CONSIDERANT Victor [CONSIDERANT Prosper, Victor]

Par Notice revue et complétée par Jean-Claude Dubos et Michel Cordillot

Né le 12 octobre 1808 à Salins (Jura), mort le 27 décembre 1893 à Paris ; polytechnicien, officier, journaliste ; homme politique et théoricien socialiste ; disciple de Charles Fourier, chef de l’École sociétaire en France ; animateur malheureux de l’expérience fouriériste au Texas ; membre de l’Internationale ; franc-maçon.

Victor Considerant
Victor Considerant

Fils de Jean-Baptiste Considerant, ancien volontaire de la Révolution devenu officier, imprimeur en 1808 et, par la suite, professeur au collège de Salins, homme de mérite et de caractère, Victor fut d’abord élève de son père au collège de Salins où il eut pour condisciple et ami son futur beau-frère Paul Vigoureux, de Besançon. C’est la mère de ce dernier, Clarisse Vigoureux qui fut sa correspondante quand il vint préparer le concours d’entrée à Polytechnique au collège de Besançon (1824-1826). Fourier en avait été l’élève avant la Révolution et Proudhon, son cadet d’un an, fit ses études en même temps que lui, sans que les deux adolescents soient entrés en relations. C’est pendant son séjour dans la capitale franc-comtoise que Considerant fut initié aux théories de Fourier par sa correspondante, qui se passionnait pour ces idées nouvelles. Dès septembre 1825, Just Muiron évoquait déjà l’intérêt de Considerant dans une lettre à Fourier qu’il devait rencontrer chez leur ami Adrien Gréa, cousin germain de la mère de Considerant : « Il y a ici un jeune homme de 17 ans, parent de Gréa, qui se faisait une grande joie de vous voir parce qu’il s’enthousiasme pour vos théories. »

_ Reçu à l’École polytechnique en 1826, Victor Considerant emporta avec lui à Paris les ouvrages du maître alors parus, Théorie des Quatre mouvements, de 1808, et Traité de l’Association domestique-agricole, de 1822. L’année 1827 fut marquée par deux deuils cruels pour le jeune Victor : le 27 janvier, la mort de Clarisse, fille aînée de Clarisse Vigoureux, à peine âgée de 17 ans et qui fut, aux dires de Clarisse Coignet, le premier amour de Considerant, avant sa sœur Julie ; le 27 avril, le décès de son père Jean-Baptiste Considerant, mort du chagrin suite à sa destitution. Lors de l’incendie de Salins, détruite aux deux tiers par le feu le 27 juillet 1825, ce dernier avait pourtant laissé brûler ses deux maisons (dont la maison natale de Victor), pour se précipiter au secours du collège qu’avec ses élèves il avait pu protéger des flammes ; mais mal vu du fait de ses idées libérales il n’en avait pas moins fait l’objet d’une nomination d’office à Sarlat en mars 1826, et, ayant refusé de quitter Salins, il avait été considéré comme démissionnaire.

À l’École d’application de Metz où il suivit les cours du génie, Victor Considerant fut considéré par ses chefs comme un sujet « fantaisiste » (fin 1828-janvier 1831). Ses camarades, qu’il tentait de convaincre, l’appelaient « Phalanstère ». Dans de longues lettres, il essayait de convertir son compatriote salinois, Charles Magnin, rédacteur au Globe, mais c’est Le Mercure de France qui accueillit en 1830 son premier article de propagande fouriériste consacré au Nouveau Monde industriel.

En juillet 1831, le saint-simonien Jules Lechevalier, qui, sans être polytechnicien, avait été l’élève de Cousin à Paris et de Hegel à Berlin, vint prêcher une mission saint-simonienne à Besançon. Ses prédications furent interdites par la municipalité, mais L’Impartial — journal fondé par le fouriériste Just Muiron — lui ouvrit ses colonnes, en même temps que Muiron et Clarisse Vigoureux tentaient de l’amener au fouriérisme. Ébranlé, mais non convaincu, Jules Lechevalier vint à Metz en novembre 1831 et sa conversion fut achevée lors de ses discussions avec Considerant. Ce dernier d’ailleurs, dans une lettre à Fourier, dont il avait fait la connaissance, rendait compte de sa propagande en général et des efforts qu’il tentait en particulier du côté du groupe des saint-simoniens pour les convertir (7 décembre 1831).

