LONGUET Jean [LONGUET Frédéric, Jean, Laurent]

Par Gilles Candar

Né le 10 mai 1876 à Londres, mort le 11 septembre 1938 à Aix-les-Bains ; petit-fils de Karl Marx ; avocat et journaliste ; dirigeant socialiste ; député de la Seine ; maire socialiste de Châtenay-Malabry (Seine).

Hubert-Rouger (dir.), Encyclopédie socialiste, op. cit.

Son père, Charles Longuet (1839-1903 — voir sa biographie) épousa Jenny Marx le 9 octobre 1872 à Londres (Saint-Pancras). Jean, appelé couramment Johnny, était l’aîné des enfants survivants. Les autres enfants de Jenny et Charles Longuet furent Edgar Longuet (1879-1950), Marcel (1881-1949), qui fit une carrière de journaliste, et Jenny (1882-1952), professeure de piano.

L’amnistie permit à Charles Longuet de rentrer en France en novembre 1880. Jenny et ses enfants le rejoignirent en avril 1881 à Argenteuil, où Jenny mourut d’un cancer en janvier 1883. Jean continua ses études à Paris (lycée Condorcet) puis à Caen (lycée Malherbe) où il passa en 1895 son baccalauréat. Il fut souvent reçu à Londres par sa tante “Tussy”, Eleanor Marx (1856-1898), la compagne d’Edward Aveling, plus affectionnée semble-t-il que son autre tante, Laura (1845-1911), l’épouse de Paul Lafargue marquée par la mort de ses propres enfants.

Ces origines familiales devaient naturellement peser sur toute la vie de Jean Longuet : petit-fils de Karl Marx, politiquement éduqué par la correspondance de sa tante Eleanor, il fréquenta dès son plus jeune âge le “gotha” du socialisme international comme Bernstein, l’exécuteur testamentaire d’Engels, et surtout Kautsky, l’éminent théoricien considéré comme le “pape de la Seconde Internationale”. Parfaitement bilingue, pratiquant l’allemand et l’italien, intéressé par les problèmes internationaux, ce qui n’était pas très répandu alors parmi les militants français, Longuet joua ainsi, dès les premières années de sa vie politique, pour le moins un rôle charnière, de relais d’informations. Mais l’héritage avait aussi son autre face ; Longuet parlait lui-même du “lourd et pénible honneur” d’être le petit-fils de Karl Marx et le prestige de son ascendance pouvait provoquer une certaine inhibition. Il rechercha le plus souvent les responsabilités modestes, effacées, utiles, mais discrètes. Il devait aussi subir les attaques — l’Action française le traita de “quart-de-boche” pendant la Première Guerre mondiale — et les remarques acides, comme celle de l’universitaire socialiste Charles Andler qui écrivait : « Le petit Longuet considère Marx comme un capital qu’il faut se transmettre et que les descendants de Marx ont à gérer. »

Longuet fit ses premières armes militantes dans l’Ouest où il avait fait ses études. Il fonda en classe de philosophie un groupe collectiviste au lycée de Caen (1894) et participa à la presse socialiste locale, à la parution intermittente : le Socialiste de l’Ouest (1895), l’Ouest socialiste (1897) et au soutien de la grève des ouvriers tisserands de Condé-sur-Noireau (1897). Reçu bachelier, il s’inscrivit aux facultés de droit et de lettres de Paris et milita activement dans le milieu étudiant, sans oublier les quartiers environnants (Ve et XIIIe arr.). Il occupait en général des responsabilités organisationnelles : il fut ainsi le bibliothécaire de la Ligue démocratique des écoles et des Étudiants collectivistes, mais les rapports de police le dépeignent comme l’animateur de ces groupes. Il était membre du Parti ouvrier français, comme son oncle Paul Lafargue, alors que son père se situait dans la tradition du “socialisme indépendant”. Cela dit, il manifesta une indépendance d’esprit certaine en participant dès juin 1897 à la Petite République que dirigeait Léon Gérault-Richard alors que les guesdistes s’en tenaient à l’écart. Avec ses amis du groupe des étudiants collectivistes, il réclama au congrès de Montluçon du POF l’élection de la direction au scrutin secret et s’en prit au “caporalisme” et à l’organisation “aussi défectueuse qu’autoritaire” du parti, ce qui lui valut d’être taxé “d’esprit anarchiste”. La rupture avec le guesdisme fut provoquée par l’affaire Dreyfus : Longuet soutenait la vigoureuse campagne de Jean Jaurès pour la révision et regrettait la timidité du comportement de son parti. En novembre 1898, il choisit l’autonomie avec son groupe des étudiants collectivistes et organisa même une Fédération autonome de Basse-Normandie qui se situa dans le vaste et diffus courant qui se réclamait peu ou prou de Jean Jaurès.

Longuet participa aux différents congrès qui marquèrent la première tentative d’unification des organisations socialistes. À la salle Japy (décembre 1899), il vota dans le même sens que Jean Jaurès. Salle Wagram (septembre 1900), il participa à la commission chargée de la réception des propositions pour le compte de la Fédération socialiste révolutionnaire, nouvelle appellation du regroupement des indépendants, c’est-à-dire de ce qui était généralement considéré comme l’aile modérée et réformiste du socialisme français et qu’animaient au congrès Aristide Briand, Léon Gérault-Richard, Gustave Rouanet et Hubert Lagardelle. Le congrès de la salle Wagram fut marqué par le départ groupé des guesdistes et donc l’échec de cette première tentative d’unification. Longuet demeura aux côtés de Jean Jaurès mais en exprimant de plus en plus ses réserves à l’égard de la politique de participation ministérielle à un gouvernement bourgeois que mettait en œuvre Alexandre Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau et que défendait Jean Jaurès. C’est ainsi qu’au congrès de Lyon (1901), Longuet s’opposa, non sans émotion – il ne put retenir ses larmes – à Jaurès et tenta, en vain, d’empêcher le départ du Parti socialiste révolutionnaire de Édouard Vaillant en demandant au congrès une nette prise de distance à l’encontre de la politique menée par Alexandre Millerand.

