Par Nicolas Offenstadt
Né le 9 octobre 1873 à Paris (IIe arr.), mort le 27 mars 1953 à Nice (Alpes-Maritimes). Journaliste et homme de lettres. Successivement militant anarchiste, socialiste, communiste jusqu’en 1923 mais constamment pacifiste. Président de la Ligue internationale des combattants de la paix de 1931 à 1934.
Georges Pioch naquit à Paris dans une famille catholique pratiquante. Son père était plombier, sa mère giletière. Il fit ses études au collège Chaptal, passa son baccalauréat, puis suivit des cours libres à la Sorbonne et au Collège de France. Il exerça successivement divers métiers : employé de banque, correcteur d’imprimerie, correcteur-lecteur chez l’éditeur Ollendorff qui publia plusieurs de ses œuvres. Bien vite, il se passionna pour la poésie, écrivit des vers et fit paraître plusieurs recueils de poèmes au Mercure de France à partir de 1896.
Dès cette époque, Pioch côtoya les milieux anarchistes. En 1900, il devint critique théâtral et littéraire au Libertaire. Francis Jourdain* affirme qu’il fut un des principaux animateurs de l’hebdomadaire. La même année, au second congrès général des organisations socialistes à Paris, salle Wagram, il avait représenté la chambre syndicale des ouvriers ébénistes de Cette (Hérault). Devenu farouche anticlérical et antimilitariste, Pioch adhéra à l’Association internationale antimilitariste (AIA) dès sa fondation (1904). Il fut membre de son premier Comité national pour la France et collabora à son journal, l’Action antimilitariste. Il rédigea ainsi le manifeste destiné aux conscrits : « Paroles à ceux qui vont souffrir » publié dans l’Action antimilitariste en novembre 1904. Son activité de propagandiste libertaire ne l’empêcha pas de continuer son œuvre littéraire. En 1904, il publia son premier roman : L’impuissance d’Hercule. De plus, il collabora à plusieurs feuilles littéraires, notamment au Gil Blas, dont il devint rédacteur en chef en 1910. Pioch fut également critique musical. Il écrivit dans Musica dont il fut quelque temps rédacteur en chef. Il publia un Beethoven dans la série des « Portraits d’hier » lancée par Henri Fabre qui l’avait associé au comité de lecture.
En août 1914, il devint rédacteur en chef des Hommes du jour, Victor Méric* et Gabriel Reuillard* étant mobilisés. Appelé à son tour, il fut assez vite réformé pour raisons de santé. Pioch, l’antimilitariste impénitent, passa au patriotisme le plus virulent. Il vanta les mérites des canons français, affirma que « le génie français prévaut sur le génie allemand », défendit l’Union sacrée, l’idée d’une guerre juste de défense des démocraties contre le militarisme allemand. Il dira au congrès de la Ligue des droits de l’Homme de 1929 : « Je n’ai cessé depuis d’accuser publiquement mon erreur et de la détester. »
Cependant il se reprit très vite. Il défendit Romain Rolland* avec qui il entretint une correspondance pendant la guerre ; il soutint les conférences de Zimmerwald et Kienthal. Il participa à la rédaction des feuilles à tendance pacifiste, notamment la Vague de Pierre Brizon*. Avec Henri Fabre, Séverine, Marcelle Capy*, il fonda, début 1917, le Journal du peuple, journal de pointe dans la propagande pacifiste. Séduit par la Révolution russe, Pioch s’en fit le défenseur. Aussi dès février 1919 il collabora à l’Internationale de Raymond Péricat* qui appelait à la constitution d’un parti communiste. En 1915, Pioch avait rejoint la SFIO. Membre de la 9e section de la Seine, c’est en son sein qu’il milita pour la IIIe Internationale. En août 1919, il se rapprocha du Comité de la IIIe Internationale (mais sans y adhérer affirma Boris Souvarine en 1922) et en novembre 1919 milita au comité de la Société des amis des peuples de Russie. Il signa l’« Appel aux socialistes » paru dans le Bulletin communiste du 1er mars 1920. Pioch ne cessa d’être un propagandiste au verbe intarissable. Ainsi, quand Léo Poldès* créa en 1918 « Le Club du Faubourg », il en fut le principal orateur. Il est vrai que son aspect physique lui procurait une certaine popularité : obèse aux longs cheveux bouclés, à la fine moustache, portant régulièrement le feutre de l’artiste et la lavallière. Il resta pendant des années une attraction du Faubourg. Ainsi en 1921, fut-il élu meilleur orateur pour « l’éloquence sociale » et second « Prince du verbe » derrière Henry-Marx.