Devant le succès des conférences prononcées à Paris sur « L’Art d’associer » par Jules Lechevalier dès février 1832 — destinées aux saint-simoniens elles avaient aussi eu pour auditeurs attentifs Th. Jouffroy et Béranger — les fouriéristes décidèrent de lancer un journal : Le Phalanstère ou la Réforme industrielle dont le premier numéro parut le 1er juin 1832. Le comité de direction se composait de trois gérants, Fourier, Muiron et Paul Vigoureux, (ce dernier étant le simple prête-nom de sa mère, une femme ne pouvant être gérante d’un journal politique), de deux syndics,Adrien Gréa, député du Doubs et Alexandre Baudet-Dulary, député de Seine-et-Oise et de deux directeurs, Lechevalier et Considerant. Ce dernier, alors encore à Metz, y exposait clairement les principales idées de Fourier en les élaguant. Quoique Fourier se soit plaint amèrement d’être tenu en lisière par ses disciples, il n’en fut pas moins le contributeur le plus prolixe. Les autres collaborateurs avec Lechevalier, Considerant, Clarisse Vigoureux étaient César Daly, Julien Blanc, Chambellant, Constantin Pecqueur, Amédée Paget, Maurize, Charles Pellarin, Nicolas Le Moyne, Aynard de La Tour du Pin, François Tamisier, Hippolyte Renaud, Allyre Bureau, Abel Transon. Le dernier numéro, rédigé entièrement par Fourier, parut le 28 février 1834. Considerant ouvrit également, en 1832, une librairie phalanstérienne qui fonctionnait encore en 1850.

Victor Considerant prit une part active à la tentative malheureuse de colonie sociétaire à Condé-sur-Vesgres (Seine-et-Oise), lancée par Alexandre Baudet-Dulary avec l’accord de Fourier (1833). Son échec l’amena à commencer des tournées de conférences en province (Houdan en Seine-et-Oise, Montargis et Orléans dans le Loiret, Besançon). Pour faire éviter d’avoir à faire face à ses obligations d’officier, Considerant dut prendre des congés successifs à compter du 1er août 1832, et démissionner le 16 août 1836. Tout en multipliant les réunions publiques, il préparait, parmi les nombreux essais de l’école, ce qui allait être le meilleur exposé d’ensemble de la doctrine sociétaire. Ce fut effet son ouvrage, Destinée sociale, paru en septembre 1834 qui, après le départ de Jules Lechevalier et d’Abel Transon en 1834, l’imposa comme le principal porte-parole de la doctrine sociétaire. Le premier volume était dédié « au Roi, comme étant, à titre de chef du gouvernement et de premier propriétaire de France, le plus intéressé à l’ordre, à la prospérité publique et particulière, au bonheur des individus et des nations ». Un second volume suivit en 1838 ; un troisième en 1844. Le succès fut assez grand pour que le pape Grégoire XVI condamnât le premier volume, le 22 septembre 1836.

Dans une forte brochure intitulée Nécessité d’une dernière débâcle politique en France parue dans l’été 1836, Considerant faisait une incursion remarquée dans le domaine politique, avançant des conclusions qui dépassaient certainement la pensée de Fourier, (encore que ce dernier avait eu des paroles de compréhension pour les insurgés lyonnais de 1834). Il allait en effet très loin : les insurgés de Lyon, disait-il, ont posé la question sociale, il n’y a qu’une seule façon de la résoudre, c’est d’organiser la commune sociétaire comme point de départ d’une complète réorganisation sociale.

Toujours sous la direction de Considerant, la publication de la nouvelle revue de l’école, La Phalange, commença le 10 juillet 1836. Il se trouva alors des mécontents pour critiquer l’importance prise par Considerant. Ils se déclarèrent ouvertement en août 1837 par la fondation de l’Institut sociétaire : ils reprochaient à Considerant de ne pas vouloir transformer les groupes vaguement définis des disciples en une société avec affiliation, initiation et rites divers. Considerant bénéficia du soutien de Fourier contre cette première dissidence, et l’Institut sociétaire fit long feu.