Désormais allaient s’opposer le Parti socialiste de France de Jules Guesde et Édouard Vaillant et le Parti socialiste français de Jean Jaurès, Aristide Briand, René Viviani et Gustave Rouanet. Longuet, qui était passé du “guesdisme” au “jauressisme”, ne se résolvait pas à cette division, et, leader avec Pierre Renaudel de l’aile gauche du PSF, il ne cessa de chercher les voies d’un rapprochement et d’une fusion des deux partis. Au sein du PSF, il se battait contre Alexandre Millerand (congrès de Bordeaux, 1903) et pour le contrôle du parti sur ses élus (congrès de Saint-Étienne, 1904 et de Rouen, 1905). Il essayait en même temps de persuader Kautsky et les leaders internationaux de la sincérité socialiste de Jean Jaurès et de la nécessité de le conserver dans le mouvement socialiste organisé. Au congrès de l’Internationale, à Amsterdam (1904) où s’affrontèrent si vivement Jules Guesde et Jaurès, il s’associa avec Pierre Renaudel aux efforts de plusieurs leaders, Vandervelde notamment, pour qu’aucune condamnation irréparable ne fût prononcée et pour dégager la possibilité d’une réconciliation, à condition qu’elle se fasse sur des bases suffisantes : reconnaissance du rôle de la classe ouvrière, contrôle du parti sur les élus, intégration du parti à la discipline d’ensemble de l’Internationale.
“La part très appréciable” de Longuet dans la réalisation de l’unité, pour reprendre une opinion de Léon Blum, trouva sa manifestation symbolique dans le fait qu’au sein de la commission d’unification, ce fut Jean Longuet qui proposa l’essentiel du titre du nouveau parti : Section française de l’Internationale, auquel l’allemaniste Willm fit rajouter “ouvrière”.

Sa compétence dans le domaine international était utilisée par de nombreuses publications. Longuet fut d’ailleurs toute sa vie ce qu’on peut appeler “un militant de revue”. En 1898, il avait déjà collaboré au marxiste Devenir social avec un long compte rendu consacré au socialisme britannique. En janvier 1899, il fonda avec Hubert Lagardelle le Mouvement socialiste dont il fut le secrétaire gérant jusqu’en juin 1903, au moment où Lagardelle désespérant de ce qu’il considérait comme une dérive droitière de Jean Jaurès, rompit avec Longuet et passa au PSDF. Dans ses premières années, le Mouvement socialiste fut une revue de “jeunes” opposés aux vieux dogmatismes mais elle n’était pas encore devenue le lieu de regroupement des militants sensibles aux thèses du syndicalisme révolutionnaire et critiques à l’égard du parlementarisme. Longuet fut également le secrétaire de rédaction de Pro Armenia, fondé en 1900 par Quilliard et continué par de Pressensé, pour protester contre les massacres dont étaient victimes les Arméniens et soutenir leur cause. Dans ces deux revues, Longuet mena un travail d’organisation et de documentation (comptes rendus de congrès, d’ouvrages ou de revues étrangers, analyses de mouvements sociaux, avec une spécialisation dans le domaine anglo-saxon) qui ne laissait peut-être guère de place au brio individuel, mais qui montrait le sérieux de ce militant encore jeune — il n’avait pas trente ans — parfois présenté trop rapidement comme un nonchalant ou un rêveur. Longuet écrivait également dans la Revue socialiste dirigée par Gustave Rouanet et Eugène Fournière, l’Européen (1901-1906) qui défendait les droits des peuples opprimés et représentait l’opinion démocratique, socialiste ou radicale, le Courrier européen (1904-1914), à la fois rival et proche du précédent, la Revue de Jean Finot, que Louis Guilloux égratigne dans ses souvenirs, Die Neue Zeit de Kautsky ou il Socialismo d’Enrico Ferri qui se situaient dans la tradition marxiste. La personnalité de Longuet commençait parfois à s’y révéler discrètement avec quelques études littéraires consacrées à Jack London ou à Upton Sinclair et à son succès mondial que fut The Jungle.

Ses études terminées, Longuet gagna sa vie comme journaliste. Il ne compléta cette activité par l’exercice de sa profession d’avocat qu’à partir de 1908. De 1899 à 1903, Longuet fut rédacteur chargé de la politique internationale dans la Petite République alors dirigée par Léon Gérault-Richard et Jean Jaurès. Il suivit Jaurès, qui quitta ce journal à la fin de 1903 et fonda, le 18 avril 1904, l’Humanité. Longuet continua à y donner des articles d’information internationale, les articles de fond étant plutôt le domaine de Francis de Pressensé et, la première année, de Lucien Herr.

Jean Longuet épousa Anita Desvaux, une militante, fille de cordonnier et originaire de la région de Dreux. Ils eurent deux enfants : Robert-Jean, Gustave, né le 9 décembre 1901 et Charles (dit Karl), Jean, Paul, né le 10 novembre 1904, tous deux à Paris (XIVe), où demeuraient les Longuet. Les deux fils de Jean Longuet connurent la célébrité, mais dans des domaines bien différents. L’aîné, Robert-Jean (mort le 19 mars 1987), milita avec son père à la commission anti-coloniale de la SFIO. Le cadet, Karl-Jean Longuet (mort en 1981), fut un sculpteur renommé, résistant actif.

