STEINDLING Vilma, née GEIRINGER Vilma

Par Chloé Maurel

Née le 4 août 1919 à Vienne (Autriche), morte le 2 septembre 1989 à Vienne ; modiste, assistante sociale ; militante des Jeunesses communistes d’Autriche (Kommunistischer Jugendverband, KJV) puis du Parti communiste d’Autriche (KPÖ) ; résistante en France (TA, Mädelarbeit) ; déportée.

Vilma Geiringer après sa Libération, en 1945. Portrait du site mémoriel Ravensbrueck.at.

Les parents de Wilma Geiringer, Leopold et Berta Geiringer, tous deux d’origine juive, vivaient à Vienne, dans un pays en proie à l’antisémitisme. Très pauvres, ils devaient déménager fréquemment, ne vivant que dans des logements très exigus, sans l’eau courante. Peu après la naissance de Vilma, son père, ouvrier journalier, contracta la tuberculose et dut cesser travailler. La famille dut déménager à nouveau, dans un logement encore plus petit, de 8 mètres carrés. Le 17 juillet 1923, son père mourut de la tuberculose.

La jeune Vilma fréquenta l’école maternelle (Kindergarten) des « Amis des enfants » (Kinderfreunde), une organisation social-démocrate pour les enfants des ouvriers. Elle fréquente ensuite l’école élémentaire. Alors qu’elle avait huit ans, sa mère tomba malade d’un cancer et fut hospitalisée. Vilma fut recueillie par l’orphelinat juif du XIXe arrondissement de Vienne. Le changement d’école fut un choc pour elle, car ce quartier était beaucoup plus bourgeois. « C’est là que j’ai compris qu’on n’est qu’un chien quand on est pauvre », déclara-t-elle plus tard. Elle fut bien traitée à l’orphelinat, fit de meilleurs repas que chez elle, fit même des sorties au théâtre et au cinéma, et les méthodes d’éducation y étaient progressistes, mais sa maison et sa mère lui manquèrent.

Après l’école élémentaire, en passant ensuite au collège (Hauptschule), elle fit l’expérience de l’antisémitisme, dans cette école qui ne comptait que 2 ou 3 élèves juifs par classe.

En 1933, sa mère Berta mourut de maladie et Vilma, âgée de 13 ans, se retrouva orpheline. Le seul membre de sa famille avec lequel elle était encore en contact était sa tante maternelle Fanny, une femme très simple. Alexander, un frère de sa mère, fut nommé tuteur légal, sans toutefois s’occuper d’elle, ni entretenir le moindre contact. Vilma voyait de temps en temps sans tante Fanny, cafetière à l’hôtel Imperial.

Dès l’adolescence, Vilma Geiringer développa une fibre sociale. À l’orphelinat, elle se porta volontaire pour s’occuper d’un enfant sourd-muet. Elle apprit la langue des signes et lui consacra beaucoup de temps, renonçant aux sorties au cinéma.

Après le collège, elle entreprit des études de trois ans pour devenir modiste, tout en souhaitant devenir infirmière, ce qu’elle ne put faire qu’à l’âge de 18 ans. Elle emménagea dans le foyer des apprenties juives, où elle côtoya beaucoup de jeunes filles venues d’Europe de l’Est pendant la Première guerre mondiale, pauvres, juives orthodoxes et parlent yiddish.

En 1932, Engelbert Dollfuß devint chancelier d’Autriche : il mit au pas le Parlement, et instaura une dictature catholique, l’austro-fascisme, proche de la dictature fasciste de Mussolini. Il proclama l’interdiction du Parti social-démocrate et la dissolution du KPÖ. Le 12 février 1934 eut lieu une « guerre civile » de trois jours ; Vilma Geiringer fut effrayée par les bruits des coups de feu.

En 1935, à 16 ans, révoltée contre les injustices et les inégalités, elle adhéra aux Jeunesses communistes clandestines (Kommunistischer Jugendverband, KJV) et commença à militer. Le KJV l’envoya dans un syndicat ouvrier chrétien, pour y convaincre les syndiqués d’adhérer au communisme. Mais, jeune et inexpérimentée, elle n’y parvint pas. Au KJV, elle aida à l’impression et à la distribution de tracts, prit part à des réunions avec les membres de sa cellule, pour envisager diverses actions clandestines contre le pouvoir fasciste, mais elle aspirait à servir plus directement le peuple. Elle rencontra alors son futur compagnon, Arthur « Adi » Kreindel, de trois ans son aîné.