Membre de la commission exécutive de la Fédération de la Seine de la SFIO, il fut élu secrétaire fédéral au printemps 1920. Pendant l’été 1920, il assura le secrétariat du Comité d’action pour la libération des emprisonnés du « complot », comité dont Anatole France* était président. Dès sa création, il fut membre du Parti communiste et maintenu à ce même poste. De plus, il fit partie de la nouvelle équipe de l’Humanité. Dès lors il se dépensa en conférences pour la SFIC, participa aux réunions de l’ARAC, du groupe « Clarté ». Au premier congrès de la SFIC à Marseille en décembre 1921, il fut élu membre suppléant au Comité directeur et nommé à la sous-commission d’administration et de propagande. Mettant à profit ses compétences, le parti le chargea de donner des cours d’art oratoire et de propagande aux militants. Cependant bien vite Pioch fit partie de ceux qui s’opposèrent à l’Internationale. Il continua en effet à mener une propagande pacifiste et antimilitariste qui correspondait mal aux idées bolcheviques. Par ailleurs, il refusa la discipline que tentait d’imposer l’IC au sein du PC. Aussi, au congrès fédéral de la Seine (décembre 1921), il attaqua verbalement Souvarine, partisan de l’IC. Au congrès national de Marseille, avec Méric, il s’opposa à Vaillant-Couturier sur le pacifisme. Dans un discours de mars 1922 au Comité exécutif de l’IC, Trotsky s’en prit vigoureusement au pacifisme de Pioch. L’hostilité ne cessa de croître entre les partisans de l’Internationale et ceux qui étaient réticents à son intervention dans la vie du parti : Méric, Fabre, Pioch...
En août 1922, ce dernier perdit son poste de secrétaire fédéral de la Seine. Au IVe congrès de l’IC (novembre 1922) le conflit s’aiguisa. Trotsky, en exigeant la renonciation de l’appartenance à la Franc-maçonnerie ou à la Ligue des droits de l’Homme (dont Pioch était membre depuis 1921), porta un coup décisif aux opposants. Dès décembre 1922, Pioch, avec d’autres, fut exclu de l’Humanité. Commentant cette exclusion, Humbert-Droz notait : « Pioch : inutile d’insister, il ridiculise le parti » (lettre à Zinoviev, Trotsky, Kolaroff, 30 décembre 1922). Le poète à la « prose pleine d’enflure » (Henri Jeanson*) qui voyait dans le communisme « la forme organisée de l’amour », gardait une allure bohème peu compatible avec le style bolchevik. Il devint un des meneurs du comité de résistance aux décisions de l’Internationale avec Méric, Lecache, Torrès... Tous furent exclus en janvier 1923. Cependant les « résistants » n’abandonnèrent pas le combat. Dès la fin janvier, ils formèrent le Parti communiste unitaire (PCU). Pioch, membre de son Comité directeur, fut désigné comme secrétaire général. Il fut également rédacteur du journal du parti l’Égalité et délégué à la commission qui devait préparer la fusion du PCU avec l’Union fédérative socialiste de Verfeuil (constituée par d’autres dissidents du PCF). Au congrès qui la réalisa (avril 1923), Pioch fut nommé secrétaire général du nouveau parti : l’Union socialiste-communiste (USC) qui cherchait à rassembler tous les partis politiques ouvriers. Mais dès la fin 1924, l’USC s’étiola. Aussi Pioch se consacra-t-il au journalisme et à la propagande pacifiste. Il collabora au Paris-Soir d’Eugène Merle (1923-1925) puis au Soir dirigé par Frossard et n’hésita pas à prêter sa plume aux journaux du peu scrupuleux Dubarry, dont il était l’ami : l’Ère nouvelle puis la Volonté (jusqu’en 1933). Pioch agit également en faveur des condamnés politiques. Avec le Comité de défense sociale, il participa à de nombreux meetings en faveur des anarchistes espagnols Durruti, Ascaso et Jover. Il se montra également un ardent défenseur de Sacco et Vanzetti et appartint au Comité de défense des victimes du fascisme, présidé par Henri Barbusse, qui prit en 1928 la défense de Victor Serge.
Pioch ne cessa de mener le combat pour la paix. Il collabora au Réfractaire (1927-1932), bulletin de la Ligue des réfractaires à la guerre, signa « L’Appel aux consciences » (1926) et « L’Appel au bon sens » (1928) (publiés dans la revue Évolution de Victor Margueritte), qui demandaient la révision des traités de 1919-1920.