Voyant que Considerant persistait à traiter de l’actualité dans les colonnes de La Phalange, et ceux qui voulaient voir l’école ne s’intéresser qu’à l’expérimentation de phalanstères allaient bientôt former une seconde vague de protestataires. Entre temps, convaincu que la politique ne saurait être laissée de côté par un mouvement de pensée agissant, Considerant avait décidé de se présenter aux élections en 1839, à Colmar et à Montbéliard. À Colmar extra-muros, il soutint le gouvernement, et s’il fit des exposés de la doctrine sociétaire, ce fut uniquement après la proclamation des résultats, c’est-à-dire après sa défaite.

Insuccès aussi à Montbéliard, où Considerant avait cru que le député sortant, Silas Tourangin, (frère du préfet du Doubs et aussi de Zulma Carraud, l’amie de Balzac), ne se représenterait pas et qu’il aurait lui Considérant l’appui du gouvernement. C’est en tout cas ce qu’il écrivit le 9 février au montbéliardais Frédéric Dorian : « Le gouvernement me soutient à Montbéliard. C’est arrêté définitivement et le ministre écrit au préfet de me faire nommer. » En réalité Silas Tourangin se représenta et fut élu le 9 mars, Considerant n’obtint pour sa part que 27 voix sur 174 votants. Considerant avait été joué par le gouvernement et fut forcé de constater qu’il avait été joué par le gouvernement ; ceci précipita sûrement son évolution ultérieure vers les idées républicaines. Pour pouvoir se présenter à la députation, il fallait que Considerant payât un cens supérieur à 500 francs, ce qui était devenu possible grâce à son mariage en février 1838 avec Julie Vigoureux. La mère de celle-ci avait placé toute sa fortune et le patrimoine de ses enfants dans les affaires de son frère le maître de forges Joseph Gauthier qui, exploitant plus de vingt-cinq forges, était alors le troisième sidérurgiste de France. Mais en janvier 1841, la faillite de Joseph Gauthier ruina complètement ; Clarisse Vigoureux et ses enfants. Après avoir songé à poser sa candidature au poste de bibliothécaire de Polytechnique, Considerant se décida à s’octroyer un salaire comme directeur de La Phalange, fonction que jusque-là il avait exercée bénévolement. La fortune de Clarisse Vigoureux ayant disparu définitivement (et n’ayant donc pu aider en rien à l’établissement au Texas de la colonie de Réunion, contrairement à ce qui a parfois été écrit). Il fallut chercher pour les publications de l’École d’autres sources de financement, en particulier lauprès du philanthrope anglais Arthur Young.

Les fouriéristes réfractaires à la politique se récrièrent davantage encore au cours des années suivantes devant les développements donnés par Considerant à l’idée d’un « parti social », qui coexisterait avec l’école. Considerant définit plus tard ainsi leurs rôles respectifs : « A l’école, la science, la direction du mouvement, la réalisation pratique de la théorie sériaire. Au parti, l’exaltation des principes généraux de paix, de liberté, de justice, d’organisation du travail et d’unité sociale, l’application de ces principes aux choses de la politique intérieure et de la politique extérieure et aux questions de transition. Le parti puise dans le monde, et l’école dans le parti. » (1849).

Le Manifeste de l’École sociétaire et l’Exposition abrégée du système phalanstérien, en 1841, accentuèrent l’évolution de Considerant vers la démocratie. Et, le 1er août 1843, Considerant lança un quotidien : Démocratie pacifique. La scission avec les fouriéristes conservateurs du Nouveau Monde s’approfondit, mais le fouriérisme démocratique de Considerant, en entrant, comme il le déclarait lui-même, dans la « politique active », élargit son audience et se transforma en socialisme militant.

Le « Manifeste de la Démocratie pacifique », dans le premier numéro du journal, débutait par une critique de la société capitaliste, et demandait à la « démocratie moderne » de militer pour la reconnaissance du droit au travail, pour l’organisation de l’industrie sur la base de l’association du capital, du travail et du talent, pour le suffrage universel, etc... Considerant le réimprima en 1847 sous le titre de Principes du Socialisme. Manifeste de la Démocratie au XIXe siècle.