En juillet 1937, elle dut quitter le foyer à cause de ses activités politiques. Sa tante Fanny vint la chercher et l’emmena vivre chez elle. Adi Kreindel, l’ami de Vilma, fut arrêté pour agitation communiste et, après avoir été relâché en 1937, émigra à Paris. La France, avec le gouvernement de Front populaire, étaient alors attirants pour les militants communistes de toute l’Europe. Vilma, menacée également du fait de ses activités politiques, envisagea de le rejoindre. Le 23 novembre 1937, après avoir fini son apprentissage de modiste, elle gagna Paris, quelques mois avant l’Anschluss. Mais elle n’obtint pas de permis de travail officiel et dut travailler au noir, acceptant tous les petits travaux qu’elle trouvait.

À Paris, les militants communistes autrichiens se retrouvaient et s’organisaient en groupe, notamment au sein du « Cercle culturel autrichien ». Ils discutaient beaucoup du problème du fascisme et voyaient dans l’URSS un modèle. En septembre 1939, à la déclaration de guerre de la France contre l’Allemagne, des hommes de ce groupe se portèrent volontaires pour aller combattre contre l’Allemagne. Vilma Geiringer souhaitait également contribuer à l’effort de guerre et chercha à travailler dans un atelier de munitions, mais elle n’y fut pas acceptée étant considérée comme « ex-autrichienne ».

Vilma Geiringer et Adi Kreindel n’arrivaient plus à payer le loyer de leur logement à Paris, Adi fut arrêté, et Vilma dut loger à l’hôtel. Ne pouvant payer sa chambre, elle se fit embaucher pour travailler dans l’hôtel où elle fut exploitée. Elle fut ensuite recueillie par une famille de sa connaissance, mais d’opinion monarchiste.

Au moment de l’exode, à l’été 1940, Vilma Geiringer et plusieurs de ses camarades partirent à pied vers le Sud. Ils arrivèrent à Montauban (Tarn-et-Garonne), puis à Toulouse (Haute-Garonne), où ils retrouvèrent des camarades autrichiens. Auprès de la mairie, Vilma obtint un billet pour Paris. En attendant le train à la gare de Toulouse, elle entendit l’annonce répétée au haut-parleur : « les étrangers, les juifs, et les nègres (sic) n’ont pas le droit de monter dans le train ». Lors du passage de la ligne de démarcation, des soldats allemands montèrent dans le train et cherchèrent des personnes parlant allemand. Elle ne se manifesta pas. Lorsqu’un officier visa ses papiers autrichiens et lui demanda pourquoi elle ne s’est pas manifestée, elle répondit sans peur qu’elle n’était pas interprète. Des panneaux indiquaient que les Juifs, les ex-Autrichiens et les Tchèques n’avaient pas le droit d’aller à Paris. Elle s’y rendit malgré tout, désireuse de poursuivre l’action à Paris, malgré les risques plus grands qu’en zone « libre ».

À Paris, elle vécut avec Adi, qui avait été relâché, dans un atelier d’une seule pièce, rue d’Enghien (Xe arr.). Dans le même passage couvert se trouvait la rédaction du Petit Parisien. Adi et Vilma accueillaient chez eux à l’occasion des camarades de clandestinité pour la nuit. Ils n’avaient qu’un lit et qu’une seule couverture et avaient froid l’hiver. En 1941, Franz Marek, qui dirigeait le Parti communiste autrichien en exil, accueillit officiellement Vilma dans le parti.

Suite à l’agression de l’URSS par l’Allemagne nazie le 22 juin 1941, Vilma Geiringer contribua à la Résistance en devenant agent de liaison et en participant au « Travail allemand » (TA), unité clandestine, au sein de la Main-d’œuvre immigrée, la MOI qui visait à saper le moral des soldats allemands à Paris. C’est une. Elle y fut active aux côtés de jeunes résistantes juives communistes, comme Irma Schwager et Irma Mico. Mais ces jeunes filles ne connaissaient pas plus d’une ou deux autres filles du groupe afin qu’elles ne puissent pas livrer les noms de leurs camarades en cas d’arrestation ou de torture.
Au sein du « TA », Vilma Geiringer se consacre au « Mädelarbeit » (« travail des filles ») : il s’agissait, pour ces jeunes résistantes, d’entrer en contact avec des soldats allemands, en agissant par groupe de deux filles. Beaucoup de soldats allemands, souvent très jeunes, étaient stationnés à Paris et dans sa banlieue. Il s’agissait de nouer conversation avec eux, de les faire prendre conscience de l’absurdité de la guerre et de les convaincre d’abandonner l’idéologie nazie, et d’entrer à leur tour en Résistance. Cela passait par des conversations et, si cette première étape fonctionnait, cela donnait lieu à la transmission de documents de propagande. La tâche était très risquée et dangereuse. Le travail mené par ces femmes, dans un milieu majoritairement composé d’hommes, est remarquable d’engagement et de courage. Cette tâche nécessitait beaucoup de force psychique. La résistante Irma Mico témoigna ultérièrement : « Je ne le regrette pas. (…) Le travail dans la Résistance a été la plus belle période de ma vie. Je suis fière de cette époque ».