L’unité réalisée, au congrès de la Salle du Globe (23 au 26 avril 1905), Longuet se spécialisa sur ses sujets de prédilection. Membre de la commission administrative permanente du parti, il y fut constamment réélu jusqu’à sa mort. Sa participation aux congrès, assidue, était toujours discrète. Il intervenait dans les moments difficiles, comme à Nancy (1907) pour critiquer Gustave Hervé et soutenir la proposition d’action internationale contre la guerre ou à Toulouse (1908) pour défendre la valeur des réformes, se situant à chaque fois aux côtés de Jean Jaurès. Mais il n’était pas un animateur de tendance, ni un homme d’appareil. Homme de l’Internationale, il se voulait au service du parti, et habitué dès son plus jeune âge à la vie des congrès, il en percevait sans doute la relative vanité.

Longuet se préoccupait davantage de réalisations concrètes : il envisagea ainsi la création d’un service juridique, d’une agence de presse, d’une Maison du peuple sur le modèle des réalisations belges, de l’édition de livres et de brochures, et notamment des œuvres principales de Marx. Lui-même avait déjà traduit en 1900 le Sultan et les grandes puissances de Malcom Mac Coll, publié une étude sur l’affaire Azev, Terroristes et policiers, en collaboration avec Georges Silber en 1908, qui fut traduite en allemand, en suédois et en russe, diverses brochures, notamment pour défendre la social-démocratie allemande lorsqu’elle fut accusée par Charles Andler de dériver vers le nationalisme et le pangermanisme, et enfin une somme de six cent cinquante pages consacrée au Mouvement socialiste international (1913) et qui constituait un des douze volumes de l’Encyclopédie socialiste de Constant Compère-Morel.

Longuet travailla, pendant une décennie, à l’implantation du socialisme dans l’Aisne. A la différence des autres militants qui, à la suite du guesdiste Constant Compère-Morel cherchait l’appui des petits propriétaires ou fermiers, il tentait de gagner au socialisme les ouvriers agricoles. Il fut trois fois candidat aux Législatives (1906, 1910 et 1912) et se présenta aussi aux cantonales, labourant le terrain mais sans parvenir à s’imposer face à des notables radicaux usant d’une rhétorique plus familière aux électeurs.
Il rencontra le succès aux élections de 1914, dans une nouvelle circonscription de la banlieue sud formée par les cantons de Sceaux et de Villejuif. Longuet n’était pas parachuté dans cette circonscription puisqu’il y habitait depuis 1911, après des circonstances dramatiques : son fils cadet Charles avait été sérieusement blessé dans une catastrophe ferroviaire au cours de laquelle était morte sa grand-mère maternelle. Les médecins recommandaient la campagne pour que l’enfant se remît de l’accident et Longuet devait conserver son domicile dans les limites du département de la Seine puisqu’il était inscrit comme avocat au barreau de Paris. Il choisit donc Châtenay-Malabry, qui conservait alors un aspect rural et qui était bien desservie, et quitta le XIVe arrondissement.

Les résultats du premier tour (26 avril 1914) des élections législatives furent les suivants : 25 591 inscrits, 20 237 votants, 19 358 suffrages exprimés, Longuet : 7 048 (36,4 %). Ce premier scrutin mettait bien en valeur une constante de la situation politique locale de Longuet : son élection dépendait très largement des liens qui l’uniraient à l’électorat radical ou républicain socialiste, ce courant qui était orienté à gauche mais ne se reconnaissait pas nécessairement dans la SFIO. Il était cette fois divisé en plusieurs candidatures, radicales et républicaine-socialiste. Le 10 mai 1914, jour de son trente-huitième anniversaire, Longuet fut élu député de la Seine par 10 150 voix (55,3 %) contre 8 207 (44,7 %) à Calary de Lamazière. Longuet s’inscrivit aux commissions des affaires extérieures, des Protectorats, des Beaux-Arts, de la réforme judiciaire et de la législation civile et criminelle.

Mais ce spécialiste permanent des affaires internationales (il n’avait que vingt ans en 1896 quand il assista à Londres à son premier congrès de l’Internationale et il était depuis 1905 délégué suppléant au Bureau socialiste international) fut vite plongé dans la tourmente qu’il évoquait au congrès de Saint-Quentin. Le 13 juillet 1914, il avait participé à une grande réunion pour la paix à Condé-sur-l’Escaut en compagnie de Karl Liebknecht auquel il devait le lendemain faire visiter Châtenay. Dix jours avant l’ultimatum autrichien à la Serbie, la situation n’avait encore rien de dramatique. Du 28 au 30 juillet, Longuet accompagna Jean Jaurès à Bruxelles pour la réunion du Bureau socialiste international. De même, il fut à ses côtés, le 31 dans la délégation reçue au Quai d’Orsay par Abel Ferry... et, le même soir, au Café du Croissant, après avoir vainement proposé de dîner au Coq d’Or, il assista à l’assassinat du directeur de l’Humanité par Villain.

Longuet, accablé, veilla toute la nuit le corps de Jean Jaurès. Dès le 2 août, il défendit l’idée de la défense nationale : “Si la France est attaquée, comment ne seraient-ils pas (les socialistes) les premiers à défendre la France de la Révolution et de la démocratie, la France de l’Encyclopédie, de 1793, de juin 1848, la France de Pressensé (voir Francis Dehaut de Pressensé), de Jaurès ?” Cette position ne rompait pas avec les discours antérieurs de Longuet et des socialistes, prêts à lutter contre la possibilité d’une guerre — et envisageant toujours qu’elle n’interviendrait qu’après une longue crise — mais affirmant sans cesse leur patriotisme et peu préparés à agir après la déclaration de guerre. C’est ainsi que dans sa proclamation aux électeurs de l’Aisne d’octobre 1912, Longuet écrivait : “Nous ne séparons pas l’amour de notre pays et l’amour de l’humanité, nous voulons que les travailleurs de tous les pays comprennent l’identité de leurs intérêts. Mais le jour où notre indépendance nationale serait menacée, nous serions au premier rang de ses défenseurs”. Et, lorsque après Charleroi, le pays fut envahi, tous les socialistes furent favorables à la constitution d’un gouvernement d’Union sacrée avec leur participation. Longuet resta même avec Pierre Renaudel à Paris après le départ du Parlement pour Bordeaux et, en digne fils de Communard, réclama une défense populaire de la capitale.

