

SOURCES : Bibl. de l’Arsenal, Fonds Enfantin, en part. ms. 7 804/2, 7 806/58, et Fonds d’Eichthal, en part. ms. 14 387/8-9, 11, 130, 163 — Bibl. Thiers, Fonds d’Eichthal, IV. — Ulysse Trélat et Jean Reynaud, notice « Bazard » dans L’Encyclopédie nouvelle (dir. P. Leroux), 1836, t. 2. — Louis Blanc, Histoire de Dix ans, Paris, 1841-1844. — P et R. Hippolyte Carnot, Sur le saint-simonisme, lecture faite à l’Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1887. — François-André Isambert, De la Charbonnerie au saint-simonisme. Étude sur la jeunesse de Buchez, Paris, Éd. de Minuit, 1966. — J.-C. Caron, La Jeunesse des Écoles, Paris 1815-1848, thèse de doctorat, Paris I, 1989. — J.-C. Caron, Génération romantisme. Les Étudiants de Paris et le Quartier latin, Paris, A. Colin, 1991. — L.-A. Blanqui, œuvres I. Des origines à la Révolution de 1848, textes présentés par D. Le Nuz, Nancy, Presses Universitaires, 1993. — Pierre-Arnaud Lambert, La Charbonnerie française, 1821-1823, Lyon, Presses Universitaires, 1995. — Note de J. Risacher.

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