En 1930, Pioch devint membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme et fut délégué à plusieurs de ses congrès dans les années suivantes. Il démissionna de son mandat en 1937, reprochant à la Ligue de ne pas condamner assez fermement les procès de Moscou et surtout d’être insuffisamment pacifiste. Il en resta cependant membre. En 1931, il devint président de la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP) qui venait d’être fondée par Victor Méric*. Il convainquit Romain Rolland* d’accepter la présidence d’honneur : « Mon vieil ami la guerre nous a trop mêlés, dans le cœur et l’esprit, l’un à l’autre pour que je m’imagine une action où je participerais sans vous » (lettre à Romain Rolland*, 28 décembre 1930). En octobre 1931, il entama une tournée de deux mois pour la Ligue avec Marcelle Capy* : « La Croisade pour la paix ». Mais bien vite des dissensions apparurent. À son congrès d’Angers (1932), Pioch qui avait donné son adhésion à titre personnel au congrès d’Amsterdam organisé par Barbusse et Rolland, n’obtint pas le ralliement de la LICP. Il considéra cet échec comme une « humiliation ». Cependant, tout en adhérant au Comité national de lutte contre la guerre issu d’Amsterdam, il resta président de la LICP, fonction qu’il avoua « traîner comme un boulet » (lettre à Jeanne Humbert*, s.d.) et fut réélu au Comité directeur en 1933. L’année suivante, par trop mis en cause sur l’affaire de l’adhésion à Amsterdam-Pleyel (mouvement que bon nombre de ligueurs considéraient comme trop proche des communistes), il quitta son poste tout en restant membre du Comité directeur. Jusqu’en 1939, il demeura un ardent conférencier de la LICP et collabora à son organe fondé en 1934, le Barrage. Mais son activité ne se limita pas à la Ligue. Dans la seconde moitié des années trente, Pioch fut membre du Comité directeur de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA) de Bernard Lecache* et, en novembre 1935, il participa à la constitution des Amis des travailleurs étrangers (Comité français pour le statut et la défense des travailleurs étrangers) dont la secrétaire était Magdeleine Paz*. En 1936, il entra au comité d’honneur du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) et participa avec Breton, Poulaille, Challaye au Comité pour l’enquête sur les procès de Moscou et pour la défense de la liberté politique. Mais Pioch milita surtout pour le pacifisme intégral : révision des traités, désarmement unilatéral, politique de conciliation avec les dictatures. La même année Marceau Pivert* le fit entrer à Radio-Coloniale où, à partir de 1938, il fit des émissions pacifistes à des heures de grande écoute. Il s’exprima également à partir de 1937 dans la Flèche de Gaston Bergery (il fut en effet sympathisant du frontisme) ; dans Solidarité internationale antifasciste (SIA) de Louis Lecoin*. En 1938, il participa au Centre syndical d’action contre la guerre, puis en 1939 au Centre de liaison contre la guerre dont il signa en avril l’appel « Contre la guerre ». En septembre, il apposa sa signature aux côtés d’Alain, Déat, Challaye, Jeanson, Margueritte, Pivert, Poulaille..., au bas du tract « Paix immédiate » rédigé par Louis Lecoin*. Mais devant les poursuites judiciaires qui furent engagées, Pioch se rétracta (comme d’ailleurs Alain, Margueritte...). Cette attitude marqua les pacifistes qui ne manquèrent pas de la reprocher à Pioch : Henri Jeanson*, dans ses souvenirs, Nicolas Faucier* (proche de Lecoin) dans son ouvrage sur le pacifisme.
Sous l’Occupation, Pioch passa à la presse de collaboration et continua d’écrire. Il tint notamment la chronique littéraire et musicale de l’
Georges Pioch mourut en 1953. Il avait été marié trois fois. Veuf de Madeleine Lefevre, il se remaria avec Miriam Coats, divorça, puis épousa Clarisse Humbert.