Le socialisme de Considerant attira la bourgeoisie progressiste beaucoup plus que la classe ouvrière. Les électeurs censitaires de Paris firent de lui un conseiller général de la Seine en novembre 1843. Alors qu’en 1836 il proclamait sa méfiance à l’égard des chemins de fer, qu’il voyait en eux de fragiles créations des « féodalités industrielles », il en devenait maintenant le partisan convaincu, s’intéressait au chemin de fer de Reims à Strasbourg en 1844, se rendant à Reims du 26 septembre au 4 octobre 1845. Il y donna des « leçons sur l’Association agricole et industrielle », rencontra Allyre Bureau qui, de son propre chef, avait fait imprimer en brochure, chez l’imprimeur Régnier à Reims, le Manifeste de la Démocratie pacifique du 1er août 1843. Il conquit de nouveaux adeptes, Alfred Lejeune, Eugène Courmeaux, tous les deux des intellectuels.

Considerant échoua aux élections législatives de 1846 à Montargis. Il sortait à peine d’un procès de presse pour « excitation au mépris du gouvernement [...], à la haine contre diverses classes de citoyens », intenté également à François Cantagrel, le gérant de Démocratie pacifique, quand survint la révolution de Février.
La Démocratie pacifique du 25 février cria « Vive la République ! » et déclara : « La République de 1789 a détruit l’ordre ancien. La République de 1848 doit constituer un ordre nouveau. La réforme sociale est le but : la République est le moyen. Tous les socialistes sont républicains ; tous les républicains sont socialistes. » Considerant ne parla ensuite que de concorde et de fraternité entre les classes sociales, adjura les riches de secourir les pauvres, afin d’empêcher que « le peuple affamé ne soit poussé par le besoin à de cruelles extrémités ». Il siégea à la Commission du Luxembourg, rédigea inlassablement articles et brochures, prit la parole dans les clubs parisiens, s’affirma partout ennemi de la violence et socialiste. La direction du journal, muée en Comité électoral central pour les élections à l’Assemblée constituante des 23 et 24 avril, répéta dans un manifeste les mêmes propos, en les nuançant de christianisme vague. Considerant fut élu dernier de liste dans le Loiret.

Il fut déçu par la Constituante. Il eut beau dire dans les couloirs que son socialisme n’était pas le communisme révolutionnaire de Blanqui, qu’il ne songeait pas à une réalisation brutale, mais à des passages graduels, les ruraux de l’Assemblée ne le crurent pas, se moquèrent de lui, de sa naïveté (très réelle) et même de sa bonté (également très réelle). Élu à la vice-présidence du Comité d’agriculture, il y fut rapidement remplacé.
Quoique La Démocratie pacifique, et lui-même personnellement, n’aient pas soutenu la campagne développée par Eugénie Niboyet, Désirée Gay et Jeanne Deroin en faveur du vote des femmes, le 13 juin 1848, il proposa à la Commission de la Constitution d’accorder le droit de vote aux femmes. Il fut le seul à voter en faveur de cette proposition et rédigea cette déclaration que l’Assemblée refusa de consigner dans les comptes-rendus officiels mais que l’on trouve aux Archives de la Chambre des Députés parmi les procès-verbaux inédits : « M. Considerant dit que dans une Constitution où l’on admet le droit de vote pour les mendiants et les domestiques, il est injuste de ne pas l’admettre pour les femmes. Il veut qu’il reste un souvenir de la protestation qui a été faite contre cette exclusion inique ».
Quand il demanda à deux reprises, durant les Journées de Juin, que le « malentendu » soit dissipé, il ne provoqua que des murmures hostiles. Contre Thiers, le 13 septembre, il pria l’Assemblée ironique de lui accorder quatre séances du soir pour exposer ses conceptions. Il essuya un refus, bien qu’il eût assuré : « Je crois que la transition à un ordre social nouveau peut être faite sans apporter le moindre trouble dans la société ; je crois qu’elle est si peu attentatoire aux lois qui nous régissent que je ne vous demande pas le moindre changement dans les lois civiles, dans les lois politiques, religieuses, industrielles qui régissent aujourd’hui la société. »

Toute cette candeur utopique reparut le 14 avril 1849, jour où Considerant exhorta une Constituante de plus en plus malveillante à son égard à créer un « ministère du Progrès et de l’Expérience », et à patronner des essais de Phalanstère, de colonie icarienne, et d’une Banque du peuple proudhonienne. Pierre-Joseph Proudhon, que Considerant venait de malmener dans Le Socialisme devant le vieux monde, ou le vivant devant les morts (suivi de « Jésus-Christ devant les Conseils de guerre », par Victor Meunier), dans le courant de 1848, ne daigna pas secourir son compatriote empêtré.
Réélu à l’Assemblée législative en mai 1849, cette fois par le département de la Seine, Considerant réunit les chefs montagnards, le 11 juin, dans les bureaux de La Démocratie pacifique. Il proposa lui-même l’insurrection, et il fut au rendez-vous le 13. Il s’exila après l’échec. La Haute Cour de Versailles le condamna à la déportation.

