ENOCK-LÉVI Jacques

Par Gilles Morin

Né officiellement le 8 avril 1908 à Jérusalem, mort le 9 février 1975 à Paris (XVIe arr.) ; militant socialiste de la Seine et de l’Yonne (SFIO, PSOP, PSU puis Parti socialiste), secrétaire national des Étudiants socialistes (1933-1934), secrétaire général des Amis de la Liberté (1952-1957), secrétaire général de la Gauche européenne, secrétaire général adjoint du Parti socialiste (1969-1971).

Jacques Énock était issu d’une famille juive de Jérusalem. Les ancêtres de son père, négociant, étaient venus de Bombay en Inde en bénéficiant d’un passeport britannique. Sa mère était issue d’une grande famille sépharade, les Éliacher. Elle comptait parmi ses ascendants un arrière-grand-père qui fut grand rabbin de Jérusalem et un grand-père rabbin. Du fait de son passeport juif, son père et les siens furent expulsés de Jérusalem par les Turcs lors de la Première Guerre mondiale. Ils se réfugièrent alors en Égypte où Jacques suivit les cours en français de l’Alliance israélite ce qui devait influencer la suite de son itinéraire. Lorsque la famille revint s’installer à Jérusalem après la fin du conflit, Jacques alla à Beyrouth (alors Syrie) pour suivre les cours du lycée Français. Il y obtint son baccalauréat le 3 juillet 1928 et y demeura un an supplémentaire pour compenser une année durant laquelle la famille gênée financièrement n’avait pu payer la pension. Selon son fils, il aurait alors trafiqué ses papiers pour avoir officiellement vingt et un ans et apparaître majeur pour venir en France et bénéficier d’une bourse pour ses études. Sa date de naissance officielle serait donc discutable. Selon une note de police, il était arrivé en France le 12 novembre 1929 nanti d’un passeport britannique.

Jacques Énock s’inscrivit à l’Université de la Sorbonne, en Lettres puis en Droit. Il passa des certificats d’histoire et prépara sa licence, puis suivit les cours de la Faculté de droit. Il obtint sa licence de droit le 6 juillet 1937, puis un Diplôme d’études supérieures d’économie politique en novembre 1938. Après la Seconde guerre mondiale, il passa encore un DES de droit public le 28 novembre 1945. Jusqu’à cette époque, il ne semble pas avoir eu d’autres activités professionnelles que ses études et des travaux irréguliers d’un étudiant du supérieur. Il avait épousé Jacqueline Savouré (et non Sabouré) qui militait comme lui à Paris aux Étudiants socialistes (elle était titulaire d’une licence d’histoire). Fille d’André Savouré dit André Bruckère, un industriel d’origine protestante collaborateur de la Guerre Sociale de Gustave Hervé, cette dernière disposait d’importants revenus qui mirent le couple à l’abri du besoin jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Trois enfants naquirent de cette union.

Jacques Énock fut élu membre du bureau national des Étudiants socialistes lors du congrès de Villeurbanne qui se tint à Pâques de 1933. Selon une source de police qui ne semble pas être confirmée par les sources internes, il était secrétaire national au congrès extraordinaire du 25 novembre 1933. Son nom est orthographié « Jackenock » dans L’Étudiant socialiste de ces années. Jacques Énock adhéra ensuite au Parti socialiste SFIO. Militant à la 16e section, il se classait à la gauche de ce parti. Il seconda Marceau Pivert au service cinématographique de la SFIO, puis du PSOP (Parti socialiste ouvrier et paysan). En effet, après avoir été membre de la tendance Gauche révolutionnaire du Parti socialiste, Jacques Énock passa, après le congrès de Royan de 1938, au PSOP dont il fut membre de la commission administrative permanente. Franc-maçon actif de la Grande Loge de France, de part l’influence de Marceau Pivert, il fit partie des responsables qui au congrès du PSOP en mai 1939 furent visés par la proposition d’interdire l’appartenance conjointe au parti et l’affiliation à la franc-maçonnerie.

Pacifiste, citoyen étranger, membre d’une organisation pourchassée par les autorités dès septembre 1939 et qui vit son unité exploser, Jacques Énock fut un temps menacé d’être expulsé de France. Durant l’hiver 1939-1940, il s’installa, sous la surveillance des autorités, dans une maison familiale à Aisey-sur-Seine près de Dijon. L’exode vit la famille fuir avec ses deux petits enfants (nés en 1935 et 1937) vers le Sud. Ils s’arrêtent à Buis-les-Baronnies dans la Drôme où ils connurent des difficultés matérielles que Madeleine Hérard aida à surmonter en partie. Jacques Énock fut arrêté et emprisonné à Valence comme Juif en février 1943, mais les autorités d’Occupation italiennes ne le déportèrent pas. Libéré le 20 mars 1943, il fut convoqué début 1944, après l’effondrement italien et l’Occupation allemande, en vue d’un regroupement des étrangers. Il se réfugia alors dans le maquis à Bouvières et participa à la Résistance dans le Diois.