Mais l’acceptation de la défense nationale ne signifiait pas l’abandon des valeurs républicaines et socialistes. Député consciencieux, à l’écoute des plaintes de ses électeurs, comme en témoigne le volumineux dossier conservé dans les archives Thomas, Longuet connaissait la situation au front. Son patriotisme n’excluait pas la volonté de rétablir des contacts internationaux, de chercher les moyens possibles d’abréger la tuerie et de parvenir à la paix : il refusait la dérive vers le nationalisme. C’est le sens de l’action menée par les minoritaires qui trouve son origine dans un texte officiel de la fédération de la Haute-Vienne du 15 mai 1915. Cette minorité, dont Jean Longuet devint vite le principal animateur, se renforça peu à peu, mais ce n’est pas le lieu ici d’en faire l’historique. Les socialistes de Haute-Vienne, qui disposaient depuis 1905 d’un quotidien, le Populaire du Centre, fondèrent le 1er mai 1916 un hebdomadaire destiné à défendre leurs thèses, le Populaire-Revue. L’hebdomadaire devint parisien en juillet 1917 et se transforma en quotidien du soir, le 10 avril 1918. Longuet en était le directeur politique, Paul Faure, le rédacteur en chef et Henri Barbusse, le directeur littéraire. Le courant minoritaire s’organisa en octobre 1916 en Comité pour la défense du socialisme international.

Le renversement de majorité se produisit au conseil national des 28 et 29 juillet 1918 lorsque la motion que présentait Longuet remporta 1 544 mandats contre 1 172 à celle défendue par Pierre Renaudel. Au congrès qui eut lieu en octobre suivant, cette victoire fut confirmée et les anciens minoritaires prirent la direction du parti : L. O Frossard remplaça Louis Dubreuilh au secrétariat du parti et Marcel Cachin, ancien “majoritaire”, succéda à Pierre Renaudel à la tête de l’Humanité. Longuet n’accéda donc à aucune responsabilité officielle, ce qui l’empêcha sans doute d’asseoir durablement son autorité politique.
Au même moment, il remplit une nouvelle fois son magistère de pédagogue du socialisme en publiant chez Alcan La politique internationale du marxisme, Karl Marx et la France qui réfutait les Socialistes du Kaiser de Laskine. Cette solide étude historique, rigoureuse et bien documentée, constitue sans doute le meilleur livre écrit par Longuet et n’a rien perdu de son intérêt, sans connaître le succès car publié dans le contexte de l’effondrement des Empires centraux. Le 18 septembre 1919, le député de la Seine affronta pour la première fois la tribune de la Chambre afin d’exposer l’opposition des socialistes au traité de Versailles. Il le fit avec sa courtoisie coutumière ce qui lui valut les sarcasmes de Trotsky.

Pour Longuet, “ce n’est pas la paix du droit qu’on nous apporte. C’est une paix de force, une paix de violence, qui rappelle toutes celles qui, dans le passé, à travers les siècles, ont terminé les conflits qui ont jeté les peuples les uns contre les autres”. Il approuvait le maintien de l’unité allemande mais s’alarmait de la situation des Sudètes et de l’éventualité de l’Anschluss. Conscient de l’étendue des destructions en France, il aurait voulu que les charges de la reconstruction incombassent également aux États-Unis et à la Grande-Bretagne. Longuet reprochait aux négociateurs de s’être excessivement préoccupés des questions territoriales au détriment des problèmes économiques et sociaux. Fréquemment et violemment interrompu par des députés du centre ou de la droite, le directeur du Populaire jugeait ce traité aussi contraire aux intérêts de la France qu’à ceux de l’Europe. Au nom de la justice et de la morale, il demandait le respect des droits de tous les peuples, pas seulement ceux qui étaient soumis aux Empires centraux, mais aussi ceux encore dominés par les alliés. Il réclamait ainsi la liberté pour l’Irlande, condition préalable à sa réconciliation avec l’Angleterre, pour l’Inde, l’Égypte, l’Indochine ou la Tunisie... Ainsi, Longuet qui affirmait que “c’est parce qu’il est internationaliste qu’il veut qu’on respecte toutes les nations”, intégrait les peuples colonisés, du moins ceux dont les formes de civilisation étaient les plus proches de la culture européenne, parmi ceux auxquels on devait rendre justice. Il ne faut pas négliger l’importance de cette affirmation solennelle de solidarité avec des peuples coloniaux alors que de nombreux socialistes considéraient désormais la colonisation comme un fait acquis qu’il convenait simplement d’améliorer. Longuet concluait par la défense de la Russie révolutionnaire et réclamait la fin du blocus comme du soutien armé aux Blancs.

