JEAN Marthe née GUÉRIN Marthe, Solange

Par Pierre Cardon

Née le 8 août 1910 à Hardricourt (Seine-et-Oise, Yvelines), morte le 18 mars 2003 à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) ; femme de chambre puis tourneuse en mécanique ; résistante ; adhérente au Parti communiste en 1944.

Portrait par Valérie Jean, dite « Zad », épouse de son petit fils Didier Jean.

Fille de tâcheron à la campagne, Marthe Guérin était issue d’une famille de dix enfants, dont deux frères cadets Roger Guérin et Maurice Guérin furent militants communistes. En 1933, Marthe Guérin travaillait comme femme de chambre et était domiciliée à Courbevoie (Seine, Hauts-de-Seine) au 9, rue Ambroise Thomas. Elle fut ensuite ouvrière sur un tour à l’usine de mécanique Martini, à Courbevoie. Le 7 janvier 1933, à la mairie du XVIIe arrondissement, elle épousa Roger Jean, ajusteur-fraiseur à la STCRP âgé de 24 ans.

En 1936, la famille Jean habitait au 79, rue Henri Barbusse à Clichy-la-Garenne. Selon le témoignage de Roger Guérin, son frère. Marthe Jean était alors sans travail et s’occupait de son fil de deux ans, Philippe. Le frère cadet de Roger Jean, Robert Jean, né en 1920, habitait avec eux depuis la mort de sa mère, le père ayant disparu deux années auparavant.

Pendant l’Occupation, Marthe Jean s’engagea dans l’action clandestine. Elle témoignait : « Roger Guérin, mon frère, et sa femme Rose Guérin, qui étaient déjà dans la clandestinité, avaient installé une ronéo chez moi. Ils m’avaient dit : " Marthe, comme tu es toute la journée à l’usine, Rose sera au calme pour taper les stencils dans ta chambre. Avec le matelas, ça ne fera pas de bruit ". Je rentre du travail un vendredi, soir et je les trouve qui redescendaient la machine. Avec Roger, il y avait Focardi, celui qui plus tard allait faire sauter les pylônes de Sainte-Assise, et Jean Baillet d’Argenteuil. Le 19 ou le 20 juillet 1940, mon frère me dit : " Maintenant, Marthe, tu ne bouges pas de là parce qu’on va t’amener un nourrisson.“ » Le « nourrisson » à qui son frère avait déjà procuré une planque à Courvevoie en juin-juillet, était Gabriel Péri.

Entre juillet et octobre 1940, Marthe Jean hébergea le journaliste et député communiste, condamné par contumace à cinq ans de prison en mars-avril 1940, « Je lui faisais des grands signes à la fenêtre lorsque je partais au travail le matin, pour l’édification des voisins. Personne ne devait se douter que c’était Péri » (témoignage oral recueilli par Pierre Cardon). « Juliette [Fajon] me donnait quelques tickets, un peu de sucre, un morceau de beurre, quelques pommes de terre. Avant de partir au travail, je lui préparais son repas. À midi, il le faisait réchauffer et lavait ensuite la vaisselle. Le soir, je retrouvais tout était propre et rangé. Il écrivait tout le temps. " Marthe, demain il faudra aller voir Juliette ", me disait-il. Il s’agissait d’un article pour l’Humanité clandestine, le texte d’un tract, que toute une chaîne résistante se chargeait de diffuser, malgré les périls. » Ils parlaient : « Il faut lire, Marthe. Il faut lire l’histoire de France. Il faut se rappeler ce que notre peuple a déjà souffert pour mieux le comprendre aujourd’hui. » « Une autre fois, il m’a dit, et ça m’a impressionnée : "Notre époque est belle à vivre, car beaucoup d’événements vont s’y produire. Nous sommes en train d’écrire l’histoire" ». Gabriel Péri quitta la planque de Marthe en octobre 1940. Roger Jean revint de zone libre après sa démobilisation.