À la Libération, comme une partie des anciens pivertistes, Jacques Énock rentra à la SFIO, dans la 5e section de la Seine (sa femme militant à la 15e). Il fut l’un des signataires de la motion Guy Mollet* au congrès de 1946 – ce qu’il devait souvent déplorer par la suite – et se présenta sans succès au comité directeur en 1947 sur la motion de la gauche du parti. Il entra à la direction de la fédération de la Seine lorsque Marceau Pivert reprit la tête de cette dernière en 1947 et le soutint sans discontinuer par son action et ses conseils durant les années suivantes. Il présida la commission économique lors de la semaine d’études internationale de Saint-Brieuc, des 25 juillet-1er août 1948.
Jacques Énock, inscrit comme journaliste à Quatre et Trois en 1946-1947, toujours en instance de naturalisation dans les années d’après-guerre, pouvait certes participer à la vie politique mais avec des réserves. Il ne pouvait pas par exemple se présenter aux élections. Toujours marqué par les idées de Marceau Pivert, c’est surtout dans la mouvance des socialistes européistes et dans les milieux anticommunistes qu’il se fit remarquer à partir de la fin des années quarante. Il s’opposa aussi à la politique coloniale de la SFIO.

Après avoir collaboré à l’élaboration de la position de la délégation française à la conférence des Partis socialistes ayant accepté le principe de l’aide américaine, les 20-22 mars 1948, Jacques Énock fut un des co-rédacteurs du rapport final. Il participa en 1948 à La Haye, au congrès de la Fédération européenne démocratique et socialiste. Il fut l’un des cofondateurs du Mouvement pour les États-Unis socialistes d’Europe puis de la Gauche européenne. Désigné comme trésorier de cette organisation le 14 juillet 1957, Jacques Énock conserva cette fonction jusqu’en 1959. Resté membre du bureau du mouvement, et confirmé à ce poste en 1961, il devint secrétaire général de la Gauche européenne en juin 1968.
Militant activement contre le communisme stalinien depuis les années trente et notamment la Guerre d’Espagne, Jacques Énock fut secrétaire général des Amis de la Liberté de 1951 à 1957. Ce mouvement, qui comptait parmi ses dirigeants Georges Altman, Michel Debré, Jean Le Bec, Pierre Bolomy et la pivertiste Yolande Théodore, militait activement en faveur des États-Unis et de l’alliance atlantique et combattait la propagande soviétique à l’Ouest. Il publiait les Cahiers des Amis de la Liberté.

Opposé à la politique algérienne de Guy Mollet, en 1958, Jacques Énock, après la mort de Marceau Pivert, se rapprocha d’Alain Savary* et Robert Verdier*. Avec eux, il quitta la SFIO pour le PSA (Parti socialiste autonome), fut l’un des fondateurs du PSU où il milita trois ans, de 1960 à 1963. Il participa ensuite activement aux « Colloques socialistes » organisés par Georges Brutelle en 1964. En compagnie de ce dernier, il fonda « Socialisme et démocratie » puis « l’Union des clubs pour le renouveau de la gauche » (UCRG). Ses relations dans les milieux laïques, européens et maçonniques étaient particulièrement utiles au mouvement. Jacques Énock entra au Parti socialiste issu du congrès d’Issy-les-Moulineaux (avril 1969) et fut nommé secrétaire national à la Coordination et aux Rencontres socialistes en 1969-1971. Devenu un homme clé de l’appareil du parti durant deux ans, sa correspondance (conservée à l’OURS) illustre les difficultés de cohabitation entre les anciens mollétistes issus de la direction de la SFIO (Ernest Cazelles* par exemple) et l’équipe de Savary qui cherchait à jouer les arbitres entre les partisans de Pierre Mauroy* (dont il faisait partie), les jeunes du CERES et les représentants de courants plus à droite (comme André Chandernagor*). Il militait officiellement à la section d’Auxerre.

Jacques Énock représenta le PS au Bureau des partis socialistes de la Communauté européenne et auprès des groupes parlementaires. Il dirigea le comité du centenaire de la Commune de Paris, qui, le 1er mai 1971, organisa une grande manifestation au cimetière du Père-Lachaise. Au congrès du PS d’Épinay en juin 1971, il fut réélu au comité directeur, où il siégea jusqu’en 1973, représentant la tendance Savary-Mollet, dite Bataille socialiste. En mars 1972, il participa à la délégation du PS, conduite par François Mitterrand, en Israël. À la même époque, il contribua à la rédaction du Programme commun de gouvernement avec le PCF.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24378, notice ENOCK-LÉVI Jacques par Gilles Morin, version mise en ligne le 30 janvier 2009, dernière modification le 31 juillet 2020.

Par Gilles Morin

SOURCES : Arch. Nat., F7/15535, n° 7758 ; F7/15991/2. — Bulletin Intérieur de la SFIO, n° 27, 31, 41. — Arch. OURS, dossiers Yonne. — J.-P. Joubert, À contre-courant : le Pivertisme, de la « vieille maison » au « Parti révolutionnaire », thèse de doctorat de sciences politiques, université de Grenoble, 1972. — Jean Rabaut, Tout est possible, op. cit., p. 132. — J. Kergoat, Marceau Pivert, « socialiste de gauche », éd. de l’Atelier, 1994. — Le Monde, 14 février 1975. — Entretien avec J. Énock, 7 juillet 2003. — Notes de Christine Bouneau. — Notice DBMOF, par J. Raymond. — État civil de Paris XVIe arr.

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