échos d’histoire

La création des Jeunesses communistes et des Étudiants communistes en France, 1920

En votant leur adhésion à l’Internationale communiste des jeunes deux mois avant le congrès de Tours, les Jeunesses socialistes précédaient le Parti socialiste SFIO. La Fédération nationale des Étudiants communistes avait même été créée dès juillet 1920.

Après la Première Guerre mondiale, les Jeunesses socialistes (JS) se réorganisent. La Fédération nationale des Jeunesses socialistes a pour secrétaire Pierre Lainé, partisan du courant de Jean Longuet, alors majoritaire dans le Parti socialiste SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière).

Le Comité de la 3e Internationale (C3I), issu du Comité pour la reprise des relations internationales, où militent les principaux militants révolutionnaires (Fernand Loriot, Pierre Monatte, Boris Souvarine, etc.), forme alors une importante minorité à la gauche de la SFIO. Le C3I, comme son nom l’indique, est d’ores et déjà membre de la Troisième Internationale, l’Internationale communiste créée en mars 1919.

Une Internationale communiste des jeunes (ICJ) étant fondée en novembre 1919, les partisans du C3I dans les JS s’organisent à partir de fin décembre 1919, et annoncent en janvier 1920 la création du Comité pour l’autonomie des Jeunesses socialistes et leur adhésion à la 3e Internationale, avec notamment Maurice Laporte, Paul Coblentz et E. Bagnol. Ils peuvent à ce moment s’exprimer dans La Vie ouvrière, hebdomadaire « syndicaliste, révolutionnaire, internationaliste », créé et dirigé par Pierre Monatte, qui est alors quasiment l’organe officieux du Comité de la 3e Internationale (ce n’est que quelques semaines plus tard que le C3I crée le Bulletin communiste).

Dès lors, ce courant des Jeunesses va bénéficier d’un contexte favorable : de nombreuses grèves se déclenchent en France, et l’espoir d’une révolution mondiale enthousiasme les militants, en leur donnant le sentiment que leur objectif politique est à portée de main. Pour les mêmes raisons, le C3I voit les adhésions affluer et l’audience de son orientation internationaliste révolutionnaire s’accroître rapidement au sein de la SFIO.

Début avril 1920, trois courants sont en présence lors de la conférence nationale des JS à Troyes :
* Le Comité pour l’autonomie des Jeunesses socialistes et leur adhésion à la 3e Internationale, qui veut l’adhésion des JS à l’Internationale communiste des jeunes. Il en appelle au « régime des Conseils des Travailleurs » qui seul peut « instaurer le Communisme ». Il veut aussi l’autonomie des Jeunesses par rapport au parti, afin de ne pas former des « moutons toujours prêts à suivre le mot d’ordre des chefs ». Cette motion Laporte obtient 2350 mandats (32 %).
* Un courant emmené par Émile Auclair s’oppose à l’autonomie des JS, mais se prononce pour la IIIe Internationale. Il obtient 1801 mandats (25 %).
* Enfin, la direction sortante emmenée par Pierre Lainé refuse l’autonomie, et déclare vouloir adhérer à l’Internationale communiste des jeunes « avec réserves » - mais des réserves telles qu’elles empêchent l’adhésion. Ce courant se maintient à la direction des JS avec 3168 mandats (43 %), donc sans majorité absolue.

On voit que la division des partisans de la IIIe Internationale leur a été préjudiciable. Mais il faut dire que cette question d’autonomie par rapport au parti posait des problèmes fondamentaux : au fond, les Jeunesses doivent-elles être avant tout des structures où les adhérents apprennent, ou plutôt des organisations militantes qui agissent d’ores et déjà au quotidien ? D’un autre côté, le principe d’autonomie est redouté par une partie des militants, dont les groupes de Jeunesses vivent grâce au soutien des sections de la SFIO, qui fournissent local, bibliothèque, orateurs, etc.

Néanmoins, le C3I intervient afin que fusionnent les courants de Laporte et d’Auclair. Un congrès des militants des Jeunesses socialistes partisans de la IIIe Internationale se tient donc à Puteaux le 25 juillet 1920. Laporte y affirme que « la situation est révolutionnaire ». Le communiste yougoslave « Volny » (Voja Vujovic) y prend la parole au nom de l’Internationale communiste des jeunes ; deux membres du C3I, Marcelle Brunet et René Humberdot, s’expriment également.