Victor Considerant s’installa d’abord en Belgique. C’est là que, cédant aux instances pressantes du fouriériste américain Albert Brisbane, il se décida à partir aux États-Unis pour y effectuer un voyage exploratoire. Il débarqua à New York le 14 décembre 1852. Après un voyage au cours duquel il séjourna durant six semaines dans la North American Phalanx (pour y perfectionner son anglais), rencontra divers fouriéristes américains, et explora le Texas, il se convertit à l’idée de fonder une colonie fouriériste en Amérique. De retour en Europe le 29 août 1853, il commença à réfléchir à ses projets. Le 6 février 1854, il renvoya à Paris les épreuves corrigées de son Rapport à mes amis, écrit qui parut début mai.

Le 14 septembre 1854 était fondée à Bruxelles la Société européenne de colonisation du Texas (société en commandite par actions), dont la gérance fut confiée à Allyre Bureau, Ferdinand Guillon et André Godin. Victor Considerant, fondateur et agent exécutif au Texas, n’y exerçait aucune responsabilité.

Le 3 octobre 1854, les premiers colons quittèrent le port d’Ostende sous la responsabilité de Cantagrel. Parti le 17 janvier 1855 en compagnie de son épouse Julie et de sa belle-mère Clarisse Vigoureux, Victor Considerant arriva pour sa part à New York le 4 février. Après y avoir entrepris diverses démarches, il partit le 19 février pour Washington, où il rencontra plusieurs membres du Congrès. Il y resta jusqu’au début d’avril, en compagnie de César Daly qui l’y avait rejoint. Tous partirent ensuite pour La Nouvelle-Orléans où ils arrivèrent le 28 avril.

Considerant arriva finalement à Réunion le 30 mai 1855 en compagnie de sa famille, de César Daly et de l’épouse de Cantagrel. Le 7 août fut fondée la Société de Réunion qui, sous sa direction, devait prendre en charge l’exploitation du domaine acquis dans le comté de Dallas.

Pourtant, très vite, devant les problèmes et les difficultés qui s’accumulaient, et surtout devant l’afflux prématuré de colons (ils étaient 128 en juillet), Victor Considerant se persuada que l’expérience allait à l’échec, échec qu’il fallait conjurer en liquidant la colonie. En octobre 1855, il partit pour Austin, puis San Antonio. Il ne retourna à Réunion qu’à la fin du printemps suivant. La crise latente fut précipitée par les démissions de Cantagrel et du Dr Augustin Savardan le 6 juillet. Le 8, Considerant et Vincent Cousin « s’enfuirent » de la colonie au moment où devait être signée la convention dédommageant les membres de la colonie en leur cédant la moitié des parts réservées. En attendant l’arrivée d’Allyre Bureau, dépêché par la gérance, Tristan Duthoya prit la succession de Considerant à la tête de la colonie.

Victor Considerant se trouvait alors à San Antonio (où il demeura jusqu’en 1869). Il souhaitait procéder à la liquidation de Réunion pour pouvoir lancer une nouvelle expérience dans les cañons d’Uvalde. Il s’ouvrit de ces plans à Allyre Bureau qui, arrivé à Austin le 19 décembre, vint le voir avant de gagner Réunion (17 janvier 1857).

Quelque temps après, averti de l’état de santé de Bureau qui était tombé malade peu après son arrivée dans la colonie, Victor Considerant refusa pourtant de regagner Réunion, alors que Vincent Cousin décidait pour sa part d’y retourner. En mai 1858, Considerant reçut la visite de Bureau qui, remis, passa avec lui près de 3 semaines à visiter les cañons d’Uvalde. Peu après, Considerant retourna à Paris et tenta de lancer une nouvelle souscription pour financer l’acquisition des terrains visités avec Bureau, après s’être efforcé d’expliquer son échec dans un livre intitulé Du Texas (Paris, Librairie sociétaire, 1857). N’ayant guère obtenu d’écho, il repartit pour le Texas à la mi-janvier 1859 et y arriva un mois plus tard.

