Par Jan-Willem Stutje. Notice traduite du néerlandais par Joeri Puissant.
Anvers (Antwerpen, pr. et arr. Anvers), 17 novembre 1885 – Greng-Morat (canton de Fribourg, Suisse), 20 juin 1953. Universitaire, théoricien socialiste, sénateur coopté, ministre, président du Parti ouvrier belge (POB), conseiller du roi Léopold III, inspirateur de l’Union des travailleurs manuels et intellectuels (UTMI) en 1940.
Le nom est parfois orthographié Deman (selon l’état civil) ou de Man, répertorié Man de. Pseudonymes : Belzébuth, Rik, HD, Hockeit, Tyl, J.M.
Henri De Man, issu de la bourgeoisie libérale anversoise, est né à une époque où le français donnait le ton en Belgique et donc à Anvers. Il est le fils d’Adolphe De Man, descendant d’une famille de petite noblesse de robe, directeur dans une compagnie maritime, franc-maçon (loge des « Amis du commerce et la persévérance réunis »), et de Joséphine Van Beers, fille du poète flamand Jan Van Beers, chantre de l’émancipation flamande, neveu d’officiers de l’armée belge. Il a un frère et une sœur. Henri De Man fréquente l’Athénée royal d’Anvers, et, sous l’influence d’enseignants tels que l’écrivain Pol De Mont, il évolue non seulement d’une sensibilité à la question flamande vers la question sociale, mais il s’intéresse également à la culture germanique. Féru de nature, il pratique assidument l’exercice physique.
À dix-sept ans, à l’occasion de la grève générale de 1902 en faveur du suffrage universel, De Man adhère à la Jeune garde socialiste et donc au Belgische werkliedenpartij-Parti ouvrier belge (BWP-POB) (1er mai 1902). Il y deviendra éditeur rédacteur du périodique flamand de l’organisation. Son père veut qu’il suive un cursus militaire, mais après un passage à l’Université libre de Bruxelles (ULB – pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale) à la faculté des sciences, il s’inscrit en 1903 à l’école polytechnique de l’Université de Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand). Il en est exclu pour sa participation à des manifestations de soutien à la révolution russe de 1905, en particulier contre la répression sanglante de la manifestation de Saint-Pétersbourg, à la fin janvier. Arrêté, il est accusé de déprédations. C’en est trop pour son autoritaire paternel qui voit avec peine comment Henri néglige ses études.
Au cours de ces années, Henri De Man se sent proche de jeunes comme Herman Vos et Leo Picard qu’il a connus à l’Athénée. Ils sont attirés par l’anarchiste hollandais Ferdinand Domela Nieuwenhuis et la poète Henriette Roland Holst, mais aussi par Pierre Kropotkine, Jean Grave et Léon Tolstoï. Il rejoint néanmoins l’aile marxiste qui craint que la révolution prolétarienne ne soit sacrifiée au cartel électoral libéral-socialiste et à la volonté de gouverner à tout prix. Un comportement qui démontre dès le plus jeune âge un fort volontarisme et une grande confiance dans le rôle des intellectuels dans les luttes de la classe ouvrière.
Mécontent qu’Henri ruine la réputation de la famille et de son amour pour l’ouvrière socialiste gantoise, Elvire Lotigiers, indigne de leur milieu (qu’il épousera néanmoins à Londres en 1910), son père le laisse partir en Allemagne assumer sa volonté d’indépendance. Il poursuit ses études à l’Université de Leipzig en Allemagne en suivant les cours de Karl Bücher, Karl Lamprecht, Wilhelm Wundt. En 1909, sous l’œil vigilant d’Henri Pirenne, ami de Lamprecht, il termine sa thèse sur l’industrie gantoise du drap au XIVe siècle.
Dans les mêmes années, Henri De Man approfondit son engagement socialiste. Il gagne sa vie en faisant des traductions et des piges au Leipziger Volkszeitung, dirigé par Franz Mehring, dont il devient un collaborateur régulier. Il assume des traductions dans des congrès syndicaux internationaux et fait la connaissance de socialistes non-conformistes tels que Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. De Man devient un ardent défenseur de la grève générale du travail, la grève politique de masse selon la méthode de Rosa Luxemburg. Il est présent à Stuttgart lorsque l’Internationale socialiste ajoute cette arme à son arsenal tactique lors de son congrès annuel en 1907. En marge de ce congrès, les organisations de jeunesse socialistes tiennent également leur première conférence internationale. Henri De Man représente les Jeunes gardes belges et est autorisé à ouvrir cette réunion historiquement importante. Liebknecht y prononce son célèbre discours sur le militarisme et l’antimilitarisme, qui s’est soldé pour lui par une peine de dix-huit mois de prison. De Man est élu aux côtés de Karl Liebknecht à la direction de l’Internationale socialiste de la jeunesse. Il passe un semestre à l’Université de Vienne (Autriche) et rencontre les socialistes autrichiens, notamment Otto Bauer qui se penche sur la question des nationalités. En 1910, il vit plusieurs mois à Londres (Angleterre) et découvre le mouvement ouvrier britannique.