Pour effectuer ce travail, Vilma Geiringer reçut des faux papiers au nom d’Annette Schmidt : tout d’abord une carte d’identité de Tchèque, puis d’Alsacienne. Ces papiers étaient confectionnés par le peintre autrichien Heinrich Sussmann, qui était lui aussi résistant à Paris. Vilma et Adi furent souvent sur le point d’être arrêtés, mais Vilma, fière de contribuer à la Résistance, n’avait pas conscience du danger. Irma Mico la décrivait ainsi : « Elle était tellement jeune, joyeuse et aimait tant la vie, lorsque j’ai fait sa connaissance en 1942 à Paris. Elle faisait son travail au TA avec enthousiasme et un dévouement sans limites. » De son côté, Adi Kreindel collecte des informations, et écoute la BBC et la radio russe. En 1942, ils apprirent par la BBC que les Juifs étaient gazés à l’Est mais peinaient encore à le croire.

Le 3 décembre 1942, Vilma Geiringer est la première femme de son groupe à être arrêtée, à Maison-Lafitte, alors qu’elle avait rendez-vous avec un soldat allemand. Le soldat arrive accompagné de deux Feldgendarmen qui l’emmenèrent au poste et constatèrent que sa carte d’alimentation était au nom de Vilma Geiringer, alors que sa carte d’identité était au nom d’Annette Schmidt. Le 5 décembre, elle fut incarcérée à la prison de Fresnes. Les policiers se rendirent à son domicile rue d’Enghien et l’interrogèrent, mais sans savoir quoi lui reprocher.

En détention, où elle resta jusqu’au 26 mai 1943, Vilma Geiringer fit la connaissance d’autres jeunes femmes. Le 26 mai 1943 elle fut transférée à Romainville, forteresse transformée par les nazis en prison depuis octobre 1940. Elle reçut le numéro 2505. Face à l’essor du nombre de détenus et à l’insuffisance de personnel de surveillance, les nazis les laissent s’auto-gérer. Les conditions de détention sont ainsi meilleures que dans les autres prisons et la solidarité se développe entre les prisonniers. Vilma fit ainsi la connaissance de la Roumaine Charlotte Gruia, avec qui elle noua une intime amitié. La mauvaise nourriture occasionna toutefois une révolte des détenus. Vilma Geiringer fut ensuite envoyée au dépôt de la Petite Roquette, à Paris, où les cellules sont exiguës et surpeuplées. Le 28 août 1943, elle fut transférée au camp d’internement de Drancy, où elle fut incarcérée dans des conditions d’hygiène lamentables, à 90 personnes dans une pièce.

Le 4 septembre 1943, elle arriva au camp d’Auschwitz. Sur la rampe de triage, elle voulut suivre son amie Ruschka, toutes deux s’étant promis de ne pas se séparer. Mais celle-ci fut placée parmi les personnes faibles, fatiguées, dans les camions et donc directement envoyées vers les chambres à gaz. Le docteur Joseph Mengele déclara alors à Vilma qu’elle était jeune et pouvait aller à pied et qu’il fallait laisser les femmes avec enfants aller dans les camions. Elle suivit son ordre. Elle ne revit plus Ruschka et apprit plus tard qu’elle avait été gazée. Elle fut tatouée, reçut le matricule 58337 et une étoile de David rouge et jaune, signifiant « juive » et « détenue politique ».

