RENARD Alfred, Pierre [dit La Grosse-Tête] [Dictionnaire des anarchistes]

Né le 27 avril 1846 à Filain (Haute-Saône) ; menuisier ; anarchiste illégaliste parisien, bagnard évadé.

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Le 3 décembre 1878, le tribunal correctionnel de Paris condamnait Renard, à un mois de prison pour vagabondage, le 1er mars 1879 à 4 mois de prison pour rébellion, le 1er mars 1879 et le 13 juin 1879 à 4 mois de prison pour outrage et vagabondage.
La cour d’appel de Paris le condamnait le 12 novembre 1879 à 6 mois de prison pour vol.
Le 23 août 1880, le tribunal correctionnel de Paris lui infligeait 8 mois de prison pour vol.
Le tribunal correctionnel de Bruxelles, le 4 février 1884, le condamnait à 2 mois de prison pour rébellion et le 1er octobre 1885 à 2 mois de prison, pour rupture de ban et tentative de corruption.

Au mois d’avril 1889, le vice-amiral comte de Marquessac, rencontrait à l’angle de la rue de Sèze et de la rue Godot-de-Mauroi, une prostituée, du quartier de la Madeleine, Jeanne Dubois dite Pélissier. Il accepta ses offres. Nommé quelques mois après préfet maritime à Lorient, il échangea avec elle une correspondance. Mais il s’avéra que la prostituée ne savait ni lire ni écrire et que ses lettres étaient rédigées par son souteneur, un nommé Bruswick. Celui-ci organisa dès lors un chantage, menaçant de révéler la correspondance, en particulier une lettre où le vice-amiral qualifiait le ministre de la marine de « vieille bête ». L’officier se vit contraint de verser plus de 50.000 francs durant deux ans.
Renard apprit, on ne sait comment que le maître-chanteur avait trouvé une poule aux œufs d’or et décida d’en profiter.
Il partit pour Lorient, se faisant passer pour pour M. Geoffroy, attaché à la Sûreté, afin d’offrir à M. de Marquessac la restitution de ses lettres et l’arrestation des voleurs moyennant un versement de 10.000 francs, pour rendre service à la Préfecture. Le vice-amiral accepta et versa l’argent et le chantage continua.
Le 21 janvier 1893, les concierges qui gardaient l’hôtel du marquis de Panisse-Passis, avenue Marceau, en l’absence du marquis, en ce moment là à Nice, entendirent une voiture s’arrêter à la porte et presque aussitôt un coup de sonnette retentir. Quand le concierge vint ouvrir, il aperçut quatre hommes en redingote et en chapeau haut de forme (un cinquième fut introduit par la suite), en tête desquels se trouvait un homme arborant la rosette de chevalier de la légion d’honneur accompagné disait-il du Préfet de police. L’individu se présenta comme étant M. Clément, commissaire aux délégations judiciaires. Interloqué le concierge les fit entrer dans la loge. Le commissaire lui présenta un mandat : « Au nom de la loi, etc., ordre est donné à M. (illisible), commissaire aux délégations judiciaires, d’arrêter le marquis de Panisse-Passis, inculpé d’avoir touché de la Compagnie de Panama, un chèque de 200.000 francs, et son concierge, endosseur du chèque. »
Le commissaire déclara qu’il allait perquisitionner et qu’il possédait le talon du chèque qu’il avait touché et pour le compte du marquis et qu’il savait que la concierge avait perçu 30.000 francs de rétribution. Le couple de concierges subissant ensuite un véritable interrogatoire, durent signer leur déposition.
Durant ce laps de temps un des individus remplaçait le concierge à la loge, recevant même le courrier.
De 19 heures à minuit, les malfaiteurs se livrèrent au pillage de l’hôtel, sous prétexte de perquisition. Ils désencadrèrent les tableaux anciens, s’emparèrent d’une collection d’autographes. Ils forcèrent un placard de la chambre de madame Panisse, trouvèrent la clé du meuble renfermant le coffre-fort qui contenait les bijoux.
Ils avaient apporté tout un matériel de cambrioleurs et après deux heures de travail, ils ouvrirent ce coffre avec des instruments perfectionnés, inventés par Renard. Ils prirent une quantité considérable d’argenterie, de bijoux et de titres au porteur.
Comme ce travail leur avait donné chaud, le « commissaire » alla même à la cave et en remonta avec plusieurs bouteilles de vin qu’ils burent pour se désaltérer.
Ils emportèrent leur butin dans plusieurs malles chargées dans un fiacre et une tapissière.