À la fin 1910, Henri De Man revient en Belgique. Il est désigné directeur de la Centrale d’éducation ouvrière (CEO), fondée par le POB pour améliorer la formation des cadres et adhérents du parti, avec l’aide financière significative de l’industriel libéral Ernest Solvay. Émile Vandervelde* valide le choix de ce jeune intellectuel prometteur, brillant, polyglotte et connaissant l’Europe, qui prend ses fonctions en février 1911. De Man y déploie une intense activité d’organisation de cercles régionaux (CREO) et locaux (CLEO) qui offrent conférences, cycles de cours auxquels lui-même participe activement. Plus que de combat, il s’agit d’éducation, explique De Man. L’image initialement idéalisée du prolétaire auto-libérateur, source d’impatience révolutionnaire, perd son éclat. La modération et la croyance en la puissance émancipatrice du travail éducatif prennent sa place. Mais il y introduit incontestablement les germes d’une culture marxiste au sein du monde ouvrier socialiste.
Après la mort de Friedrich Engels en 1895, Karl Kautsky devient, pour beaucoup, le principal théoricien marxiste. Henri De Man s’est rangé du côté du fondateur et rédacteur en chef de Die Neue Zeit lorsque, quelques années plus tard, il est entré en conflit avec Rosa Luxemburg et l’aile gauche du mouvement socialiste international avec sa vision optimiste d’un développement légal vers le socialisme et son adoption de la tactique parlementaire. Cela n’a aucune conséquence sur son attitude critique au sein du POB, dont il exprime la critique la plus vive en 1911 dans Die Neue Zeit, aux côtés de Louis De Brouckère* (« Le mouvement ouvrier en Belgique », 10 mars 1911, 72 p). Outre le faible niveau théorique du parti, il y dénonce sa faible tradition syndicale, le fétichisme coopératif et le parlementarisme. Ces critiques sévères et personnelles suscitent la colère d’Edouard Anseele, le dirigeant du Vooruit, explicitement visé, qui donne à De Man le choix : partir ou reculer et participer. Au parlement, Anseele fustige même « ces intellectuels, qui comme De Man, ont trahi leur parti » (Compte-rendu analytique du 23 janvier 1912).
Henri De Man et Louis De Brouckère* cherchent à faire paraître leurs textes critiques en Belgique, sans succès, le premier expliquant qu’il s’agit d’un groupe marxiste se constituant au sein du POB ; ce groupe se dote peu après, en avril 1911, d’un organe La lutte de classes, dont De Man devient l’un des principaux rédacteurs.
Lors de la Première Guerre mondiale, Henri De Man, explique-t-il par la suite, perd ses dernières illusions sur la classe ouvrière. De Man se porte volontaire ; après des fonctions non-combattantes, il dirige une batterie de mortiers de tranchée en tant qu’officier (1916) et assume des missions de liaison avec les troupes britanniques. Mais il fréquente également la résidence royale à la Panne et se lie à la reine Elisabeth. La classe ouvrière et les paysans se demandent à peine ce qu’ils font dans les tranchées, seule une petite minorité défend consciemment la « volonté de la nation » et de la démocratie. « L’idée de "self government" des masses est dans son sens littéral un mythe », a-t-il noté dans The Remaking of a Mind (1919), ses réflexions sur la guerre. Sobrement, il arrive à la conclusion que « les majorités sont les instruments par lesquels les minorités règnent ». La libération, conclut-il, n’est plus l’œuvre de la classe ouvrière elle-même, elle devient le privilège d’une élite intellectuelle limitée. Le darwinisme social, populaire à l’époque, joue un rôle dans cette ligne de pensée, mais aussi l’élite de la fin du XIXe siècle se référant à quelqu’un comme l’économiste flamingant Lodewijk De Raet (Over Vlaamsch Volkskracht- vervlaamsching der hoogeschool in Gent, Gent, 1906).
Au POB, Henri De Man s’est avéré être un fanatique « jusqu’au boutiste ». Contrairement, par exemple à Camille Huysmans*, il reste fermement opposé à toute paix (de compromis) qui ne vise pas la destruction totale de l’occupant allemand. En tant que volontaire et en tant qu’officier, il prouve qu’il accepte la légitimité belge, et cette confiance est réciproque, comme en témoigne la décision du gouvernement belge de l’envoyer, aux côtés de Émile Vandervelde* et Jules Destrée*, en Russie au printemps 1917, et d’aider Alexandre Kerensky à freiner les succès croissants des bolcheviks auprès des soldats russes et de les exhorter à ne pas céder à leurs appels à la paix mais à marcher sur Berlin (Allemagne) pour planter le drapeau victorieux. De Man suscite le mépris de Konrad Haenisch, son vieil ami et collègue de la Leipziger Volkszeitung. « Le mouvement ouvrier allemand vous était autrefois cher, maintenant il a été soudainement désigné coupable du pouvoir le plus tyrannique du monde, plus dangereux que le tsarisme ». De Man, conclut Haenisch, est devenu « un ennemi (pour l’Allemagne et les socialistes allemands), son évolution le conduit à l’oubli et au révisionnisme ».