Il resta pendant de nombreuses années une des grandes figures de la micro-société française de San Antonio. Sa voiture, conduite par un cocher en livrée, était un spectacle familier dans les rues de la ville du temps de la guerre de Sécession. Il avait ouvert un petit commerce avec l’aide de son ami Vincent Cousin. Mais devant subvenir aux besoins de sa famille et de son ami (qui était dans un état « proche de la décrépitude »), il se retrouva finalement obligé « de piocher la terre » pour vivre. Ses amis ouvrirent alors une souscription pour lui permettre de revenir en France, ce qu’il fit après avoir été amnistié en 1869. Son retour, en compagnie de Vincent Cousin fut annoncé par La Démocratie du 12 septembre 1869.

_ Rentré à Paris en 1869, il se montra, en juillet 1870, pacifiste comme l’étaient tous les socialistes. Il adhéra à l’Association internationale des travailleurs. L’Internationale de Bruxelles l’annonça dans son numéro du 31 juillet, et confirmation en est fournie par un rapport de police du 29 juillet 1871 qui donne une liste de 82 adhérents de la Section du Panthéon (Arch. PPo., B a/439, pièces 5171-5172). Considerant, qui s’était logé, en 1869, rue des Boulangers-Saint-Victor (Ve arr.), était effectivement dans la circonscription de la Section du Panthéon. Sa demande d’adhésion datait de la seconde quinzaine de mars 1871 et avait été transmise par Régère au secrétaire du Comité fédéral Hamet.

Patriote après le 4 septembre, il demanda au Gouvernement de la Défense nationale de ne pas recommencer simplement 1792, mais de fonder sa politique sur l’« organisation juridique » de la paix, sur les États-Unis d’Europe, et sur des principes d’internationalisme proches de ceux qui étaient professés par les internationaux parisiens (19 septembre 1870).

Dans la brochure La Paix en 24 heures, dictée par Paris à Versailles. Adresse aux Parisiens, (20 avril 1871), il prit parti pour la Commune, forme de démocratie qui se rapprochait de la démocratie directe qui avait ses préférences, dénia à l’Assemblée de Versailles le droit de contester l’autonomie de Paris, de ruiner cette autonomie par les armes, et la somma de réorganiser le gouvernement national en s’entendant avec toutes les communes de France.

La fin de la vie de Considerant, attristée par la mort de sa femme (1880) fut consacrée par lui à de nouvelles études. Il suivit les cours des Facultés, interrogea les professeurs et s’en fit des amis. C’était une célébrité du quartier Latin, que son costume de paysan mexicain définitivement adopté désignait à l’attention et au respect. Avec les étudiants et avec les socialistes de toutes les nuances, ses relations étaient cordiales.
Jean Jaurès et de nombreux Communards suivirent son cortège funèbre vers le columbarium du Père-Lachaise.

Après la mort de sa femme, Victor Considerant avait été recueilli par son petit-cousin, Auguste Kleine, gendre de Clarisse Coignet, ingénieur des Ponts et Chaussées à Laon puis à Paris qui l’entoura de soins filiaux et à qui l’on doit la conservation des archives de l’École sociétaire partagées maintenant entre les Archives nationales, la bibliothèque de l’École normale supérieure et la bibliothèque municipale de Besançon. Au lendemain de la mort de Considerant, son compatriote salinois le géologue Jules Marcou publia sur lui une notice biographique dans le journal Le Salinois des 4, 11 et 18 février 1894. Marcou envoya cette notice au comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe, dont il avait fait la connaissance aux États-Unis et qui lui envoya en réponse la lettre suivante : « Vous avez eu raison de croire que cette biographie m’intéresserait. En effet, vous avez peint là un type absolument perdu aujourd’hui, le rêveur qui croit pouvoir refondre la société entière par le seul effet de la parole, de ses raisonnements et par le seul exemple de ses vertus privées, qui est presque indifférent à la forme politique du gouvernement et qui répudie l’emploi de la force pour faire triompher son système qui ne se rencontre plus aujourd’hui. On ne rencontre plus surtout l’homme parfaitement honnête et désintéressé dans la vie privée qui mourra pauvre après avoir consacré toutes ses forces et toute son intelligence à la réalisation de ses chimères. » Venant d’un adversaire politique il est difficile de trouver un plus bel éloge.