Dirigeant de premier plan, Longuet attirait naturellement sur lui la popularité, mais aussi bien des haines. Citons simplement, comme exemple des campagnes dirigées contre lui, la brochure d’Alexandre Zévaès, ancien député socialiste, historien prolixe du mouvement ouvrier Le dossier de M. Jean Longuet (L’Effort, 1919) qui voyait en Longuet “le centre des opérations et des manœuvres germanophiles et défaitistes que les ennemis de la France et les amis de l’Allemagne ont poursuivies sans relâche dans notre pays”. L’échec particulier de Longuet aux élections législatives de novembre 1919, décevantes pour les socialistes, ne fut donc guère étonnant : sollicité par de nombreuses fédérations, Longuet s’était représenté dans la Seine, mais cette fois dans le cadre du curieux scrutin proportionnel à correctif majoritaire et avec panachage qui avait été adopté ; il arriva 14e et dernier de la liste qu’il conduisait avec 111 015 voix contre 114 145 à l’habile Pierre Laval (en moyenne 40,7 % des suffrages exprimés). La liste d’Union constitués par leurs adversaires du Bloc national permit à ceux-ci d’obtenir tous les sièges avec 150 156 voix de moyenne (54,26 % des suffrages exprimés).
La défaite de Longuet n’avait donc rien d’exceptionnel, ni d’irrémédiable ; il ne devait pas en aller de même de celle qu’il allait subir dans le parti et l’Internationale. Le congrès de Strasbourg de la SFIO avait décidé le retrait de la Seconde Internationale et des pourparlers avec la IIIe. Longuet devait désormais affronter sur sa gauche le Comité de la IIIe Internationale qui prenait la suite de l’ancienne aile zimmerwaldienne et représentait plus du tiers des mandats.

Pour les discussions avec les dirigeants de l’Internationale communiste en vue du rétablissement de l’unité socialiste internationale, la commission administrative permanente avait désigné en mars Longuet et Marcel Cachin. Mais le voyage fut retardé et, semble-t-il pour des raisons de santé, Longuet ne put partir et fut remplacé par Frossard. Les deux négociateurs partirent pour Moscou le 31 mai 1920 et après quelques péripéties, s’engagèrent pour l’adhésion à la IIIe Internationale, qui correspondait d’ailleurs à un courant grandissant dans le parti. Le débat se focalisa sur les “21 conditions” mais le centre “reconstructeur” n’avait plus désormais la maîtrise des événements : la droite, très minoritaire dans le parti (Léon Blum, Alexandre Bracke, Pierre Renaudel...) refusait avec cohérence l’abandon de la “vieille maison” et de ses principes ; la gauche (Paul Vaillant-Couturier) voulait édifier un parti révolutionnaire. Toute la question était de savoir où se situerait la coupure, quelle serait l’attitude des “reconstructeurs”, les anciens minoritaires de guerre. Frossard et Cachin étaient favorables à l’adhésion au contraire de Paul Faure. Longuet, lui, parut longtemps hésitant. Visé nommément dans les “21 conditions”, il avait rencontré Zinoviev en octobre 1920 au congrès de Halle des socialistes indépendants allemands et celui-ci s’était montré très conciliant. Mais lorsque se réunit le congrès de Tours, l’attitude de l’Internationale communiste se durcit : elle l’exprima par un télégramme signé par Zinoviev qui condamnait en Longuet un “agent déterminé de l’influence bourgeoise sur le prolétariat”. Celui-ci, partisan de l’adhésion avec réserves, voulait maintenir l’unité du socialisme international et du socialisme français. Il refusait donc les “21 conditions”, “l’esprit de haine et de division”, l’exclusion de l’aile droite du parti et s’affirmait partisan du maintien des structures traditionnelles du parti avec son autonomie fédérale et ses habitudes de “libre pensée”. La brutalité des déclarations de l’Internationale communiste le poussa à une révolte morale plus même que politique qui s’exprima dans ses interventions et par de nombreuses interruptions : qualifiant le télégramme Zinoviev “d’outrage” et de “provocation”, il demandait aux congressistes s’ils étaient disposés à recevoir le “knout” et il lançait à Paul Vaillant-Couturier qui lui reprochait de réduire le débat à une question d’amour-propre : “Savez-vous ce qui distingue l’homme de l’esclave, c’est qu’il a une dignité.”

Longuet sortit brisé du congrès de Tours : le maintien de l’unité était impossible. Il participa encore aux tentatives de rapprochement au niveau international sous l’égide de l’Union des partis socialistes pour l’action internationale, couramment appelée Internationale 2 1/2 par les communistes en raison de ses positions “centristes”, qui aboutirent en 1922 à une conférence à Berlin entre les trois internationales qui ne put elle-même que constater l’impossibilité de tout rapprochement. En mai 1923 à Hambourg, cette Union et les partis restés fidèles à l’Internationale socialiste constituèrent l’Internationale ouvrière socialiste (1923-1940) dont le secrétaire fut l’Autrichien Friedrich Adler.
Longuet siégea au comité exécutif de l’IOS où il représenta la SFIO en position de n°2 derrière Alexandre Bracke, le vieux compagnon de Jules Guesde. Il s’intéressa notamment à la défense des libertés et au sort des militants victimes de la montée des dictatures. Il anima ainsi un bulletin destiné à alerter la presse internationale et lia ses activités à celles qu’en France il menait en faveur des réfugiés antifascistes italiens, puis allemands. Il s’était du reste spécialisé au Palais dans ces affaires car, contrairement à ce qui fut parfois indiqué, Longuet plaida souvent. Dans le Parti socialiste, il animait la commission d’immigration, constituée en 1930, et il collaborait à la Revue pratique de droit international privé dont la direction avait été confiée à Maurice Delépine et Marcel Livian. Comme maire de Châtenay, il accueillit de nombreux exilés à la Butte-Rouge, comme Otto Wels, président du parti social-démocrate allemand, Ollenhauer, Crummenerl, etc. Au moment du Front populaire, il fut chargé de représenter la France à la conférence internationale pour le statut des réfugiés qui se tenait à Genève (juillet 1936) qui aboutit à une convention internationale et en France à un décret légalisant la situation des réfugiés allemands. Ce fut au demeurant la seule mission officielle qui fut confiée à Longuet par le gouvernement Léon Blum.

