DUMONT Eugénie. Pseudonyme : Eugène Monti.

Par Martin Georges

Liège (pr. et arr. Liège), 13 juillet 1830 – Liège, 12 février 1907. Écrivaine, chroniqueuse musicale, collaboratrice de recherche au Conservatoire de Liège, traductrice, socialiste, militante de la libre-pensée, membre individuelle de la Fédération internationale de la libre-pensée.

Eugénie Dumont est membre d’une illustre famille de la région liégeoise comptant dans ses rangs le géologue et recteur de l’Université de Liège, André Hubert Dumont, et son fils, André Dumont, professeur et ingénieur des mines. Mélomane, elle étudie le chant au Conservatoire de Liège, s’inscrivant dans les pas du notaire Barthélemy Étienne Dumont (Liège, 12 décembre 1756 - 23 mai 1841), compositeur d’opéras en wallon et ami d’André Gretry. Par la suite, elle collabore aux recherches menées par le professeur du Conservatoire, Léonard Terry, sur la musique ancienne en Pays de Liège. Elle publie également des chroniques dans plusieurs revues artistiques et musicales, comme le Guide Musical, édité à Bruxelles, principale revue musicale belge, et le Niederrheinische Musik Zeitung de Cologne.

Outre ces activités artistiques, Eugénie Dumont s’engage en faveur de la libre-pensée et du socialisme. Dans ce cadre, son apport principal est lié à sa connaissance des langues étrangères qui lui permet de rendre compte d’activités militantes au-delà des frontières et d’effectuer la traduction de textes en français. Vraisemblablement important, l’engagement d’Eugénie Dumont est cependant voilé par sa volonté d’anonymat. Vouloir retracer son activité intellectuelle et éditoriale revient donc à rassembler un faisceau d’indices permettant de reconstituer les linéaments d’une œuvre volontiers « invisibilisée ». Ainsi, durant la décennie 1870, la « socialiste liégeoise » – ainsi que César De Paepe* la présente à Benoit Malon* –, traduit en français l’œuvre de Ferdinand Lasalle, Herr Bastiat-Schulze von Delitzsch, der ökonomische Julian, oder : Capital und Arbeit (1864). Cette traduction est publiée en 1881, l’année suivant celle de Malon. Plutôt qu’un parfait anonymat, Eugénie Dumont choisit finalement, sur l’insistance de César de Paepe, de signer d’un pseudonyme, « Eugène Monti ». Ni la traduction, ni la publication, ni la vente du livre ne s’avèrent choses aisées. En sus des problématiques inhérentes à toute entreprise éditoriale, Eugénie Dumont possède apparemment une santé fragile, sur laquelle – de son propre aveu – elle aime à s’épancher dans ses lettres au couple De Paepe, auquel elle rend régulièrement visite. D’un tempérament peu modéré, les lettres maussades, excessives, enjouées, envoyées par Eugénie durant une décennie, semblent exprimer un caractère lunatique, qui pourrait s’apparenter à un « trouble de la personnalité-limite ».

Le 1er février 1880, paraît le premier numéro du Drapeau rouge, « Organe de la ligue collectiviste-anarchiste ». Sans compter les similarités dans le style d’écriture, un document nous permet d’attribuer à Eugénie Dumont les articles anonymes portant sur l’Allemagne et la Russie, parus dans l’importante rubrique « Mouvement socialiste international » du journal. La réunion pour le lancement a lieu le 19 janvier 1880 à Bruxelles. Selon le rapport de police, Laurent Verrycken y annonce qu’Eugénie Dumont s’engage à traduire des articles de journaux portugais, allemands et russes pour le futur organe de presse. Le journal ne connaîtra cependant qu’une existence de deux mois.

En 1881, Eugénie Dumont, qui vient de publier sa traduction de Bastiat Schulze de Delitzsch, envisage de nouveaux travaux. Cette fois, la « Lasalienne belge », comme il lui arrive de se qualifier elle-même, souhaite traduire les lettres de Lasalle à Rodbertus. En parallèle, elle aide son neveu, le Docteur François Henrijean (1860-1932) – assistant à l’Université de Liège –, à traduire un ouvrage de microbiologie du Professeur Carl Flügge, médecin hygiéniste, dont il fut l’élève au laboratoire de Göttingen (Basse-Saxe, Allemagne). La traduction de l’ouvrage parait effectivement en français en 1887, sous le titre : Les microorganismes étudiés spécialement au point de vue de l’étiologie des maladies infectieuses, Bruxelles, Manceaux, 1887 [édition originale : Die Mikroorganismen : mit besonderer Berücksichtigung der Ätiologie der Infektionskrankheiten, Leipzig 1886]. À nouveau, le nom d’Eugénie n’est pas mentionné.