Le 6 juillet 1941 ou le 3 août 1941 selon les sources, Marthe Jean participa avec son mari Roger Jean au Marché de Puteaux, à une prise de parole et distribution de tracts à la volée, vraisemblablement organisée par son frère qui était responsable pour Courbevoie et la région, où il était particulièrement chargé de l’organisation des comités populaires. Avec un camarade de Puteaux (Seine, Hauts-de-Seine), elle faisait le guet pendant que Roger Jean distribuait des tracts sur le marché. Lorsque les agents arrivèrent, elle les interpela vivement pour permettre à son mari de s’enfuir. Une dizaine de personnes empêchèrent la police municipale d’arrêter l’orateur, mais celle-ci opéra néanmoins trois arrestations dont [Jules d’Haese de Puteaux, qui fut déporté à Auschwitz. D’après le témoignage de Madame Marie-Louise Pairière (veuve de Lucien Pairière, déporté à Auschwitz) qui était présente : « une femme est aux prises avec un agent municipal ». Il s’agit bien de Marthe Jean : « il me tenait par le bras, mais je lui ai tordu violemment un doigt vers l’arrière et j’ai pu me sauver. J’avais appris cette prise aux auberges de la jeunesse » (témoignage recueilli par Pierre Cardon).

Marthe Jean, avec ses deux enfants, organisa la solidarité envers tous les membres de sa famille qui furent arrêtés par la police française : Roger Jean, Roger Guérin, Rose Guérin, Maurice Guérin, René Guérin, Raymond Guérin. Elle fut aidée par sa sœur Eugénie (Nini) et son fils Bernard, pour maintenir la liaison familiale, garder les enfants, trouver de la nourriture pour les colis. « On peut dire que nous connaissons bien les halls des prisons » témoignait son fils, Philippe Jean.

Lorsque Roger Jean fut arrêté, Marthe Jean et ses enfants étaient planqués en banlieue parisienne à Saint-Prix (Seine-et-Oise, Val-d’Oise). Lorsque, après avoir attendu Roger, Marthe décida : « on rentre à Clichy », elle y trouva la police française qui occupait le logement de la rue Henri Barbusse : « Les salauds, ils bouffent nos haricots ». Son fils indiquait : « Longtemps, nous nous sommes demandés pourquoi elle n’avait pas été arrêtée comme les autres. Les deux enfants, dont Dominique, un nourrisson ? Mais l’existence possible d’une souricière montée par la police en furent les raisons les plus évoquées ».

Après cette période, Marthe Jean rencontrait sa belle-sœur Rose Guérin, agent de liaison du groupe Valmy, sur « les fortifs » de Clichy. Elles étaient cachées, avec les deux enfants de Marthe contre le mur du cimetière de la porte Clichy. « Un jour Rose se leva et dit « çà fait deux fois qu’il fait des gestes avec ses deux bras celui-là, c’est un flic ». Rapidement elle rejoint le métro. Ce fut la dernière fois que je la verrais, avant son retour des camps ».

Après la guerre, Marthe et Roger Jean habitèrent au 79, rue Henri Barbusse, puis au 10, boulevard Jean Jaurès et ensuite au 144, rue Martre : un immeuble dévolu avant guerre aux Anciens combattants de 1914-1918, où furent également logés Adèle et Jean Mercier résistant, maire de Clichy à la Libération et conseiller général de la Seine, ainsi que sa belle-sœur Rose Guérin (déportée, députée de la Seine).

Marthe Jean reprit son travail en usine. Son engagement fut total. En mai 1952, elle fit deux mois de prison pour tentative de distribution de tracts devant les usines Hoover à Saint-Ouen, au moment de la venue du général américain Ridgway en France. Elle milita à l’UFF (Union des femmes françaises). Longtemps elle fut la mémoire et le soutien de toute sa famille.

Après sa retraite, elle milita avec Roger Jean son époux, à la cellule « Maurice Thorez » de la section de Clichy. 

Marthe Jean est décédée le 18 mars 2003 à Clichy. L’éloge funèbre fut prononcé par son frère Roger Guérin, au cimetière sud de Clichy, en présence d’une foule nombreuse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article245098, notice JEAN Marthe née GUÉRIN Marthe, Solange par Pierre Cardon, version mise en ligne le 24 janvier 2022, dernière modification le 24 janvier 2022.

Par Pierre Cardon

Portrait par Valérie Jean, dite « Zad », épouse de son petit fils Didier Jean.

SOURCES : Archives familiales, notamment attestation de Roger Mugnier (4 février 1958), liquidateur du Front national. — Brochure d’hommage à Marthe Jean par la section PCF de Clichy, s.d. (2003). — Marguerite Cardon, « Trois mois de planque avec Gabriel Péri », l’Humanité, 6 novembre 2003. — Renseignements fournis par son fils Philippe Jean. — Témoignage recueilli par Marguerite Cardon, 15 décembre 1981. — Souvenirs de Pierre Cardon, ancien premier secrétaire de la section de Clichy du PCF.

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