Hormis son activité pour la défense et le renforcement du droit d’asile, l’essentiel de ses efforts en politique internationale porta sur les questions coloniales. Il participa à la commission coloniale mise en place par l’IOS en avril 1926. Il se préoccupa surtout de la situation au Maroc après la guerre du Rif, bien informé par un réseau de correspondants, notamment par Yves Farge. Il fut vite secondé puis relayé par son fils Robert qui fonda la revue Maghreb (1932-1935) permettant ainsi aux jeunes nationalistes marocains de s’exprimer. Mais les Longuet ne purent bénéficier que de la prudente sympathie de quelques vieux amis du fondateur du Populaire, comme Pierre Renaudel, Sixte-Quenin ou Georges Monnet. Longuet ne rencontra guère d’échos lorsqu’en 1933 il demanda le soutien de son groupe parlementaire. La même année, au congrès de Paris de la SFIO, il fut le seul à prendre la défense de son fils attaqué par la fédération marocaine pour son engagement en faveur du mouvement national marocain. Il parvint à obtenir en 1934 un soutien plus large mais toujours discret en faveur du plan de réforme des nationalistes marocains. En 1936, il aurait écouté d’une oreille favorable les projets de son fils qui préparait un soulèvement du Maroc espagnol contre les franquistes. L’opposition du Quai d’Orsay et de Léon Blum ne permit pas un début de réalisation de ce plan. La crainte d’une aventure pouvant conduire à la guerre et aussi sans doute celle d’une contagion des troubles dans le Maroc français l’avaient emporté. Comme en Algérie, les espoirs qu’avait fait naître au Maroc la formation du gouvernement de Front populaire ne purent guère se concrétiser. La répression reprit vite et fin 1937, le leader nationaliste Allal el Fassi était déporté au Gabon : Longuet prit l’initiative d’une pétition signée par de nombreux intellectuels de renom comme André Gide, Mauriac, Massignon, Maritain, Jean Guéhenno, Paul Rivet, Jean-Richard Bloch ou G. Marcel, mais qui rencontra moins d’écho dans les milieux plus politiques, hormis Alexandre Bracke ou Magdeleine Paz. Longuet intervint également dans d’autres affaires internationales : la répression des socialistes autrichiens en 1934 le toucha de très près. Il fut très actif dans la protestation contre l’agression italienne en Éthiopie et siégea dans les comités directeurs ou d’honneur de nombreux organismes, comme par exemple celui des Amis du peuple chinois.
“Conscience du parti” pour reprendre l’expression de Jean Lacouture, mais à l’écart des principales responsabilités politiques — il n’était plus codirecteur du Populaire lorsque celui-ci reparut en 1927 après trois ans d’interruption — Longuet conserva de multiples activités avec une prédilection pour celles qui lui permettaient d’informer, de fournir une documentation aux militants.

En 1925, avec l’aide de L. O. Frossard, revenu par étapes à la SFIO, il avait lancé une Nouvelle revue socialiste qui se voulait à la fois l’héritière de la Revue socialiste fondée par Benoît Malon en 1885 et qu’avaient continuée jusqu’en 1914 Georges Renard, Gustave Rouanet, Eugène Fournière et Albert Thomas et du Mouvement socialiste (1899-1914) dont Longuet avait été un des fondateurs. Cette revue portait la marque de son directeur puisqu’elle se voulait l’expression du socialisme international : elle rendit largement compte des congrès et de l’activité de l’IOS et accueillit des articles d’Adler, de Vandervelde ou de Nenni. Longuet y donna des comptes rendus de congrès, des analyses électorales, beaucoup d’articles nécrologiques et des notes de lecture sur différentes revues anglo-saxonnes ou françaises : il lisait de très près la Vie socialiste de son ami et adversaire de tendance de Pierre Renaudel et la Révolution prolétarienne de Pierre Monatte, Alfred Rosmer et Maurice Chambelland. La revue servait également à publier de jeunes espoirs socialistes qui devaient connaître des destins divers : Jules Moch, Léo Lagrange, Édouard Depreux, Maurice Deixonne, Marcel Déat, Raymond Aron et Claude Lévi-Strauss... La culture y occupait une place importante : Longuet partageait avec Léon Blum le goût du théâtre et des amitiés littéraires. Il était ainsi l’ami (et parfois l’avocat) de Max Reinhardt, de Firmin Gémier, qui publia un article sur l’Internationale du théâtre dans la Nouvelle revue socialiste, d’Harry Baur ou de Gaby Morlay... Les problèmes financiers menacèrent toujours l’existence de la revue et après le départ de L. O. Frossard en 1930, remplacé par Amédée Dunois, Longuet dut cesser définitivement en 1931 la parution de la Nouvelle revue socialiste, médiocrement soutenue au demeurant par la SFIO.

Les candidatures de Longuet aux élections nationales furent souvent décevantes : il faut replacer ces échecs dans le cadre de la faiblesse structurelle de la SFIO dans la région parisienne pendant l’entre-deux-guerres ; mais il faut aussi tenir compte de la personnalité de Longuet, peu enclin aux manœuvres d’appareil et sans doute médiocrement doué pour certains aspects du métier de candidat. L’échec des législatives de 1924 sur une liste du Cartel ne fut pas une surprise, mais il n’en alla pas de même pour celui des sénatoriales de 1927 : le nouveau maire de Châtenay avait de bonnes chances d’être élu mais de subtiles manœuvres communistes et, semble-t-il, de certains de ses colistiers socialistes, provoquèrent sa défaite.