L’implication d’Eugénie Dumont dans la libre-pensée se remarque notamment lors du Conseil régional fédéral des groupes rationalistes, aux Tanneurs, le 14 janvier 1880. L’orateur insiste sur l’importance « qu’on envoie une femme » au futur congrès, et propose donc Eugénie Dumont en tant qu’oratrice. En 1885, à l’occasion du Congrès d’Anvers (Antwerpen, pr. et arr. Anvers) des 20-24 septembre 1885, Eugénie Dumont adhère, de façon individuelle, à la Fédération internationale de la libre pensée. Selon la correspondance avec César De Paepe, Eugénie Dumont aurait également collaboré à l’Almanach de la société "Les libres-penseurs de Liège" – une société pour laquelle elle transmet des communications au socialiste bruxellois – et à d’autres revues et activités rationalistes. Citons, pour exemple, la traduction en français de la constitution des libres-penseurs de Milwaukee [Verfassung der freien Gemeinde von Milwaukee (1888)].

Celle que l’on nommera toujours « Mlle Eugénie Dumont » ne se marie pas. Elle finit ses jours dans sa ville natale, au numéro 180 de la rue Saint-Laurent, et meurt le 12 février 1907 à l’âge de 76 ans, célibataire et sans profession déclarée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article245130, notice DUMONT Eugénie. Pseudonyme : Eugène Monti. par Martin Georges, version mise en ligne le 25 janvier 2022, dernière modification le 10 avril 2022.

Par Martin Georges

Œuvre identifiée avec certitude : Lasalle Ferdinand , Monsieur Bastiat Schulze de Delitzsch ou Capital et travail, trad. fr. Eugène Monti [Eugénie Dumont], préface et biographie de Lasalle par César De Paepe, Henry Kistemaeckers, Bruxelles, 1881 – Articles parus dans Le Guide Musical et le Niederrheinische Musik-Zeitung.
Œuvre présumée : Articles anonymes sur la Russie et l’Allemagne, le Drapeau rouge, « Organe de la ligue collectiviste-anarchiste », février-mars 1880 – En tant que traductrice : FLÜGGE Carl, t, Les microorganismes étudiés spécialement au point de vue de l’étiologie des maladies infectieuses, trad. fr François Henrijean. Bruxelles, Manceaux, 1887 – Articles parus dans l’Almanach de la Société « Les libres-penseurs de Liège »Constitution des libres-penseurs de Milwaukee [Verfassung der freien Gemeinde von Milwaukee (édition en langue allemande : 1888)].

SOURCES : Correspondance d’Eugénie Dumont à César De Paepe (1875-1886), conservée aux Archives internationales d’histoire sociale d’Amsterdam (IISG) : César De Paepe Papers- ARCH00450 – 104 – WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging ten tijde van de 1e Internationale (1866-1880), deel III, Leuven-Paris, 1971, p. 1455 et 1459 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 60) – Lettre de César De Paepe à Benoit Malon, 6 novembre 1877, reprise dans La revue socialiste, t. LVIII, juillet-décembre 1913, p. 84 – Lettre de César De Paepe à Benoit Malon, 16 juillet 1879, reprise dans DANDOIS B., Entre Marx et Bakounine, César De Paepe, Paris, Maspero, 1974, p. 143 – DE PAEPE C., « Le mouvement international de la libre-pensée », La société nouvelle, 2e année, t. II, 1886, p. 432 – Congrès international des libres penseurs. Anvers 1885. Compte rendu officiel du Congrès tenu du 20 au 24 septembre 1885, Bruxelles, D. Brismée, 1887 - La Meuse, 13 février 1907 et 25 février 1907 – « Nécrologie », Le Guide Musical, vol. LIII, 1907, p. 138 – DANDOIS B., Entre Marx et Bakounine, César De Paepe, Paris, Maspero, 1974, p. 44, 125, 138, 143, 155.

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