Voir également les notices Allyre Bureau, Eugène Courmeaux, Croutelle, Alfred Lejeune, Antoine Villeminot-Huart.

Il a paru commode, en dépit des nombreuses divisions de l’école sociétaire, de donner à la fin de la notice consacrée à celui qui ne représenta que la tendance la plus importante, des indications permettant de retrouver la plupart des fouriéristes mentionnés dans ce Dictionnaire. Cette liste sera complétée dans les prochaines éditions.

Pour Paris, voir : Andron, Arthur d’Anglemont, Dr Arnoult, Dr Stanislas Aucaigne, Louis Barré, Adrien Berbrugger, Auguste Bijon de Lancy, Julien Blanc, Émile Bourdon, Louis Breton, Philippe Breton, Mathieu Briancourt, Albert Brisbane, Charles Brunier, Pierre Bry, Chambellant, Victor Chipron, A. Cieszkowski, comte de Clonard, Auguste Colin, Hyacinthe Confais, Jean Czynski, Charles Dain, César Daly, Henri Dameth, Jean-Jacques Danduran, Arthur de Bonnard, Isidore de Rubat, Jeanne Deroin, Jean-Charles Deville, Théodore Diamant, Hugues Doherty, Jules Duval, Charles Fauvety, J. Fleury, P. Forest, J. Franchot, Henri Fugère, L.-E. Gallien, Zoé Gatti de Gamond, Alphonse Gilliot, Henri Gorsse, Léon Gozlan, P.-A. Guilbaud, Ferdinand Guillon, Arthur Guillot, C. Guyornaud, Charles Harel, Victor Hennequin, Eucher Henry, Fortuné Henry, Jamain, Joffroy, Dr Jouanne, A., Jounin, J.-J. Jullien, Charles Kuss, Gabriel Laverdant, Jules Lechevalier, Armand Lévy, Madaule, Hippolyte Magen, Antony Méray, Charles-Alphonse Meyer, Marie Meynieu, Jean-Benoît Mure, Eugène Nus, Robert Nusbaumer, Amédée Paget, Charles Pellarin, abbé Percy, Perreymond, Édouard de Pompéry*, Constantin Prévost, Adolphe Radiguet, D.-L. Rodet, Louis Rousseau, Hippolyte Salomon, Charles Sauvestre, Eugène Tandonnet, Tessié du Motay, Alphonse Toussenel, abbé Tranchant, Abel Transon, Jacques Valserres, Louis Vauthier, François Villegardelle, A. Weill, A. Ysabeau.

Pour la province voir : Glatigny, André Godin (Aisne) ; Théodore Karcher (Ardennes) ; Jean Journet, Oscar Avrial, Hippolyte Baret, Raymond Belloc, Jules Boyer, François Candil, Auguste Clarou, Hippolyte Destrem, Pierre Dusseau, Valentin Tournier (Aude) ; Joseph-Antoine Durand de Gros (Aveyron) ; Gabriel Gabet (Côte-d’Or) ; Hippolyte de La Morvonnais (Côtes-du-Nord) ; Frédéric Beley, Hippolyte Renaud (Doubs) ; Jean-Baptiste Tandonnet (Gironde) ; Jean Peyrottes (Hérault) ; Henri Couturier (Isère) ; Jean, Joseph Reverchon, François Tamisier (Jura) ; François Cantagrel (Loir-et-Cher) ; Auguste Guyard (Loire) ; Boutroux (Loiret) ; Croutelle (Marne) ; Dr Merger (Haute-Marne) ; Nicolas Le Moyne (Moselle) ; Perreau (Nièvre) ; Bocquin (Nord) ; Giret (Pas-de-Calais) ; Jean-Jacques Chomette (Puy-de-Dôme) ; F.-M. Lux (Bas-Rhin) ; Pierre Jaenger (Haut-Rhin) ; Michel Derrion (Rhône) ; Augustin Savardan (Sarthe) ; Jean-Baptiste Krantz (Seine-et-Marne) ; Dr Alexandre Baudet-Dulary (Seine-et-Oise) ; Charles Luquel (Deux-Sèvres) ; Camille Ledeau (Var) ; Henri Favres (Vienne) ; François Séjournant (Haute-Marne) et Viard (Vosges).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24371, notice CONSIDERANT Victor [CONSIDERANT Prosper, Victor] par Notice revue et complétée par Jean-Claude Dubos et Michel Cordillot, version mise en ligne le 27 janvier 2009, dernière modification le 10 novembre 2022.