Aux élections législatives de 1928, sur 17 291 votants et 19 910 inscrits, Longuet obtint 4 645 voix au premier tour contre 3 727 à Lacour (PC) et 6 397 au maire de Bourg-la-Reine, candidat de droite, Alfred Nomblot. Le maintien de la candidature communiste au deuxième tour, en application de la tactique “classe contre classe”, permit l’élection de Nomblot : 7 542 voix contre 6 126 à Longuet et 2 914 à Léonard Lacour.

La même tactique fut appliquée par le PC aux élections de 1932 : Longuet recueillit 7 262 voix (36,9 %), Léonard Lacour 3 325 voix (16,9 %), Donzelot, républicain socialiste 1 583 (8 %) et Nomblot 7 537 (38 %). Mais au second tour Longuet fut élu avec 9 704 voix contre 8 340 à Nomblot et 1 661 à Léonard Lacour.

Longuet retrouva donc la Chambre pour une deuxième et dernière législature. Curieusement, cet avocat actif, conférencier apprécié et fréquemment sollicité par son parti, ne fut jamais un orateur parlementaire. Il intervint à plusieurs reprises sur le Maroc, la politique internationale, les Ligues, participa à la commission d’enquête sur les événements du 6 février 1934, mais ne prononça pas de “grand discours” analogue à celui de 1919 contre le traité de Versailles.

En 1936, le nouveau maire communiste de Bagneux, Albert Petit, s’imposa au premier tour avec 7 057 voix contre 4 837 à Longuet qu’il devançait dans toutes les communes de la circonscription, sauf à Sceaux et à Châtenay (mais c’était le candidat de droite qui arrivait en tête à Châtenay). La poussée communiste, générale dans tout le pays s’était faite particulièrement sentir dans cette circonscription de banlieue. De plus, Longuet avait toujours été dans l’obligation pour l’emporter de rassembler sur son nom l’essentiel des voix de la gauche socialiste et radicale dès le premier tour. La présence en 1936 d’un candidat USR activement soutenu par le maire radical d’Antony et le maire néo-socialiste de Montrouge, Émile Cresp qui obtint 3 979 voix, représentait donc un lourd handicap pour le maire de Châtenay. En ce sens, la défaite de Longuet était également à mettre au compte de la scission “néo” de 1932.

Longuet s’était présenté aux élections municipales de 1925. Sous la IIIe République, il n’était guère d’usage pour un homme politique “d’audience nationale” de briguer une mairie. Mais Longuet, alors dépourvu de mandat électif, n’ayant plus la charge de la direction du Populaire, se trouvait disponible et ressentait sans doute la nécessité de mieux asseoir son audience politique dans sa région, afin de préparer soit les prochaines législatives, soit l’élection sénatoriale de 1927 pour laquelle, courtois, cultivé et militant, il pouvait sembler tout désigné pour se présenter à un rang d’éligible. En outre, toujours pédagogue, Longuet pouvait trouver de l’intérêt à expérimenter dans sa commune les principes de ses camarades belges, autrichiens ou scandinaves.

A la tête de sa liste, Longuet obtint au premier tour, 275 voix et au deuxième tour, 355 voix. Sa victoire en 1929 fut acquise dès le premier tour avec 372 voix. Le maire de Châtenay assura la modernisation de sa commune : distribution du gaz, de l’eau courante, réfection de la voirie, enlèvement des ordures ménagères, éclairage, cantines, patronage Voltaire, colonies de vacances, nouvelle mairie en 1933... Les élections de 1935 furent cependant difficiles. Au premier tour, Longuet recueillit 365 voix et l’emporta, au second tour, avec 428 voix.

Châtenay fut confronté sous cette dernière mandature Longuet aux énormes difficultés liées à l’implantation d’une cité-jardin à la Butte-Rouge. Sans avoir personnellement sollicité la construction de cette cité réalisée sous l’égide des HBM de son ami Henri Sellier, sénateur-maire de Suresnes, Longuet s’attacha à rechercher les meilleurs moyens de son intégration. La municipalité devait assurer l’accueil de cette population nouvelle et supporter les lourdes charges des équipements nécessaires ; si Longuet ne put obtenir une meilleure desserte pour les transports publics, la construction d’une piscine intercommunale et celle d’un stade qui porte aujourd’hui son nom témoignèrent de l’efficacité de ses efforts.

Aux élections cantonales, Longuet avait soutenu Mounié, maire d’Antony, un radical-socialiste lié à Théodore Steeg, en 1919 au second tour, et dès le premier tour en 1925. En 1929, Auguste Mounié, élu sénateur, ne se représenta pas et permit ainsi à Longuet d’être élu conseiller général au second tour avec 3 132 voix et 44 % des suffrages exprimés (2 697 voix et 39,6 % au premier tour) malgré le maintien du candidat communiste. En 1935, Longuet qui avait un temps songé à se retirer au profit d’Édouard Depreux, obtint 3 538 voix au premier tour (37,2 %) et fut élu au second avec le désistement du communiste (5 476 voix et 60 % des suffrages exprimés). Sa participation au conseil général fut notamment marquée par ses efforts en faveur de la sauvegarde du parc de Sceaux et la création du Musée de l’Ile de France en 1934.

Toutes ses activités étaient fort estimables mais témoignaient en même temps d’une disponibilité de Longuet qui ne s’expliquait pas seulement par son dévouement inlassable, mais aussi par le caractère limité des responsabilités nationales et internationales qui lui étaient confiées. Il apparut vite en marge dans la SFIO reconstituée de l’entre-deux-guerres et plutôt voué aux charges honorifiques, même s’il ne cessa jamais d’appartenir à la commission administrative permanente (il échappa de peu à son élimination de cette instance en 1936).