Henri De Man, en 1919, déçu par l’après-guerre, le nationalisme revanchard qui domine chez les vainqueurs, gagne avec femme et enfants l’Amérique du Nord, le Canada d’abord, les États-Unis ensuite qu’il a déjà visités en 1918. Il observe les caractéristiques du travail et des syndicats américains. The Remaking of a Mind, publié à New York en 1919, montre un changement dans l’intérêt intellectuel de De Man. Loin des relations de classe fondées sur l’économie, il investit le domaine de la psychologie sociale en mettant l’accent sur l’éducation et l’élévation culturelle du prolétariat, rejetant l’auto-émancipation au profit de l’ingénierie sociale et remplaçant le concept de classe par la notion de peuple. Avec ces idées élitistes et darwinistes sociales, De Man n’est en aucun cas le mouton noir de la famille socialiste, de nombreux sociaux-démocrates de premier plan partagent des opinions similaires, comme Émile Vandervelde*, Jules Destrée*, Edmond Picard*, pour n’en nommer que quelques-uns.
Revenu en Belgique, pour organiser l’École ouvrière supérieure (EOS) envisagée, dès après la guerre à la demande de Vandervelde et conçue par lui (organisation, programme, pédagogie…), Henri De Man reprend le projet rendu possible par la loi Vandervelde sur la création des écoles de service social (1921) qui en assure une partie du financement. De Man y est chargé de cours (Psychologie sociale, œuvres d’éducation ouvrière). Il met sur pied également des formations syndicales pour la Centrale des métallurgistes en particulier, notamment la semaine syndicale de Morlanwelz (pr. Hainaut, arr. Thuin ; aujourd’hui arr. La Louvière) en septembre 1921. Cette dernière, où il invite le social-démocrate allemand, J. Assenbach, est à la base de l’émoi politique à l’origine de la fin du gouvernement d’Union nationale dans le pays (1918-1921). Partisan de la coopération avec l’Allemagne nouvelle, la social-démocratie en particulier, il est en porte-à-faux avec le nationalisme patriotique dominant en Belgique.
Dès la fin de l’été 1922, Henri De Man repart pour l’Allemagne. Déçu par son mariage avec Vere Lotigiers, il entame une nouvelle vie avec la riche Lily Reinemund, une amie d’enfance, à Eberstadt (Darmstadt-Hesse). « Pour la première fois en dix ans, je m’abandonne à nouveau au travail scientifique », écrit-il à Henri Pirenne (6 novembre 1922). Il enseigne à la Frankfurter Akademie der Arbeit. En 1926, De Man publie son ouvrage phare Zur Psychologie des Sozialismus (« Au-delà du marxisme », 1927). Un best-seller international, avec quatorze éditions et près d’une douzaine de traductions dans toute l’Europe occidentale et centrale, parues en trois ans, suscite un débat sur ce qui fait d’une personne un socialiste : est-ce un intérêt matériel de classe ou est-ce une question de pulsions, d’instincts et d’émotions ? De Man veut se débarrasser du déterminisme économique et définit le socialisme comme une « disposition », comme un idéal moral né de l’indignation face à l’injustice, une question d’éthique à laquelle tous les groupes sociaux sont en principe réceptifs. Pour gagner ces groupes, le mouvement socialiste doit avant tout représenter les valeurs humaines générales. En définissant le socialisme dans Zur Psychologie comme un socialisme émotionnel, De Man donne au socialisme un nouveau statut moral. Le socialisme est devenu une exigence de justice, au sens le plus profond « de la force et de la volonté et du désir des cœurs humains », comme l’écrit son inspiratrice Henriette Roland Holst. Le succès du livre est principalement dû à ce volontarisme contagieux.
Pour comprendre la migration politique de Henri De Man dans l’entre-deux-guerres, la question est importante : à quel « marxisme » dit-il réellement au revoir ? Antonio Gramsci et Pierre Naville soutiennent à juste titre que la critique de De Man n’affecte pas la pensée de Karl Marx, mais surtout celle de ses épigones, plus particulièrement celle de Karl Kautsky qui conçoit le socialisme comme un « Nécessité selon les lois naturelles (...) par les causes matérielles, qui sont indépendantes de la volonté et de la volonté de l’individu ». Le marxisme de Kautsky considère la naissance d’une nouvelle société comme une perspective inéluctable, optimiste et en même temps fataliste. L’adieu de De Man à ce fatalisme est une lutte parfois douloureuse, car les relations personnelles sont en jeu. De Man connait Kautsky depuis 1907, « il était chez nous avec nous », disait Louise Kautsky.