Lorsque les voitures furent parties, celui qui se faisait appeler tantôt le Préfet de police ou « M. Lozé » fit amener les deux concierges dans la chambre de M. Panisse et les fit attacher sur deux chaises dos à dos.
Puis « M. Lozé » leur déclara que dans une heure on viendrait les chercher pour les conduire et Dépôt. Tout la bande prit la fuite et les concierges réussirent à se détacher et à 2 heures du matin appelèrent la police.
Le juge Atthalin fut chargé de l’instruction de l’affaire et les investigations confiées à M. Goron, chef de la Sûreté et à l’inspecteur Rossignol. Ce dernier reçut des informations d’un indicateur, mari de la patronne d’un établissement surnommé « La mère des Macques » qui lui signala Tajean dit Alleaume, comme ayant participé à l’affaire.
Le 6 février 1893, une bande de cambrioleurs, parmi eux Renard, s’introduisaient dans l’hôtel particulier de M. Colasson, rue Galilée, ils se jetèrent sur lui, le ligotèrent et le menaçant de leur armes lui demandèrent où était son argent. Terrifié, il leur indiqua un meuble contenant 17.000 francs.
Le 6 février 1893, le chef de la Sûreté mobilisa 80 agents, dès 5 heures du matin et le soir 24 arrestations étaient opérées, parmi eux des receleurs du vol.
La police trouva chez Alleaume des bijoux volés chez le marquis de Panisse-Passis. Il fit des aveux complets sur sa participation au vol mais refusa de désigner ses complices.
Le 25 février 1893, les agents de la Sûreté arrêtaient Paul Jalby dit Le gros Paul et Renard dans un débit de vins de l’avenue Hoche. On trouva sur eux des revolvers chargés, d’assez grosses sommes d’argent et des trousseaux de clés suspectes.
Confrontés à Alleaume, celui-ci considéra que puisqu’ils étaient arrêtés, il n’avait plus à se taire. Il reconnut que Renard avait joué le rôle du commissaire de police aux délégations judiciaires et que Paul Jalby était le pseudo Préfet de police.
La Sûreté réussissait à connaître la dernière adresse de Renard : il avait loué une chambre meublée rue Lafontaine, sous le nom de Bulet. La police y découvrit des des papiers du marquis de Panisse, des bijoux, de l’argenterie et de l’orfèvrerie, des tableaux volées chez le marquis. Dans le lit entre le sommier et le matelas 1.700 francs en or et deux obligations du Crédit foncier. Dans l’armoire à glace, toute une collection d’imprimés fabriqués par Renard : des papiers à entête de la Préfecture de police, de multiples cachets, des lettres de convocation de la Sûreté, des cartes de visites au nom de M. Atthalin, de Jaume, de Rossignol, agents de la Sûreté, etc.
On découvrit aussi une machine, de l’invention de Renard, pour ouvrir les coffres-forts. Sur un carnet se trouvait les noms et adresses de 200 personnes à dévaliser, avec pour chaque nom des observations utiles aux cambrioleurs : l’heure où l’on pouvait opérer en sécurité, celle où la personne s’absentait, son âge, son caractère, sa manière de vivre.
Enfin la police saisissait la lettre d’une femme : « Vous croyez donc que je suis bouchée à l’émeri, pour m’envoyer des bourdes pareilles : que vous êtes parti pour Bruxelles ? Vous avez donc peur, que vous vous sauvez, et que vos meubles vous ont suivi ? Si vous disiez le produit de tous vos vols et vos outils à ouvrir les coffres-forts, je comprendrais. Mais dire « vos meubles », quelle blague ! Une autre fois, vous direz « les pièces à conviction », car vous savez que je les ai vues. Vous les avez montrées, et ce que vous n’avez pas dit, Corti s’en est chargé. Si vous croyez que vous avez encore affaire à l’insensée que j’étais pour quelques jours. Comment voulez-vous que je les ai autrement vus que montrés par Jules Corti et sa maîtresse et par vous. Mais, il faut que je vous l’avoue : j’étais trop inconsciente, et vous savez, quand on a été trompée comme je l’ai été par Jules Corti, sa maîtresse et vous, ça fait ouvrir les yeux. Cependant, j’aurais dû être fixée sur son compte, car au mois de novembre 1892, pour aller vendre les titres volés et opposés, il n’a pas hésité à compromettre deux amies à Milan, et quand vous avez lu le Secolo, de Milan, vous vous tordiez parce qu’on le cherchait à Paris le 19 et qu’il était parti le 18, la veille. C’est comme quand Goron est allé à Londres lui-même parce que ses roussins sont tellement