Par Nicolas Offenstadt
ŒUVRE : Toi, Éd. du Mercure de France, 1896. — La légende blasphémée, Éd. du Mercure de France, 1897. — Le Jour qu’on aime, Éd. du Mercure de France, 1898. — Les Palmes harmonieuses, I. Instants de ville, Éd. du Mercure de France, 1898. — Le Saint, Éd. de la Revue d’art dramatique, 1902. — L’Impuissance d’Hercule, roman, A. Messein, 1904. — La bonté d’aimer, A. Messein, 1905. — Beethoven, Éditions des portraits d’hier, 1re année, n° 3, 15 avril 1909. — Les dieux chez nous, Ollendorff, 1912. — Les Responsables, Ollendorff (1916 ?). — Jaurès, Librairie d’action d’art de la Ghilde « des forgerons », 1918. — La paix inconnue et dolente (vers et poèmes), Éd. de l’Épi, 1929. — Vingt ballades frappées à l’effigie de la paix, précédées de stances et suivies d’un sonnet, F. Piton, 1931. — Résistance de l’homme, vers et poèmes, Éd. du Sablier, 1955. — 15 000 ! La foire électorale, Ollendorff, s.d. — Les victimes, Librairie Ollendorff, s.d.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13062, 13973. — Arch. PPo. BA 1777 (LICP). — Comptes rendus des congrès de la Ligue des droits de l’Homme (1929, 1930, 1933, 1937), Ligue des droits de l’Homme. — Lettres de G. Pioch à H. Barbusse (BN). — Lettres de G. Pioch à J.-R. Bloch (BN). — Lettres de G. Pioch à Jeanne Humbert* (consultées chez Francis Ronsin). — L’Action antimilitariste, 1904-1905, passim. — Bulletin communiste, n° 34, 17 août 1922. — L’Égalité, 1923-1924, passim. — « Portrait de la semaine : Georges Pioch », La Vague, 18 novembre 1920. — « Les gueules du Faubourg : Georges Pioch », Le Faubourg, n° 16, 15 février 1920. — Le Faubourg, n° 31, 1er août 1921. — Les Cahiers des droits de l’Homme, n° 8, 25 mars 1935 (notice statutaire G. Pioch) et n° 21, 1er novembre 1937 (lettre de démission de G. Pioch). — La Corrèze républicaine (journal d’Henri Fabre), 4 avril 1953. — J.-L. Crémieux-Brilhac, Les Français de l’an 40, 1, La guerre oui ou non ?, Gallimard, 1990. — M. Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989. — H. Fabre, Soixante-dix ans de journalisme, en feuilleton dans La Corrèze républicaine, n° 209 à 255, 1960. — H. Jeanson, Soixante-dix ans d’adolescence, Stock, 1971. — F. Jourdain, Sans remords ni rancune. Souvenirs, Corréa, 1953. — A. Salmon, Souvenirs sans fin. Deuxième époque (1903-1920), Gallimard, 1956, et troisième époque (1920-1940), Gallimard, 1961. — Ph. Burrin, La dérive fasciste, Doriot, Déat, Bergery. 1933-1945, Éd. du Seuil, 1986. — H. Coston (dir.), Dictionnaire de la politique française, tome 2, publication H. Coston. — N. Faucier, Pacifisme et antimilitarisme dans l’entre-deux-guerres (1919-1939), Spartacus, 1983. — P. Galouzeau de Villepin, Victor Margueritte (1866-1942). Le pacifisme au service de l’Allemagne ?, Th., Université Paris IV, 1989. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes, op. cit., t. III (p. 214). — Josephson (eds), Biographical dictionary of modern peace leaders, Greenwood Press, 1985. — Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, t. I : Des origines à 1914, Maspero, 1975. — R. Manevy, Histoire de la presse, 1914-1939, Éd. Corréa, 1945. — N. Offenstadt, Victor Méric*, de la guerre sociale au pacifisme intégral, Mémoire de DEA, IEP Paris, 1990. — J. Rabaut, Tout est possible ! Les « gauchistes » français, 1929-1944, Denoël, 1974. — P. Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste. t. 1 : 1920-1945, Fayard, 1980. — Ch. Saïd, Étude de presse : les hommes du jour, 1912-1914, MM, Paris I, s.d. — D. Tartakowsky, Les premiers communistes français, Presses de la FNSP, 1980. — R. Wohl, French communism in the making 1914-1924, Stanford, Stanford University Press, 1966. — J. Humbert-Droz, L’œil de Moscou à Paris, Julliard, 1964. — Léon Trotsky, Le Mouvement communiste en France (1919-1939), textes choisis et présentés par Pierre Broué, Les Éd. de Minuit, 1967. — Histoire générale de la presse française, t. III : 1871-1940, PUF, 1972. — G. Lacaze-Duthiers, « Georges Pioch », Cahiers des Amis de Han Ryner, n° 29, 2e trimestre 1953. — Notes de Jacques Girault et de J. Raymond. — Compte rendu du congrès de Wagram. — Compère-Morel*, Grand Dictionnaire socialiste, p. 640.