Kautsky riposte naturellement, mais les marxistes dogmatiques de l’école soviétique réagissent encore de manière plus venimeuse. En Belgique, l’accueil est mitigé. Le président du parti, Émile Vandervelde*, et le tout jeune Paul-Henri Spaak* ne veulent pas en entendre parler. Le philosophe libéral italien Benedetto Croce, lui, en a fait l’éloge et conseillé à tous les « Italiens Intelligents » de lire le livre. Le jeune Claude Lévi-Strauss, secrétaire du groupe des étudiants socialistes de l’École normale supérieure de Paris, lui écrit : « Grâce à vous, les doctrines socialistes sortent enfin de l’hibernation ! » (31 janvier 1928). Avec sa critique éthique du matérialisme historique, De Man fait partie d’un mouvement intellectuel plus large dans la pensée marxiste après la Première Guerre mondiale. Désillusionnée par l’échec de la révolution mondiale, par la stagnation du stalinisme et du fascisme, elle se met à travailler sur de nouveaux thèmes et des questions de recherche à caractère essentiellement théorique philosophique et culturel. Les mêmes dilemmes sont considérés partout, sur le rôle des intellectuels, sur la culture de classe, le volontarisme, sur « l’embourgeoisement » du prolétariat et sur les principes éthiques. Une tradition que Perry Anderson qualifiera de « marxisme occidental » en 1976. Ce mouvement inclut également les intellectuels marxistes du Frankfurt Institut für Sozialforschung (l’École de Francfort), littéralement voisins de De Man à l’époque. Ils réfléchissent également au rôle des intellectuels et qualifient « l’embourgeoisement » du prolétariat de la plus grande menace pour le mouvement révolutionnaire. Mais les sources idéologiques de Henri De Man ne sont pas à gauche de l’échiquier politique, mais à droite, parmi les pessimistes culturels tels qu’Oswald Spengler et Georges Sorel ou encore Graf von Keyserling. De Man ne cache pas sa sympathie pour leurs notions et catégories nationalistes telles que « sentiment » et « volonté ». Avec Spengler, il proclame : « Il faut libérer le socialisme allemand de Marx ». Dans ce que Spengler appelle le « vrai socialisme prussien », l’accent n’est pas mis sur l’ouvrier mais sur l’élite. Le pouvoir est entre les mains d’un monarque énergique qui se tient au-dessus des classes et des partis. Le césarisme est dans la représentation de Spengler l’arme la plus puissante contre le capitalisme de laissez-faire britannique et américain superficiel et hédoniste. Ces types d’idées se reflètent largement dans la théorie de l’élite de De Man dans les années 1930 et ses appels à créer un État autoritaire contre le pouvoir du « mur d’argent » avec le roi Léopold III dans le rôle du nouveau César.
Avec ce livre, Henri De Man est devenu une figure bien connue en Allemagne, en particulier parmi l’aile droite du Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD) et parmi certains jeunes, dans le langage politique desquels, sous l’influence de l’occupation de la Ruhr, les concepts tels que « État » et « nation » émergent pour la première fois. Mais aussi sur les socialistes religieux et éthiques qui sont fascinés par les vues de De Man sur l’éthique et la culture, principalement des pasteurs et des théologiens, tels que Paul Tillich, Martin Buber et le théologien suisse Leonhard Ragaz, et sur les publicistes et le personnel de formation autour du mouvement syndical. Une entreprise bigarrée qui s’est manifestée lors de conférences et dans les colonnes de Neue Blätter für den Sozialismus, le magazine mensuel paru pour la première fois en janvier 1930 à Potsdam (Brandebourg, Allemagne). Ils s’avèrent incapables de jeter les bases communes du « nouveau socialisme » prévu.
En face de Henri De Man et de ses amis politiques se trouvent le soi-disant Tillichkreis, un groupe d’intellectuels institutionnels et proches des anciens marxistes. Le théologien et philosophe [Tillich-217119], promoteur de Theodor Adorno, résume le plus succinctement la contradiction dans sa discussion de Zur Psychologie : « Pour De Man, c’est la volonté finalement accidentelle du prolétariat qui lutte pour le socialisme. Pour le vrai Marx, c’est lié à son essence (...) Car seul le prolétariat est économiquement déterminé jusqu’aux limites de la possibilité d’existence. (...) Cela donne la primauté au socialisme prolétarien sur le socialisme intellectuel ». Ce faisant, Paul Tillich esquisse simultanément la controverse qui sépare De Man et le Frankfurt Institute for Sozialforschung. De Man travaille comme psychologue social à l’Université Goethe de Francfort depuis 1929, dans le même bâtiment de Viktoria-Allee où se trouvait l’Institut, plus tard connu sous le nom d’École de Francfort (Hesse, Allemagne). Cela n’aboutit pas à un rapprochement. Max Horkheimer, Theodor Adorno, Herbert Marcuse, Erich Fromm, Walter Benjamin et d’autres partagent largement la critique de De Man du déterminisme économique, mais maintiennent la croyance en la lutte des classes et le pouvoir émancipateur du prolétariat. De Man ne se sent pas chez lui avec ces intellectuels, que les cercles conservateurs qualifient mal de « café Marx » et, dans ses Mémoires, il les désavoue sur un ton antisémite comme les « professeurs juifs » qui ont fourni « un élément de trouble mental, de déséquilibre et d’analyse perturbatrice ».
Des oppositions plus fortes sont difficilement concevables dans l’évaluation du fascisme. Dès septembre 1930, peu de temps après la victoire électorale d’Hitler en septembre 1930, l’Institut fait les premiers préparatifs pour déménager à l’étranger. Un sentiment d’urgence qui fait totalement défaut à Henri De Man. Un mois plus tôt, il écrit une lettre à Benito Mussolini, dans laquelle il loue Il Duce comme l’homme qui pouvait offrir « la liberté et la paix » avec son « dynamisme intellectuel » et ses « forces éternellement révolutionnaires de l’esprit » (23 août 1930). Dans le Duce, il voit l’exemple du « dictateur sain » de Spengler, choisi pour arrêter la décadence et restaurer la grandeur de la civilisation occidentale. Le fait que De Man, héros d’une génération de socialistes peu orthodoxes, ait accordé un crédit intellectuel au régime de Mussolini, suscite le désarroi dans la résistance contre le fascisme.