Une petite minorité des militants réunis souhaiterait une scission immédiate, mais la majorité décide de rester dans les JS pour y conquérir l’organisation de l’intérieur. Cette orientation et l’unification des courants Laporte et Auclair aboutissent à la création du Comité de l’Internationale communiste des jeunes (CICJ), qui lance en septembre 1920 le journal bimensuel L’Avant-garde ouvrière et communiste, dont le gérant est René Reynaud du C3I, et le premier éditorial est de Boris Souvarine, autre dirigeant du C3I.

Dès lors, ce courant ne porte plus très clairement l’aspiration à l’autonomie des Jeunesses par rapport au parti, et quand c’est le cas c’est avec une ambiguïté : s’agit-il d’être autonomes par principe, ou bien uniquement par rejet de l’orientation portée par la direction de la SFIO, jugée trop timorée ? Le 17 octobre 1920, Auclair, parlant lors du congrès des JS de la Seine au nom du CICJ, déclare même à propos de l’autonomie qu’il n’en a « jamais été partisan » et que c’est « à la condition qu’elle serait écartée que j’ai fait cause commune avec Laporte ».

Du côté des étudiants, à l’époque peu nombreux en France, les choses vont plus vite. Marcel Ollivier est le secrétaire des Étudiants socialistes révolutionnaires de Paris, puis du Groupe des étudiants communistes de Paris, fondé en mars 1920. Ce Groupe déclare adopter « pleinement le point de vue du prolétariat révolutionnaire », et en appelle à l’organisation de « Conseils d’Ouvriers » qui seront « vraiment l’organe de la démocratie prolétarienne basée sur le travail ». Ollivier est délégué au IIe congrès de l’Internationale communiste (juillet-août 1920), et c’est donc en son absence qu’est créée la Fédération nationale des Étudiants communistes, les 23 et 24 juillet 1920 à Paris. En plus du groupe de Paris qui a organisé ce congrès fondateur, y prennent part des groupes d’Alger, Bordeaux (que dirige Jean Barrué), Lyon, Nancy (où milite Marcel Gauche) et Strasbourg. Ces Étudiants communistes poussent également à l’adhésion des JS à l’Internationale communiste des jeunes, mais ils sont numériquement très faibles.

Il faut attendre la conférence nationale des 31 octobre et 1er novembre 1920, à La Bellevilloise à Paris, pour que la majorité des JS soit renversée. Le vote est très net : 5443 mandats (70 %) au Comité de l’Internationale communiste des jeunes, contre 1958 mandats (25 %) pour la direction sortante, et 350 abstentions (5 %). Les JS deviennent la Fédération nationale des Jeunesses socialistes-communistes (JSC). L’Avant-garde ouvrière et communiste est transmis aux JSC par le Comité de l’Internationale communiste des jeunes. Un comité national des JSC est élu par le congrès, dirigé par Laporte et composé de 11 autres militants (dont Auclair) et d’une militante, Rosa Michel (de son vrai nom Marie Wacziarg). La minorité, qui refuse ce vote, scissionne. Ce résultat préfigure avec deux mois d’avance celui du congrès de Tours de la SFIO.

Les 15 et 16 mai 1921 à Paris, lors du premier congrès des JSC, l’autonomie n’est plus défendue que par une petite minorité (Marcel Vandomme, William, etc.). Les liens organiques sont donc maintenus avec le parti, devenu fin décembre 1920 à Tours la Section française de l’Internationale communiste (SFIC, plus tard Parti communiste). Par ailleurs, le changement de nom en Jeunesses communistes (JC) est adopté.

Les JC, très engagées contre « la folie patriotique » et le militarisme, avaient déjà subi la répression étatique avec l’emprisonnement de plusieurs de leurs dirigeants dès le début de l’année 1921. En 1923, la lutte contre l’invasion de la Ruhr entraîna l’arrestation de plusieurs militants mobilisés comme soldats, tels Albert Lemire et Roger Hagnauer. Le fonctionnement et les bases politiques des JC allaient cependant radicalement changer au cours des années et décennies suivantes, par la bolchevisation puis la stalinisation imposées depuis Moscou par la bureaucratie au pouvoir.

SOURCES : La Vie ouvrière, 1919-1920. — Bulletin communiste, 1920. — L’Avant-garde ouvrière et communiste, 1920-1921. — L’Humanité, 1920-1921. — Julien Chuzeville, Un court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, éditions Libertalia, 2017, p. 180-182, 204, 276-279 et 364-366. — Arch. Nat. (Pierrefitte), 19940432/265, dossier Auclair.

Par Julien Chuzeville

La création des Jeunesses communistes et des Étudiants communistes en France, 1920
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