bouchés qu’ils ne cherchent jamais du bon côté ; mais je me charge de le mettre au courant. Vous étiez content qu’il fasse chou-blanc, vous vous foutiez de sa poire ; mais soyez certain qu’il ne faudrait pas grand chose pour le mettre sur vos traces. C’est comme pour les 17.000 francs de Milan. Il y a toujours le banquier et son garçon qui sont au ballon, et vous vous baladez au soleil. Et votre concierge de l’avenue Wagram, il est vraiment naïf de vous croire rentier, car s’il ouvrait les yeux, il verrait clair. Mais il a peut-être intérêt à ne rien voir, car toute la troupe qui arrive de Londres chez vous, que vous faites passer pour votre neveu, votre frère, ou un commerçant venant à Paris pour acheter un fonds, ce ne sont en réalité que des voleurs comme vous, qui êtes le chef, et que vous vous vantez qu’il y a vingt-cinq ans que vous faites le métier de cambrioleur. Comme logement, je vois bien que vous n’êtes pas embarrassé, car vous pouvez bien habiter celui du Bois de Boulogne où vous vous êtes fait passer pour un commerçant venant de Chartres et où vous avez fait passer Jules Corti pour peintre en bâtiments et que c’était pour faire la cour et pour prendre les empreintes de clefs à la bonne de la baronne et la dévaliser le jour opportun. Si elle ne l’a pas été, elle doit son salut au grabuge qu’il y a eu dans le ménage. Mais l’air du Bois de Boulogne vous est contraire. Vous pouvez encore habiter la rue Saint-Antoine, 151, que vous avez fait louer par la maîtresse à Jules Corti et payer d’avance, et que le motif était de dévaliser le bijoutier. Et vous vous cachez sous le masque de l’anarchie pour faire ces coups-là et tromper les compagnons et que c’est lâche de faire des révélations ; c’est sans doute vous qui êtes courageux d’agir comme vous le faites. Dans tous les cas, c’est vous qui l’aurez voulu, car je vous ai prévenu et, en général, un homme averti en vaut deux. Pour toute réplique, vous avez dit que vous agiriez avec des moyens énergiques, mais je ne vous crains pas ; je sais bien que vous avez des poisons chez vous, du chloroforme pour endormir... Vous avez eu la bêtise de me les montrer. Eh bien, si tous les anarchistes sont comme vous, je plains la société future. Vous dévalisez les bourgeois pour placer le produit de vos vols à la banque, en Angleterre, pour vous faire des rentes. Elle est belle, votre anarchie ! Vous êtes loin d’être un Duval et un Ravachol ; eux au moins, ce qu’ils faisaient, c’était pour la cause ; et vous voulez jouer au délicat ; ça vous va bien, je vous le conseille. Maintenant, je veux mes affaires et que tout soit fini ; ça me répugne de faire des révélations. Cependant, si vous me forcez, je n’hésiterai pas et je vous assure que je le ferai au complet. Tant pis, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Si, toutefois, vous n’avez pas mes draps, envoyez-moi vingt francs, et, pour la lettre de mon mari, rapportez-la chez la concierge, car rien au monde ne peut la remplacer. C’est un souvenir et j’y tiens, je vous le répète ; je préférerais plutôt vous faire faire vingt ans de bagne que de vous la laisser. Maintenant, inutile de pleurer misère. Je sais que vous ne manquez pas, d’après les vols que vous venez de faire et, en plus des lingots d’or, que vous avez des bijoux que vous fondez, et les brillants que vous retirez, et vous n’avez pas mangé les 40.000 francs du vol du mois de décembre avec M... et P... Je ne vous donne pas les adresses, car je crois que c’est inutile... Maintenant, inutile de m’écrire, vous êtes comme le serpent. Vous avez le miel sur les lèvres et le venin dans le cœur. Il fait semblant de dormir et il pince le premier qui s’approche.
Signé : Octavie. Lyon, le 16 février 1893. »
Quelle était cette Octavie ? , la police chercha à le savoir, en vain et Renard refusa d’en dire plus.
Le 24 mars 1893, M. Goron tenta de vérifier en Italie, les informations données par la lettre à propos de Milan. Il apparut que le 10 novembre 1892, une nommée Marie Ritter, maîtresse de Jules Corti avait voulu vendre des titres, pour une valeur de 8.000 francs mais le changeur n’avait accepté que de lui payer 4.000 francs et demanda à se renseigner sur le cour de ces titres avant de régler le reste. Marie Ritter ne revint jamais chercher le solde.