Henri De Man voit dans le fascisme principalement une idéologie. Pas un bélier antisocialiste, antisyndical et raciste, mais un mouvement qui, avec ses sentiments anticapitalistes radicaux, convient mieux aux classes moyennes que la social-démocratie timide et inefficace. La popularité de l’utopie du Troisième Reich montre également que ces classes aspirent à un « leadership dynamique », et « qui connaît la classe ouvrière socialiste, sait, que là aussi, des besoins similaires existent et ne sont pas satisfaits » (12 décembre 1930). De Man ne fait jamais beaucoup de cas de la démocratie parlementaire, et peu de temps avant la prise de pouvoir par Hitler, il fantasme sur des mesures révolutionnaires et dictatoriales pour sauver la démocratie. Dans Neue Blätter für den Sozialismus, il y a des voix pour y parvenir avec l’aile sociale-révolutionnaire des nazis, la faction NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei) autour de Gregor Strasser. Cette illusion est détruite, après le 30 juin 1934, lorsque les ambitions de Strasser et des siens prennent fin lors de la Nuit des longs couteaux.
La publication des premiers travaux de Karl Marx, les soi-disant manuscrits parisiens de 1844, qui ont été fortement discutés à Francfort, conduit Henri De Man à réévaluer en partie ses conclusions antimarxistes. Anticipant Louis Althusser, il voit une rupture entre le « premier » Marx humaniste et le « matérialiste » Marx tardif, exprimant sa sympathie pour le premier. Cette sympathie a trouvé sa voie dans la monographie Die Sozialistisch Idee, Jena, 1933 (The Socialist Idea). Au cours de ces années, il s’agit là du texte le moins antimarxiste de De Man. Il l’aide à retrouver sa place au sein du POB, sans doute ignorant de ces débats interallemands, qui accueille l’enfant prodigue avec ferveur. Avant son licenciement en tant que professeur à l’Université de Francfort le 1er septembre 1933, De Man, âgé de quarante-huit ans, revient en Belgique, appelé par Vandervelde pour prendre la tête du Bureau d’études sociales, créé par le Conseil général (CG) du POB, afin de doter le parti d’une réponse à la crise économique qui ravage les sociétés industrielles. Il conquiert le POB avec le Plan du travail qui promet à la Belgique et au mouvement ouvrier une réponse nouvelle et offensive à la crise des années 1930, au ton anticapitaliste sous-jacent afin de gagner les classes moyennes qui, selon ses convictions, sont laissées d’une façon catastrophique aux nationaux-socialistes par le SPD en Allemagne. Le Plan est adopté triomphalement par le Congrès annuel du POB de la Noël 1933. Il envisage une gestion mixte de l’économie (contrôle étatique du crédit et de l’énergie), un programme d’investissements publics qualifié aujourd’hui de keynésien pour résorber le chômage, la réunion des classes sociales opposées au capitalisme financier (classe ouvrière, paysanne, classes moyennes, employés, artisans et petits commerçants). Entouré de Arthur Jauniaux, sénateur et dirigeant des mutualités, et Max Buset, député, De Man réussit à entraîner syndicalistes et jeunes derrière lui en insufflant une dynamique nouvelle, inspirée des propagandes communistes et nazies qu’il a pu observer en Allemagne et de sa propre expérience du Festspiel "Wir", organisé le 1er mai 1933 à Francfort (scénarisation, chœurs parlés, jeu de drapeaux etc…) dont il a écrit le texte. L’homme est salué comme un sauveur. Il faut lire le Vooruit (19 février 1935) décrivant avec emphase son entrée lors d’une manifestation planiste au Vélodrome de Gand : « Très beau, ce défilé de dizaines et de dizaines de drapeaux rouges, suivi de nos groupes de jeunes et associations de gymnastique ! (…) Et puis (…), jouer "l’Internationale" à l’enthousiasme indescriptible de milliers et de milliers de spectateurs. (...), Rik de Man, le père du Plan, dont l’ovation, qui semblait interminable, nous empêche d’exprimer en quelques mots quelle énorme impression il a eu sur les auditeurs ». Grâce à cet effet et à l’atmosphère de renouveau et de conversion, la réputation révolutionnaire dont jouit De Man parmi beaucoup d’autres s’est approfondie dans la conviction que lui seul est capable de sortir le peuple de la crise.
Henri De Man s’est familiarisé avec les lois de la psychologie de masse en Allemagne, ainsi que sur l’idée que le Plan a besoin d’un caractère national, un premier pas activiste vers un « socialisme nouveau », dont il formulerait l’idéal avec son « complice », Paul-Henri Spaak*, en 1937. En raison de son activisme, le Wille zur Macht, pour évoquer Nietzsche, De Man se distingue essentiellement de tous ces théoriciens « planistes », tels que Walther Rathenau, John Maynard Keynes, Franklin D. Roosevelt ou Georges Douglas Howard (G.D.H.) Cole, dont les propositions se limitent uniquement aux interventions dans l’économie. « Le Plan d’action que je vous propose », déclare De Man dans une note confidentielle au Conseil général du parti, devrait se concentrer principalement sur la socialisation des établissements de crédit et de l’énergie et permettre à terme une économie mixte de secteurs privés et du socialisme. L’accent est mis sur le capital financier parasite, germe de crise et ennemi de toutes les classes productives. Pour Henri De Man, la population pourrait mieux en prendre conscience par ses instincts et ses besoins immédiats ; en retournant son hostilité élémentaire envers le spéculateur et l’usurier. Ce genre de propagande, selon De Man, « doit procéder par des images beaucoup plus que par des textes ». Le bureau de propagande du POB projette dans ses montages d’images, le financier à visage stéréotypé de juif accapareur, chassé du temple à coups de fouet par l’élément ouvrier en bonne santé. On a dit que le plan d’action est un antidote au fascisme, mais il contient le virus qu’il a l’intention de détruire. Le fait que De Man préfère voir le socialisme organisé comme un État corporatiste, un système dans lequel le capital et le travail dirigent conjointement l’industrie nationalisée, n’est pas moins controversé. Le propos a une résonance européenne, trois congrès internationaux débattent de ce qui portera le nom de « néo-socialisme, aux rencontres de Pontigny (département de l’Yonne, France) » en 1934 pour commencer.