En 1935, Longuet devint président du syndicat des journalistes socialistes, à la fondation duquel avait participé son père en 1893, poste honorifique mais recherché qu’avaient occupé auparavant, entre autres, Georges Renard, Albert Thomas et Pierre Renaudel. De même, il fut choisi, en 1937, pour présider l’Association pour le maintien du souvenir de Jean Jaurès qui essaya de perpétuer autour du culte de Jaurès l’élan qui avait porté le Front populaire.

À l’intérieur de la SFIO, Longuet se situait à l’aile gauche du parti, mais il se montra toujours solidaire de Léon Blum et favorable à la synthèse. Son seul — mais essentiel — désaccord important concerna la politique de non-intervention en Espagne du gouvernement du Front populaire. Il multiplia les démarches, que ce soit auprès de Léon Blum lui-même (entretien du 1er août 1936) ou des leaders britanniques comme Churchill, Attlee et la duchesse d’Atholl en novembre-décembre 1936 et il mena une campagne presque quotidienne dans le Populaire contre la non-intervention... du gouvernement britannique qui ne pouvait pas ne pas concerner également dans l’esprit du lecteur la politique du gouvernement français. Il participa donc aux activités du Comité d’action socialiste pour l’Espagne (CASPE) et de son organe, l’Espagne socialiste (1937).

Face à la montée du fascisme et des dictatures, Longuet adopta dès le départ une politique de fermeté. Alors que de nombreux pacifistes de la gauche socialiste se réclamaient de l’exemple des minoritaires de la Première Guerre mondiale, il était un des plus résolus adversaires de la politique d’apaisement à l’égard du nazisme. Son discours au congrès de Marseille (1937) fut à cet égard très net. “Je comprends le sentiment ardemment pacifiste de nos masses (...) mais la question est de savoir si nous maintiendrons bien la paix en permettant au fascisme international, au fascisme italien, au fascisme allemand, de conquérir sans cesse des positions fortes qui risquent de nous acculer demain à la guerre, que nous aurions pu éviter alors qu’ils eussent dû céder.” Cette attitude combative fut sans doute à l’origine d’un regain d’influence dans le Parti socialiste.

Sa mort, survenue le 11 septembre 1938 à Aix-les-Bains après un accident d’automobile, suscita une émotion profonde et une foule nombreuse participa aux obsèques.

Longuet laissa l’image d’un militant élégant, dévoué et sympathique, pédagogue désireux de servir, façonné par la vieille morale du “refus de parvenir”, mais aussi celle d’un politique avisé, qui avait le sens des réalités sociales et politiques, qu’il s’agisse de la lutte des classes, de la République ou de la démocratie, et dont la sûreté de jugement prenait toute sa valeur au moment des crises les plus dramatiques.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24516, notice LONGUET Jean [LONGUET Frédéric, Jean, Laurent] par Gilles Candar, version mise en ligne le 12 février 2009, dernière modification le 23 novembre 2022.

Par Gilles Candar

Jean Longuet (1918)
Jean Longuet (1918)
cc Agence Meurisse
Hubert-Rouger (dir.), Encyclopédie socialiste, op. cit.
Tombe de Jean Longuet au cimetière du Père Lachaise

ŒUVRE : Le socialisme au Japon, traduction de Vera Zassoulitch, Saint-Petersbourg, 1904, édité à Odessa et Genève. — Terroristes et policiers, en coll. avec G. Silber, Paris, Juven, 1909, traduit en suédois par Branting sous le titre L’Affaire Azev, Stockolm, 1911, en allemand avec une préface de Jaurès et en russe en 1924. — Les socialistes allemands contre la guerre et le militarisme, Paris, Librairie du Parti socialiste, 1913, 31 p. — Le mouvement socialiste international (in Encyclopédie socialiste de Compère-Morel), Paris, Quillet, 1913, 648 p. — Socialisme et religion, Londres, J. Johnson, 1916. — La politique internationale du marxisme, Karl Marx et la France, Paris, Alcan, 1918, 295 p. — Contre la paix impérialiste, pour la Russie révolutionnaire (discours à la Chambre des députés du 18 septembre 1919), Paris, Librairie du Parti socialiste et de L’Humanité, 1919, 44 p. — Jaurès et ses contemporains (ouvrage collectif), Paris, Étienne Chiron, 1925, 217 p. — Les Principes de la paix, édition établie et présentée par Gilles Candar, éditions l’Arbre bleu, Nancy, 2019.

SOURCES : Arch. Nat., fonds Albert Thomas, Édouard Depreux, Paul Boncour. — Arch. PPo. Ba 748, 749, 1463, 1470, 1527, 1535, 1536, 1558, 1692. — Archives de l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam : correspondance de Jean Longuet. — Archives de l’Office universitaire de recherche socialiste : dossier Longuet. — Archives Georges Renard (BHVP). — Arch. Mun. Châtenay-Malabry. — G. Oved, La Gauche française et le nationalisme marocain, L’Harmattan, 1984, 2 tomes. — Actes des journées Longuet (avril 1985) de Châtenay-Malabry publiés sous le titre : Jean Longuet, la conscience et l’action, études rassemblées par G. Candar, Éd. de la Revue politique et parlementaire, 1988 — Jacques Girault, Militants de Châtenay-Malabry entre les deux guerres, CNRS/GRECO 55, 1987. — Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la Patrie et la Révolution. Paris 1914-1919, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995. — Gilles Candar, Jean Longuet, thèse, Paris VIII, 1996 ; publiée sous le titre Jean Longuet, 1876-1938 : un internationaliste à l’épreuve de l’histoire, Presses universitaires de Rennes, 2007. — Renseignements fournis par J.-D. Gautié, Jacques Girault et R. J. Longuet. — Romain Ducoulombier, Camarades ! La naissance du Parti communiste français, Perrin, 2010. — Julien Chuzeville, Un court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, Libertalia, 2017.

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