EMMANUEL Pierre [MATHIEU Noël-Jean, dit]

Par Claire Toupin-Guyot

Né le 3 mai 1916 à Gan (Basses-Pyrénées), mort le 24 septembre 1984 à Paris ; poète, journaliste, conférencier ; membre du Comité nationald es écrivains (1943-1956), membre du Congrès pour la liberté de la culture, président du Pen-club français (1973-1976), président de l’INA (1974-1979) ; résistant.

Né dans une famille modeste, Pierre Emmanuel grandit auprès de son oncle paternel, dans le Béarn, ses parents étant partis chercher fortune aux États-Unis. Il fit ses études chez les lazaristes puis à l’université de Lyon. Scientifique de formation, il se passionna pour la poésie après la lecture de La Jeune Parque de Paul Valéry et De sueur et de Sang de Pierre-Jean Jouve. Contre les mathématiques et « leur formation étriquée », Pierre Emmanuel choisit la poésie, le langage du mythe et de l’imagination. Les premiers poèmes qu’il publia dans la Nouvelle Revue française furent salués par Jean Paulhan, André Michaux et surtout Pierre-Jean Jouve avec lequel il se lia d’amitié. Après la défaite de 1940, il séjourna à Dieulefit, dans la Drôme, noua des liens avec ses résidents temporaires comme Louis Aragon, Elsa Triolet*, Emmanuel Mounier* ou encore Pierre Seghers*. C’est d’ailleurs ce dernier qui publia, en 1941, Tombeau d’Orphée qui révéla Pierre Emmanuel au public et le fit admettre dans le cercle des grands poètes français. Il entra dans la résistance active et s’engagea dans les activités du Comité national des écrivains. Il fournit des textes résistants aux Cahiers du Rhône, publia Jour de colère, Combats avec tes défenseurs en 1942 et participa, en 1944, au recueil L’Honneur des poètes.

À la Libération, Pierre Emmanuel fut nommé chef de cabinet du préfet de la Drôme et se lança dans le journalisme. Il rédigea des articles pour Témoignage chrétien, Réforme, Esprit et Temps présent tout en travaillant pour la RTF où il dirigea le service anglais puis nord-américain. Alors compagnon de route du Parti communiste, il fit une tournée de conférences en Europe de l’Est, à l’automne 1947, mais en revint très critique à l’égard de « l’énorme emprise totalitaire de la Russie », expérience qu’il décrit dans Une semaine dans le monde. Les années qui suivirent furent difficiles car sa veine poétique se tarit et ses convictions politiques sont éprouvées. En 1956, il signa un manifeste pour la révision du procès des époux Rosenberg mais démissionna du Comité national des écrivains pour protester contre la répression de la Révolution hongroise.

En 1958, Pierre Emmanuel entra au Congrès pour la liberté de la culture dont il devint le secrétaire général adjoint. Il quitta la radio en 1959 et renoua avec la création littéraire avec la publication d’Évangéliaire. S’il inscrivit son œuvre dans le cadre d’une anthropologie chrétienne, il se définissait surtout comme un chercheur de Dieu, catholique mais attiré par le protestantisme et fasciné par l’orthodoxie. La création de Pierre Emmanuel est creusée par l’incertitude et la béance qui posent avec une acuité sans cesse renouvelée les questions de la transcendance dans une « vocifération noire ». Toujours en chemin, il posa le postulat que l’homme est « capax Dei » en partageant son expérience personnelle du sacrée : « quand je tente d’exprimer au plus près cette foi qui m’étreint plus que je ne l’embrasse … je me retrouve à Gethsémani ». De nombreuses autres œuvres suivirent, toutes marquées par la lutte entre le bien et le mal.

Profondément engagé dans le siècle, Pierre Emmanuel participa aux activités du Centre catholique des intellectuels français, défendit les intellectuels de l’Europe de l’Est, obsédé par « l’hémiplégie de la moitié de l’Europe ». Il contribua d’ailleurs à la création de la Fondation pour l’entraide intellectuelle en Europe, en 1966, puis quelques années plus tard, à un Comité international européen pour attirer l’attention de l’opinion sur la dégradation de la situation des intellectuels tchécoslovaques tout en présidant l’association des amis de Soljenitsyne. Pierre Emmanuel fut élu à l’Académie française en 1968 qu’il quitta sept ans plus tard pour dénoncer l’élection de Félicien Marceau à qui il reprocha son passé de collaborationniste.

Pierre Emmanuel milita en faveur de la culture au sein de différentes structures et présida de nombreux organismes : l’Institut national de l’audiovisuel (INA), la commission des Affaires culturelles du VIe Plan ou encore le conseil du Développement culturel. Il démissionna de ce dernier en désaccord avec la politique menée par le gouvernement. Sa Révolution parallèle, publiée deux ans plus tard, exposa une conception large et plurielle de la culture dans laquelle il défendait la valeur des cultures marginales et minoritaires. En 1979, Pierre Emmanuel démissionna de l’INA mais garda une tribune publique dans les chroniques du journal traditionnel La France catholique. Son dernier ouvrage, Le grand Œuvre. Cosmogonie, achevé quelques semaines avant sa mort, constitue l’aboutissement d’une réflexion qui jusqu’alors ne se proposait qu’en fragments et rend compte de la quête absolue d’un des plus grands poètes français du XXe siècle toujours en recherche.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24406, notice EMMANUEL Pierre [MATHIEU Noël-Jean, dit] par Claire Toupin-Guyot, version mise en ligne le 1er février 2009, dernière modification le 2 juillet 2009.

Par Claire Toupin-Guyot

ŒUVRE CHOISIE : Œuvres Poétiques complètes, Lausanne, L’Âge d’homme, tome 1 : 1940-1963, 2001, tome 2 : 1970-1984, 2003. — La Révolution parallèle, Le Seuil, 1975. — Le Risque d’être, articles parus dans La France catholique réunis par A.-S. Constant, Factuel / Parole et silence, coll. « Spiritualité », 2006.

SOURCES : Arch. Pierre Emmanuel, IMEC, Caen. — Temps présent. — Témoignage chrétien. — Réforme. — Esprit. — La France catholique.

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