En Belgique, l’année 1934 est consacrée à la propagande « Pour le Plan, tout le Plan, rien que le Plan » et à la formulation de propositions concrètes élaborées par vingt-deux commissions réunissant les forces vives du parti (L’exécution du Plan du Travail, Anvers, 1935, 443 p.). Mais à la surprise générale, à l’indignation de beaucoup après des tractations de coulisse, Henri De Man, le père du Plan, et Paul-Henri Spaak*, leader éloquent d’une extrême-gauche favorable au « Front populaire » réunissant socialistes, communistes et autres antifascistes (« L’Action socialiste »), participent au gouvernement Van Zeeland, tripartite (chrétiens, socialistes et libéraux), qui promeut une politique de déflation, d’investissements publics afin de relancer l’économie. De Man est ministre des Travaux publics et de la Résorption du chômage (mars 1935-mai 1936). Il obtient le portefeuille des finances (le premier et un des rares socialistes à ce poste) dans le second gouvernement Van Zeeland, puis dans le gouvernement Janson (juin 1936-démission en mars 1938), qui voit la présence socialiste se renforcer. En matière économique, De Man obtient la création d’un Office de redressement économique (OREC), qu’il ne contrôle pas dans un premier temps. L’OREC rencontre une opposition fatale de la part des forces conservatrices (libérales et catholiques) du gouvernement mais aussi du secteur financier et de la lourde bureaucratie. En 1936, à la suite des grèves en France, un mouvement de grève comparable entraine des avancées sociales non négligeables, mais du Plan qui a mobilisé intensivement le mouvement socialiste, il n’est plus question. Plus même, devant les menaces extérieures, la Belgique, après un discours du Roi, rompt avec l’alliance française et cherche, dans une prétendue neutralité, les moyens de se protéger d’un conflit qui se profile de plus en plus (1936). De Man et son acolyte Spaak signent un texte sur « le socialisme national » (Pour un socialisme nouveau, Bruxelles, février 1937) qui explique leur comportement au gouvernement. De plus en plus critiqué au sein du POB par l’aile gauche et l’aile wallonne du parti, mais aussi de dirigeants socialistes, des marxistes, comme Émile Vandervelde*, Louis De Brouckère*, mais aussi des réformistes comme Achille Delattre qui se méfient de De Man pour sa soif de pouvoir. De Man est également vice-premier ministre du gouvernement Pierlot III d’Union nationale (septembre 1939-Janvier 1940). Comme ministre des Finances, il obtient par la loi du 18 juin 1937 le pouvoir de réformer les institutions financières d’intérêt public (Banque nationale (BN), Caisse générale d’épargne et de retraite (CGER), Société nationale de crédit et d’investissement (SNCI)…), afin d’y diminuer l’influence des banques privées (il a critiqué la réforme bancaire de 1934 qui n’allait pas dans ce sens).
Le problème du Plan, soutient De Man, n’est pas économique, mais politique. Dans le magazine, intitulé de manière caractéristique Leiding (Direction), publié à partir de janvier 1939, le vice-président, bientôt président du parti, diagnostique la crise la plus profonde de la démocratie. Le remède doit être un renforcement du pouvoir exécutif, une réduction du rôle des partis et une institution parlementaire bourgeoise disciplinée. Tout se résume à la volonté. Pas seulement dans le domaine de l’économie, où l’internationalisme est abandonné et une voie exclusivement belge est promue. Mais aussi dans la question de la guerre et de la paix où le nationalisme s’est exprimé dans l’annulation de l’accord militaire franco-belge et dans une politique de neutralité soigneusement observée envers Hitler-Allemagne. Et dans le domaine de la politique étrangère où le gouvernement Spaak (tripartite) noue des relations commerciales avec le régime de Francisco Franco à Burgos (Espagne) en 1938 – avant même que la République espagnole ne soit finalement vaincue –, applaudi par le roi Léopold, par des entrepreneurs et des amis d’extrême-droite pour qui « toutes les manifestations internationalistes désastreuses sont l’expression d’un marxisme inamendable ». Henri De Man place un Vandervelde farouchement hostile à cette politique devant le dilemme : être loyal au gouvernement ou démissionner. Un jour plus tard, Émile Vandervelde* démissionne. Selon ce dernier, le « socialisme national » se révèle être un glissement vers le fascisme (6 janvier 1938).