L’arrestation de Renard et Jably permit de découvrir qu’ils avaient pris part à plusieurs autres vols : chez Mme Dinah Félix, une artiste habitant rue de Basse-du-Rempart. C’étaient eux qui, se disant commissaire de police et agent de la Sûreté s’étaient introduits à Rueil où ils avaient emporté 20.000 francs d’argent et de bijoux. Ils étaient les auteurs de vols à Saint-Quentin, à Laon, etc.
Renard avoua à M. Goron : « J’ai été un des grands négociateurs des principaux vols commis par les anarchistes, mais je n’ai pas envie de me faire tuer ! Sans cela, je vous dirais tout ! Vous ne pouvez vous imaginer à quel point cela vous amuserait aussi ! Mais je ne puis, je tiens à ma peau ! »
Il lui déclara également : « Voyez-vous, monsieur Goron, ce qui m’a perdu, c’est de travailler à plusieurs ! Ah ! J’en ai fait d’autres affaires, que vous ne savez pas et que vous ne saurez jamais, parce que je ne le dirai pas, mais j’étais seul ! Cette fois, ce qui m’a fait prendre, c’est d’avoir des complices. »
Lors de l’instruction de l’affaire, Renard déclara à Goron : « Si le jury et la Cour ne sont pas impitoyables ; si l’on ne m’envoie à la Nouvelle que pour dix ans, je resterai, estimant que ce que j’avais fait vaut cela. Mais si on me colle vingt ans, je m’évaderai. »
Le 5 août 1893, la cour d’appel de Paris le condamnait à 5 ans de prison pour escroquerie, dans l’affaire du vice-amiral de Marquessac.
Le 14 octobre 1893, la cour d’assises de la Seine le condamnait à 20 ans de travaux forcés et 20 ans d’interdiction de séjour, pour le vol du marquis de Panisse-Passis. Ses complices Tajean, dit Anatole Alleaume, Jalby dit Paul le cocher furent également condamnés à 20 ans de travaux forcés, les 6 autres complices et receleurs à des peines de réclusion et et de prison.
Le 2 novembre 1893, l’indicateur Z n°6 de Londres signalait que Corti lui avait fait demander le Figaro du 14 octobre où il était publiée la lettre d’Amélie qui l’intéressait.
Le 27 mars 1894, Z n°6 écrivait : « Confidence de Corti : il y a 6 mois, une femme Amélie est venue à Londres avec Renard, condamné maintenant. Elle voulait absolument partir avec Chiericotti, Corti et Renard.
Corti refusa mais Chiericotti l’emmena, ces deux derniers sont fâchés.
Chiericotti était ami intime de Dorzani, cordonnier et Amélie la maîtresse de ce dernier ou tout au moins une amie très intime.
On a dû lire la lettre publiée par le Figaro lors du procès Renard, c’est Amélie qui l’adressait à Corti. »
Le 15 juin 1894, Renard comparaissait à nouveau en cours d’assises, cette fois pour le vol de M. Colasson du 6 février 1893. Il était condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Il était embarqué le 20 décembre 1894 sur le bateau « la Ville de Saint-Nazaire ». Au bagne son numéro de matricule était le 26.788. Il y travaillait comme effilocheur.
Il s’évada le 3 juin 1897.
Des débats en cours d’assises d’octobre 1893, il était apparu que Renard s’était crée une double identité afin de pouvoir diviser son casier judiciaire trop chargé. Lors de l’audience, il fut reconnu par plusieurs témoins, comme étant Adolphe Renard, ancien marin déserteur, ancien menuisier en pianos, au casier judiciaire chargé. Il paraît à peu près certain que Renard se soit fait condamner dans les affaires évoquées sous l’identité d’un frère Alfred, Pierre, Joseph, né le 27 avril 1846, mais décédé le 29 septembre 1846, à l’âge de 5 mois.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article244797, notice RENARD Alfred, Pierre [dit La Grosse-Tête] [Dictionnaire des anarchistes], version mise en ligne le 10 janvier 2022, dernière modification le 10 janvier 2022.
Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Fiche photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

SOURCES :
Archives nationales d’Outre-mer COL H 1321 et 3938 — Les Mémoires de M. Goron, ancien chef de la Sûreté. Flamarion, 1897 — Mémoires de Rossignol, ex-inspecteur principal de la Sûreté. Mareuil Editions, 2017 — Archives de la Préfecture de police Ba 1503, 1508, 1509 — Le Progrès de la Somme 13 octobre 1893.

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