Au camp d’Auschwitz, elle connut l’horreur des travaux extrêmement durs, la famine, la terreur, les nombreux coups, les maladies, et l’effroi des sélections parmi les déportés. Elle noua immédiatement contact avec les groupes de Résistance communiste. Cette solidarité l’aida à tenir le coup. Elle garda le sens de la dignité et de la solidarité, même si au début, elle pensa qu’elle n’en sortirait pas vivante. Trois fois, elle se retrouva inscrite sur la liste de la « sélection » pour la chambre à gaz, mais elle en fut effacée, et donc sauvée, par son amie Mala Zimetbaum. Elle retrouva, avec stupeur, Adi à Auschwitz, arrivé par le dernier convoi de Drancy le 3 août 1944, à la veille du 25e anniversaire de Vilma. Elle lui expliqua, désillusionnée, qu’on ne les laisserait jamais sortir, afin qu’ils ne puissent pas témoigner.

Le 18 janvier 1945, débutèrent les « marches de la mort ». Vilma Geiringer et 35 000 à 40 000 déportés d’Auschwitz durent marcher dans la neige vers Gliwice (Gleiwitz) puis Wolzislaw (Loslau). Ils arrivèrent finalement à Ravensbrück, à 600 kilomètres d’Auschwitz. Vilma y passa une nuit sous une grande tente. Elle retrouva là plusieurs femmes de sa connaissance, qui l’aidèrent et la cachèrent pour qu’elle ne soit pas gazée. Elle voulait survivre, afin de témoigner des crimes nazis. En comparaison d’Auschwitz, les conditions de détention à Ravensbrück étaient cependnat meilleures.

En avril 1945, la Croix Rouge suédoise arriva à Ravensbrück pour libérer les Françaises. Vilma Geiringer ayant été déportée en tant que Française, elle fut libérée et dirigée vers la Suède où elle put se rétablir. Au bout de trois mois, les Suédois la rapatrièrent à Paris, en camion militaire. Elle espèrait y retrouver Adi. Le Parti Communiste lui annonce que celui-ci, également survivant d’Auschwitz et des marches de la mort, était retourné à Vienne. Elle entama alors un voyage semé d’embûches pour la capitale autrichienne, qu’elle retrouva en ruines, et où elle apprit qu’Adi Kreindel avait été en fait assassiné en mars 1945 à Dachau. Elle ne se remit jamais de ce choc. N’ayant pas d’argent pour repartir à Paris, elle resta à Vienne.

Sans toit, sans papiers et sans soutient du KPÖ, elle passa les premières nuits dans un parc en plein air. Une amie résistante, croisée par hasard, la logea d’abord chez elle et puis une autre amie qu’elle avait connue à Auschwitz la logea pour six mois chez elle. Finalement elle trouva un logement dans une copropriété en juillet 1946.

De 1946 à 1948, Vilma Geiringer fit des études pour devenir assistante sociale. Le 4 février 1947, elle se maria avec Adolf « Dolly » Steindling. Ils eurent deux filles, Elisabeth et Ruth.

La vie d’après-guerre fut très difficile, notamment en raison des problèmes financiers du couple. Dolly Steindling trouva finalement un emploi dans une entreprise chimique de l’administration soviétique de l’Autriche, et la famille put enfin emménager dans l’appartement d’un immeuble se trouvant également dans la zone d’occupation soviétique. Vilma Steindling milita très activement au Parti Communiste Autrichien (KPÖ) mais elle restait traumatisée par sa déportation à Auschwitz, et retrouvait souvent d’anciens déportés pour parler de leurs souvenirs du camp.

En 1966, alors que les conflits étaient fréquents au sein du couple, Dolly Steindling demanda le divorce. Vilma Steindling tomba alors dans une dépression profonde. En 1968, suite à la répression du Printemps de Prague par les chars soviétiques, elle quitta le parti communiste. Elle mourut en 1989, à l’âge de 70 ans, à Vienne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article244624, notice STEINDLING Vilma, née GEIRINGER Vilma par Chloé Maurel, version mise en ligne le 3 janvier 2022, dernière modification le 4 janvier 2022.

Par Chloé Maurel

Vilma Geiringer après sa Libération, en 1945. Portrait du site mémoriel Ravensbrueck.at.
Document d’identité de Vilma Steindling mentionnant ses actes de Résistance, 1957. Document extrait du site mémoriel Ravensbrueck.at

SOURCES : Ruth Steindling et Claudia Erdheim, Vilma Steindling, eine jüdische Kommunistin im Widerstand, Vienne, Amalthea, 2017, 223 p. — Vidéo de présentation du livre Vilma Steindling, eine jüdische Kommunistin im Widerstand, par Ruth Steindling et Claudia Erdheim, 2017, 1h22, en ligne

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