Après la mort d’Émile Vandervelde*, Henri De Man devient président du POB en 1939. Il est le chef d’un parti national et gouvernemental, qui, selon lui, « avant tout en vertu de sa propre volonté positive, est la réalisation (...) de la conscience approfondie que ses objectifs sont en harmonie avec les intérêts du pays tout entier ». Plus fortement qu’auparavant, il recherche la proximité de la monarchie, à laquelle il laisse la prérogative de nommer et de révoquer les ministres. Cette ligne de conduite le conduit finalement à une position minoritaire au sein du parti. Elle est renforcée par une vision des tâches exaspérante et capricieuse, par l’exploitation et la dépréciation des inférieurs et des rivaux politiques, et par une soif de pouvoir impitoyable. De Man, à l’origine lié à la cause flamande, embrasse la Belgique. C’est la conséquence du tournant nationaliste, mais aussi une étape nécessaire pour se rapprocher de la monarchie, de Léopold III, le roi des Belges. C’est une compensation pour la position minoritaire dans laquelle il s’est progressivement retrouvé. Dans le même ordre d’idées, il faut comprendre les efforts des mouvements autoritaires et nationalistes d’autres pays d’Europe, dont le national-socialisme allemand, pour reconnaître le « socialisme national ».
Avant même que la guerre n’éclate, Henri De Man ne voit qu’un avenir dans un État belge autoritaire et dirigé par un roi dans une Europe unie, éventuellement sous hégémonie allemande. Lorsque la guerre éclate, de Man ne voit donc pas l’attaque-surprise allemande comme un conflit entre nations, mais comme une continuation de la lutte idéologique entre les forces autoritaires vitales et l’ordre démocratique corrompu.
Quiconque observe le tableau : un planisme activiste, les plaidoyers pour un parti populaire, pour le corporatisme et un État fort, pour une réduction des libertés politiques et la mobilisation de sentiments populistes, voire antisémites, contre le pouvoir de l’argent, n’est pas surpris de l’inclination de Henri De Man vers le fascisme. Mais cette étape était-elle inévitable ? Qu’il suffise de rappeler que les sympathisants des idées de De Man, belges comme Max Buset, Isabelle Blume, Paul-Henri Spaak*, ou hollandais comme Koos Vorrink et Henriette Roland Holst, n’optent pas pour la collaboration en 1940 mais pour la résistance ou l’exil. La rupture de certains d’entre eux remonte d’ailleurs à l’entrée au gouvernement (1935), à la guerre civile espagnole, ou à la politique de neutralité (1936). Par ailleurs, De Man n’est pas seul dans nombre de ses orientations : hostilité au capital financier visiblesµ également chez les communistes, y compris les insinuations antisémites ; la poursuite d’une alliance avec les classes moyennes, y compris dans le Front populaire ; etc.
En mars 1940, Henri De Man démissionne du gouvernement et retourne à l’état militaire avec le grade de commandant. Il prend la tête de l’œuvre « Pour nos soldats », créée par la reine Elisabeth. Il est en mai-juin, au moment de l’invasion nazie et de la capitulation, un des plus proches conseillers du roi Léopold III. La défaite belge puis française lui apparaît non seulement comme une défaite militaire, mais comme la défaite des démocraties parlementaires occidentales, impuissantes devant l’expression de la volonté et de la transformation révolutionnaire de la société que la victoire allemande permettrait d’envisager. Oublieux de son flamingantisme originel, il devient le soutien d’un nationalisme belge neutraliste, ne voyant un avenir que dans un État belge autoritaire dirigé par le roi dans une Europe unie, sous l’hégémonie allemande. De Man est un acteur très présent dans les débats qui suivent la défaite et tendent à imaginer l’existence d’un gouvernement royal belge. Il accompagne le roi lors de son retour à Bruxelles. Il est cité comme ministre d’un éventuel gouvernement sous l’autorité du roi Léopold III et participe aux tractations discrètes qui se poursuivent pendant plusieurs semaines. Mais la confirmation de la décision d’Hitler d’interdire toute forme d’autonomie politique, du roi en particulier, en Belgique occupée met fin à ces supputations (20 juillet 1940).
Entretemps, Henri De Man s’installe un bureau à l’Union nationale des mutualités socialistes, rue du Pépin à Bruxelles, et tente d’envisager la reparution du journal Le Peuple, refusée par les personnalités socialistes sollicitées (réunion du 18 juin 1940). Dans un manifeste daté du 28 juin publié dans la presse à Charleroi (pr. Hainaut, arr. Charleroi) le 3 juillet puis à Anvers, Gand et Bruxelles, sans attendre l’éventuelle autorisation formelle de la censure allemande, il met fin à l’existence du POB. Le manifeste appelle les militants à « entrer dans les cadres d’un mouvement de résurrection qui englobera toutes les forces vives de la nation, de sa jeunesse, de ses anciens combattants, dans un parti unique, celui du peuple belge, uni par sa fidélité à son roi et par sa volonté de réaliser la souveraineté du travail ». En revanche, il prône le maintien des organisations sociales. La manœuvre est immédiatement dénoncée par les socialistes qui ont gagné Londres, refusée par beaucoup de ceux restés au pays, ainsi que de ceux qui y reviennent après l’exode. Henri De Man, qui, dans son manifeste, appelle à maintenir les organisations sociales, socles du nouvel ordre social, ouvre la voie à ce qui devient le 22 novembre l’Union des travailleurs manuels et intellectuels (UTMI) qui réunit théoriquement les trois organisations syndicales nationales (socialiste, chrétienne et libérale) avec Arbeidsorde, d’origine nationaliste flamande. Mais, de fait, excepté certaines centrales plus sensibles à son aura, l’échec est patent. L’organisation est principalement flamande et chrétienne et est loin de réunir les effectifs d’avant-guerre. La résistance s’organise. Henri De Man devient la cible principale des clandestins socialistes et communistes. Les autorités allemandes ne sont pas plus enclines à concéder une quelconque autonomie au plan social, qu’au plan politique. L’organe qu’il crée, Le Travail (février 1941-février 1942), lui survit quelque peu, mais lui-même surveillé par la police allemande, totalement impuissant, quitte le pays pour la Haute-Savoie (La Clusaz) dès novembre 1941.