Par Notice revue et complétée par Jean-Claude Dubos et Michel Cordillot

Victor Considérant (années 1870)
Victor Considérant (années 1870)
cc Collection Jaquet
Victor Considerant
Victor Considerant

ŒUVRE : On trouvera dans G. Del Bo, Charles Fourier e la Scuola Societaria nella raccolta della Biblioteca dell’Istituto G. G. Feltrinelli, Milan, 1957, de précieuses indications bibliographiques, mais la liste dressée par Maurice Dommanget, Victor Considerant, sa vie, son œuvre, Paris, 1929, p. 219-225, est plus complète, et donne les cotes de 53 publications et de leurs rééditions conservées à la Bibliothèque Nationale. Il ne saurait être question de reprendre ici les principaux titres, déjà cités, ni de donner les autres.
Il semble plus utile de préciser la durée des périodiques dirigés ou inspirés par Considerant : Le Phalanstère (1er juin 1832-28 février 1834). — La Phalange a) du 10 juillet 1836 au 15 août 1840 ; b) du 2 septembre 1840 au 30 juillet 1843 ; c) de janvier 1845 à décembre 1849, soit, pour chacune de ces périodes, respectivement, trois tomes, six tomes (le sixième étant en deux parties), et dix tomes. — La Démocratie pacifique, quotidienne du 1er août 1843 au 22 mai 1850 en treize tomes, hebdomadaire du 4 août 1850 au 30 novembre 1850 (quatorzième tome). — Bulletin de la Société de Colonisation européo-américaine au Texas, Bruxelles-Paris, janvier 1855-20 août 1860. — Bulletin du Mouvement sociétaire en Europe et en Amérique, Bruxelles, octobre 1857-décembre 1860.

SOURCES : De nombreux travaux ont été consacrés à Victor Considerant d’abord par l’école sociétaire. On se reportera à l’ouvrage de G. Del Bo pour les retrouver. Parmi les travaux postérieurs à la mort de Considerant, les plus importants sont : E. Discailles, « Le socialiste français Victor Considerant en Belgique », dans Bulletin de l’Académie royale de Belgique, tome 29 de la 3e série, 1895, pp. 705-748. — Hubert Bourgin, Victor Considerant. Son œuvre, Lyon, Imprimeries réunies, 1909. — Maurice Dommanget, Victor Considerant, sa vie, son œuvre, Paris, Éditions sociales internationales, 1929, et Les idées pédagogiques de Victor Considerant, Saumur, s.d., brochure. — H.-J. Hunt, Le Socialisme et le Romantisme en France, Étude de la presse socialiste de 1830 à 1848, Oxford, 1935. — Jean-Claude Dubos, « Une famille de maîtres de forges, les Gauthier », Bulletin de la Société d’Agriculture, Lettres et Sciences de la Haute-Saône, n° 17, 1984, p. 61-114. — Michel Vernus, Victor Considerant 1808-1893. Le cœur et la raison. Dole, Canevas, 1993. — Clarisse Vigoureux, Parole de Providence, préface de Jean-Claude Dubos, Seyssel, Champ Vallon, 1993. — Richard Moreau, « Jules Marcou », Procès-Verbaux et Mémoires de l’Académie de Besançon, vol. 190, 1992-1993, p. 153-196.
Sur le passage de Considerant à Reims on consultera Boussinesq et Laurent, Histoire de Reims depuis les origines jusqu’à nos jours, Reims, 1933, t. II, 2e partie, p. 514-sq.
Les lettres de Considerant à Charles Magnin sont à la Bibliothèque Municipale de Salins ; celles adressées à Frédéric Dorian aux Archives de la Loire à Saint-Étienne. — Michel Cordillot, La Sociale en Amérique. Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-unis 1848-1922, Collection Maitron, Paris, Éditions de l’Atelier, 2002.

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