En mars 1941, Henri De Man fait paraître ses mémoires, réécrites ultérieurement, aux Éditions de la Toison d’or, créées par ses amis Didier, actifs germanophiles à Bruxelles dans les années 1930, sous le titre Après-coup. En août 1944, De Man se réfugie en Suisse où il obtient le statut de réfugié politique, protégé par le président du Parti socialiste suisse, Hans Oprecht, planiste de la première heure.
Le 12 septembre 1946, Henri De Man est condamné, par contumace, par un tribunal militaire, à vingt ans de prison, dix millions de dommages et intérêts et la dégradation pour avoir, « comme militaire, méchamment servi la politique ou les dessins de l’ennemi ». En appel, la peine est confirmée, mais l’amende réduite. En exil, De Man se consacre à l’écriture d’ultimes ouvrages, inutiles tentatives d’autojustification ainsi qu’à des monographies sur Jacques Cœur ou sur la pêche. Ses mémoires, Cavalier Seul, sont interdits en Belgique, la diffusion de ses publications est entravée. Après sa mort en 1953, le silence se fait autour de De Man et son travail est tombé dans l’obscurité. Ce n’est que dans les années 1970 que, à contre-courant et principalement dans un environnement intellectuel, Henri De Man retrouve une certaine attention. Il trouve la mort, avec sa troisième épouse, dans un accident de voiture à un passage à niveau en 1953.
Par Jan-Willem Stutje. Notice traduite du néerlandais par Joeri Puissant.
ŒUVRE : Das Genter Tuchgewerbe im Mittelalter, Thésis, Leipzig 1909 – AVEC DE BROUCKERE L., « Die Arbeiterbewegung in Belgien », dans Die Neue Zeit, n°9, Stuttgart, mars 1911 – Le mouvement ouvrier en Belgique, un aspect de la lutte des tendances socialistes, Traduction par R. Deprez, présentation de M. Szteinberg, Bruxelles, 1965 – Au pays du taylorisme, Bruxelles, 1919 – The remaking of a mind, a soldier’s thought on war and reconstruction, London, 1920 – Zur Psychologie der Sozialismus, Jena, 1926 – Traduction : Au-delà du marxisme, Bruxelles, 1927 – Der Kampf um die Arbeitsfreude, Iena, 1927 – Traduction : La joie au travail, Paris, 1930 – Le socialisme constructif, Paris, 1933 – Massen und Führer, Potsdam, 1931 – Traduction : Masses et chef, Bruxelles, 1937 – Die Sozialistisch Idee, Jena, 1933 – Traduction : L’idée socialiste suivie du Plan du Travail, Paris, 1935 – Corporatisme et Socialisme, Paris-Bruxelles, 1935 – Avec SPAAK P.-H., Pour un socialisme nouveau, Bruxelles, 1937 – Après-coup (mémoires), Bruxelles, 1941 – Cavalier seul. Quarante-cinq années de socialisme européen, Genève, 1948.
Une bibliographie assez complète se trouve dans : VAN MOLLE P., Le Parlement Belge 1894-1972, Anvers, 1972 – STEENHOUT W., H. De Man, een bibliographie, Antwerpen, 1977.
SOURCES :
Fonds d’archives : Beveren, Archives générales du royaume, fonds Henri De Man – Bruxelles, Institut Émile Vandervelde – Gand, Amsab, archives M. Brelaz – Amsterdam, International Institute of Social History (IISG), AMVC, Antwerpen.
Publications : DODGE P., Beyond marxism. The faith and works of Hendrik de Man, Den Haag, 1966 – GÉRARD-LIBOIS J., GOTOVITCH J., L’an 40, la Belgique occupée, Bruxelles, 1971 – CLAEYS-VAN HAEGENDOREN M., Hendrik De Man. Een biographie. Mens en Tijd, Antwerpen-Utrecht, 1972 – BRELAZ M., RENS I., « De Man, Henri », dans Biographie nationale, XXXVIII, supplément t. X (1), Bruxelles, 1973, col. 535-554 – BRELAZ M., RENS I. (dir.), Actes du colloque sur l’œuvre d’Henri de Man, Genève, Faculté de droit de l’Université de Genève,1974 – CLAEYS-VAN HAEGENDOREN M., HANCKÉ L., FRANTZEN P., BALTHAZAR H., Hendrik De Man. Persoon en ideeën, rééd. ,5 vol., Antwerpen, 1974-1975 – BRELAZ M., Henri de Man, une autre idée du socialisme, Genève, 1985 – MANFREDA P., « De collaboratie van Hendrik De Man. Een analyse van zijn politieke evolutie en van de factoren bepalend voor zijn gerechtelijke veroordeling », dans Brood & Rozen, vol. 16, n° 1, Gent, 2011, p. 33-51 – STUTJE J.W., Hendrik De Man. Een man met een plan, Kalmthout, 2018.